Fake news et autres perlimpinpineries
Les fake news (ou littéralement fausses nouvelles) : qui n’en a pas entendu parler ? Elles ont déterminé et requalifié le vote de nombreux électeurs, que ce soit durant les présidentielles américaines ou durant la campagne du Brexit.
Mais la véritable question n’est pas tant de savoir si nous sommes tous individuellement égaux face à ces fake news que de comprendre pourquoi celles propagées lors de la campagne présidentielle française n’ont pas su trouver prise. Pourquoi n’avons-nous pas mordu à l’hameçon comme des millions d’électeurs avant nous ailleurs dans le monde ? Est-ce une question de culture, ou bien d’autres paramètres d’ordre technique sont-ils à prendre en compte ? D’où vient cet écart entre la perception de l’information américaine ou britannique et la perception française, si tant est que nous puissions définir l’information selon une pseudo-identité culturelle ?
Internet, cette nouvelle tyrannie ?
Ces fausses nouvelles sont notamment le résultat connexe de plusieurs causes. Spirale du silence, tyrannie des agissants, audiences invisibles et filter bubbles (« bulles de filtre ») en sont les principales composantes qui, lorsqu’elles sont mises bout à bout, font d’Internet un espace de liberté, certes, mais où toutes les opinions ne sont pas également percevables.
Si la théorie sociologique et de science politique de la spirale du silence* est assez connue et a façonné dans les années 1970 l’idée que nous nous faisons de ce que l’on nomme les « mass-médias », il peut sembler intéressant ici de s’intéresser à la notion de « tyrannie des agissants ». Dominique Cardon, qui a développé le concept, décrit le phénomène en ces termes : « On est tous égaux a priori, mais la différence se creuse ensuite [ …] entre ceux qui agissent et ceux qui n’agissent pas. Internet donne une prime incroyable à ceux qui font.
Et du coup, il peut y avoir une tyrannie des agissants. » Pendant l’élection de Trump, on a pu se rendre compte des effets néfastes du phénomène de la tyrannie des agissants dans la mesure où ceux qui se sont le plus exprimés sur les réseaux sociaux sont ceux proférant des propos racistes ou misogynes. Cette tendance ne fait que renforcer la force des fausses nouvelles et de la désinformation car ces individus « agissants » gagnent en visibilité tandis que les tentatives de ré-information des médias traditionnels sombrent dans une partie silencieuse des électeurs qui, sans être agissants, ne relaient ces informations qu’avec leur propre audience.
Prise de conscience réelle ou indifférence manifeste ?
Lors de la campagne en faveur du référendum pour quitter l’Europe, les « Brexiteers » (ceux qui souhaitaient voir le Royaume-Uni sortir de l’UE) ont eu recours à un certain nombre de ces fausses nouvelles sur lesquelles ils sont ensuite rapidement revenus**.
Pour ce qui est des présidentielles américaines – bien que les experts de la CIA, du FBI et de la NSA ne se prononcent pas encore sur les potentiels effets de cette campagne de désinformation sur l’élection de D. Trump – il est certain que la divulgation d’informations compromettantes pour la candidate démocrate via le site Wikileaks à quelques jours de l’élection présidentielle n’a pu jouer qu’en sa défaveur. Mais en France, cela n’a pas entraîné de tournant majeur dans la campagne présidentielle. Car le candidat de En Marche !, bien qu’il ait lui aussi dû faire face à une massive et soudaine campagne de désinformation, et ce à quelques jours de l’une des élections les plus importantes de notre Vème République, est aujourd’hui président. En effet, l’évocation de l’existence d’un compte offshore (relayée sur Twitter et lors du débat par des membres de l’alt-right US, Jack Posobiec et William Craddick), ainsi que le hacking par des partisans du régime russe et la fuite (encore via Wikileaks) de documents de campagne, parfois en provenance de Macron lui-même, aurait pu nuire à son élection – mais il n’en fut rien. Aussi, en dépit du MacronGate et de la naissance du hashtag #MacronLeaks sur Twitter, l’impact a été considérablement moindre.
La période de réserve pré-élection*** a empêché les journaux français de s’emparer de l’affaire et réduit l’effet de tyrannie des agissants. Cette période de réserve ne s’étend cependant pas au reste du monde (notamment à la presse belge et suisse) qui ont pu, en s’exprimant, jouer de l’impuissance des candidats à se défendre. Mais cette période, qui aurait pu défavoriser des candidats incapables de se défendre, n’a finalement rien changé. En outre, des dispositifs avaient été élaborés par les membres de campagne de Macron pour parer à ce genre d’éventualité de hacking, membres tout aussi avertis que n’importe lequel des citoyens face au risque de surgissement des fake news dans la mesure où les dernières élections avaient été polluées par ce genre de scandale (The New York Times, pour n’en citer qu’un), et c’est probablement ce qui joué en notre faveur à tous… Mais pouvons-nous vraiment blâmer les Américains et leur reprocher d’être tombés dans le piège des fake news ? Non ; pas plus que nous pouvons nous croire plus malins pour avoir su le contourner. Ainsi, nous pouvons donc légitimement penser que c’est uniquement cette prise de recul, mêlée à d’autres paramètres encore indistincts (comme peut-être des critères plus sociologiques et peut-être culturels ), qui a permis une certaine lucidité sur le phénomène, lucidité que les Américains, face à la brutalité de ce surgissement nouveau des fake news, n’avaient pas encore pu acquérir.
L’égalité face aux fake news : le vrai cœur du problème ?
Comme le souligne The New York Times, le contraste est particulièrement frappant avec les Etats-Unis : l’annonce du hacking des documents de campagne de Macron n’a été accueillie que par « silence, dédain et mépris ». S’il est sûrement trop tôt pour pouvoir savoir si nous sommes tous soumis au même régime face au phénomène de la désinformation, cela a le mérite de soulever un autre problème. A ce sujet, une citation de Hannah Arendt fait particulièrement sens : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plait ». Alors il peut paraître bon de rappeler, comme un avertissement, que l’indifférence dont nous avons fait preuve est peut-être bien plus dangereuse que ces fake news en elles-mêmes.
Lina Demathieux
Linkedin : https://www.linkedin.com/in/lina-demathieux-775745135/
*développée par la sociologue allemande Elizabeth Noelle-Neumann
**contrairement à ce qu’on a répété pendant toute la campagne par exemple, Londres ne versait non pas 350 millions de livres par semaine à Bruxelles, mais 136 millions.
***: selon la CNCCEP (Commission nationale de contrôle de la campagne électorale), pendant deux jours, « toute activité à caractère électoral doit cesser » . En effet, la CSA explique que durant cette période, «il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale». « La campagne s’arrête pour que les citoyens aient un temps de réflexion et ne reprend qu’au moment où les votes sont clos.»
