Médias, Politique

Contrer la désinformation: Trump VS. médias aux dernières heures de sa campagne

Y-a-t-il eu censure lors de la présidentielle américaine 2020 ? C’est à la télévision et sur son compte Twitter que Donald Trump a tenté, la semaine dernière, de remettre en cause sa défaite en criant au complot. Alors que ses accusations de fraudes électorales étaient en passe de mettre à mal l’intégrité du scrutin américain, des chaînes d’informations et réseaux sociaux ont tenté d’endiguer ces contre-vérités. À coup de fact-cheking, de modération, de signalements, quel rôle les médias ont-ils eu dans la préservation de la démocratie et du bon déroulement de l’élection ? 

Cela fait des mois que Donald Trump couvre ses arrières : le Président semble avoir anticipé une potentielle défaite et s’est appliqué à l’élaboration d’un mythe diabolisant les Démocrates et leur candidat à l’élection. En effet, Trump affirme que les mail-in ballots – les votes par courriers anticipés fortement encouragés par le contexte sanitaire – devraient être rendus illégaux. Il a par ailleurs lui-même encouragé ses partisans à ne pas voter de manière anticipée et à se rendre physiquement dans les bureaux de vote. Cependant, ces votes par correspondance existent bel et bien depuis l’élection présidentielle de 1992. 

Une remise en cause de la parole politique de Trump 

Dans une vidéo postée sur son compte Twitter le 6 novembre, le président affirme « si vous comptez les votes légaux, je gagne facilement« . Comment les médias se sont-ils positionnés face à de telles assertions ?

D’une part, Twitter, le réseau social privilégié de Trump, a choisi de ne pas soutenir la désinformation promue par le président. Ses tweets remettant en cause la légalité du vote anticipé sont désormais masqués et protégés par un message alertant le lecteur que son contenu peut être trompeur et mener à de fausses conclusions sur les élections. « STOP THE FRAUD », « TOUT VOTE ARRIVÉ APRÈS LE JOUR DES ÉLECTIONS NE SERA PAS COMPTÉ » tweet le président le 5 novembre en lettres majuscules, comme il en a l’habitude sur la plateforme. Moins d’une heure après cette déclaration, Twitter mentionne sous ses tweets « cette allégation de fraude électorale est contestée » et « certains votes doivent encore être comptés ». Ces mentions redirigeant à des notes explicatives sont une manière de démentir les propos du président sortant, via un fact-checking (vérification des faits) rétablissant la vérité, sans pour autant supprimer ses tweets.

« Cessez la fraude »: tweet sur le compte personnel de Donald Trump, le 5 novembre 2020, signalé par l’ajout d’un pictogramme et d’une note explicative sur les votes anticipés.

En mai dernier, Trump s’était déjà indigné de la prise de position du réseau social, l’accusant de limiter sa liberté d’expression. Le PDG de Twitter, Jack Dorsay, s’est ainsi justifié : « notre intention est de pointer des déclarations contradictoires et de montrer les informations en débat afin que les gens puissent juger par eux-mêmes. »

En effet, la politique de la plateforme à l’oiseau bleu, s’appliquant à tous ses utilisateurs, informe qu’il est strictement interdit d’utiliser les services de Twitter dans le but de manipuler des élections ou d’interférer dans des élections ou d’autres processus civiques.

Donald Trump, en mai 2020, accusant la plateforme Twitter d’interférer dans l’élection présidentielle.

D’autre part, alors que le dépouillement se poursuivait, certaines chaînes d’information américaines ayant transmis un discours de Trump dénonçant à nouveau l’illégalité de l’élection, ont soudainement cessé la diffusion du discours en coupant le son et en corrigeant ses propos. Ce sont des chaînes marquées à gauche – telles que CBS, MSNBC ou ABC News – qui ont choisi d’interrompre le discours du Président en l’absence de preuves quant aux fake news qu’il relayait.

