Le Qatar peut se flatter d’avoir réussi à jeter un voile opaque et duveteux sur sa politique intérieure.
Mohammed Aj-Jami, alias Ibn al-Dhib regrette probablement à l’heure actuelle de n’avoir pas saisi plus tôt la supercherie savamment orchestrée par cette petite nation du Golfe Persique. Arrêté en novembre 2011, condamné à la prison à perpétuité en novembre 2012 pour « atteinte aux symboles de l’état et incitation à renverser le pouvoir » suite à l’écriture d’un poème exprimant son désir d’assister un jour à une propagation du printemps arabe jusqu’aux monarchies du Golfe, il sera finalement condamné à quinze ans de réclusion par la Cour de cassation de Doha en ce 22 novembre 2013. Paradoxal dans un pays ayant fait l’apologie de ce même printemps arabe me direz-vous ? Effectivement. Mais cette frasque ne fait que faire écho à de nombreux autres écarts régulièrement commis par le Qatar : participation active avec les autres pays du Conseil de Coopération du Golfe à la création d’un test médical visant à détecter l’homosexualité afin d’empêcher la présence d’émigrés homosexuels sur leur territoire ; mais aussi implication dans de nombreux scandales dits « d’esclavage moderne », ayant notamment donné lieu à la publication le 17 octobre d’un rapport de la Walk Free Foundation affirmant qu’entre 4000 et 4500 personnes étaient actuellement réduites en esclavage moderne dans ce pays. N’oublions pas non plus que cet émirat est aussi le plus grand émetteur au monde de CO2 par personne.
En dépit de tous ces dysfonctionnements internes, les relations entre les grandes puissances européennes comme la France ou l’Allemagne et le Qatar semblent cependant n’avoir jamais été aussi bonnes. François Hollande, lors d’une visite officielle à Doha en juin 2013 qualifia ainsi la relation de son pays avec celui de l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani de « relation de confiance, de transparence et de réciprocité. ». C’est à peine pourtant si une quelconque tonalité de réprobation pu être décelée lorsque le porte-parole du quai d’Orsay affirma que la France enjoignait les autorités quatariennes de manifester un « geste de clémence » envers Mohammed Aj-Jami et rappela « l’attachement de la France à la liberté d’opinion et d’expression ».
On ne compte plus en outre les accords commerciaux passés entre le Qatar et les pays européens. A titre d’exemples, mentionnons simplement le fait que depuis 2011 le Qatar soit le premier actionnaire de Lagardère, détenant ainsi plus de 12% de son capital ; l’entrée en octobre 2013 de fonds qataris dans le capital de Volkswagen ; ou encore la première place du Royaume-Uni sur la liste des pays récepteurs de capitaux en provenance de l’émirat. De manière plus générale, rappelons également que la monarchie du cheikh Al-Thani a même été choisie pour accueillir la Coupe du Monde de football de 2022.
Comment expliquer alors cette séduction que semble exercer le Qatar sur les pays européens ?
Outre des motifs économiques évidents –l’Europe ne pouvant se permettre de refuser des capitaux étrangers en cette période de crise-, il se trouve que de nombreuses stratégies de communication furent successivement mises en place par le Qatar afin d’apparaître comme un pays moderne et résolument disposé à resserrer ses liens avec les pays européens.
La première innovation communicationnelle de génie du Qatar fut ainsi de créer en 1996 la chaîne de télévision Al-Jazeera, chaîne ayant aujourd’hui le plus haut taux d’audience au sein du monde arabe (25.23 millions de téléspectateurs en moyenne). On constate en effet que depuis sa création, Al-Jazeera semble avoir toujours eu pour vocation de servir de tribune de contestation, allant jusqu’à s’enorgueillir d’avoir activement participé au « Printemps arabe », notamment via la retransmission en direct des soulèvements. L’accueil par la chaîne des Doha Debates depuis 2011 – sorte de shows à l’américaine retransmis notamment par la BBC au sein desquels sont traités les sujets les plus controversés au sein du monde arabe – semble s’inscrire dans cette même lignée, le paroxysme de la supercherie étant toutefois atteint dans le fait que ces fameux débats soient victimes de la censure au Qatar.
Les incessantes tentatives du Qatar pour apparaître comme un pays favorable au développement des arts et de la littérature semblent également destinées à courtiser les pays occidentaux et à masquer sa propre politique intérieure. On remarque ainsi d’une part que de nombreux artistes européens -tels que Plantu- ont déjà reçu différents prix de la part de d’instances qataris, et d’autre part que les codes adoptés par le Qatar dans son développement culturel suivent bien plus une logique d’occidentalisation qu’une logique de modernisation accompagnée d’un respect des traditions et coutumes. La Cheikha Mozah bint Nasser al-Missne, mère de l’actuel émir, joue ainsi un rôle emblématique à ce sujet, notamment dans le domaine de la mode, le caractère typiquement occidental de ses tenues lui ayant ainsi par exemple valu d’être nommée deuxième femme la mieux habillée du monde par le magazine américain Vanity Fair en 2011. Il parait également intéressant de souligner qu’Al-Jazeera propose depuis quelques années un service d’e-learning destiné aux étrangers désireux de se perfectionner en arabe.
S’il est un véritable Janus des temps modernes, il s’agit donc bien du Qatar.
Héloïse Lebrun-Brocail
Sources
Lepoint.fr
expressiondz.com
courrierinternational.com
Lefigaro.fr
Bloglemonde.fr
Nouvelobs.com