Sources :
MOULLOT Pauline, « Fausses informations, vraies conséquences », Libération http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/fausses-informations-vraies-consequences_1549282 Paru 17/02/17, consulté le 12/05/17
DONADIO Rachel, « Why the Macron Hacking Attack Landed With a Thud in France », The New York Times https://www.nytimes.com/2017/05/08/world/europe/macron-hacking-attack-france.html?_r=0 Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
SHLINDER R. Robert, « Putin Declares War on the West », Observer http://observer.com/ 2017/05/vladimir- putin-kremlin-wikileaks-france-germany-election-interference/ Paru le 08/05/17, consulté le 12/05/17
KOTELAT Didier, « Les « Macron Leaks », itinéraire d’une opération de déstabilisation politique », RTS INFOS https://www.rts.ch/info/monde/8599552-les-macron-leaks-itineraire-d-une-operation-de-destabilisation-politique.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
MATHIOT Cédric, « Fake news, retournez d’où vous venez ! », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/10/fake-news-retournez-d-ou-vous-venez_1568574 Paru le 10/05/17, consulté le 13/05/17
NOSSITER Adam, SANGER E. Davaid and PERLROTH Nicole, “Hackers Came, but the French Were Prepared”, The New-York Times https://www.nytimes.com/2017/05/09/world/europe/hackers-came-but-the-french-were-prepared.html Paru le 06/05/17, consulté le 13/05/17
ALBERT Eric, « Les approximations des partisans du « Brexit » sur la contribution du Royaume-Uni à l’UE », Le Monde http://www.lemonde.fr/referendum-sur-le-brexit/article/2016/06/04/les-approximations-des-partisans-du-brexit-sur-la-contribution-du-royaume-uni-a-l-ue_4935129_4872498.html Paru le 04/06/16, consulté le 13/05/17
DEBORDE Juliette, « Ce qu’on peut dire (ou pas) sur les réseaux sociaux ce week-end », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/05/ce-qu-on-peut-dire-ou-pas-sur-les-reseaux-sociaux-ce-week-end_1567279 Paru le 05/05/17, consulté le 16/05/17
Comment la presse veut survivre face aux « fake news », Challenges https:// challenges.fr/media/presse/comment-la-presse-veut-survivre-face-aux-fake-news_460190 Paru le 13/03/17, consulté le 13/05/17
Z, « A Lire Absolument. Comprendre le phénomène des « fakes news » – Spirale du silence, tyrannie des agissants et Pensée tribale : « La langue des dictateurs » (comment les élites bernent le peuple) » , Le blog de la résistance https://resistanceauthentique.net/2017/02/17/comprendre-le-phenomene-des-fakes-news/ Paru le 17/02/17, consulté le 13/05/17
https://fr.wikipedia.org/wiki/Spirale_du_silence Consulté le 15/05/17
BELAICH Charlotte, « «Période de réserve» : de quoi peut-on parler ce week-end ? », Libération http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/21/periode-de-reserve-de-quoi-peut-on-parler-ce-week-end_1564254 paru le 21/04/17, consulté le 18/05/17
Crédits photos :
Photo de couverture : http://www.snopes.com/2017/04/24/fake-news-french-elections/
Car de déplacement des pro-Brexit lors de la campagne : https://static.independent.co.uk/s3fs-public/styles/article_small/public/thumbnails/image/2017/02/08/09/ gettyimages-576855020-0.jpg
Tweet de Jack Posobiec: http://md1.libe.com/photo/1019546-posobiec.png? modified_at=1494051841&width=750
Infographie : https://visionarymarketing.fr/blog/wp-content/uploads/2017/04/new-piktochart_22000118_3ad8a8beb17567d28f1b9f95e2a2d6f88b3e09b1.png
La Trudeau Mania, ou comment devenir l’homme politique le plus populaire et sexy en 3 minutes
Ce qui nous plait chez nos politiciens c’est qu’ils soient distants, qu’ils apparaissent comme inaccessibles, qu’ils vivent comme des pachas sans connaître le prix d’une chocolatine. FAUX, comme dirait Norman. Aujourd’hui, ce qui plait aux électeurs ce sont des hommes politiques accessibles. Des hommes politiques comme nous, qui nous ressemblent.
Les ingrédients
Alors comment ressembler aux électeurs ? Il suffit d’analyser la stratégie de Justin Trudeau. Considéré comme la personnalité de l’année 2015, Trudeau a lancé une vague de Trudeau mania au Canada et dans le monde.
Trudeau c’est l’humaniste. C’est la politique « optimiste ». Trudeau c’est le cœur sur la main, illustré par les 25 000 Syriens qui ont pu trouver refuge au Canada. Trudeau c’est l’arrêt des frappes aériennes en Syrie et en Irak dans le but de protéger les civils. Trudeau c’est un féministe moderne. C’est soutenir les communautés LGBT. C’est légaliser le cannabis. Mais Trudeau c’est aussi un boxeur, un sportif, un ancien étudiant à la fois de littérature et de sciences de l’ingénieur, un ancien professeur. Trudeau c’est un ancien citoyen, c’est nous. Il incarne l’égalité de genre, de religion, d’orientation sexuelle, l’engagement et la jeunesse. Trudeau a été élu l’homme politique le plus sexy de l’année 2015. En somme, c’est une douce bouffée d’air frais dans une démocratie beaucoup trop verticale qui s’essouffle.
Son principal outil de communication : sa sincérité. Souvent critiqué pour sa candeur, c’est pourtant elle qui l’a porté au poste de Premier Ministre du Canada. Trudeau incarne une gentillesse pure et simple. Pas d’esclandre — sa communication est claire et honnête ; un tweet illustré par une photo, effet escompté garanti.
Un nouveau postulat démocratique ?
La société actuelle est lasse des mensonges et de la malhonnêteté des politiciens. Les électeurs ne croient plus à leurs discours. Ils sont fatigués de ces dirigeants qui semblent nés dans la politique et dont la seule ambition est l’accès au pouvoir. Un seul mot ressort : déception. Les hommes politiques n’inspirent plus. Les campagnes électorales ressemblent davantage à une cour de récréation de maternelle plutôt qu’à une véritable campagne.
Cette mise en spectacle infernale et ces règlements de compte font que les électeurs sont déçus et ne croient plus aux discours politiques ; pour 71% des 18-25 ans, la cause principale d’abstention est le mensonge des politiques, 45% ne votent pas car ils considèrent que les politiciens ignorent les préoccupations réelles des campagnes électorales, et la troisième cause d’abstention est due à la malhonnêteté des hommes politiques.
L’art de la maîtrise des réseaux sociaux
La tendance aujourd’hui, c’est la démocratie horizontale dont l’ingrédient crucial est la maîtrise des réseaux sociaux et des codes 2.0.
Pour être compris et ce n’est pas nouveau, il faut savoir communiquer et donc parler la langue de l’autre comme dit Bourdieu dans Ce que parler veut dire. Aujourd’hui, il faut parler la langue des internautes, et c’est là, tout l’art de Trudeau. Il maîtrise à la perfection la langue d’Instagram comme lorsqu’il met en scène sa famille ou quand il pose avec des pandas qui ont fait craquer plus d’une de ses fans. Celle de Twitter également, où il plaisante avec la Reine d’Angleterre ou participe à l’Invictus Games (tournoi organisé pour les soldats blessés), ou encore Youtube, où il présente sa politique.
Subtile et malin, il se sert également des réseaux sociaux pour maintenir ses relations internationales ou pour atteindre un nouveau public. Il a même un compte sur les deux médias sociaux les plus répandus en Chine : WeChat et Weibo (le Messenger et le Twitter chinois).
Ce premier ministre canadien a aussi été très habile quant à sa stratégie face à Trump; après l’attentat de la mosquée à Québec, il avait répondu indirectement au protectionnisme trumpiste vis-à-vis de l’immigration et du multiculturalisme par un tweet tout simple : [Le Canada accueillera] « les réfugiés indépendamment de leur foi, au lendemain de la décision de la Maison Blanche d’interdire l’entrée des USA aux ressortissants de sept pays musulmans ». Trudeau doit gérer ses relations avec les États-Unis afin d’éviter tout conflit dans les accords commerciaux, comme par exemple Aléna.
Une stratégie 2.0 égale pour tous ?
La maitrise des réseaux sociaux : l’unique ingrédient pour être aimé ? Il semblerait que non ou alors pas autant comparé à Obama et Trudeau. On ne peut pas reprocher à nos politiciens d’avoir essayé, à l’instar de Mélenchon et sa page Youtube ou plus récemment son meeting holographique. Mais notre jeune pimpant Macron ? Marchera, marchera pas ? Il semblerait qu’il ne tienne pas ses promesses avant même que la campagne présidentielle ne commence.
Alors, à quand un Obama/Trudeau à la française ?
Maëlys Le Vaguerèse
@lvgmaelys
Sources :
• « Pourquoi tout le monde aime Justin Trudeau », 7sur7 publié 10/03/2016 et consulté le 14/03/2017.
• « Démocratie verticale ou démocratie horizontale, que voulons-nous ? », Alternatives Pyrénées, publié le 20/02/2015, consulté le 14/03/2017
• « L’utilisation des réseaux sociaux en politique », Ambasdr, publié le 21/04/2015, consulté le 14/03/2017
Crédits :
• @JustinTrudeau
• « Chevelure soyeuse, sourire ravageur, look de bad boy… Les internautes ont le cœur qui fait boom », @RachelLeishman
Médias et Maison Blanche : fin d’un paradigme ou fin de la liberté de la presse ?
