mark zuckerberg
Société

Mark, un ami qui vous veut du bien

 
« L’épidémie d’Ebola se trouve à un tournant critique. Le virus a contaminé 8400 personnes jusqu’à présent, mais il se répand très rapidement et certains prédisent qu’il pourrait contaminer 1 million de personnes, voire plus, d’ici plusieurs mois si rien n’est fait pour le combattre », a expliqué il y a quelques semaines Mark Zuckerberg, président de Facebook.
L’épidémie de cette fièvre hémorragique aurait déjà, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), causé la mort de 4800 personnes, principalement au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Le PDG du réseau social le plus utilisé au monde (1,32 milliard d’utilisateurs) ainsi que son épouse, Priscilla Chan, avaient déjà annoncé le 14 octobre un don de 25 millions de dollars aux Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) pour lutter contre le virus. Ce n’est pas une première pour le jeune milliardaire de 30 ans qui avait été placé en 2013 en tête de la liste des plus grands donateurs de la planète par le journal américain The Chronicle of Philanthropy.
Sans doute parce qu’il est soucieux d’étendre ses ardeurs philanthropiques aux utilisateurs de son réseau social, est apparu sur Facebook, début novembre au sommet de votre fil d’actualité un nouveau bouton : « cliquez pour faire un don ».

De l’utilité du like responsable
Le simple pouce en l’air, symbole ultime du géant Facebook, a été remplacé par la même main tenant un petit coeur rose. Tout comme Marc Zuckerberg et sa femme, et comme c’est écrit, « nous pouvons participer à la lutte contre Ebola ». Nous, simples utilisateurs, pouvons faire comme eux, milliardaires. En d’autres termes, nous pouvons tous agir à notre niveau et Facebook nous facilite la tâche. Plus d’excuses et fini le slacktivisme : sur les réseaux sociaux il est particulièrement aisé de se donner bonne conscience en likant et en twittant les actualités d’une multitude d’ONG. En revanche, les actions concrètes et utiles qui en découlent sont rares.

Cette opération de collecte de fonds a été mise en place au profit de deux ONG : International Mediacal Corps et Save the Children. La première a pour but de fournir des traitements d’urgence sur place et de former les équipes médicales. Il s’agit de les « aider à stopper Ebola à sa source » et de « restaurer la santé et l’espoir chez des millions de personnes ». La seconde soigne les enfants et protège ceux dont les parents ont été emportés par la maladie. Les internautes qui souhaitent faire un don sont amenés à choisir l’une des deux. Cependant, pas question pour le géant du web de se faire de la gratte puisqu’il est précisé que « l’intégralité du montant » sera reversé à l’association.
Comme Mark Zuckerberg, Larry Page (directeur et fondateur de Google) a lancé sa propre collecte de fonds. Le principe est simple : « pour chaque dollar versé, Google donnera 2 dollars ». Le but est que la somme totale atteigne les 7,5 millions de dollars. Le mouvement a aussi été suivi par Bill Gates, co-fondateur de Microsoft.
Entreprises, humanitaire et image : une recette qui marche
Protéger et entretenir sa réputation est un enjeu majeur pour l’entreprise. Le maintien d’une bonne image de marque auprès du public et des actionnaires relève de subtiles stratégies. De plus en plus exposées et soumises à la rapidité des flux d’informations et des rumeurs, elles rivalisent d’inventivité pour se construire et véhiculer une image positive. Elles font face à des consommateurs de plus en plus méfiants et avertis qui cernent très bien leur « mauvaise foi » et la finalité commerciale de leurs campagnes. La communication corporate (ou communication institutionnelle) est d’autant plus utilisée par les géants de l’internet (Facebook, Google, Apple, Amazon). En effet, ils sont présents dans le quotidien des utilisateurs et doivent prouver à chaque instant leur légitimité et leur responsabilité sociale.

C’est dans ce contexte que l’utilisation de campagnes fondées sur l’humanitaire semble très efficace. Et les entreprises l’ont très bien compris. La cause humanitaire est difficilement critiquable. En effet, quoiqu’on en dise les résultats sont là : même si en poussant ses internautes à faire des dons, Facebook améliore son image, il n’en demeure pas moins que l’argent sera effectivement utilisé pour lutter contre Ebola. Même si Mark Zuckerberg s’est défendu de faire du marketing en répondant aux critiques sur son profil Facebook, le but est de donner au réseau social l’image d’une entreprise responsable et d’intérêt public qui se soucie des grandes causes sanitaires et sociales de son temps. Et justement, la firme en a besoin. Elle a récemment été secouée par différents scandales concernant la protection de la vie privée. En effet, le business-model de Facebook repose sur l’exploitation des données personnelles des utilisateurs et a donné lieu à de nombreuses polémiques. Outre sa supposée collaboration avec la NSA, il lui est principalement reproché de ne pas respecter la législation européenne sur la protection de la vie privée ce qui a conduit 25000 internautes à porter plainte en août dernier.

Concernant Facebook et Ebola, la véritable hypocrisie se cache ailleurs. Début octobre, un hacker, étudiant à Stanford, a révélé que Facebook était en train d’expérimenter un système de paiement entre utilisateurs sur son application Facebook Messenger utilisée par 200 millions de personnes à travers le monde. Il est fort probable que les transferts d’argent qui seront effectués grâce au « bouton Ebola » servent en réalité à mesurer la capacité du serveur à les supporter. Facebook cherche donc à investir le marché des transactions monétaires. Cela semble d’autant plus évident que le directeur de l’application Facebook Messenger n’est autre que que David Marcus, ancien PDG de Paypal.
Cette volonté de se positionner comme acteur de l’intérêt général et social au même titre qu’un Etat par son aspect paternaliste et protecteur, est très bien illustré par le slogan de Google depuis 2004 : « Don’t be evil » (« ne soyez pas malveillant » en français). Dans la charte de l’entreprise la plus puissante du monde il est d’ailleurs mentionné « il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable »… En terme de culture d’entreprise, il s’agit du pilier identitaire central du groupe. Le comble du cynisme alors qu’en juin 2013, après les révélations d’Edward Snowden, Google ainsi que Facebook et Microsoft sont accusés de participer au programme d’espionnage de la NSA en livrant des millions de données personnelles relatives à ses utilisateurs. Ce n’est pas un hasard si Larry Page, le PDG de Google, a récemment exprimé vouloir changer de slogan.
Alice Rivoire
Sources :
bbc.co.uk
persee.fr
who.int/fr
lexpress.fr
leparisien.fr
Crédits photos :
facebook.com
taxjusticeblog.org
mailactu.net

paywwhatyouwant PWYW
Société

Seriez-vous prêts à payer avec le PWYW ?

