Le 19 novembre 2013, La France se qualifie pour la Coupe du Monde 2014, à l’issue d’un match contre l’Ukraine remporté à trois buts contre zéro. Un miracle pour les Français, qui bien loin de s’y attendre, avaient abandonné leurs rêves de conquêtes footballistiques depuis quelques années. Au fur et à mesure que le match se rapproche, différents people et entreprises s’amusent à jouer sur cette vague de défaitisme national, et y trouvent un terrain idéal pour un comique de répétition bon enfant, qui fait mouche. Ainsi, Carrefour s’engage à rembourser à 100% les téléviseurs achetés si les Bleus gagnent la finale, mais Doria Tillier, la miss météo du Grand Journal de Canal +, se montre encore plus audacieuse en annonçant la veille du match qu’elle présentera la météo du lendemain « à poil » si l’équipe de France sort victorieuse. Internet s’empare du phénomène, comme le prouve le Tumblr « Si les bleus gagnent », qui recense les promesses des peoples, tandis que de nombreux anonymes se lancent des défis personnels, comme aller acheter ses croissants en tenue de ski.
Une initiative mérite cependant d’être étudiée de plus près, au-delà de l’engouement potache d’un Cyril Hanouna teint en blond — il s’agit de celle de la société de production de films pornographiques Marc Dorcel. À 20h55, le compte de Dorcel tweete une annonce en forme de blague : si les Bleus l’emportent, leurs films seront disponibles en téléchargement gratuit toute la nuit. Le défi est pris au sérieux, retweeté plusieurs milliers de fois, et c’est sans surprise que le réseau du site se trouve saturé à 22h54, alors que la France exulte de sa victoire. Le site plante, certes, les responsables n’ayant pas eu le temps de préparer le terrain pour une telle affluence, mais ce n’est pas ce qui importe le plus dans cet immense coup de communication, au demeurant très réussi.
Un tel phénomène interroge à nouveau les rapports qu’entretient un peuple avec l’équipe qui le représente, mais aussi la conception qu’il se fait de ce sport, dans son imaginaire collectif. À travers les hashtags #FRAUKR, #AllezLesBleus, #SiLesBleusGagnent, le match France-Ukraine a été un des évènements les plus commentés : à titre d’exemple, on dénombre plus de 1 244 161 tweets à son sujet, sans compter les milliers d’articles ou de statuts Facebook publiés. Nous assistons donc à une réelle ferveur, qu’il ne serait pas abusif de qualifier de patriotique, qui touche tout le monde, du supporter endurci au Français lambda qui ignore les règles les plus basiques du football. Dans un pays divisé comme la France, au cœur duquel les écarts sociaux ne cessent de s’accentuer, comment expliquer une telle cohésion, le temps d’un soir ? Le désir de prestige international gagné sur un terrain parvient-il à créer l’unité là où la politique échoue ? En serait-on donc toujours aux problématiques du pouvoir de l’empire, dont la portée s’étend au monde entier, à travers l’affrontement de l’autre ?
D’autre part, le succès d’une plateforme pornographique à un tel moment réactive un stéréotype vieux comme le monde : celui de l’homme qui regarde la télé, les pieds posés sur la table, et sa femme… eh bien sa femme qui attend que ça passe. Il est tentant de voir dans la passion pour le football un épanchement de la virilité, une nouvelle façon de vivre en tant qu’Homme, celui qui porte un grand H, qui inspire le respect et marque son territoire à travers la guerre, la lutte pour son statut de mâle dominant. En 2013, à l’heure de stratégies communicationnelles toujours plus sexistes (que l’on songe en effet à la campagne de publicité de Darty au moins de novembre, qui faisait son miel d’une imagerie douteuse, mi-érotique mi-glauque), de tels clichés ont malheureusement la peau dure. La satisfaction sexuelle solitaire (c’est du moins l’acception que l’on se fait généralement du film porno) serait-elle le prolongement naturel d’un exploit sportif, un exploit permis justement par le corps ? Soutenir son équipe, une forme de sublimation comme une autre, si l’on s’en remet aux théories freudiennes ? Qu’en est-il alors de la femme ? Ceci expliquerait-il que le milieu du sport soit en général très majoritairement masculin, particulièrement en ce qui concerne le foot ?
Marc Dorcel est bien le second vainqueur du match, en ce mardi de novembre. En proposant de faire durer le plaisir de la victoire de façon, disons, plus intimiste, il parvient à faire exploser son nombre de visites. N’oublions pas que Dorcel a toujours revendiqué une esthétique porno-chic, bien loin des films crus de seconde zone, assaisonnant ainsi des codes de publicité conventionnels à un imaginaire glamour et polie, mettant un scène des plastiques sans défauts rehaussées par des accessoires souvent luxueux. Alors, la recette d’un coup de communication réussi serait donc aussi simple qu’une déclinaison des aspects les plus valorisants du corps ? La victoire est un plat qui se mange chaud, très chaud.
Agnès Mascarou
Sources :
Libération
Le Figaro
Football.fr
Sexpress.fr