Voilà près d’un mois et demi que Donald Trump a accédé au poste de président du monde libre. Cependant, cette appellation, « monde libre », née durant la Seconde Guerre mondiale et popularisée pendant la Guerre Froide, apparaît aujourd’hui plus désuète que jamais. L’admiration que porte le nouveau président américain pour Vladimir Poutine rend obsolète l’opposition entre monde libre, mené par les États-Unis, et le bloc soviétique. De plus, la liberté que les États-Unis ont toujours prônée et voulu exporter dans un souci d’universalisme, ne semble plus vraiment d’actualité.
Contre-vérités et fake news, mots clés de la vie politique américaine
Tout a commencé le samedi 21 janvier, lors de la première conférence de presse du nouveau porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer. Les médias sont qualifiés par le hautfonctionnaire de « malhonnêtes ». Il les accuse d’avoir relayé des informations fausses à propos du nombre de personnes qui étaient présentes à la cérémonie d’inauguration du président Trump la veille, et décide de ne répondre à aucune question des journalistes. Le 11 janvier, le président-élu avait déjà refusé de prendre une question du journaliste de CNN Jim Acosta, en affirmant qu’il relayait des « fake news », c’est-à-dire des informations fallacieuses.
Ces premières conférences de presse ont scellé la relation déjà complexe entre Donald Trump et les médias américains. En effet, durant sa campagne, celui qui était alors candidat à la présidence entretenait un rapport particulier avec les médias. Il n’a cessé d’affirmer des contre-vérités, dédaignant ainsi les nombreuses tentatives de correction des médias, et dénigrant par là même, leur mission démocratique traditionnelle. En retour, les médias, et notamment la télévision, ont été son meilleur allié, puisqu’à force de couvrir les multiples dérapages de Trump, ils lui ont offert des centaines d’heures de diffusion gratuites.
Un climat de plus en plus tendu entre Trump et les journalistes
Désormais chef de l’exécutif, Trump n’a pas lésiné sur les critiques envers les médias, et se permet d’aller encore plus loin. En effet, ce début de mandat a été secoué par plusieurs scandales déjà, plus ou moins fondés. À chaque fois qu’une affaire sortait dans la presse, Trump s’empressait de la qualifier de « fake news » — comme il l’avait notamment fait pour l’affaire de collaboration et de chantage entre la Russie et l’équipe Trump pendant la campagne.
Plus extrême encore, pour parler des grands médias, la chaîne historique d’informations en continu CNN, le journal New York Times ou encore la chaîne NBC News, le président américain utilise désormais l’expression « failing », soit en déclin, en échec, et les qualifie systématiquement de « fake news media ». Il s’exprime principalement à travers ses tweets, contournant ainsi les canaux traditionnels.
C’est bien là que la présidence de Trump devient dangereuse, et constitue une menace pour la liberté de la presse, et la liberté d’expression en général. En faisant des médias le monstre duquel il faut se détourner, Donald Trump peut obtenir le monopole de la vérité. Il fait de sa parole, la parole d’Evangile. Traditionnellement, dans une démocratie, les médias jouent un rôle de gendarme, ils existent pour rendre public. Kant définit même la démocratie par le principe de « Öffentlichkeit », soit publicité. Ils contrôlent les informations émises par le pouvoir, ou fournissent au public les informations qui pourraient être cachées par le pouvoir. Ils sont les garants de la vérité vérifiée et surtout des libertés d’opinion et d’expression. Dans l’Amérique de Trump, le rôle des médias est nié et même méprisé, dégradé.
Il y a quelques semaines à peine, à l’occasion d’une conférence de presse hebdomadaire à la Maison Blanche, l’administration Trump a interdit l’accès à la salle de presse à certains journalistes, notamment ceux du New York Times, de CNN et du Huffington Post, qui tous ont tendance à vivement critiquer le président américain. La voix qui porte l’opposition a donc été étouffée par le pouvoir exécutif.
La fin d’une époque ?
Le philosophe Achille Mbembe théorise notre temps en affirmant que l’âge de l’humanisme touche à sa fin, pour laisser place au nihilisme, et à l’autoritarisme populiste. Sa vision consiste donc à considérer que l’histoire socio-politique de l’humanité peut être envisagée comme un enchaînement de différents paradigmes. Seulement, cette analyse est-elle satisfaisante ? Peut-on simplement voir les choses en termes de grandes aires, et grandes ères ? Peut-on analyser l’histoire comme un mouvement inexorable qui balance l’humanité entre des époques plus ou moins libertaires ? La fin du paradigme humaniste est-elle une fatalité ?
L’affaiblissement du pouvoir médiatique causé par Trump est une tragédie moderne, mais on ne doit ni ne peut se résigner. Le New York Times a diffusé pour la première fois, durant la pause publicitaire de la cérémonie des Oscars du 26 février 2017, une réclame promouvant le travail journalistique et le fact-checking, qui consiste à s’assurer de la véracité des faits et des informations. De la même manière, le Washington Post prouve sa résistance et sa résilience en adoptant le sous-titre « Democracy Dies in Darkness », soit la démocratie meurt dans l’ombre. Le journal fait ainsi référence à la nécessité du journalisme en tant que garant d’une certaine transparence du pouvoir. Encore plus encourageant, de nombreuses associations de soutien au journalisme se développent, comme le Committee to Protect Journalists qui, après avoir été citée par Meryl Streep lors de son fameux discours des Golden Globes, a connu une forte augmentation de dons.
L’argument de la sortie d’un paradigme peut être destructeur, car il confère une dimension fataliste aux changements que nous sommes en train de vivre. Pourtant, la presse a survécu à bien d’autres crises démocratiques au cours de son histoire. Faible corps médiatique correspond nécessairement à une démocratie faible. C’est à nous de prendre les bonnes mesures et d’adopter les bons réflexes.
Mina Ramos
Sources :
– CILIZZA Chris, Sean Spicer held a press conference. He didn’t take questions. Or tell the whole truth, The Washington Post, publié le 21 janvier 2017, consulté le 1er mars 2017. https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2017/01/21/sean-spicer-held-a-pressconference-he-didnt-take-questions-or-tell-the-wholetruth/?utm_term=.5aea6a1a7ca5
– SILLITO David, How the media created the president, BBC.com, publié le 14 novembre 2016, consulté le 1er mars 2017. http://www.bbc.com/news/entertainment-arts-37952249
– LAVENDER Paige, Donald Trump Refuses to Take A Question From CNN Reporter, Calls Network ‘Fake News’, The Huffington Post, publié le 11 janvier 2017, consulté le 1er mars 2017. http://www.huffingtonpost.com/entry/donald-trump-cnn_us_58765783e4b05b7a465ccc0b
– CALDERONE Michael, Trump White House Bars News Organizations From Press Briefing , The Huffington Post, publié le 24 février 2017, consulté le 1er mars 2017. http://www.huffingtonpost.com/entry/white-house-bars-newsorganizations_us_58b08a76e4b0a8a9b78213ae
– La Documentation française, « Médias et démocratie, La fonction des médias dans la démocratie », http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/libris/3303330403389/3303330403389_EX.pdf
Crédits images :
– Image de Une : Spencer Platt / Getty
– Image 1 : compte Twitter @realDonaldTrump
– Image 2 : compte Twitter @realDonaldTrump
Ecotaxe : bonnets rouges et bonnets d’âne
Mercredi 8 mars, la Cour des Comptes publie son rapport annuel sur la régularité des comptes publics. Le conseil des magistrats honore ainsi annuellement son credo « S’assurer du bon emploi de l’argent public, en informer le citoyen », et comme chaque année blâme les gaspilleurs. Cette année c’est un épisode marquant du quinquennat de François Hollande qui se trouve dans son collimateur, celui d’un projet de taxe autoroutière impopulaire, d’une fronde bretonne coiffée de rouge, et d’une débandade gouvernementale.