 
Depuis plusieurs années on assiste à une transformation de l’attitude du consommateur. Force est de constater que ce dernier rejette de plus en plus la passivité qui lui a longtemps été attribuée. La tendance est en effet à une émancipation croissante du consommateur vis à vis des opérations de marketing en se rendant maître de ce qu’il consomme et de l’argent qu’il dépense.
Il se dessine aujourd’hui devant nous un sujet qui décide de la publicité qu’il souhaite voir sur les écrans − comme nous en avons eu l’exemple avec la marque Nespresso et le sexy George Clooney − un sujet qui décide de quand il veut regarder son programme télévisuel préféré, avec le service de TV à la demande, et même un sujet qui décide du prix qu’il souhaite dépenser pour un produit proposé.
Cette dernière évolution s’exprime dans le « pay what you want » (payez ce que vous voulez), ou le PWYW pour les plus initiés. C’est un système de prix participatif au sein duquel l’offrant n’impose plus un prix fixe pour le produit qu’il propose, mais laisse le consommateur en décider lui-même, générant ainsi une implication exclusive de ce dernier dans la chaîne de valeur.

D’où vient cette tendance ?

C’est le groupe Radiohead qui, en 2007, a initié cette tendance en proposant à ses fans de payer ce qu’ils souhaitaient pour le téléchargement de leur nouvel album « In Rainbows ». Si l’objectif affiché était de se libérer de l’emprise des maisons de disque, il n’en est pas moins vrai qu’ils ont créé le buzz et donc transformé l’évènement en une opération de marketing. En effet, si la majorité des personnes ont téléchargé l’album pour un euro seulement, 40% d’entre elles ont tout de même décidé d’y consacrer 8 euros. L’opération peut sembler ne pas avoir été profitable sur le plan commercial, pourtant presque la moitié des acheteurs ont reconnu la valeur marchande du produit alors qu’on leur laissait le choix de ne rien dépenser du tout.
Depuis, ce système a prospéré dans le monde de la musique et s’est étendu à d’autres domaines marchands tels que la restauration, l’hôtellerie, le tourisme et même la vente en ligne.
Ainsi, cet été, à Paris, cinq hôtels, dont certains étoilés, ont lancé une opération similaire sur une durée d’une vingtaine de jours. Et ça a marché ! Les clients ont dans l’ensemble joué le jeu en payant un prix avoisinant celui habituellement appliqué par les établissements.
Un modèle qui marche quand le lien social est plus fort
En revanche, en 2009, Brandalley, le célèbre site de vente de vêtements en ligne, avait proposé, sous le slogan « rendons le pouvoir d’achat aux français », plus de dix mille articles vendus au prix proposé par les cyberacheteurs eux-mêmes. Malheureusement pour le site, 85% de ces derniers n’ont payé qu’entre 1 et 2 euros, sans tenir compte du prix recommandé par le site, ce qui avait poussé l’e-commerçant à déclarer qu’il regrettait « l’instinct d’appropriation pur et simple [des consommateurs]» et que pour eux l’opération « payez- ce-que-vous-voulez [serait] la dernière ».
Le problème, dans ce cas-là, est bien que le consommateur paie « what he wants » et non « what he thinks is fair ». La nuance, si elle est mince, se doit d’être relevée. On remarque ainsi que l’opération est beaucoup plus concluante dans des domaines qui impliquent un rapport direct entre l’offrant et l’acheteur. Il semblerait que le lien social ait un impact sur l’attitude du consommateur et sur son éthique, élément indispensable à la viabilité de ce système. Le consommateur ne jouerait le jeu que lorsqu’il se trouverait en face de la personne offrante, ou, mieux encore, en face de la main créatrice qui a façonné le produit proposé (un concert, un hôtel, un repas…). L’expérience hôtelière menée à Paris cet été le prouve.

Le PWYW, un idéal ? …
Le PWYW serait-il un système idéal qui révolutionnerait la relation existant entre le consommateur, le produit et l’offrant ? Au vu des expériences citées précédemment, ne devrait-on pas doubler le PWYW d’une action d’éducation du consommateur à la valeur marchande des produits qu’on lui propose pour que ce système soit viable ? Ou devrait-on plutôt le transformer en un système où chacun paie ce qu’il peut payer, et non plus ce qu’il veut payer ? Dans ce dernier cas de figure, l’avancée vers l’autonomisation du consommateur en serait atténuée. En effet ce dernier y perdrait son pouvoir de décision puisque l’effort consenti dépendrait de ses moyens financiers et non plus d’une volonté personnelle.
… Ou une réalité beaucoup plus terre à terre ?
Cependant il faut bien l’admettre, plus qu’un idéal, l’idée du PWYW est une utopie. Ce système est proposé par les offrants non pas avec l’intention de le maintenir durablement, mais plutôt dans l’optique de fidéliser le client par des opérations ponctuelles et accrocheuses.

Ainsi, la société Brandalley qui avait pourtant annoncé ne plus vouloir reconduire l’opération a, contre toute attente, décidé de la renouveler les 13,14, 15 et 16 novembre prochains, mais en fixant cette fois un prix minimum d’achat et un nombre maximum de produits achetés. Si en 2009, l’opération n’a pas été rentable sur le plan financier, elle l’a bien été sur le plan du marketing : le site a pu accueillir 10.000 nouveaux adhérents et donc 10.000 nouvelles cibles publicitaires. Cette opération marketing n’est pourtant pas assumée publiquement puisque dans ses déclarations le e-commerçant assurait « vouloir avant tout faire plaisir à ses clients ».
En effet, plus qu’une nouvelle façon de consommer, le PWYW est une nouvelle façon de concevoir une action de marketing : le consommateur se laisse attirer par des manœuvres accrocheuses qui ont pour seul but de fidéliser les clients ou d’en attirer de nouveau. Ce système serait alors la version moderne de la carte de fidélité.
 
Valentine Cuzin
 
Sources :
influencia.net
lesechos.fr
ladepeche.fr
Crédits photos :
spinnakr.com
eil.com
lesbonsplansdenaima.fr

macholand
Société

Macholand : le féminisme 2.0

 
Mardi 14 octobre 2014, la pendule affiche 14h. Le « premier site d’action anti-sexiste de France » est mis en ligne : Macholand surgit sur les Internets. Surfant sur les idéaux du web, Macholand se présente comme un site bénévole et participatif visant à mettre en lumière les dérives sexistes de l’espace public. Il cible notamment les publicités de grandes marques comme Ariel ou Epson ainsi que des personnalités, de Gérard Collomb, maire de Lyon à Mister V, youtubeur.
En mai 2013, une enquête Mediaprism pour le Laboratoire de l’égalité est menée : le plus souvent, le grand public n’a pas conscience d’être soumis à des visuels véhiculant des stéréotypes sexistes ; ils ne sont pas capables de les identifier comme tel. Pourtant, la majorité des répondantes attendent des entreprises ainsi que des médias, l’arrêt de la propagation de ces stéréotypes (l’étude montre aussi que l’utilisation des stéréotypes est contre-productive pour le milieu publicitaire). Il est donc primordial que la population puisse être en mesure d’identifier le sexisme, mais aussi d’en mesurer les conséquences sur les mentalités.

