Publicité et marketing

Gleeden : l'affiche de trop ?

 
Effet collatéral du débat sur le mariage pour tous ou goutte d’eau rhétorique qui fait déborder le vase communicationnel ? Toujours est-il que le métro est depuis quelques jours le terrain d’une fronde discrète mais répétée contre la dernière affiche publicitaire pour le site de « relations extraconjugales » Gleeden.

Ce n’est pourtant pas la première campagne d’affichage du site Gleeden. Loin de là. Jouant sur une argumentation audacieuse et volontairement provocatrice, le site de rencontres extraconjugales s’est fait une spécialité de la rhétorique trompeuse (et du faux syllogisme) qui prend ses libertés avec la morale et donc avec le discours rationnel : voir article précédent.  En affichant « C’est parfois en restant fidèle que l’on se trompe le plus », le site est ainsi dans la droite ligne de ses affichages passés. Mieux encore, la campagne actuelle avait déjà fait l’office d’un affichage il y a quelques mois qui était parfaitement resté épargné et intact :

La question est donc : pourquoi une réaction aussi massive maintenant ?
Première hypothèse : la saturation
En parlant de saturation, il s’agit d’abord d’évoquer le fait que, dans sa logique communicationnelle simpliste, Gleeden est actuellement en passe de devenir une sorte de modèle énonciatif. De sorte que même absente, Gleeden est,  comme par effet de persistance rétinienne, omniprésente ; la « marque de fabrique » Gleeden s’est imposée à une très grande diversité de concurrents, d’abord, et d’annonceurs totalement différents, ensuite.

En renouant avec la simplicité d’un message purement verbal et d’un spectacle strictement typographique, le site de rencontres a inspiré la plupart des marques récentes qui désirent s’afficher avec l’efficacité d’un discours direct et « petit malin ». Citons, entre de nombreux exemples actuels (Acadomia, Skyn, etc.), le cas de la marque Espace Loggia :

En mettant au cœur de son argumentaire le principe du contrepied rationnel et raisonnable, Gleeden a produit ce que les gourous de la communication appellent un effet « disruptif ». En jouant avec le motif paradoxal de la rupture du contrat moral, marital et énonciatif, la marque adultérine est devenue le parangon de la vertu publicitaire la plus élémentaire, qu’on pourrait dès lors nommer la « disrupture ».
De sorte que la marque s’est ainsi banalisée. Et, pourtant, c’est bien cette dernière campagne plutôt anodine au vu des précédentes, qui semble la plus provocante si l’on en juge par l’intensité et la répétition des réactions des divers usagers du métro qui se sont en quelque sorte mis à répondre à l’incitation à la débauche de l’affiche en la dégradant plus ou moins systématiquement. Dans la plus stricte tradition des mouvements antipub, les affiches pour Gleeden se voient « barbouillées », mutilées ou détournées.
Pour quelques phrases inscrites à même les « faces » publicitaires achetées à la régie de la RATP du style « La fidélité est la victoire de l’amour sur l’instinct », la plupart des réactions des passagers sont directement adressées au matériel et au support de Gleeden.
Au sens propre, ces réactions sont épidermiques et cherchent à décoller l’affiche comme on arrache la peau d’un cadavre ou comme on arrache un plan de maïs transgénique.
Deuxième hypothèse : le contexte « sociétal »
La deuxième lecture possible de cette manifestation d’exaspération publique pourrait se trouver dans l’atmosphère encore chargée des lourds débats que nous venons de vivre autour de la question amoureuse et de sa traduction institutionnelle et sociale en termes de mariage. Malgré les dissensions, le débat sur le « mariage pour tous » convergeait finalement dans la célébration de la valeur symbolique (qu’elle soit religieuse, politique ou sociétale) d’un rite collectif reconnu et désiré. Or, Gleeden n’a pas seulement donné ses lettres de noblesse à l’adultère ; il a également joué avec le motif de la duplicité. La dernière campagne d’affichage flattait un au-delà du mensonge et de la tromperie : le parjure.