Si l’épisode avait retenu l’attention à l’époque pour ses coups d’éclats et ses bévues médiatiques, c’est aujourd’hui l’essence économique du sujet qui revient sur la table. La cour estime les pertes à plus d’un milliard d’euros, et les pots cassés sont injustement redistribués. Un fiasco qui tient beaucoup à la gestion de crise désastreuse du gouvernement, et aux grossières lacunes de communication au sommet de l’État. Un feuilleton médiatique qui interroge aussi sur la valeur du débat démocratique en France.
Retour sur une taxe controversée et avortée
Issu du Grenelle de l’Environnement, le projet d’écotaxe est voté à l’unanimité par le Parlement en 2009. Le but est de transférer le financement de l’entretien des autoroutes du contribuable aux usagers, selon le principe du pollueur-payeur : ceux qui les usent le plus, à savoir les camions, paient le plus. Outre l’objectif de justice fiscale, les retombées doivent également être économiques pour réduire l’avantage concurrentiel des transporteurs étrangers par rapport aux routiers français, et écologiques, pour faire gagner en attrait l’alternative du fret ferroviaire.
La mise en place commence au printemps 2013, dans un contexte politique délétère. Le quinquennat de François Hollande a commencé un an plus tôt par une pression fiscale sur le contribuable qui exaspère les ménages français. L’annonce de la création de portiques de télépéages sur plus de 15 000 km d’autoroute, génère des premières protestations en Bretagne, une région particulièrement incandescente à cause de la fermeture d’usines (comme l’abattoir Gad) et la détresse des éleveurs. La mesure est perçue comme un énième matraquage envers les petites gens, en somme, la goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Pendant ce temps, les syndicats de transporteurs routiers s’insurgent. Le gouvernement reporte la collecte de la taxe au 1er janvier 2014, et la fronde, loin de dissiper, s’organise en groupes d’action sur le terrain et face aux médias. Destruction de portiques, manifestation géante des « Bonnets Rouges » à Quimper le 2 novembre 2013, opérations « Escargot » des routiers sur les autoroutes… La pression finit par faire reculer le gouvernement, qui annonce le 29 octobre 2013, la suspension de l’écotaxe.
« Un gâchis patrimonial, économique, financier, industriel et social »
La formule n’est pas tendre, signe de l’ébahissement des magistrats de la Cour des Comptes devant le gaspillage. 958 millions d’euros d’abord, indemnité à verser au prestataire EcoMouv’ que l’État avait missionné pour installer le dispositif, assurer sa maintenance et collecter la taxe, et qui aurait dû être rétribué à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur dix ans. S’y ajoutent 70 millions d’euros, déboursés pour mettre en œuvre cette taxe (investissement dans EcoMouv’, salaires de 309 douaniers) et la démanteler (démontage et destruction des portiques). Enfin, 270 millions d’euros, coût hypothétique en prévision des contentieux auxquels l’État s’expose, vis à vis des sociétés de contrats public-privé. Au final, l’ardoise s’élève potentiellement à 1,258 milliards d’euros, auxquels s’ajoute ce qu’aurait dû rapporter l’écotaxe sur dix ans (sa durée de vie initialement prévue), c’est à dire près de 10 milliards d’euros.
La faillite de l’État dans les négociations
L’État a de quoi apprendre de ses erreurs, tant les failles ont été nombreuses. D’abord comme négociateur avec les différentes parties du projet, il s’est rapidement mis en position de faiblesse. Quand il veut rassurer les transporteurs en leur annonçant qu’ils pourront répercuter le coût de cette taxe sur les commandes de leurs clients, il sait sa promesse inapplicable, en raison du principe de liberté des relations commerciales.
La colère sociale devenant trop forte malgré les concessions, le gouvernement doit alors suspendre l’écotaxe « dans la précipitation pour tenter de répondre à une situation d’urgence » selon la Cour des Comptes. Cette décision est tout aussi problématique : sans concertation avec Ecomouv’, l’État se met en difficulté dans les négociations qui l’opposeront à son prestataire, sur le montant des indemnités de résiliation à verser.
Au départ cramponné à son projet d’écotaxe, le gouvernement a refusé un véritable dialogue avec ses partenaires syndicaux et privés, en envoyant de fausses promesses aux uns pour calmer la fronde des transporteurs, et en imposant des décisions unilatérales aux autres sans porter attention à sa fiabilité commerciale.
Les atermoiements du gouvernement
Ce problème de communication avec les professionnels trouve ses origines dans les hésitations du gouvernement quant à la conduite à adopter. La dégradation du déficit budgétaire annoncée fin 2013 pousse en effet le Premier Ministre à s’emparer du dossier et défendre une posture court-termiste. Alors que le ministère de l’Ecologie souhaite aller au plus vite pour avoir des chances de collecter l’écotaxe, Manuel Valls préfère retarder le plus possible le paiement des loyers à EcoMouv’.
De cette division gouvernementale résulte une position extrêmement floue pour l’année 2014 : éviter tout paiement à EcoMouv’, et ne prendre aucune décision définitive. Ecartant une solution de secours recommandée pourtant expressément par l’Assemblée Nationale, le gouvernement s’embourbe dans l’indécision. Dans ce dossier complexe et multilatéral, le gouvernement a ainsi avancé en terrain miné, sans stratégie claire, et l’ardoise est celle que l’on connaît aujourd’hui.
Happy-ending
En réponse au rapport de la Cour, Manuel Valls souligne pourtant les bienfaits de la mesure de remplacement trouvée à l’époque : la majoration du prix du gazole, qui génère annuellement 1,139 milliard d’euros de recettes (contre 1,129 milliard estimé avec l’écotaxe).
Petit problème : cette mesure sape totalement l’ambition de justice sociale de l’écotaxe. Les grands gagnants de cet abandon sont en effet les camions étrangers, qui font le plus souvent le plein dans les pays voisins où le gazole est moins cher. Les perdants sont donc les automobilistes et ces mêmes routiers français qui protestaient contre l’écotaxe, et qui se retrouvent aujourd’hui lésés par rapport à leurs concurrents.
Autre gagnant, l’État lui-même : alors qu’il s’engageait à partager les recettes de l’écotaxe avec les collectivités territoriales, cette taxe sur le gazole lui reviendra entièrement, au détriment de collectivités qui souffrent pendant ce temps de la fonte drastique des subventions.
Les bonnets rouges sont rangés
57% des Français jugeaient en novembre 2013 que l’État devait abandonner définitivement l’écotaxe (sondage CSA/Les Echos/Institut Montaigne). Cette affaire est une démonstration parfaite de l’impact que peut jouer l’environnement politico-médiatique sur la protestation populaire, et en bout de chaîne sur les politiques publiques : contre une mesure comme l’écotaxe, qui avait pourtant le mérite d’alléger le contribuable et de faire payer ceux qui usent directement les autoroutes, le débat a été totalement dévié de ses vrais enjeux.
Relayant largement les déboires du début de mandat de François Hollande, les médias ont offert un terreau fertile à la contestation. Sur-médiatisés, les « Bonnets Rouges » ont ainsi emporté dans leur sillage l’opinion publique, polarisée par ce grand mouvement de ras-le bol envers le pouvoir.
Toutefois, quand l’État instaure en remplacement une mesure qui pénalise l’automobiliste lambda et les collectivités de proximité, l’information est peu partagée dans les grands médias et ne suscite aucune polémique. Une lassitude médiatique pour un feuilleton qui avait trop tourné. Et un grand silence démocratique.
Hubert Boët
Sources :
• Marc Vignaud, www.lepoint.fr, rubrique « Economie », « Cour des comptes : le fiasco de l’écotaxe poids lourds », publié le 08/02/2017
• Hervé Chambonnière, www.letelegramme.fr, rubrique « France », « Abandon de l’écotaxe. Un gâchis d’un milliard d’euros », publié le 08/02/2017
Crédits :
1. http://www.letelegramme.fr
2. s1.lemde.fr
3. o.aolcdn.com
4. Fo.aolcdn.com
Télécratie et discours politique
Télécratie et discours politique : la standardisation de la parole gouvernante
Le tournant des années 1980 en France marque l’avènement du régime médiatique contemporain. Sous l’effet de facteurs conjoncturels tels que l’apparition d’un public de masse, l’augmentation du parc télévisuels français (on atteint 28 millions d’appareils en 1988), ou la privatisation des chaînes de télévision, les moyens audiovisuels de diffusion collective deviennent un carcan pour la politique.