Comment comprendre cette censure sous-jacente ?

Le choix des médias de limiter la parole du président américain – élu légalement depuis quatre ans – pose cependant question. Peut-on considérer leur réaction comme une censure pure et simple des propos du président ?

Cela semble contestable. On définit généralement la censure comme le fait d’interdire partiellement ou intégralement la communication d’informations destinées au public. En ce sens, les chaînes d’information ont bien censuré Trump. Toutefois, selon Roland Barthes, « la vraie censure, la censure profonde, ne consiste pas à interdire (à couper, à retrancher, à affamer), mais à nourrir indûment, à maintenir, à retenir, à étouffer, à engluer. » On pourrait alors voir un acte de censure dans les discours mêmes de Donald Trump, qui, lui, cherche à “inventer un discours paradoxal” pour étouffer la victoire démocrate avec une déferlante de tweets criant au complot. Au sens de Barthes, ce ne sont donc pas les médias qui censureraient Trump, mais Trump qui censurerait les démocrates en noyant leur victoire sous le poids des affirmations de son propre succès.

La limitation du temps de parole du Président par les médias prendrait alors le rôle de contre-censure, c’est-à-dire qu’elle aspirerait à amoindrir l’opulence de la censure perpétuée par Trump. Si cette remise en cause décrédibilise la parole politique, le travail journalistique de fact-checking est toutefois primordial dans un moment aussi crucial qu’une élection, et dans ce contexte, pour ne pas soutenir la désinformation qui mettrait à mal la démocratie.

Message d’alerte de Twitter indiquant que « les sources officielles n’ont pas encore déclaré de vainqueur lorsque cela a été tweeté »

Les médias auraient-ils pu aller encore plus loin ?

Le fait que des médias comme Twitter ou ABC aient bloqué la parole de Trump remet en cause la liberté d’expression du président sortant aux dernières heures de sa campagne. Si cette coupure du direct et ces messages d’alerte font office de censure, Twitter aurait pu aller plus loin en suspendant définitivement le compte personnel du président, comme il l’avait fait pour le compte du podcast de Steve Bannon, l’ancien conseiller de Trump, qui avait appelé, le 5 novembre dernier, à la décapitation du Dr. Fauci et du directeur du FBI. 

Les médias ont donc ici joué le rôle de protecteur de la démocratie en refusant de relayer les fausses accusations de fraudes électorales contre le camp Biden, faisant acte de modération dans un moment clé de l’élection. Le fact-checking opéré par Twitter permet non seulement au citoyen de garder un oeil critique face aux propos tenus par Trump, mais aussi et surtout d’y jeter un discrédit relativement puissant.

Malgré tout, le président sortant compte mener ses accusations auprès de la Supreme Court pour faire entendre son avis. Par ailleurs, au terme de la présidence de Biden, qui ne durera que quatre ans, comme le nouveau président l’a annoncé, Trump pourrait se présenter à l’élection présidentielle de 2024. Il semblerait donc que l’élection de Biden ne signe pas la fin de la manière particulière de Trump de pratiquer les réseaux sociaux, ni celle de son implication avec les médias.

Saliha Mhadhbi


Sources :

https://en.wikipedia.org/wiki/Early_voting#United_States)

Compte Twitter personnel de Donald Trump

Politique de Twitter en matière d’intégration civique

 Roland Barthes, Sade, Fourier, Loyola, Seuil, 1971. https://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1972_num_26_1_1738#homso_0018-4306_1972_num_26_1_T1_0255_0000

https://www.franceculture.fr/numerique/les-reseaux-sociaux-ont-ils-suffisamment-contre-les-fausses-informations-de-donald-trump

https://www.huffingtonpost.fr/entry/steve-bannon-banni-de-twitter-apres-un-appel-a-la-decapitation-du-dr-fauci-et-du-directeur-du-fbi_fr_5fa51dd4c5b660095698c5e9

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