Le slacktivisme, vraiment impuissant ?
La femme hystérique qui ne vit qu’à travers le prisme de l’apparence et du liquide vaisselle tombe en désuétude. En exploitant pleinement le processus de l’empowerment, le site se dresse contre l’image monolithique de la femme et les doubles standards prégnants, autant dans les esprits que dans l’espace public. Les fondateurs n’en sont pas à leur coup d’essai puisqu’on y retrouve trois noms notoires dans le militantisme féministe : Caroline de Haas, fondatrice d’Osez le Féminisme et ancienne conseillère au ministère des Droits des femmes, Elliot Lepers et Clara Gonzales, deux fondateurs des 343 connards qui répondait aux 343 salauds – ceux qui clamaient leur droit à « leur pute » dans un manifeste mené par Frédéric Beigbeder et Elisabeth Lévy, publié dans Causeur en octobre 2013.
Le postulat de Macholand est le suivant : « seules les paroles identifiées comme publiques pourront être interpellées, car elles ont une valeur normative. Macholand.fr n’a pas vocation à agir au sein de la sphère privée. » Le principe : enclencher une action massive en ligne pour être entendu, en passant par la mobilisation des internautes sur les réseaux sociaux. Ainsi, les posts sur Facebook, les tweets ou encore les mails fusent.

Dans une interview de Caroline de Haas accordée à Metro, la co-fondatrice explique que lorsqu’on se bat seule contre le sexisme ordinaire, les gens ont souvent le sentiment qu’il s’agit une opinion individuelle. Le caractère massif de ces opérations démontre alors la capacité de mobilisation des sphères féministes en ligne, déjà très actives sur Twitter. Cette idée d’opération militante en ligne rappelle inéluctablement le procédé des Anonymous et autres groupes de hackers mystérieux, cible de fantasmes et de polémiques à travers le monde. Les critiques diront que ce mode d’emploi relève du harcèlement, mais chaque opération dispose d’objectifs limites mentionnés sur la page. De plus, toutes les actions menées s’arrêtent lorsque les visés font machine arrière sur leurs campagnes sexistes.
Internet, un espace de luttes ?
Abattre une par une les dérives sexistes de l’espace public : il s’agit d’une ambition absolument faramineuse, mais outre l’objectif militant de Macholand, chaque opération présente un espace « ce que nous en disons » afin d’exposer aux publics non-initiés le problème que présente l’objet mis en accusation. Internet n’est pas un espace politique au sens traditionnel, pourtant il est devenu en quelques décennies la première source d’information. Il rend visibles des débats qui se situaient en dehors des circuits institués de la démocratie représentative.


Le constat général : la démocratie verticale ne fonctionne plus. Les individus, ici les internautes et particulièrement les sphères féministes, souhaitent avoir un impact direct sur l’environnement qui nous entoure, sans passer par les pouvoirs politiques. Face à l’insatisfaction générale de l’exercice du ministère des Droits des Femmes initié par François Hollande lors de son élection, l’empowerment prend de plus en plus d’ampleur, comme si Internet se présentait finalement comme un espace de reconquête du politique. La mobilisation en ligne que propose Macholand va non seulement à l’encontre de la diffusion des stéréotypes liés au genre, mais aussi contre l’Etat, le plus froid des monstres froids, comme le décrivait Nietzsche.
En dépit du consensus général sur l’abolition des stéréotypes genrés, Macholand a subi plusieurs contestations, qui ont commencé par un piratage du site quelques minutes après son lancement. Celles ci se poursuivent par un emballement de la twittosphère pour finir par quelques articles, dont celui d’Eugénie Bastié, journaliste de Causeur, qui a évoqué des parallèles nauséabonds entre Macholand et la délation durant les années 1940, tout en soutenant qu’au lieu de combattre les stéréotypes, il faudrait plutôt reconquérir ce qu’elle appelle « les territoires perdus de la république » face à l’invasion musulmane.
Enfin, comme d’habitude, il reste aussi ceux qui clament « préférer l’humanisme au féminisme » sans trop avoir compris de quoi le féminisme était le nom.
Thanh-Nhan Ly Cam
@Thanhlcm
Sources :
macholand.fr
marianne.net
metronews.fr
lefigaro.fr
L’intégralité de l’enquête Mediaprism disponible en ligne

HBO
Société

L’illusion de l’indépendance médiatique

 
La chaîne HBO est une chaine américaine câblée payante proposant des émissions qui se veulent critiques, ainsi que des films, séries, talk show…(similaire à Canal+).
Si elle se targue de proposer une certaine indépendance. Il existe des nuances qui nous amènent finalement à nous poser la question de l’illusion de l’indépendance médiatique ou de la neutralité des médias.
Le succès d’HBO
HBO communique sur son absence de publicité, elle est financée via des abonnements. Elle prône la qualité de programme à la différence des networks et critique sans complexe les autres chaines qu’elle considère comme non libres de leurs choix et qui fabriquent une télévision de masse plutôt qu’une télévision de qualité. En utilisant le slogan « it’s not TV. It’s HBO » elle accentue, entretient sa distinction et encense ses séries en oeuvres d’art. Elle légitime les séries télévisuelles comme un domaine culturel noble qui permet à son public de se distinguer du reste des téléspectateurs en affirmant sa position économique et sociale ainsi que la valeur culturelle et intellectuelle de ses programmes. En regardant cette chaine, le public se cultive et n’est plus sujet à la consommation de masse des autres chaines. HBO crée une frontière entre les téléspectateurs : grâce à la chaine ils seront au dessus de la « populace » qui ne fait que consommer la télévision. HBO se distingue de ses concurrents en narrant le fait que les téléspectateurs ne sont plus des « temps de cerveaux disponibles pour les annonceurs ». En créant cette frontière entre les différents médias et les téléspectateurs elle renforce les abonnés à croire en sa différence et en sa qualité.
Le storytelling d’HBO réside dans un concept simple: la politique culturelle de l’entreprise est une façon d’instaurer l’image de marque, de crédibiliser les programmes, et surtout de masquer aux consommateurs qu’elle est une industrie florissante en coulisse. Le merchandising permet de faire croire aux téléspectateurs à un niveau supérieur de l’appréciation du programme.
HBO justifie son prix par la qualité de ses séries : la particularité des réalisations de la chaine réside dans le choix des sujets abordés. La ligne éditoriale de la chaine est de montrer le jamais vu à la télévision. Les séries sont donc très réalistes dans le déroulement de l’histoire, comme dans la psychologie des personnages. HBO a décidé d’inviter en guest star dans les épisodes de leurs séries, rendant ainsi l’épisode exceptionnel et permettant un large buzz. Ce qui garantit une grande audience et permet aux acteurs de promouvoir leurs films. Ce schéma repose sur le modèle « boutique télévision » qui propose des programmes faits pour un certain type de public uniquement, et pas pour une cible familiale à la différence des chaines gratuites.
La chaine a lancé de nombreuses campagnes publicitaires sur les chaines gratuites qui sont sur le ton de la disruption : osées, drôles, impertinentes, provocatrices, personnalisées en fonction du sujet de la série afin d’obtenir un maximum d’abonnés.
Les stratégies de communication agressives de la chaine ont permis d’ancrer l’image de marque dans la culture populaire des Américains, ce qui a permis l’installation de sa réputation et de son succès. Pour satisfaire les abonnés de la chaine, elle a misé sur la création de plusieurs avantages pour les clients : cartes géographiques, interviews, bonus, service de replay…
L’illusion de l’indépendance
Cependant malgré l’image de marque que souhaite donner la chaine, beaucoup de séries contiennent du placement de produits. Situation paradoxale puisque ce sont ces mêmes séries qui font une critique de la consommation, du capitalisme et de l’indépendance. Cette indépendance relative permet l’émergence d’émissions critiques sur la chaine comme le talk show Last Week Tonight avec le célèbre humoriste John Olivier.