Ce nouvel outil de contrôle et de surveillance du pouvoir des mandés enthousiasme la masse des téléspectateurs. Ils attendent désormais une démonstration de force ritualisée à chacune des apparitions télévisuelle des responsables politiques. Ceux-ci se doivent donc de se plier aux règles d’un exercice codifié et sans contours – la réaction.
Aujourd’hui, il est ardu pour les protagonistes de la politique de dérouler sur les plateaux de télévision de grandes idées, motivées par la défense d’un positionnement idéologique. Ce qu’on attend d’eux sont des commentaires à l’égard de l’actualité, de la dernière pique lancée par leurs adversaires ou des sondages les plus récents. En somme, il s’agit de s’adonner à des propos aussi convenus que ceux des footballers interviewés avant un match quant à leurs ambitions sur le terrain.
Au regard de cet affaissement intellectuel de la parole politique, comment qualifier et analyser les nouvelles modalités du discours des gouvernants à la télévision ?
Un évasement du discours
Selon Damon Mayaffre, spécialiste du discours politique et auteur d’un essai intitulé La Parole Présidentielle, les nouvelles modalités de l’expression politique médiatisée conduisent à une « crise du discours politique ». Celle-ci se caractérise par une ascendance de la fonction phatique du discours sur l’utilisation de concepts. En d’autres termes, le discours est dominé par l’action et la performance (dominance de l’adverbe et du pronom personnel) au détriment du contenu (très de peu de substantifs) et de la construction de syntaxique (peu de subordonnées).
Les facteurs de cette nouvelle parole politique qui semble amoindrie et affadie à la télévision sont multiples. Néanmoins, il convient d’observer que le nouveau rapport de force entre politiciens et journalistes sur les plateaux y joue pour beaucoup. La majorité des émissions se fait actuellement sur un mode dialogique, avec un journaliste, questionneur et inquisiteur, face un responsable politique sur la défensive. Celui-ci est donc constamment dans une dynamique statique de justification ou d’indignation.
À cet égard, il suffit d’observer le contraste marqué entre le respect attentif affiché par les journalistes vis-à-vis de la parole de leurs invités dans le cadre de l’émission Heure de Vérité (ancêtre des 4 Vérités) diffusée dans à partir de 1982 sur France 2 (lien ci-dessous), et les interruptions intempestives que se permettent les journalistes contraint aujourd’hui de s’improviser animateur.
Ceux-là, entravés de la même façon par un impératif de divertissement télévisuel, sont astreints à un positionnement qui tend à empêcher le déploiement d’une pensée construite chez les politiques. Il suffit de se rappeler la question (indiscrète et voyeuriste) posée par Thierry Ardisson à Michel Rocard en 2001 dans Tout le monde en parle – « sucer, c’est tromper ? » – pour évaluer le nivelage par le bas lié à la spectacularisation de la vie politique et à la transformation des journalistes en animateurs de « shows ».
François Mitterrand répond aux questions du journaliste Roger Louis, sur ORTF le 22 novembre 1965 (source : capture d’écran INA)
Une standardisation de la parole
En découle une impression d’indifférenciation de la parole des responsables politiques. Les emprunts réciproques conduisent à une inintelligibilité d’un discours creux qui neutralise le débat. On observe un appauvrissement des propos tenus, qui sont sans cesses abrégés, ramassés, compactés pour supporter l’intervention des journalistes et pouvoir être rediffusés via les chaînes d’infos en continu.
Ainsi, sur les plateaux de télévision, la tendance lourde reste la recherche du « coup de com’ » et de la petite phrase qui prime sur un discours didactique et transparent. Les « coups de gueule » de l’été 2016 poussés par les différents responsables politiques à l’égard du burkini sont significatifs en ce qu’ils attestent d’un désir de remédiatisation de la parole. Cécile Duflot faisant preuve d’un relâchement volontaire de son niveau de langage sur le plateau de BMTV, afin de renforcer l’emphase médiatique quant à des propos pourtant très banals autour de la polémique (lien ci-dessous), n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Quelles conséquences démocratiques pour ce « mal de mots » ?
Cette crise des mots semble aujourd’hui se cumuler à une crise des actes qui mine la vie politique. Notons que, bien souvent, cette incapacité à nommer le réel sans arrière pensées au sein des médias, est interprétée par les téléspectateurs comme une fuite en avant des leviers de l’action publique, entérinant le désaveu à l’égard des responsables politiques.
Plus encore, cette incapacité à manier les mots avec brio et se servir de la langue comme le moyen symbolique d’un « écart distinctif » vis-à-vis de ses concurrents, participe d’une désacralisation de la figure du politicien. La disparition d’une poétique discursive au sein de l’espace audiovisuel où l’homme politique atteint le maximum de sa visibilité, normalise, voire même banalise, la parole gouvernante et euphémise ainsi sa force de conviction et sa valeur performative.
Au regard de cela, il se pourrait donc bien que cette « crise du discours », que l’on ne peut, par ailleurs, imputer aux seuls médias, puisse receler l’un des clés de la revitalisation de la confiance et de la volonté d’investissement des téléspectateurs (amalgamés avec des électeurs potentiels) dans la vie politique. À cet égard, les insurrections d’un Jean-Luc Mélanchon, bien souvent extrêmes, témoignent d’un désir de résistance salutaire vis-à-vis des prérogatives d’une spectacularisation de la vie politique à la télévision, que bien des mandés, avec plus de nuances, pourraient imiter.
Etienne Brunot
LinkedIn
Sources :
Jacques Gerstlé et Christophe Piar, La communication politique (3ème édition), 2016, Armand Colin
Frédéric Vallois, Le langage politique malade de ses mots, 20/11/2014, Le Huffington Post
Bernard Steglier, La télécratie contre la démocratie, 2006, Flammarion
Éric Darras, Permanences et mutation des émissions politiques en France, 2005, Recherches en communication (n°24)
Joseph Daniel, La parole présidentielle, 2004, Champion
Illustrations :
Image 1 : compte Twitter de Sylvain Chazot, journaliste à Europe 1, capture d’écran de France 2 (On est pas couché) du 16/01/2017
Images 2 : INA, capture d’écran de l’ORTF de 22 novembre 1965 (libre de droits)
10 jours pour signer
FastNCurious prend position en soutien à Amnesty International
10, 9, 8, 7, 6, 5, 4… il reste trois jours à Amnesty International France pour récolter un maximum de signatures dans le cadre de son rendez-vous annuel 10 jours pour signer, grande campagne de sensibilisation en faveur de ceux dont les droits sont bafoués (du 2 au 11 décembre). Bien plus qu’un appel à la tolérance et à la compréhension de la part des dignitaires et responsables politiques de chaque pays concerné, signer, c’est reconnaître la responsabilité de certains régimes vis-à-vis de leurs citoyens, les privant de leur droit le plus fondamental : la liberté de s’exprimer.
Signer, c’est dire non aux persécutions que journalistes, reporters, blogueurs, écrivains, photographes, musiciens, graffeurs, instituteurs, et l’ensemble de la société civile subissent au quotidien dans leur pays. Signer, c’est dire non aux arrestations pour contestation et critique d’un régime, c’est dire non à l’emprisonnement sans jugement, c’est dire non aux exactions commises à l’égard de minorités privées de droits.
Mais signer, c’est aussi dire oui. Dire oui à la démocratie. Dire oui aux bouffées d’air frais dans un monde où l’asphyxie est alarmante.
« Liberté, j’oublie ton nom »
Eric Chol, du Courrier International, en introduction d’un dossier en soutien à l’action menée par Amnesty International, écrit qu’ « entre l’essor des classes moyennes et la propagation de nouvelles techniques de communication, les dictateurs n’avaient qu’à bien se tenir. Un quart de siècle [après la victoire du libéralisme politique] la roue a tourné… sans faire progresser les libertés. Nous vivons une grande régression ». Le constat est probant : le désir de démocratie s’essouffle, les voix des peuples sont étouffées et des plumes trop libres sont censurées sans aucune justification.