Pomme croquée, doigts croisés derrière la robe de mariée, regard oblique et rouleaux de cheveux éployés : tous les signes sont là pour construire la scène originaire de la « pensée de derrière ».
Plus généralement, cette mise en scène du parjure peut renvoyer également au contexte de défiance politique que les cas exemplaires récents de DSK, de Jérôme Cahuzac, ou de Gilles Bernheim ont fait éclater toute cette année au contre-jour du faux aveu médiatique.
Troisième hypothèse : un excès de communication traversière
La dernière hypothèse que nous voudrions avancer est d’ordre médiatique et renvoie au choix du dispositif de communication de cette dernière campagne. A la différence des grandes affiches placardées sur les murs des quais du métro, Gleeden a fait, cette fois-ci, le choix d’un emplacement plus accessible et plus modeste : les escaliers du métro. Or, toutes ces petites affiches, nous les croisons quotidiennement sans forcément les voir : autrement dit, nous les voyons de manière « traversière ».

Gleeden est peut-être alors tout simplement victime du fameux « esprit d’escalier ». A savoir : une prise de conscience après-coup, c’est-à-dire après l’effet de sidération face à ses premières campagnes, de la nature fallacieuse d’une argumentation qui affiche sa prétention à incarner un progressisme de façade. Tout ceci fait que c’est, en définitive, peut-être là dans le métro que l’on trouverait en 2013 la forme la plus réellement « interactive » de la « participation » que l’on met tellement en avant dans les discours actuels des autres médias. Sous forme discrète et passante, le débat se joue en ce moment dans ces petits gestes discrets, qui n’ont cependant rien à envier aux clics ou aux tweets.
Il reste que, si, comme le disait Georges Clémenceau, le meilleur moment de l’amour, « c’est quand on monte l’escalier », il semblerait qu’en matière d’affichage disruptif, cela ne produise pas toujours le même effet…
 
Olivier Aïm

Culture

La déprime à l’affiche

Faites le test : parlez de la 1ère Nuit de la déprime à quelqu’un et vérifiez qu’il répond bien : «ah oui, j’ai vu ça dans le métro, mais c’est quoi en fait ? ». Alors c’est quoi en fait cette Nuit de la déprime ?
Si nous sommes nombreux à avoir remarqué ces affiches c’est 1. Parce qu’il y en a dans presque toutes les stations de métro parisiennes, 2. Parce qu’elle n’est pas comme les autres publicités qu’on a l’habitude de voir.
Un dessin, voire un gribouillis, des couleurs gris-noir, trop de texte étalé partout: cette affiche ressemble à s’y méprendre au dessin d’un enfant. Mention spéciale au canapé et au chat, dont les traits grossiers auraient pu être réalisés lors d’une partie de Pictionnary. Et pourtant, c’est bien cette médiocrité assumée qui attire l’œil et l’attention. Dans un univers publicitaire où règne la perfection, le souci du détail et l’esthétique, une telle affiche ne peut que se démarquer. Elle n’est pas sans rappeler les pubs cinéma des assureurs militants Maïf qui, en représentant monsieur et madame tout le monde en bonhomme bâtons, souhaitent s’adresser au plus grand nombre. C’est le message que fait passer l’affiche : on a tous le droit de déprimer, hommes ou femmes, petits et grands. C’est mieux d’être triste à plusieurs, rassemblés autour d’un même évènement.
Et si on assumait de déprimer ?
Si on ne comprend pas tout de suite de quoi il s’agit, c’est 1. Parce que la profusion de textes noirs sur l’affiche rend l’information moins visible, 2. Parce qu’un tel évènement est peu courant,
« A quoi sert de courir après le bonheur alors que la déprime est à portée de main ? ». Drôle de paraphe encore une fois pour promouvoir un évènement  Proposée par Raphaël Mezrahi, cette soirée aux Folies Bergères a pour but de servir de « pieds-de-nez à la morosité ambiante », comme il l’explique lui-même. Contrairement aux nombreux magazines féminins ou à Lorie, l’humoriste ne nous propose pas d’adopter la « positive attitude », mais bien de se complaire dans un état de déprime et de partager ce moment. Et si c’était le moment de philosopher sur cette « morosité ambiante » ? La question est de savoir si nous subissons bien la société individualiste dans laquelle nous évoluons, et la perte de sens qui s’en suit, à laquelle croient nombre de philosophes, notamment Jean Baudrillard. Maintenant il faut choisir : être triste et déprimé du monde dans lequel nous vivons, ou rire (même jaune) de la situation et ne pas se prendre au sérieux, comme le propose Raphaël Mezrahi.
Au-delà de la question sociétale (oui rien que ça !) que soulève cette affiche, on ne peut que saluer un coup de com’ évènementiel bien maîtrisé. Associer à l’évènement des marques notoires, telles que Kleenex et Nutella, ou Ben&Jerry’s pour le côté Bridget Jones, est un pari réussi et surprenant. Ces marques ont accepté d’être les symboles des moments de déprime. Plutôt que de subir une réputation construite dans les films, elles assument leur rôle de remontants et se montrent présentes dans les moments difficiles de notre vie. Elles sont de plus bien mises en valeur, en couleurs sur une affiche à dominante noir et blanc. Bref, c’est le combo gagnant ! Et ce qui est vrai pour les marques l’est aussi pour les artistes participants à l’évènement, parmi lesquels Véronique Sanson, Catherine Lara, Thomas Dutronc, Alain Chamfort et Enrico Macias. En effet, c’est la crème de la chanson française qui sera présente pour nous chanter leurs chansons tristes. Car les musiques déprimantes font un peu partie de notre patrimoine national. Si Barbara et Brassens pouvaient interpréter « Dis, quand reviendras-tu » ou « Il n’y a pas d’amours heureux », la fête battrait son plein !
Alors rendez-vous le 18 Février pour une triste soirée !
 