 

En effet ce talk show nous donne à voir une réalité peu abordée par les médias américains, notamment le sujet sur la neutralité d’Internet. A ce sujet la FCC (Federal Communications Commission) souhaite instaurer un Internet à deux vitesses: une vitesse de connexion optimale pour ceux pouvant la payer et une vitesse de connexion plancher pour les autres.
John Olivier a remporté le pari de sensibiliser les téléspectateurs à un problème de société et a réussi à déclencher 45 000 commentaires, faisant exploser les serveurs de la FCC.
Il s’avère que la chaine HBO avait déjà eu une querelle judiciaire avec la FCC, ce qui expliquerait peut être le choix de son sujet. En effet, lors de sa vidéo de présentation, John Olivier mettait en avant son concurrent Netflix. Si HBO avait à ce moment-là des problèmes de connexion, le choix du sujet relèverait plutôt d’une d’une stratégie de lobbying, de communication afin de faire valoir ses revendications, ce qui peut changer la donne.
Nous pouvons donc nous interroger sur l’indépendance médiatique : n’est-elle pas qu’une illusion ?
Alexandra Montaron
@AlexandramontarSources
Lemonde.fr
Arretsurimage.net
Libération.fr
Thedailybeast.com
Npr.org
Archinfo24.hypotheses.org
Tuxboard.com
Dailymotion.com

Société

Internet sous péage : entre voies express et chemins de terre

 
La « neutralité du Net »… on en a déjà entendu parler, c’est le genre d’actualité à laquelle on ne prête pas vraiment attention, un peu comme le conflit israélo-palestinien et toutes ces autres choses qui paraissent beaucoup trop compliquées pour que l’on daigne ouvrir nos écoutilles. Et pourtant, ce n’est pas faute de couverture médiatique, de nombreux travaux journalistiques tentent d’expliciter cette affaire et de sensibiliser le public à cette cause, sans grand succès.
Alors la neutralité du Net, qu’est-ce que c’est ? C’est l’un des principes de base de l’Internet : un Internet neutre où toutes les informations circulent à vitesse égale à travers les « bandes passantes », ces immenses tuyaux qui font circuler l’information en ligne. Ainsi, que l’on soit un membre des « GAFA » ; acronyme désignant à l’origine Google Apple Facebook et Amazon, mais qui est de plus en plus utilisé comme un synonyme pour désigner tous les géants du Net à mesure qu’ils se multiplient, comme Twitter et Youtube par exemple ; ou une petite entreprise, ou une association, ou encore un particulier, nous empruntons tous la même autoroute de l’information. Seulement, il y a de plus en plus de poids-lourds sur la route, Youtube par exemple occupe 13% des bandes passantes pour ses contenus vidéos volumineux et très fortement consultés. Cela entraîne un surcoût pour l’entretien et le développement des bandes, et c’est ainsi qu’aux Etats-Unis, l’organisme en charge des télécommunications, la Federal Communications Commission (FCC), entreprend de réformer l’accès à aux bandes, notamment par la création d’offres différenciées.
Certes, aujourd’hui le débat est centralisé dans le pays de l’oncle Sam, c’est à cause de l’arrivée de Netflix et de son accaparement de 32% des bandes passantes, selon le cabinet Sandvine, mais puisqu’Internet est partout, sa neutralité nous concerne tous. En 2012 par exemple, les spécialistes du numérique s’interrogeaient déjà sur le sujet sur le site Owni.
AVOIR FACEBOOK SANS AVOIR INTERNET
La fin de la neutralité du Net ce serait donc des offres différenciées, un système de péage, amenant à un Internet à deux vitesses, entre ceux qui pourront payer plus cher un débit de connexion plus rapide et un accès illimité, et les autres.

Concrètement, cela instaurerait un filtre dans lequel seuls les grands groupes marchands, comme les GAFA, pourraient entrer. Les petites boutiques en ligne et les sites à but non-lucratif (associations, forums, blogs) n’auraient pas les moyens de s’offrir la voie rapide sur Internet et seraient relégués sur les petites routes départementales. L’accès à Internet ne leur serait pas refusé mais leurs sites seraient si longs à charger qu’à terme ils finiront par perdre en visibilité et par disparaître. En effet, les internautes ont perdu l’habitude d’attendre que la page charge et ne tardent pas à aller voir ailleurs. De nos jours, Internet et rapidité vont de pair, alors ralentir quelque-chose revient pratiquement à le faire disparaître. Quant à nous, internautes, nous aurons à choisir entre plusieurs forfaits Internet. Comme le vendeur en informatique nous demande ce que nous recherchons comme type d’ordinateur, le fournisseur d’accès nous demanderait quel usage on souhaite faire de l’Internet : les mails, Facebook, Wikipédia, les sites d’information, Youtube… Vous pourriez avoir Facebook sans avoir Internet, ou envoyer des mails qui, pris dans les embouteillages, mettront plusieurs heures voire jours avant d’atteindre leurs destinataires.
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Les bandes passantes sont saturées, elles demandent plus d’entretien, la FCC a besoin de lever de nouveaux fonds, sa réforme tient, en tous cas sur le papier. Dans les faits, elle se heurte à plusieurs réalités.
– A terme, cet Internet à deux vitesses se transformerait en une immense galerie marchande, où tous les sites se devraient d’être ou commerciaux, ou bardés de publicité, pour rentabiliser le péage versé aux « FAI » pour fournisseurs d’accès à Internet.
– Il n’y aurait plus d’Internet du savoir, d’Internet des connaissances, d’Internet citoyen et participatif. Cet Internet-ci serait tellement lent que les internautes finiraient par ne plus s’en servir.
Et pour une fois, citoyens et grandes entreprises se rangent du même côté : comme Google qui a récemment pris position pour la défense de la neutralité du Net, la plupart des entreprises de la Silicon Valley ont un système économique qui est fondé sur les contenus postés par les utilisateurs. Ce sont les « UGC » pour User Generated Content, dont ces entreprises se font les curateurs, les éditeurs, les hébergeurs et les distributeurs. Comme Youtube qui attend qu’un internaute poste une vidéo et nous oblige à visionner des publicités avant de pouvoir y accéder, toutes ces entreprises ont besoin de la créativité des internautes pour la monétiser et être rentables. Sans la masse d’internautes elles ne seraient rien. Ainsi, sans la neutralité du Net elles ne seraient rien non plus.
Et c’est ainsi que le 10 septembre 2014, le mouvement Internet Slowdown a été lancé : aux Etats-Unis, des milliers de sites se sont mis à fonctionner au ralenti le temps d’une journée, afin de montrer à leurs utilisateurs à quoi ressemblerait l’Internet de demain et les sensibiliser à la cause. Parmi eux : Tumblr, Netflix, Digg, Mozilla, YouPorn, Etsy, Kickstarter, Vimeo… Google a également récemment pris position pour défendre l’Internet innovant et citoyen qui est permis par la neutralité du net.
En définitive, imposer un accès différencié, autant dire discriminé, au Net, irait à l’encontre des principes fondamentaux de l’Internet et des libertés. Internet construit comme outil de démocratisation de la culture, permettant au savoir et à la connaissance de circuler à travers les distances géographiques mais surtout par-delà les frontières sociales, serait bafoué. Et l’opinion publique qui se forme en ligne, serait complètement modulée par les acteurs dominants du réseau, soit, pour poursuivre le raisonnement précédent, de grands groupes commerciaux. C’est pour toutes ces raisons que depuis le 12 mars 2012 le Conseil National du Numérique – CNNum – invite le gouvernement français à reconnaître le principe de neutralité du Net comme « principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication et de la liberté d’expression ».
Internet est un réseau de communications où freiner revient, ni plus, ni moins, à censurer.
Marie Mougin
@Mellemgn
 