C’est face à ce virage totalitaire tragique qui laisse un grand nombre de victimes en hausse derrière lui, que l’Organisation Internationale Non Gouvernementale (OING) Amnesty International se mobilise pour mettre en lumière dix situations inhumaines contre lesquelles il est de notre devoir de s’insurger.
Du lanceur d’alerte Edward Snowden sur les pratiques illégales des services de renseignements américains, à l’ex-journaliste turque Eren Keskin, opposante au régime d’Erdogan et défenseur des droits des kurdes, en passant par le photojournaliste égyptien Shawkan, le camerounais Fomusoh Ivo Feh ou encore la communauté homosexuelle maghrébine, les portraits des victimes de persécutions et de l’absence de protection juridique sont détaillés sur amnesty.fr.
Le pouvoir de la société civile est grand, ne le sous-estimons pas. C’est ensemble que nous inverserons les tendances : la dictature du nombre au service du bien commun. C’est en substance le message d’Amnesty International, qui donne la possibilité à tout un chacun de rallier une cause par le biais d’une signature 2.0. Une fois le nombre de soutiens recommandé obtenu – qui semble varier en selon l’ordre de priorité que confère l’OING à chaque situation – des signaux d’alarme seront envoyés aux autorités dirigeantes des pays en question, par courrier ou via les réseaux sociaux, afin de les interpeller sur leurs pratiques.
Notre regard est une arme beaucoup plus puissante que ce que l’on croit
A cela, viennent s’ajouter un ensemble d’actions collectives organisées par les pouvoirs publics, les associations, les entreprises, visant à sensibiliser un public à petite échelle autour d’ateliers, et à récolter des signatures papier. Il est important d’apporter un soutien moral à ces personnes afin qu’elles continuent à se dresser contre le joug de l’oppresseur, à se battre pour défendre et faire valoir leurs droits. Nos droits, auxquels sera consacrée la journée du 10 décembre prochain.
Notre contribution est bien maigre, mais elle a le mérite d’exister.
On signe, et vous ?
Antoine Heuveline
Sources :
Courrier International
amnesty.fr
Crédits images :
Writeathon
La chocolatine à 10 ou 15 cents, that is the question
Toute cette polémique autour de la gaffe à la « Marie-Antoinette » de Jean-François Copé ne fait que rappeler un leitmotiv politique vu et revu : la question piège des médias posée aux hommes et femmes politiques sur le quotidien de leurs citoyens. Jean-François Copé peut être rassuré, il est loin d’être le seul !
Que ce soit Nathalie Kosciusko-Morizet et son ticket de métro, Bush père et son litre de lait ou encore Cameron et sa miche de pain, les citoyens, eux, ont les pieds sur terre et savent très bien que les hommes et femmes politiques ont une idée de leur quotidien bien éloignée de la réalité.
La relation verticale entre politiques et citoyens fait partie de l’histoire française. De Gaulle disait lui-même que les hommes politiques devaient maintenir une certaine majesté vis-à-vis de leurs électeurs. Le paradoxe, aujourd’hui, est cette volonté des hommes politiques d’assurer à leurs électeurs une horizontalité véritable et sans artifice tout en maintenant un quotidien au-dessus de celui de leurs citoyens.
Les nouveaux moyens de communication ont été une aubaine pour nos politiciens. A travers cela, ils brisent les codes d’une verticalité qu’ils veulent ancienne et démodée. Aujourd’hui, les politiciens se présentent comme étant égaux de leurs électeurs. Véritable vérité ?
Limo – Boulot – Resto
Il est évident que les politiciens sont loin de mener le même train-train quotidien que celui de leurs citoyens. La plupart des hommes et femmes politiques vivent dans une autre réalité, ne connaissent pas la peur du lendemain – du fait de leurs revenus élevés – et bénéficient de gardes du corps et de voitures de fonction à vie, de billets de transports gratuits. Pourquoi s’enquiquiner à aller faire ses courses quand tout peut être servi sur un plateau d’argent ?
Mais dans ce cas-là, chers politiciens, pourquoi faire croire à tout prix que vous vivez une vie tout à fait normale ? Il est donc là ce paradoxe ; analysons le discours de Nicolas Sarkozy entre 2007 et aujourd’hui. En 2007, Nicolas Sarkozy revendiquait qu’il n’avait pas été élu pour aller faire ses courses lui-même au supermarché, soit. Lors de son grand meeting au Zénith le 9 octobre 2016, ce dernier se range au côté de la « majorité silencieuse » et surtout se dresse contre les élites. Et par élite, il entend bien sûr celle « qui n’est guère présente dans le métro, dans les trains de banlieues » et donc pas du tout celle que les hommes d’Etat représentent…
Le discours des hommes politiques est truffé de maladresses et de contradictions. À trop vouloir se montrer proche du peuple et prétendre être comme lui, les hommes politiques se décrédibilisent.
Leur discours devrait s’accorder sur leur quotidien réel. Tout comme celui de la chancelière allemande. Il est vrai qu’Angela Merkel est l’une des rares femmes d’Etat à vivre encore comme un citoyen lambda. Son discours et son quotidien se relayent ; discrète devant la scène tout comme à l’arrière, Angela Merkel ne vit pas dans l’appartement de fonction proposé mais dans son appartement habituel, fait ses courses au supermarché et part en weekend non pas aux Maldives mais dans sa maison de campagne.
Leur problème n’est pas tant de vivre dans un palace ou non, mais d’aborder un discours
mensonger laissant croire aux électeurs que leur quotidien est similaire au leur.
Démocratie verticale ou démocratie horizontale
Entre les deux, il faut choisir. Il est vrai qu’avec le développement des moyens de communication, les hommes d’Etat sont bien plus près de nous autres citoyens et cela réchauffe le cœur (même si souvent leur technique de communication échoue…). Ces nouveaux moyens de communication sont bien efficaces ; Obama n’aurait-il pas été élu grâce à Facebook ? Les citoyens se sentent moins délaissés, mieux compris et les hommes d’Etat l’ont bien intégré.
En effet, comme le montre le sondage annuel du journal La Croix, la confiance que les citoyens ont dans les médias ne cesse de baisser. Les nouveaux outils de communication sont donc apparus comme une aubaine pour nos hommes d’Etat qui ont enfin pu se montrer à égalité par rapport à leurs électeurs et surtout se présenter sous un nouveau jour.
Nous avons Mélenchon se présentant loin des baratins mensongers médiatiques grâce à sa nouvelle émission lisse et transparente « Pas vu à la télé » ou encore François Hollande montrant qu’il sait user des moyens de communication les plus simples via son compte Snapchat.
Alors oui, dans ce cas là, nous pouvons dire que le système politique s’ « horizontalise » vis- à-vis des citoyens. Si De Gaulle voyait cela il se retournerait dans sa tombe, lui qui incarnait la démocratie dite verticale où l’homme n’est pas au cœur du quinquennat mais la nation elle et elle seule !
Mais il ne suffit pas de se prétendre plus proche du peuple uniquement à travers les réseaux sociaux. Dans ce cas, il faut que le discours aille de pair dans la vie réelle…
Et il semble qu’un changement est en train de s’opérer doucement mais sûrement : François Hollande fait partie des chefs d’Etat à vouloir limiter les privilèges de ces derniers (même s’il en a bien profité après avoir annoncé suite à son élection en 2012 qu’il resterait vivre dans son humble appartement). En effet, cinq ans après leur quinquennat, nos ex et futurs ex chefs d’Etat se verront peut-être réduire leurs privilèges : plus de voitures de fonction avec deux chauffeurs attitrés, les tickets de transports ne leur seront gratuits que dans le cadre de leur fonction.