Agathe Laurent
Sources :
Les Folies Bergères
Sortir à Paris

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Hungry and Out of the Picture

 
Juste un petit quick-to-read pour vous tenir au courant de la suite des évènements concernant la campagne « Cool but Chic » qui a fait l’objet d’un édito il y a quelques semaines ! Suite à plusieurs plaintes et articles coup de gueule la marque Kookaï a stoppé l’affichage de son visuel « Hungry but Chic ». L’opinion publique aura eu raison de la campagne, cela donne à réfléchir sur le pouvoir apporté aux consommateurs par le 2.0.
En attendant de philosopher sur le sujet, voici quelques articles en réaction à la campagne qui pourraient vous intéresser :
Le blog de l’express
Le magazine Be
Pensée de ronde
Meltybuzz
et mon petit préféré : Solenn Denis – Fabriqueuse de Drames
Bonne lecture !
Marion Mons

Affiche de la campagne Go Sport affichée en mars 2012 dans le métro Parisien
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J’ai un secret, mais je ne te le dirai pas

 
Que l’on ait 7 ou 77 ans, ce type de phrase ça énerve, ça intrigue, et surtout ça éveille notre curiosité.
C’est ce que les marques espèrent en tout cas ! Car le fait de montrer qu’il y a un secret est une technique utilisée depuis bien longtemps pour faire languir les consommateurs.
Cependant, le produit inconnu, le mystérieux individu, ou le lieu secret ne sont plus aujourd’hui de simples éléments d’une stratégie de vente. Ils sont devenus une véritable tendance. Je dirais même plus, dans un plan de comm’, ils sont une évidence. Tout bon lancement a son teaser (voir la traduction de a tease : une allumeuse – et to tease : taquiner). Merci à l’explosion de la vidéo sur Internet, et à la démocratisation des réseaux sociaux pour aider à partager tout ça.
L’intérêt ? Il est lié à l’omniprésence de la publicité dans notre société. A défaut de pouvoir être présentes sous nos yeux 24 heures sur 24, il faut bien que les marques trouvent quelque chose pour nous tenir en haleine.
J’en viens donc à notre zoom d’aujourd’hui : la nouvelle campagne publicitaire de GO Sport affichée dans le métro parisien.
Voilà donc une affiche toute voile dehors qui cache pour mieux montrer. Le secret n’est plus ici un ressort parmi d’autres, mais le contenu même de la publicité. Cette mise en scène du produit recouvert d’un grand drap blanc n’est pas sans effet puisqu’elle rappelle l’inauguration d’un monument ou d’une statue.  Elle permet donc à la marque de donner un air solennel à la sortie de ses nouveaux produits. Ajoutez à cela un petit jeu de mot construit sur la nouvelle caractéristique du produit, et l’affaire devient même ludique !
Du coup, en sportif averti, vous allez chercher qu’elle est cette veste « qui ne manque pas d’air ». Sur une page dédiée à l’évènement « Quoi de neuf dans le sport ? » GO Sport dévoile les photos des différents produits
Cette tendance est également à relier avec celle du décryptage : on nous nargue avec des publicités énigmatiques et ensuite on ne nous dévoile pas seulement la réponse, on nous propose d’aller plus loin. C’est le rôle des making-of : on invite le spectateur à connaître tout ce qui s’est passé derrière.
Oui, derrière, encore une fois…
Et la campagne de GO sport n’échappe pas à la règle : à voir ici
 
Justine Brisson

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Affiche du film Chronicle sorti en février 2012
Culture

Hommes Volants Non Identifiés à New-York

Une attaque d’hommes venus d’une autre planète ? Non non, pas de panique il s’agit simplement de la promotion du film Chronicle qui sort le 22 Février prochain sur nos écrans.