Sources:
HBO – Last Week Tonight with John Oliver: Net Neutrality
France 4 – Internet va t-il coûter plus cher ?
France Culture Plus – La neutralité du net, cheval de Troie de la Silicon Valley ?
Le Monde blogs – Netflix et YouTube seront-ils épargnés par la remise en cause de la neutralité du Net ?
Le Monde blogs – Neutralité du Net : Google sort enfin de son silence
Libération – L’Internet pour les riches, des JPG pour les pauvres
Les Echos – La neutralité du Net sur la sellette
Slate – Pourquoi ça rame quand je veux regarder une vidéo YouTube avec Free
RTBF – Internet Slowdown Day
La Quadrature du Net – Les failles fatales de la neutralité du Net selon le CNNum
La Quadrature du Net – Net Neutrality
Owni – La guerre des tuyaux
Owni – La neutralité cachée d’Internet
CNNum – Avis sur la neutralité du net
Sénat – Union européenne et monde numérique
Crédits Gifs:
Conférence Cross Campus (Santa Monica)
Battleforthenet.com

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Société

Mélanie, reviens parmi les tiens !

 

Mélanie is curious of everything, la vidéo (2min06)
Comme écrivait Gustave Le Bon : « Dans les foules, c’est la bêtise et non l’esprit qui s’accumule. (…) La foule étant anonyme, et par conséquent irresponsable, le sentiment de la responsabilité, qui retient toujours les individus, disparaît entièrement » (Psychologie des foules).
VRAI ! Quelle bande d’irresponsables sommes-nous pour rire devant ce montage compilant les meilleurs moments d’ego de l’actrice, chanteuse et réalisatrice Mélanie Laurent ? Qui n’a jamais été ne serait-ce qu’un peu exaspéré par la moue blasée de la jolie française, les yeux au ciel ? Mis en ligne il y a quelques jours par des anonymes sur le tumblr « Mélanie is curious of everything », ce montage rassemble les meilleures punchlines de l’actrice, dont un bientôt mythique « Je tue Hitler dans mes rêves depuis que j’ai 4 ans », ou encore « A 5 ans, je monte ma première pièce ». Dans cette controverse, le net joue un rôle de catalyseur, en mettant à jour une mauvaise e-réputation déjà existante, comme le confirme le succès de la vidéo.
Un peu d’humour ne fait de mal à personne
Célèbre, adulée, Mélanie Laurent ne semble pas pour autant particulièrement populaire et avait déjà soulevé de nombreuses moqueries. Tournages, albums, pièces de théâtre … elle a pourtant tout pour plaire, mais très nombreux sont les journaux (Les Inrocks, l’Express, Le Parisien) ou les chaînes de télévision a avoir diffusé l’information, LCI en a même fait le sujet principal de sa rubrique web. Populaire ou non, l’actrice est depuis quelques jours l’objet de ce que l’on appelle un « bashing » sur le web. A tel point que son label, Atmosphériques, a obtenu la suppression de la vidéo sur la majorité des blogs et sites internet, prétextant un litige : quelques secondes ne seraient pas libre de droits… Ou comment confirmer un cruel manque d’humour. En cette période de promotion de son deuxième film en tant que réalisatrice (Respire, sortie le 12 novembre), où la communication compte plus que jamais, cette réponse est bien pauvre. Elle confirme la rumeur de sa suffisance en montrant peu d’autodérision, et plus important, manque une occasion rêvée de transformer ce bashing en un buzz positif.
Une vidéo se caricaturant elle-même, une intervention comique dans les médias… enfin, quelque chose pour prouver qu’elle n’est pas ce monstre d’égocentrisme ! Si selon ses mots, « la création appelle la création » ca ne devrait pas être trop difficile pour ce petit génie du grand écran. Détourner cette vidéo à son avantage par une réaction surprenante et comique serait une stratégie de communication originale qui pourrait d’une part rétablir une meilleure image de l’actrice, et de l’autre accompagner d’un buzz positif la sortie de son dernier film.
Mélanie, la victime 2.0
Après tout, il n’y a pas de mauvaise publicité. La mise en ligne de ce montage juste avant la sortie de Respire pousse Mélanie Laurent au devant de la scène médiatique. En la critiquant, la toile du web renforce sa notoriété, et créé un sentiment d’attente autour du film : certains internautes seront peut-être intrigués par ce dernier, et iront le voir alors qu’ils n’auraient pas même remarqués sa sortie en temps normal. Trop de bashing tue le bashing. Les nombreuses moqueries dont l’actrice est l’objet jouent finalement en sa faveur, en créant une phénomène de victimisation, dont beaucoup d’internautes s’offusquent. Le Nouvel Obs appelle ainsi au débat sur son site internet, en recensant les tweets les plus engagés, dans la défense ou l’accusation de l’actrice.

Accusation, défense, commentaires passionnés, c’est le jeu des médias de malmener les célébrités, vendant leur image au domaine public et les transformant peu à peu en monstres sacrés. Le Petit Journal ou Les Guignols de l’Info contribuent largement à façonner des réputations dans l’imaginaire collectif. Dans ce yoyo médiatique infernal, il faut savoir répliquer, jouer son personnage jusqu’au bout. Si ces quelques années de célébrité ont fait de Mélanie Laurent une experte en « Moi je » et storytelling, il lui manque encore du répondant pour en sortir indemne.
 