Peut-être le début d’une politique digne et quotidienne telle que Nuit Debout voulait et veut construire…
Maëlys Le Vaguerèse
@lvgmaelys
Sources :
– Le Monde, « Hollande rabote les privilèges des anciens présidents », Hélène Bekmezian, 5 octobre 2016
– Quotidien, « Le meeting low-cost de Nicolas Sarkozy », Valentine Oberti, 10 octobre 2016
– La Croix, « Angela Merkel, une présidente normale et puissante », Marianne Meunier, 26 octobre 2016
– Mediapart, « Le pain au chocolat de Copé est-il un réel problème ? », Ficanas, 26 octobre 2016
– Challenges, « La bourde de Copé fait le tour du monde », 25 octobre 2016
Crédits photo :
– lesfeignasses, « Chocolatine ou pain au chocolat ? Fin du débat ici ! », Dataz, 5 février 2015
– 20minutes, « Dîner dans un 3 étoiles de la place des Vosges pour Hollande et Obama », N. Bg avec AFP, 1er décembre 2015
– Le Monde, « Merkel emmène le premier ministre chinois à son supermarché », Frédéric Lemaître, 11 octobre 2014
=3 : l'apprentissage de la démocratie 2.0
Les origines
Youtube naît en 2005 et avec lui la deuxième génération d’Internet : celui des réseaux sociaux, des memes, des lolcats. Le site est d’abord empli de vidéos courtes d’animaux, de chutes plus ou moins drôles dignes de Vidéo Gag, bref de vidéos qui se distinguent par leur aspect brut, sans aucun montage.
Pourtant, dès l’automne, deux individus décident brusquement d’utiliser la plateforme pour se mettre en scène et de diffuser leur talent d’humoristes, ou plutôt d’entertainers. C’est ainsi que naît la chaîne SMOSH, création de Ian Hecox et Andrew Padilla qui connaît un succès fulgurant : ce sont les premiers youtubeurs. Ils lancent un phénomène qui marque durablement notre utilisation d’Internet, une forme de stand-up renouvelé grâce à la liberté totale de format dont ils bénéficient.
Un concept novateur
En 2009, un inconnu, héritier de SMOSH, crée sa chaîne et publie sa première vidéo, avec en guise de vignette, un dessin fait sur Paint et comme titre « Kick his a$$ » (« botte-lui le cul »). Il s’agit de Ray William Johnson qui crée là un nouveau concept : le commentaire de vidéos issues d’Internet. Cette formule connaît un énorme succès et en fait une des chaînes les plus regardées et suivies au monde ; plus particulièrement, son concept novateur va être repris et décliné par des milliers de youtubeurs, comme Mathieu Sommet ou Antoine Daniel en France.
Le roi est mort, vive le roi
Après cinq années de gloire, Ray William Johnson provoque en 2014 un coup de tonnerre sur Youtube en annonçant son départ : il ne présentera plus le désormais célébrissime show « Equals Three ».
La raison invoquée ? Ray pense avoir fait le tour de son personnage et veut passer à quelque chose de nouveau. Toutefois il ne souhaite pas abandonner un projet qui est toujours très populaire et annonce donc être à la recherche d’un nouveau présentateur. L’épisode récolte plus de 10 millions de vues et des milliers de commentaires éplorés sur le départ de Ray. Le nombre impressionnant d’articles et de vidéos consacrés à son départ montre que =3 était devenu un incontournable de la pop culture. Le Daily Dot va jusqu’à affirmer: « It’s the end of an Internet era.” (“C’est la fin d’une époque sur Internet”).
La relève
C’est finalement plus de quatre mois plus tard qu’Equals Three revient, avec comme nouveau présentateur le jeune inconnu Robby Motz, dans un épisode en partenariat avec Jenna Marbles, youtubeuse américaine renommée.
Si le début fut difficile pour Robby, largement critiqué et considéré comme un présentateur de niveau inférieur à Ray, finalement le jeune homme parvient à s’imposer et à trouver son rythme. De plus en plus populaire, son départ au terme de son contrat d’un an au sein du studio Equals Three provoquera à nouveau tristesse et nostalgie chez les amateurs du show.
La pomme de la discorde
Ray William Johnson avait prévu que tous les humoristes faisant part du Equals Three Studios feraient au moins une saison de =3. Robby devait donc laisser sa place.
Ray publie alors une vidéo qui est probablement la plus grande erreur de communication de sa carrière puisqu’elle nourrira un fort ressentiment de sa communauté envers le créateur du show.
Dans « Who’s gonna host Equals Three ? » Ray laisse entendre qu’au lieu de passer par des fastidieuses auditions comme il a dû le faire pour recruter Robby Motz, cette fois il va laisser le choix à ses abonnés qui pourront choisir entre tous les humoristes qui font un sketch dans la vidéo. Les deux noms les plus récurrents dans les commentaires sont alors soit Jules (la jeune femme blonde) soit Carlos (le jeune homme brun en veste orange).
En fait, ces mots exacts sont : « Je vais laisser les acteurs de Booze Lightyear [une autre production des studios] jouer, et vous pourrez voir qui vous aimez ». Seulement, les internautes se sont enthousiasmés et ont cru qu’ils auraient leur mot à dire. Ainsi, Ray William Johnson aurait pour la première fois sur Youtube laissé les viewers faire un choix décisif pour le contenu de la chaîne.
La vidéo suivante « And the New Host is… », très attendue, paraît le 28 juillet et déçoit énormément les abonnés. En effet, le nouveau présentateur n’est autre que Kaja Martin, une des créatrices du studio, qui avait été très peu plébiscitée dans l’épisode précédent.
Ray W. Johnson avait choisi la présentatrice d’avance, sans tenir compte des avis des abonnés qui étaient à ses yeux purement consultatifs. Ceux-ci ne lui pardonneront pas de leur avoir laissé croire qu’ils pouvaient être partie prenante dans la création du studio. L’énorme déception est visible à travers les votes, qui pour la première fois dans l’histoire de la chaîne sont très majoritairement négatifs.
L’incompréhension domine dans les commentaires, les internautes se plaignant que leur choix n’ait pas été pris en compte :
Seulement, beaucoup affirment que comme Robby à ses débuts, Kaja doit faire face à une vague de rejet qui par la suite s’éteindra.
Un âpre combat
Et Kaja reprend cet argument à de nombreuses reprises dans ses vidéos suivantes, affirmant ne pas s’inquiéter outre mesure des commentaires négatifs qu’elle reçoit. Pourtant, loin de disparaître, le mécontentement grandit : si les vidéos qui suivent obtiennent une majorité de votes positifs, ce n’est que de justesse. D’ailleurs, la seule vidéo véritablement plébiscitée est celle dans laquelle elle annonce son départ en tant que présentatrice du show.
Le nombre d’abonnés baisse également, tout comme le nombre de vues. Un épisode de Ray atteignait jusqu’aux 10 millions de vues, ceux de Kaja ne parviennent jamais au million. Quant aux commentaires, ils sont en très grande majorité négatifs.
Un tournant s’opère dès mi-septembre 2015, quand le nombre de dislikes redevient plus élevé et que les abonnés expriment de plus en plus leur lassitude envers Kaja. Une certaine mode apparaît, celle de commenter à chaque vidéo de Kaja « Came, disliked, left ».
Malgré ce constat préoccupant pour le show, de manière inexplicable, Ray William Johnson s’obstine à maintenir son amie en place. Les viewers s’étonnent de plus en plus du silence assourdissant du créateur de la chaîne, au moment où l’impopularité du show devient criante : aucune vidéo n’a un ratio de votes positif depuis le 15 septembre. Les internautes montrent leur incompréhension (pour ceux qui persistent à regarder les vidéos du studio) à travers les commentaires.
Le nombre de vues ne cesse de s’effondrer et les abonnés perdent clairement patience :
La pérennité de ces critiques est exceptionnelle : alors que tout « bad buzz » finit en général au bout d’un certain temps par s’éteindre sur Youtube, le phénomène persiste depuis des mois sur la chaîne, c’est-à-dire une éternité sur Internet.
L’happy ending de Noël
La situation devenait intenable : d’abord pour les fans qui ne comprenaient pas que leur avis soit à ce point ignoré, mais aussi pour le studio, qui ne peut pas continuer à exister si le nombre de vues et d’abonnés s’effondrent sans cesse. Finalement, après cinq mois de présentation et malgré une manifeste répugnance à mettre ainsi fin au contrat de Kaja Martin, celle-ci annonce son départ.
La vidéo, intitulée « Big Announcement », amène plus de vues que d’habitude et pour la première fois depuis des mois est largement plébiscitée.