L’illusion est saisissante et l’effet garanti, certains habitants de New-York ont d’ailleurs réellement cru à une attaque. L’affiche de cinéma classique ne suffisant plus à promouvoir un film, ces publicitaires ont voulu aller plus loin, beaucoup plus loin. Et ça marche : plus de 600.000 visionnages sur Youtube en une seule journée. Les méthodes pour diversifier la communication promotionnelle de tous types de produits n’ont pas fini de nous surprendre…
 
Héloïse Hamard

Affiche censurée du film Les Infidèles avec Dujardin sortie début 2012
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Quand l’ellipse se fait de moins en moins subtile…

 
Durant ces dernières semaines vous avez certainement eu le plaisir de vous retrouver face à une nouvelle tendance dans l’affichage que j’aime à surnommer « Parce que les publicitaires prennent leur pied ». En effet, je doute que les affiches du film Les Infidèles vous aient échappé, ou encore celles de Virgin pour son opération Love spéciale Saint Valentin (of course).
Par ces temps si froids, toutes ces jambes dénudées ont attiré mon regard (sans sous-entendu aucun). C’est d’abord l’ellipse qui m’a intéressée, le fait de montrer la partie pour le tout et d’exprimer ainsi bien plus qu’un banal message de publicité pour rasoir. Oui les jambes sont jolies, fines, épilées de près mais ce n’est pas tout. Elles sont coupées afin de laisser le reste du corps à l’imagination. L’esprit formule ainsi une image certainement bien plus crue que celle que l’on aurait pu afficher. Et pourtant cela est déjà en montrer trop il semblerait.

Dans le cas de Virgin, on reste dans du soft avec la présence à la fois d’une jeune fille et d’un jeune homme, à en juger par le teint et la tonicité de leurs peaux, ainsi que par une minceur souvent associée au bel âge. Le fait que les deux protagonistes pieds nus soient mis sur un pied d’égalité laisse penser à une relation amoureuse stable et respectueuse. Accrochés à leurs chevilles, ayant fait leur chemin le long de leurs jambes nues, reposent deux sous-vêtements, étrangement identiques. Nous avons là une première ellipse, au niveau des jambes coupées afin de ne pas heurter la bienséance, précisée par une seconde d’autant moins subtile. Dans l’espace qui sépare nos deux amoureux, le mot « Love » trouve sa place, racontant l’histoire de ces deux corps à la fois par ses multiples sens, par le choix d’une typographie féminine via sa couleur et masculine via son épaisseur imposante sans empattement.  Certains parlent de vulgarité, d’autres ne voient rien à redire mais il semblerait tout de même que ce type de visuel ne passe pas encore inaperçu malgré une certaine démocratisation de l’acte sexuel.

Pour Les Infidèles le verdict aura été plus tranché. Je n’ai pas besoin de vous expliquer ce que les féministes reprochent aux affiches… Il semblerait que nous n’ayons pas eu le plaisir de voir toutes les déclinaisons à ce jour car certaines ont été censurées avant même d’arriver dans les rues. A la différence de l’affiche de Virgin, nous avons là une très nette supériorité de l’homme sur la femme qui se retrouve, elle, réduite à un simple objet sexuel destiné à souligner le titre de « l’œuvre ». Comme si le nom du film n’était pas assez clair, les publicitaires ont jugé bon de le représenter, sans la moindre métaphore. On parlera encore sûrement d’un coup de buzz par provocation pure et simple mais si cela jouera peut-être en faveur du film qui verra ses entrées augmenter, ce ne sera pas forcément le cas d’un de ses acteurs principaux, Jean Dujardin. En effet, « The Artist » pourrait bien voir lui échapper son bel oscar en raison de toute cette affaire sordide (surtout aux yeux des américains).
Si l’ellipse n’est pas forcément l’une des meilleures techniques pour déjouer la censure, il en reste encore quelques unes qui pourraient bien faire le bonheur des publicitaires : une petite métonymie ? Qui sait…
En tout cas, je ne demande qu’à enrichir ma collection d’affiches « Parce que les publicitaires prennent leur pied » donc si vous en avez d’autres, envoyez !
 