Chloé Duval
 
Source :
leplus.nouvelobs.com

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Société

Mon beau smartphone, dis-moi ce que je veux : la théorie de l'aliénation volontaire

 
Du succès des applications tyranniques
Vous avez l’impression que vos journées ne sont que successions de prises de décisions éreintantes ? Que faire ce soir ? Où manger ? Combien dépenser ? Plus besoin de vous échiner sur ces choix cornéliens (si si !), un florilège d’applications pour smartphone est là pour prendre la décision à votre place ! Roll Decisions tire au sort une décision parmi les différentes options, Yes No Decider répond à vos doutes par oui ou non, Decision King s’engage quant à elle à sélectionner une de vos dix possibilités, « vous [donnant] ce que vous voulez en rendant votre vie tellement plus simple ! ». Si le concept de ces applications n’est pas révolutionnaire − il ne s’agit que de que la version 2.0 du pile ou face ou autre lancer de dés −, la vague de téléchargement de celles-ci soulève une question, celle de l’aliénation volontaire d’un utilisateur qui se soumet à une machine. Ce comportement est révélateur d’une tendance chez les consommateurs à déléguer leurs prises de décisions.
Du panier de légume au vêtement : quand l’entreprise construit ce que nous sommes
Depuis quelques années se répand une nouvelle forme des courses alimentaires, celle du panier bio. Le client s’abonne auprès d’un producteur et reçoit chaque semaine, chez lui ou sur son lieu de travail, un panier de fruits et légumes livré avec des recettes. Il ne décide donc plus des aliments qu’il met dans son assiette ni de leurs quantités, mais le voilà débarrassé de la corvée des courses et du sempiternel « qu’est-ce qu’on mange ? », le tout complété par la satisfaction de manger sain et responsable. Cette tendance du consommateur à confier la responsabilité du choix à une entreprise s’est diffusée dans d’autres domaines, comme celui de la mode. Ainsi, avec le site sefairelamalle.com, après avoir indiqué son style, l’internaute reçoit à son domicile une malle pleine de vêtements et accessoires sélectionnés par une styliste. Il dispose alors d’une semaine pour décider de ce qu’il souhaite conserver ou renvoyer, à ses frais s’il n’effectue pas un achat d’une valeur de 100 euros ou plus. Là encore, le service répond aux manques de temps et d’inspiration (principaux maux de notre époque, semble-t-il). N’y a-t-il rien de dérangeant, cependant, à confier à autrui un choix aussi personnel que celui de l’apparence ? Paradoxalement, alors que les acheteurs n’ont jamais eu autant de choix, notamment avec le e-commerce et la disparition presque totale des frontières commerciales, ils s’érigent des limites. Comment interpréter cette recherche d’amenuisement de leur liberté de choix ?
Une aliénation volontaire
Bien sûr, cette tendance s’explique par le gain de temps et d’énergie qu’elle offre. Elle répond à la lassitude de l’individu face à une hyper sollicitation de l’offre. En fait, ce phénomène met en lumière une nouvelle façon de consommer issue du contexte de crise : le consommateur contemporain cherche à se libérer du modèle traditionnel « un bien – un prix » à travers le principe d’abonnement, par exemple. Recevoir un panier rempli suite à un prélèvement mensuel, c’est se libérer du carcan du prix, c’est oublier que les trois bâtons de rhubarbe ont coûté 3 euros, la salade 1,50. Mais les prix ne sont pas le principal moteur de ces abonnements. Plus qu’un produit, on achète une expérience, l’excitation de déballer des vêtements sectionnés pour nous, l’occasion de se sentir comme un enfant à Noël.

Dans cette même lignée, le boom des boîtes surprises telles que la BirchBox ou la GlossyBox illustre le primat de la découverte, de la surprise, de l’émerveillement. Pour 15 à 30 euros par mois en moyenne, l’abonné reçoit un paquet à l’emballage soigné contenant des échantillons de produits de beauté, des gadgets, des articles d’épicerie fine. A la manière des cornets surprise fille ou garçon d’antan, on ne choisit pas des produits mais un univers. La tendance est ainsi à la « box lifestyle ». Little Box se décline par exemple en Charity, New York ou Paris Box. Plusieurs magazines ont suivi la tendance : il s’agit de prolonger l’univers du journal au travers de produits sélectionnés. De cette façon, on se maquille Cosmo, on mange Cosmo, on vit Cosmo. L’infantilisation de la consommation, en somme, est un moyen d’offrir un souffle de légèreté au consommateur.

Enfin, être abonné à une « box », c’est intégrer une communauté ; recevoir une malle, adopter son style. Pour être soi, il faut passer par l’autre.
La promotion de Big Brother
La tendance à la délégation des choix est du pain béni, pour les entreprises. On assiste en effet à une uniformisation des comportements des consommateurs qui cherchent à intégrer un univers, une communauté. En réaction à l’affadissement de la volonté des clients, les sites internet multiplient les propositions des produits, souvent culturels, « qui pourraient vous intéresser », grâce au fichage des données. Ainsi, des pubs en rapport avec nos recherches sur Internet fleurissent de toutes parts de l’écran, Netflix nous indique les séries que nous allons aimer et Amazon projette d’envoyer près de chez nous des produits que nous n’avons pas encore commandés. Internet permet d’anticiper les envies des consommateurs, d’y répondre avant qu’elles ne soient formulées. C’est donc un double mouvement qui se crée : d’une part, une personnalisation (apparente, du moins) de l’offre, de l’autre une uniformisation des comportements.
A trop se laisser guider, ne risquons-nous pas de perdre notre individualité ? Cette angoisse prend désormais le nom de « No data », à l’heure où des sites revendiquent qu’ils n’enregistrent pas les données de leurs utilisateurs comme argument de notoriété…
 
Louise Pfirsch
 
Sources :
liberation.fr
L’Oeil By Laser, n°198
sefairelamalle.com
Crédits photos :
hrringleader.com
My Little Box
sefairelamalle.com