Enfin, le nouveau présentateur prend place : ce n’est autre que Carlos, l’humoriste le plus apprécié lors de la vidéo du vote. Deux semaines avant Noël, il présente pour la première fois =3.
Et c’est un véritable succès ! Le nombre de dislikes est très faible alors que les commentaires félicitent unanimement le nouveau présentateur. Seulement, =3 a du mal à se remettre du ravage causé par Kaja Martin : les vues, si elles sont un peu plus nombreuses, n’atteignent toujours pas le million. Carlos a réussi à enrayer les critiques et probablement la disparition programmée du show, mais il reste encore beaucoup à faire pour que =3 retrouve son lustre d’antan.
Le sort d’Equals Three montre les ravages que peut faire une erreur de communication ; si Ray n’avait pas laissé croire qu’un choix était possible, peut-être que Kaja Martin aurait été accueillie bien plus favorablement. Toutefois, la persistance des critiques montre qu’elle n’était réellement pas de taille à présenter le show, et Ray a commis alors une deuxième erreur. En s’enfonçant dans un silence obstiné qui lui permettait d’ignorer le problème, il a suscité incompréhension et colère chez ses fans dont beaucoup ont préféré arrêter de suivre le show. Or une émission ne vit que grâce à son public et ne peut donc se permettre de l’ignorer. Toutefois, l’histoire d’Equals Three montre que Youtube reste un média démocratique où les spectateurs parviennent, de gré ou de force, à se faire entendre.
Myriam Mariotte
Source
https://en.wikipedia.org/wiki/YouTube
https://www.youtube.com/channel/UCGt7X90Au6BV8rf49BiM6D
https://www.youtube.com/watch?v=ygufbVxFvcw
Il était une fois Internet, les hommes et la démocratie
Une fameuse utopie, où, le légendaire Internet va révolutionner notre société afin d’y introduire un épanouissement total de la démocratie. Son avènement promettait un rêve fou : le pouvoir au peuple. Lol.
Bon, c’est vrai, Internet a changé la donne.
Il nous a permis de démocratiser notre société, l’exemple le plus pertinent étant la possibilité de répondre. En contradiction avec la théorie d’une parole – médiatique – sans réponse – de la part des masses que Baudrillard présente dans son ouvrage, Pour une critique de l’économie politique du signe, la société actuelle grâce à Internet et aux réseaux sociaux, est une société d’échanges d’informations.
A cet égard, le web est un outil démocratique, donnant à chacun un nouveau champ d’expression plus libre.
Au delà de ce droit de réponse, un des exemples phare qui affirme cette démocratisation que véhicule Internet est Wikipédia. Cette encyclopédie ouverte à tous, aussi bien dans la rédaction du contenu que dans la lecture de celui-ci, est symbolique de cette révolution : le savoir pour tous.
Il est indéniable qu’Internet engendre un changement de paradigme : d’un one to many à ce que l’on pourrait qualifier d’un « many to many. » Pourtant, cette révolution culmine davantage vers un glissement des forces en présence et une redistribution des pouvoirs allant à l’encontre du sens traditionnel de la démocratie : le pouvoir au peuple. « Le pouvoir relatif des internautes » est exposé ici.
L’émergence d’une nouvelle classe.
On parle bien souvent de la dimension participative d’Internet, permettant aux internautes d’intégrer une communauté, de donner son avis, de s’exprimer. A cet égard, La société met en exergue une soi-disant démocratisation du pouvoir, alors qu’en réalité, il n’y a qu’un transfert de ce pouvoir entre des groupes qui étaient déjà plus ou moins dominants.
Cyrille Frank, journaliste, formateur et consultant, explique dans son blog médiaculture.fr, qu’Internet engendre non pas un partage démocratique du pouvoir, mais plutôt l’avènement d’une « nouvelle classe de dominants ». Adieu, donc, l’utopie d’un pouvoir également distribué entre tous.
Historiquement, l’apparition de nouveaux déséquilibres sociaux est une conséquence inhérente à un changement de paradigme. Par exemple, la bourgeoisie supplanta l’aristocratie après la Révolution Française. L’apparition d’une nouvelle classe après une grande rupture est commun dans l’Histoire.
Dès lors, même si Internet comporte une vertu émancipatrice pour les internautes, il est important de souligner le fait que cela ne concerne pas tout le monde.
Cette nouvelle classe établit son pouvoir grâce à sa maîtrise des nouvelles technologies. Ces acteurs parviennent à s’adapter au temps technologique, afin d’en vivre. Plus concrètement, Cyrille Frank désigne cette nouvelle classe par : « les jeunes journalistes 2.0, communicants et marketeux technophiles, experts et consultants en réseaux sociaux, entrepreneurs du secteur technologique… ».
L’information est un levier de domination majeur dans la société actuelle : il est assez évident que ceux qui savent la manier seront puissants.
Une illusion de pouvoir ?
Par le biais de ce droit de réponse et de participer, les internautes ont également un pouvoir, une influence sur Internet. Cependant, sommes-nous influencés ou sommes-nous totalement libres de cette parole ?
On pourrait croire qu’il n’y a pas d’obstacle à notre liberté d’expression, et pourtant, il s’avère que nous sommes toujours influencés.
Prenons par exemple le système de réponse aux médias web, tel que le commentaire sur les articles ou bien sur les réseaux sociaux. On s’aperçoit que cette influence, ce pouvoir qui nous a été donné est en réalité réutilisé par les médias web dans leur propre intérêt. « Voici le pouvoir essentiel de la forme – en ce qu’elle est l’essence même de l’information. » explique Emmanuel Souchier, dans La mémoire de l’oubli. C’est en partie cette forme codifiée qui limite notre pouvoir, et qui permet aux médias web cette réappropriation. Prenons l’exemple de Twitter et ses fameux 140 caractères, qui influent malgré nous sur le contenu de l’information que nous transmettons. En effet, qu’est-ce que donner son avis en 140 caractères ? Notre influence est donc limitée à une forme qui est déterminée par les médias eux-mêmes.
Le Community Manager, acteur de cette « nouvelle classe dominante » dont parle Cyrille Frank, peut définir sa mission par trois verbes : fédérer autour d’un intérêt commun, animer en fournissant des informations aux internautes qui sont susceptibles de les intéresser, et modérer en régulant les conversations pour que les débats restent de qualité. Autrement dit, c’est lui qui va être face à nos réactions, à notre réponse. Les trois verbes qui définissent sa mission, prouvent que notre parole est influencée par l’action du Community manager. On nous amène subtilement d’un point A à un point B, de manière inconsciente. Il y a un mécanisme derrière le système du commentaire qui n’est pas synonyme de totale liberté et donc de vrai pouvoir.
D’autre part, d’un point de vue sociologique, notre choix est déterminé par plusieurs facteurs. Cette liberté d’expression pour tous, engendre un réel problème de visibilité. Certes, nous avons davantage la possibilité de nous exprimer, mais paradoxalement notre avis est dilué dans cet océan – nouveau – d’informations. Par conséquent partager son opinion via un commentaire relève également d’un relatif narcissisme. Il y a une volonté de sortir de la masse, d’être LE commentaire, et d’avoir raison. Cette problématique est d’autant plus réelle avec la possibilité de liker les commentaires. L’acte de réponse n’est donc pas totalement désintéressé, au contraire. Il se place comme fait social, c’est à dire comme une action qui n’est pas entièrement libre puisque partiellement déterminée. Par conséquent, la possibilité de réponse qui est donnée par les médias web est à double tranchant. Elle révèle à la fois la possibilité de participer, ce qui relève de la dimension démocratique du web, mais aussi une volonté d’attirer les internautes sur leur plateforme grâce au besoin des individus d’exister parmi les autres.
On peut parler de ré-appropriation d’un pouvoir des internautes par les médias web, et c’est cette récupération qui démontre dans le même temps la limite de ce pouvoir, que l’on a tendance à surestimer.
Clémence Midière
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Sources :
La démocratie électronique est-elle une illusion ? Par Hubert Guillaud sur Homo Numericus
Nouveaux médias : une nouvelle classe de dominants par Cyrille Franck sur Mediaculture
Qui a le pouvoir sur Internet ? Par Clément Mellouet sur FastNCurious
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