Marion Mons
Crédits photo : ©Virgin – ©Mars Distribution/JD Prod

Affiche Renault 14
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La poire de discorde

Il n’est pas toujours facile de faire fortune grâce au pouvoir symbolique d’un fruit. Qu’il soit croqué ou non.
En ce début d’année, revenons sur une des campagnes publicitaires faisant figure d’archétype dans notre domaine favori. Un exemple qui fait encore l’unanimité quand à la clarté et la qualité, si je puis me permettre, de son flop.
Nous autres étudiants n’étions pas encore nés pour avoir la chance d’assister, devant nos postes de télévisions, à ce fiasco désormais célèbre. Heureusement, n’importe quelle personne d’une classe d’âge supérieure à la nôtre se souvient de cet échec et peut nous en transmettre sa propre vision.
Cet exemple de ratage se libère donc de toute forme d’obsolescence par le simple fait qu’il rassemble les générations et que l’on entend encore aujourd’hui parler de lui dans les chaumières, lorsque les discussions en viennent à porter sur les échecs communicationnels.
Il s’agit de la campagne de Publicis réalisée en 1977 pour la Renault 14, ayant acquis sa triste notoriété sous le nom de La poire.
La Renault 14 remplaçait à l’époque la R6 et le projet se voulait porteur d’innovation grâce à l’installation d’un moteur transversal à l’avant du véhicule. Face aux faibles ventes lors des mois suivant le lancement, la marque au losange a fait appel à Publicis en commandant une campagne audiovisuelle afin de relancer l’image et les ventes de la voiture. Cette dernière n’a fait que desservir la marque.
Voici ce que l’on pouvait voir :

« La Renault 14 c’est comme une poire. A l’avant, un minimum de place pour le moteur transversal. A l’arrière, un maximum de place pour le confort »
Bien que le procédé de comparaison soit ici extrêmement lourd, l’idée de départ n’est pas si mauvaise : mettre en avant la forme innovante de la voiture, fine sur le devant pour souligner l’économie de place d’un nouveau moteur et « ronde » à l’arrière pour mettre en exergue le confort du supposé large habitacle. On retrouve bien, par le changement de formes et le mouvement des courbes, cette sensualité que peut véhiculer la poire et qui renvoie à cette idée de confort, de douceur et de bien-être souvent utilisée à bon escient dans des publicités alimentaires  (cf. campagne Nestlé dessert).

Mais voilà, l’erreur de cette campagne se trouve malgré tout dans le choix du comparant. Il s’agit là d’une faute autant rhétorique que sémiotique car ni l’argument de la poire « pour convaincre » ni la codification du « signe-poire » comme porteur de sens ne sont réellement efficaces ici. Le fait de prendre la poire comme image première associée et explicitement comparée à la Renault 14  sous-estimait le poids symbolique et culturel du fruit en France et en Europe, qui contrairement à son cousin la pomme, est pétri de références péjoratives difficiles à dépasser, même avec le plus travaillé des seconds degrés.
Car si la sensualité prend le dessus lorsque la poire est enduite de chocolat fondant, c’est le ridicule qui triomphe quand on l’imagine en tant que voiture. L’incontournable fait de « passer pour une bonne poire », expression ancrée dans la culture et l’inconscient collectif français, est ici négligé. Personne n’a en effet envie d’être cette bonne poire, c’est à dire l’individu naïf qui peut se faire aisément manipuler (sans doute par la publicité et donc par la voiture). En conséquence, l’hypothèse d’être pris pour une poire a dû inconsciemment réfréner l’envie de posséder cette voiture chez de nombreux acheteurs.
De plus, la poire a été historiquement un outil graphique de satire. Au XIXème siècle, le roi Louis-Philippe fut la cible de nombreuses caricatures qui visaient à transformer son visage en poire faisant de lui un imbécile manipulable. Dans les années 80, le chancelier allemand Helmut Kohl fut aussi portraituré sous l’apparence d’une poire. Le fruit devint même son surnom, évidemment péjoratif.
L’histoire symbolique du fruit joue donc également en défaveur de son image. Il est vrai qu’hormis ses courbes sensuelles, la pomme n’a pas grand chose à envier à la poire surtout sur le plan culturel. Tout cela rend la poire bien plus difficile à utiliser dans les stratégies de communication que sa cousine sphérique.
Le serpent n’a pas poussé Eve à croquer dans une poire et les hommes n’ont donc pas de poire d’Adam. Tout comme aucune poire n’a jamais semé le trouble dans le royaume de l’Olympe. De même que Blanche Neige ne croque dans aucune poire empoisonnée, de même, aucun enfant n’est haut comme trois poires. Il est alors difficile de trouver des poires d’amour dans les fêtes foraines. Et tout comme Newton qui n’a pas inventé la loi de Gravitation universelle après avoir reçu une poire sur la tête, Steve Jobs n’a pas créé la marque Pear.