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Société

L'empire du VICE

 
          Alors que VICE NEWS a déjà rassemblé plus de 450 000 abonnés sur Youtube en mars dernier, le lancement de VICE NEWS FR sur les écrans francophones cet automne place son fondateur, Shane Smith, au centre d’une controverse médiatique où l’avenir du journalisme est fortement interrogé.
Interviewé par Télérama, Shane Smith entend assumer pleinement le succès de son média à la fois papier, numérique et audiovisuel. Or, c’est bien à partir de la culture underground qu’est né VICE au Canada en tant que fanzine gratuit en 1994 pour ensuite se délocaliser à Brooklyn et devenir une icône du mouvement Punk aujourd’hui globalisé.  
         Mais tout comme le mouvement punk aujourd’hui, cette originalité semble battre de l’aile à mesure que l’expansion du média continue, depuis le lancement de vidéos sur Youtube en 2007, jusqu’au rachat d’une part du média par Rupert Murdoch en 2013. Essuyant davantage de critiques, VICE choisit toujours, à travers son fondateur, Shane Smith, de répondre par la provocation, l’insolite et l’insulte parfois (Gawker). Ses contenus sont tantôt abhorrés par les autres médias, tantôt encensés pour le dispositif original qu’il propose. L’innovation de VICE à travers VICE NEWS semble toutefois faire office de seul système médiatique encore rentable dans une presse en crise.
      L’empire VICE qui ne cesse de s’étendre ne doit-il pas pourtant son succès à ses détracteurs qui lui construisent une identité controversée ? Mais dès lors que son emprise s’agrandit entre les mains des magnats des médias, peut-il précisément continuer à cultiver la controverse, clé de son identité ?
Un bruit  médiatique qui résonne par l’image
           Dès le début VICE propose un modèle médiatique en phase avec ses lecteurs, jeunes et décalés. La transition numérique était donc naturelle avec, en 2007, le lancement de vidéos sur Youtube. Toutefois, ce n’est qu’avec le lancement de VICE NEWS, en mars 2014, que les médias s’intéressent davantage au nouvel arrivant, racheté en partie par Rupert Murdoch en 2013. C’est, en effet, autour de l’image et du spectaculaire que VICE NEWS matérialise sa différence et fait résonner le bruit médiatique.
         Le dispositif s’articule autour de la terreur et de la fascination. Terreur par les sujets choisis : l’État islamique, la Corée du Nord ou encore Ebola. Les musiques sélectionnées renforcent d’ailleurs l’idée d’une scénarisation par le travail des percussions notamment. Dans le reportage effectué en Syrie sur l’Etat islamique, la caméra se concentre uniquement sur le groupe terroriste de sorte qu’aucun commentaire extérieur ne permet réellement de rompre avec l’environnement terrifiant pour apporter un éclairage informatif. En effet, c’est en téléspectateur qu’on assiste à l’immersion du journaliste au cœur de l’organisation de l’État islamique de sorte que la focalisation est constamment interne et qu’aucune mise à distance n’a lieu.

                 Mais c’est exactement cette immersion qui fait la force de VICE NEWS auprès du spectateur et sa faiblesse aux yeux de ses confrères. Ils s’interrogent sur les conditions de tournage et la position équivoque des journalistes comme celle de Medyan Dairieh sur le plateau de MTV. Interviewé sur son opinion au sujet de l’État islamique, Darieh n’a pas jugé utile de condamner l’organisation terroriste ou de nier leur légitimité en tant qu’État. Ce discours ambigu est largement en dissonance avec celui de Shane Smith qui considère que les images parlent d’elles-mêmes quant à la dénonciation du groupe.
        C’est dans ce double discours que peut effectivement s’identifier la cible première de VICE qui est la jeunesse. Il s’agit d’un flirt incessant avec l’interdit et le sulfureux qui permet à la rédaction de faire parler d’elle dans un buzz permanent entre critiques virulentes et admiration béates.
Ce sont ainsi plusieurs médias traditionnels qui s’intéressent aux nouveaux dispositifs mis en place par VICE, à commencer par France 4 prêt à relayer ses reportages. Mais ce sont aussi des critiques admiratives du Monde ou l’interview de Shane Smith dans Télérama où le PDG se présente comme un dangereux marginal face aux vétérans de la presse institutionnalisée.
             Une innovation compromise par son expansion mondiale
          Cependant, l’apogée de Shane Smith peut-elle s’inscrire dans la durée alors que l’identité du média s’est construite en marge de tout ce qui renforce VICE NEWS aujourd’hui ?
150 000 millions de visionnages sur sa chaîne Youtube, un partenariat en or avec HBO, VICE ne s’arrête pas de grandir.
Cette importance représente sa force puisqu’elle lui permet de développer le concept VICE NEWS ainsi que d’améliorer la qualité de ses reportages ou encore d’attirer une audience plus grande, moins jeune mais aussi des journalistes d’une presse plus traditionnelle.
En ce sens, le modèle originel de VICE semble compromis puisqu’il revêt les paramètres d’un grand média globalisé et présent sur tous types de supports. Ses collaborations avec la chaîne Al-Jazeera peuvent questionner son aspiration à l’imiter puisque cette chaîne qatarie est devenue rapidement un pilier de le la télévision dans les pays arabophones.
L’innovation de VICE qui a fait son succès pourrait être compromise puisqu’il s’agit désormais de conquérir des publics mondiaux en proposant des contenus adaptés à chaque culture comme avec VICE NEWS FR qui se veut francophone et non français. Dès lors, c’est moins sur l’originalité de la marque VICE que sur la sélection des contenus que son succès international sera décidé et éventuellement pérenne.
Marie VAISSETTE
Sources
Telerema.fr
Lemonde.fr
Gawker.com
franceinter.fr
news.vice.com
Theguardian.com
Slate.fr

Société

Alcootest, la colle posée par France 4

 
Alcootest, le dernier-né de France 4, est un programme qui a fait parler de lui dès l’annonce de sa parution, au point que celle-ci, au berceau, s’est vue menacée par la controverse ambiante. Pourtant, ceci était à prévoir : la 14ème chaîne française ne fait que se positionner dans un contexte de voyeurisme général, terrain favori du divertissement télévisé.
L’émission propose un objectif honorable de prévention contre l’alcool, ses excès, ses effets et ses dégâts. Mais la façon dont le sujet est traité sur le plateau est d’une pertinence douteuse : sur le papier, une vulgarisation scientifique, quasi-anthropologique, du rapport des jeunes adultes à l’alcool et de la manière dont le psychotrope impacte leur système cognitif. Une caméra à l’épaule suit un petit groupe dans une boîte de nuit, dévoilant de banales scènes s’échelonnant entre la fête et la beuverie, ponctuées de quelques prises de paroles parfois laborieuses ; puis l’étape des tests. Tests qui, si leur valeur scientifique est discutable, sont jugés divertissants par une majorité des téléspectateurs. Et c’est peut-être là que le bât blesse.
Comment prétendre qu’une émission qui reprend la plupart des codes de la télé-réalité peut avoir un réel effet didactique ? Le public visé par cette prétendue campagne de prévention est précisément celui qui est représenté à l’écran, et celui qui évolue dans les autres programmes de la chaîne ; de jeunes adultes qui ont, dans l’ensemble, l’air de bien s’amuser et parfois de réciter le contenu d’un script. Entre le grotesque des balbutiements sur le plateau, la philosophie de comptoir et les bringues sonores, l’ambiance est plus propice au rire qu’à l’information. Et les messages à caractère sérieux tombent comme un cheveu sur la soupe au milieu de tout cela : si danger on voulait dépeindre, il semble désarmorcé d’office. De fait, les internautes s’amusent de l’émission sans y accorder beaucoup de crédit. Pourquoi ? La réponse se trouve peut-être dans cet effort transparent de se mettre « au niveau des jeunes » pour s’adresser à eux. Or, comment prendre au sérieux un interlocteur qui tronque ses propres codes pour adopter ceux qu’un groupe différent sans les maîtriser tout à fait ? Ceci n’est pas sans rappeler la désastreuse opération de communication qu’avait constitué la campagne de Sam (rappelez-vous, « Si t’as pas d’Sam, t’as l’seum ») et les quelques tentatives des banques proposant des offres jeunes.