Cette histoire nous montre qu’en publicité, il peut s’avérer salvateur d’interroger la langue et l’environnement d’accueil d’une campagne afin de pouvoir, en cas d’incompatibilité entre le message et la culture des récepteurs, couper la poire en deux.

Ambroise 

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Shame
Culture

SHAME, ou comment raconter l’indicible ?

Parler de la honte est un pari difficile à relever. Par définition la honte semble être ce qui ne se raconte pas, ce que l’on tait, ce qui ronge de l’intérieur et qui malheureusement sans que l’on puisse l’éviter, finit toujours par s’extérioriser, se manifester physiquement : on rougit de honte, on sue, on tremble, on évite les regards. C’est bien parce qu’il est difficile de parler de la honte que la première parole prononcée dans Shame n’intervient qu’après un bon quart d’heure, que la plupart de la communication est corporelle, violente, bestiale. En effet, si on analyse brièvement la manière dont les deux protagonistes (Brandon et Sissy) dialoguent, une bonne partie se fait dans les cris, les hurlements, les coups portés à l’autre et à soi-même.
C’est ainsi que pour son deuxième film, Steve McQueen a décidé de mettre en scène un sujet qu’on qualifie aisément de tabou : l’addiction sexuelle (ou peut-être simplement la sexualité). L’affiche donne à voir un drap bleu recouvrant le corps nu du héros dont la main tend à se glisser au-dessous. Le drap cache ce que l’on ne saurait afficher et qui pourtant ici est à l’affiche, et la couleur bleue vient jouer le rôle de vernis de civilité. C’est la bienséance affichée, c’est la vie cliniquement approuvée : l’appartement de Brandon est bleu, gris, sobre, impeccablement rangé, presque inhabité ; Brandon s’habille dans les mêmes tons, avec une apparence soignée, insoupçonnable. Le drap, le bleu agissent donc bien comme une carapace opaque. A l’inverse, la couleur ocre, jaune, lumineuse intervient dans toutes les séquences où le héros perd sa maîtrise et entame sa ronde de coïts infernaux.
L’affiche met également l’accent sur le titre, court, sans appel. Certes il reste dans la tonalité de Hunger (premier film du réalisateur) mais est problématique puisqu’il convoque immédiatement la morale dans le traitement de la sexualité. Car le problème est bien là : pas de honte sans morale, pas de fou, de malade, de taré, de sexopathe sans jugement normatif, c’est-à-dire socialement établi. En somme pas de honte sans sentiment de faute, et pas de faute sans instance morale pour distinguer le bien du mal. Or s’il y a un domaine qui est normé, c’est bien celui de la sexualité. Dans le film, on distingue très clairement la sexualité saine de la sexualité maladive, perverse, animale. Il y a l’adultère bourgeois du patron de Brandon, propret, qui se fait à porte fermée. Et à l’opposé, la sexualité monstrueuse, pathologique, sans âme ni sentiment, qui annihile toute part d’humanité, qui confère à Brandon un regard lubrique, des gestes primaires et une bestialité mécanique. Mais là où Steve McQueen est fort, c’est qu’il montre déjà que le premier type de sexualité est tordu, Sissy (la sœur de Brandon) et le patron copulent allègrement dans le lit du frérot qui, dans la pièce à côté, entend tout et en est excité. L’adultère bourgeois nourrit la bête et semble, par procuration, ouvrir la porte à l’inceste de tragédie grecque.
Parler de la monstruosité au cinéma, de la perversité, de l’anormalité n’est pas nouveau. On peut penser aux Freaks de Tod Browning, à l’assassin pédophile de M Le Maudit, à l’adolescent perverti d’Orange mécanique. Mettre en scène la monstruosité est un exercice de style pour les cinéastes, mais qui s’est toujours accompagné d’un discours sur le jugement moral. Le pire des freaks, c’était bien la belle Cleopatra qui épousa un nain pour son argent ; le héros de Fritz Lang hurle que personne ne peut comprendre ce qui se passe dans la tête d’un monstre, que personne n’est habilité à condamner sans comprendre ; les soins administrés au jeune Alex de Stanley Kubrick semblent aussi barbares que ses virées nocturnes entre droogs. Si on retrouve dans ces films un double discours, c’est parce que, quand la morale traditionnelle n’est pas contestée, quand on ne sent pas le besoin de la renouveler, la réflexion languit. Et c’est le problème de Shame. A aucun moment on ne doute que la libido encombrante de Brandon soit une maladie et que, pour cela, il doive être puni. Ce qui pourrait être simplement considéré comme un handicap, au même titre que n’importe quel handicap, est ici moralement condamné. Soit que Steve McQueen semble mettre justement le doigt sur la tendance du public à condamner, juger la sexualité ; soit que Steve McQueen lui-même soit incapable de sortir d’une approche du sexe teintée d’une religiosité irritante. Un corps nu recouvert d’un drap rappellera toujours la représentation du Christ. Tout au long du film, ce corps se vit dans la souffrance, les coups, les blessures, les scarifications. Sissy, au physique de madone angélique, incarne le martyr qui expie les tares de son frère en se tranchant les veines : on la retrouve baignée dans son sang, les bras en croix, rappelant les stigmates. Enfin, à la fin du film, Brandon regarde le ciel qui vient apporter sa miséricorde et laver par la pluie les péchés du héros. Pour finir, la seule explication fournie pour expliquer la perversité de Brandon est donnée par sa sœur : « Nous ne sommes pas mauvais, nous venons d’un endroit mauvais », ce qui n’est pas sans rappeler les origines de l’Homme perverties par Adam et Eve.
Steve McQueen décide donc de parler de ce que l’on tait généralement : la honte liée à une sexualité vécue dans une société moralisatrice. Mais, s’il brise ainsi un silence encombrant et dépassé, il n’ouvre pas le dialogue et ne fait pas avancer la réflexion morale. Il ne ferme pas la bouche aux prétendus « améliorateurs de l’humanité » qui départagent les sains d’esprit des tarés pervers. Steve McQueen finit donc par transformer un sujet que les médias se plaisent à qualifier de brûlot, de subversif en une fable consensuelle et convenue. La nudité affichée des protagonistes n’est qu’une vulgarité artificielle utilisée afin que le film semble provocant, c’est-à-dire d’un genre que seuls les génies décomplexés peuvent se permettre. Et, le fait que Shame soit qualifié de « provocant » atteste que l’idée selon laquelle le cinéma, comme toute forme d’art, doit déboussoler l’ordre du bien pensé est, à notre époque, sclérosée.
 
Lola Kah

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L'autre marque à la pomme croquée