De nombreuses personnes sont montées au créneau pour dénoncer l’indécence supposée que constituerait l’exhibition, sur un support public, de personnes alcoolisées. D’autres encore ont insisté sur l’incitation à la consommation que cela pourrait provoquer, comme si les 16-25 ans avaient besoin d’encouragements. Sans aller jusque là, le format de l’émission offre le flanc à la critique. Certes, il faut captiver et divertir un public jugé désinvolte et prompt à l’ennui, mais ce public a déjà été confronté à des campagnes de prévention autrement plus précises, et a l’habitude des ressorts, dramatiques et comiques, des programmes de divertissement. Cet improbable mix des deux genres est peu susceptible de provoquer des prises de conscience, et évoque davantage, de la part de France 4, une émission vouée à satisfaire l’audience par une bonne dose de voyeurisme et de spectacle – imaginez les conversations, le lendemain, entre les jeunes spectateurs : il y a de quoi se lancer dans les défis et les comparaisons.
Pourquoi ne pas, si l’objectif est réellement la sensibilisation, cesser de montrer la phase récréative et inscrire l’émission dans le long terme, qui est le grand absent des consommations irresponsables, en suivant les conséquences d’une soirée qui s’est mal passée ? Comme on a pu le constater avec les court-métrages de la Sécurité routière, la légèreté peut s’avérer contre-productive.
Néanmoins, cette controverse qui aura suscité quelques plaintes auprès des producteurs de l’émission confirme le slogan : France 4, des fois ça déchaîne.
 
Marguerite Imbert
 
Crédits photos :
20minutes.fr
rmc.bfmtv.com

Société

Votre j'aime vaut un million…

 
Instagram vient de fêter ses quatre ans. Cette application, réputée pour son grand nombre d’utilisateurs (plus de 200 millions), affiche toujours un succès remarquable.
La recette de ce succès est simple : avec Instagram, chacun peut se prendre pour un professionnel et réaliser des photos artistiques à l’aide de filtres. Contrairement aux autres réseaux sociaux, il n’y a pas de tri : votre fil d’actualité affiche toutes les images partagées par vos contacts. Malgré cela, certaines photos restent dans l’oubli. La sanction est immédiate : zéro like.
C’est pour leur venir en aide que trois amis graphistes à New York ont eu l’idée de créer No Likes Yet, un site compilant l’ensemble de ces photos oubliées. Après s’être identifié à l’aide de son compte Instagram, No Likes Yet vous propose d’être le premier à liker ce qui n’a jamais été liké : de l’échec photographique patent à la photo d’art injustement oubliée, tout peut être sauvé. Une question se pose alors : de quoi « No Likes Yet » est-il le nom ? Faut-il y voir un concept philanthropique, la conséquence symptomatique de ce qu’on pourrait appeler la course au like ?
De la « curiosité » au « rézoo social »
Tim Hettler, Tal Midyan et Daniel Sumarna, les fondateurs de No Likes Yet, disent avoir créé ce site par « curiosité ». On y trouve en effet un ensemble assez hétéroclite, pouvant faire sourire qui n’est pas habitué au contenu artificiellement coloré d’Instagram : selfies en tout genre, paysages banals rendus extraordinaires par l’œil de génie de l’amateur devenu professionnel grâce à l’usage de filtres, photos de repas pas toujours appétissants… Mais si toutes ces images sont semblables, à un like près, à celles que l’on trouve d’ordinaire sur Instagram, à quoi renvoie cette « curiosité » citée par les fondateurs comme étant à l’origine du concept ? Quelle différence y a-t-il entre deux images uniquement séparées par un petit like ?
En fait, cette curiosité ne renvoie non pas à l’image et à son caractère parfois décalé et toujours artificiel, mais bien au fait que l’image ne soit absolument pas likée. En d’autres termes, le fait qu’une image postée sur un réseau social soit ignorée par ce réseau, seule et anonyme dans les flots de l’indifférence générale, semble bien constituer l’humiliation suprême. Cette curiosité, c’est bien celle que l’on ressent devant celui qui, bien que proche de nous en apparence, diffère de nous socialement. Dans cette perspective, No Likes Yet apparaît comme un « rézoo social » où l’on peut observer ces exclus du like.

La pitié ou la charité du like
Dès lors, c’est bien la notion de pitié qui est en jeu : il n’est tout de même pas possible de laisser ces pauvres images sans aucune mention « j’aime », c’est-à-dire dans le dénuement le plus total ! On le voit bien dans les messages – certes au second degré – qui apparaissent et qui vous poussent à être le premier à liker une photo : « votre j’aime vaut un million », « un petit j’aime, comme pour vous… », mais aussi « Help this poor photo » ou mieux encore : « Nobody will know you liked this »… Second degré révélateur d’une tendance faisant du nombre de like le seul critère d’une existence digne de ce nom sur les réseaux sociaux.
La grande dilution du like
Finalement, que nous dit ce site sur le concept du like en lui-même ? L’irruption de la pitié au sein des réseaux sociaux semble bien concrétiser l’émergence de ce qu’on pourrait appeler la course au like. Il suffit de regarder le court métrage Aspirational, de Mattew Frost pour s’en convaincre – dans ce court métrage, deux personnes se ruent sur Kirsten Dunst et prennent un selfie avec elle sans même lui adresser la parole… Sur No Likes Yet, le like change de nature. Il n’est plus un qualificatif rapporté à un objet ; je n’aime pas cette photo parce qu’elle est belle, ou parce qu’elle me fait rire, ou même parce que j’aime son auteur. Non, je l’aime parce que dans cette communauté globale formée par les réseaux sociaux, une photo sans like est une photo seule. Je l’aime parce que je ne conçois plus la solitude.
En rassemblant ces images oubliées, No Likes Yet créé une communauté d’exclus. Plus encore, il créé ces exclus par un système de double institution : en ajoutant une photo sans like, No Likes Yet institue cette image comme exclue, victime de la course au like. Et en étant ajoutée à un ensemble d’images non likées, cette photo participe de l’institution de No Likes Yet en tant que communauté.
Finalement, le like n’est plus signifiant, au sens où une photo likée est une photo considérée comme esthétiquement belle : le like devient signe, signe de l’existence de l’image. En effet, une fois l’image likée sur No Likes Yet, elle « ek-siste », elle sort du monde maudit de l’anonymat et de la solitude pour rejoindre le paradis de la notoriété virtuelle. De qualificatif d’une image, le like devient charité sociale.
Finalement, il est peut-être temps de revenir au fondement de ce que signifie le verbe « aimer ». En rassemblant les photos auxquelles nous sommes indifférents, No Likes Yet contribue au phénomène de la course au like, qui dénature le like. Arrêtons de créer des oubliés en rassemblant artificiellement des photos non aimées qui, osons le dire, n’avaient peut-être pas à être aimées. Remettons le like à sa fonction première : la communication à d’autres membres d’une émotion ressentie, et non un geste de pitié totalement distinct de l’image en question.
Alexis Chol
Sources :
Stylist n°064, 09 octobre 2014, p09 : « recherche likes désespérément »
http://www.nolikesyet.com/
blogdumoderateur.com
washingtonpost.com
glamourparis.com
wikipedia.org
Et le court métrage de Matthew Frost