Où suis-je ? A Paris, sur les quais de la station Motte-Picquet Grenelle, ligne 10. Voilà une affiche publicitaire avec un message clair et grand format qui attire forcément votre attention. Que ce soit pour approuver ou pour condamner, le résultat est le même : vous allez en parler.
Selon ses fondateurs, Gleeden répond avant tout à une demande. Un tiers des personnes inscrites sur les sites de rencontre habituels se déclarent célibataires mais seraient en réalité déjà mariées. Le site se targue donc de vouloir briser un tabou, et s’emploie à changer l’image de l’adultère en mettant à disposition un service qui ne répond en fin de compte qu’à un besoin de la société. Cet altruisme est bien trouvé puisqu’il est polémique et qu’il a permis au site de couvrir tous les médias, faisant beaucoup parler de lui depuis son lancement.
Pour ne pas se faire oublier, il faut ne faut pas hésiter à rajouter une petite couche de temps en temps : le 15 avril 2010, le site poste dans sa rubrique « Actualités » un article intitulé 10 bonnes raisons d’être infidèle, et c’est reparti pour un tour.
Gleeden est aujourd’hui le site de référence en matière de relations extra-conjugales. Depuis sa mise en ligne officielle le 1er décembre 2009, le nombre d’inscrits n’a cessé d’augmenter. Pour ses 2 ans, le site s’offre une petite campagne de publicité dans les couloirs du métro parisien qui n’est évidemment pas au goût de tout le monde. Depuis juillet 2011, date à laquelle la campagne a débuté, de nombreux blogueurs ont exprimé leur mécontentement face à ces images. Sur le site du parti politique Bloc Identitaire, on peut même trouver un article proposant aux citoyens de s’unir face à Média Transport (la régie publicitaire de la RATP) pour « exprimer, avec courtoisie, leur réprobation et demander l’arrêt immédiat de cette campagne d’affichage ». L’article du site de Bloc Identitaire est repris sur le site des Inrocks, dont l’article est à nouveau repris par Bloc Identitaire. Bref, on n’en finit plus.
Qui gagne dans l’histoire ? Gleeden. Le site se fiche amplement que la critique soit élogieuse ou non puisqu’ils ne donnent de toute manière pas dans un commerce que l’on pourrait appeler élogieux. Leur but est d’apparaître en quantité, non en qualité.
 
 Ainsi, il faut parfois laisser tomber les cris de guerre et savoir se taire.
Aujourd’hui, le site, dont l’interface est traduite en 5 langues (français, anglais, italien, espagnol, allemand), est présent dans 159 pays et compte plus d’un million de membres (40% de femmes et 60% d’hommes environ).
 
Justine Brisson
Merci à Gleeden pour sa coopération !
Photos : ©Gleeden

Affiche de la campagne Benetton représentant un baiser entre Nicholas Sarkozy et Angela Merkel
Politique

Kiss for peace

Benetton n’a pas froid aux yeux. La nouvelle campagne « Unhate » de l’agence italienne Fabrica fait polémique dans l’hexagone et au delà de ses frontières. En effet, quand l’agence italienne Fabrica, centre de la recherche sur la communication du groupe Benetton, lance une campagne choc, ça donne : une série de dirigeants de ce monde s’embrassant de manière improbable. La campagne déclinée en plusieurs visuels montrent des images de baisers sulfureux entre les plus hauts gradés de ce monde : le Pape Benoît XVI embrassant sur la bouche l’imam sunnite de l’université égyptienne Al-Azhar, Barack Obama et le président chinois Hu Jintao, le président de la Corée du Sud et de la Corée du Nord. Même notre cher président n’y a pas échappé : c’est son homologue allemand Angela Merkel qu’il a le privilège d’embrasser.
Le caractère controversé des campagnes Benetton n’est plus à prouver. Nudité, vieillesse, diversité, famine, autant de thèmes que Benetton met en scène de manière crue et dissonante. Quand il s’agit de faire parler d’elle, la marque d’habillement italienne excelle. Sa campagne Unhate est un message qui nous invite à considérer que l’amour et la haine ne sont pas des sentiments aussi éloignés qu’ils en ont l’air. Selon le site dédié à la campagne, ces deux sentiments antagonistes sont souvent soumis à un fragile équilibre.
 

 
Cette campagne au-delà de son aspect polémique nous pousse à ne pas haïr. Avec Benetton, encore une fois, la communication est au service de la défense de valeurs. Le discours publicitaire s’adresse à l’inconscient et sort du seul discours rationnel. Ici le mécanisme du discours du surmoi vise à modifier les comportements pour les rendre conformes aux intérêts supérieurs de la société. La marque érige ses valeurs en idéal à atteindre. Elle s’efface, délaisse son identité de marque de mode et laisse place à son combat pour les valeurs.
Même si la démarche est habile, et que beaucoup applaudissent le succès de Benetton, tous ne regardent pas d’un œil clément cette singulière campagne. À commencer par les personnes concernées. La maison Blanche désapprouve l’utilisation du nom et de l’apparence physique du président, et le Vatican, quant à lui est très « fâché » également. Le Saint Siège a pris les mesures nécessaires pour bloquer la diffusion de l’affiche considérant ces clichés comme une atteinte à la dignité.
En somme, pari réussi pour Benetton qui a fait parler de lui mais cela demeure un exemple criant de l’éternelle ambigüité que suppose la liberté d’expression !
 
Rébecca Bouteveille
Merci à Benetton pour leur coopération !
Photos : ©Benetton