notification facebook nombre
Société

Sur le net, le nombre est d'or #Fibonacci

Elles sont décidément partout. Mine de rien, elles envahissent notre quotidien. Elles sont là, sous nos yeux. Elles cherchent à attirer notre regard, captent notre attention, nous promettent l’inconnu, et disparaissent dès qu’on frôle du doigt notre écran. Elles se font parfois désirer, parfois ignorer. Les réseaux sociaux leurs font la part belle. J’ai nommé : les notifications.
Un événement près de chez vous ? Un nouveau message ? Un anniversaire à souhaiter ? Toutes les occasions sont bonnes pour chercher à influencer notre regard et notre conduite sur les écrans. Les notifications illustrent à merveille l’invasion des chiffres sur le Web. On peut difficilement balader son regard sur un écran sans qu’un nombre se glisse sous nos yeux. Tout pour nous « notifier » que la navigation n’est pas si libre qu’elle n’y paraît. Retour sur une omniprésence oppressante, ignorée ou inconsciente pour certains. 
Des chiffres en surnombre
Que ce soit sur les réseaux sociaux, sur votre Smartphone ou sur votre ordinateur, les notifications se manifestent inopinément sur tous types de support. De la nouvelle publication aux emails en passant par les Snap de vos amis, elles jaillissent de nulle part, sans prévenir. Prévenir, c’est pourtant leur principale fonction. Les notifications sont une figure d’appel ou de rappel qui nous avertissent d’une nouveauté sélectionnée, qui nous est personnellement destinée.
Parallèlement, elles sont une figure de renvoi, elles ne sont que passage. Bien au chaud, protégées dans leur bulle, elles glorifient la nouveauté et se laissent porter par l’actualité en lui laissant leur place. Mais si les notifications s’inclinent face à la puissance de l’incommensurable temps, d’autres chiffres leur enclenchent le pas. Vincent Glad, journaliste du blog hébergé par Libération « l’An 2000, Chroniques numériques », dénonce « la tyrannie des chiffres sur Internet ». L’espace est saturé de chiffres, qui sont le moteur de « l’Internet social ».

Vous avez (3) trains de retard sur votre vie
Ces (1) ou ces (4) nous donnent l’impression que quelque chose est en attente, que l’on rate des informations majeures. De là naît un trouble psychique contemporain : « la phobie des non-lus ». L’habitude face aux notifications est si ancrée que certains en deviennent obsédé, comme si chacun de ces chiffres symbolisait un retard sur notre vie en somme. Vincent Glad évoque ainsi cette obsession du zéro, de l’absence, là où le modèle de la société numérique repose sur ces chiffres annonciateurs. Si l’informatique, les réseaux sociaux et les nouveaux modèles médiatiques ont bien participé d’une certaine accélération et d’une densification de l’actualité, ils ont par la même changé notre rapport quotidien au temps et à l’activité, introduisant de nouvelles exigences de présence numérique et de réactivité à l’événement, désormais marqué par un nombre. Cette pression de l’actualité, présent dans les médias traditionnels (chaînes télévisées d’informations en continu, live tweet etc.) aussi bien que dans sur les nouveaux supports numériques, se manifeste par une nécessitée accrue de chiffrer les choses, de réaliser des infographies, de collecter des data, de présenter le « chiffre du jour » etc. tant le chiffre est devenu un marqueur de la valeur d’une information.
L’actualité en temps réel : un oxymore chiffré
Sur Internet, les chiffres sont le témoin, simple et rationnel d’une existence, d’une actualité intéressante. Les nombres nous permettent de poser un regard apaisé sur la vie et ce flux permanent et insaisissable qu’est le temps. La folie des Big Data se comprend dans cette dynamique de stabilité sur une actualité qui s’accélère. Twitter est la parfaite incarnation du lien entre l’information en continu et l’abondance de chiffres : chaque nouveau tweet est indiqué qui là ne sont plus fixes, mais qui se succèdent presque chaque seconde. La fièvre des nouveaux tweets nous gagne rapidement.

Click the animation to open the full version (via penny stocks).
Selon le site planetoscope, véritable incarnation de l’obsession pour le temps réel, née de l’interconnexion croissante des personnes, de l’intensification des réseaux et de la densification des échanges, 5900 tweets sont expédiés chaque seconde sur Twitter, soit 184 milliards de tweets par an. Une masse d’information qui vient « alimenter le flot d’informations (« big data ») publiée par l’humanité chaque jour sur internet » et faire des nombres une structure du Net.

Internet : une liberté structurée
L’exemple extrême de la phobie du non-lu explicite l’aliénation des utilisateurs envers l’Internet social. La prédominance des chiffres sur Internet est l’occasion de repenser la liberté sur cet espace. En effet, la course à l’épuisement de l’actualité est intimement liée à la question de la nouveauté, qui n’est remarquable qu’« en rapport avec ce qui est établi, institutionnalisé, ou reçu à un moment donné, l’époque est donc en jeu. » selon Philippe Mengue, philosophe et auteur de Deleuze et l’histoire de la démocratie. Les notifications et tous les chiffres présents sur le Web font partie intégrante du concept même des réseaux sociaux et de toute application qui vise l’échange et l’interaction. De nos jours, ils rythment notre quotidien et jugent, sélectionnent d’un contenu en fonction de notre profil.
Il s’agit donc de défaire le mythe de la liberté sur Internet, au regard de la force des nombres et notamment des notifications. Mais Internet pourrait devenir encore plus inégalitaire avec un Internet à péage, qui pourrait établir un Internet à deux vitesses (two-tier society).
Deux rythmes, il y en existe déjà. Team (1) ou team (2479), choisis ton camp camarade.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
L’an 2000, Libération : http://an-2000.blogs.liberation.fr/2015/12/02/la-phobie-des-non-lus/
Planetoscope.com : – http://www.planetoscope.com/Internet-/1547-nombre-de-tweets-expedies-sur-twitter.html
Crédits images :
Planetoscope
L’an 2000
Pennystocks
 

Société

#Hashtag My Ass

Depuis la mise en application de la réforme orthographique annoncée par le gouvernement, des voix s’élèvent pour défendre l’accent circonflexe. Le succès du hashtag « #JeSuisCirconflexe » révèle la polémique que suscite cette réforme. Mais pourquoi utiliser un hashtag pour réagir ou se battre ? Sait-on exactement ce que cela engage ? En réalité,  beaucoup de personnes utilisent le hashtag sans le comprendre. Alors #utile ou #insupportable ?
#Késako
Le hashtag est composé d’un signe typographique, le croisillon, accompagné d’un ou plusieurs mots-clés. Appelé mot-dièse ou mot-clic au Québec, il est un marqueur de métadonnées. Autrement dit, c’est une donnée qui permet d’en organiser une autre.  En effet, cet outil a un rôle centralisateur sur les réseaux sociaux : il trie les publications en fonction de leur thème.
Dans le cas du #JeSuisCirconflexe, si un utilisateur le place dans un tweet, ce dernier sera reconnu comme faisant réaction à la nouvelle réforme. De cette manière, le hashtag permet de relier entre eux des tweets relatifs à un sujet donné pour former l’équivalent d’une conversation. Cela permet de transformer des évènements disparates en résumé des réactions. Il y a dans cet outil une volonté d’unification et de rassemblement. Grâce à son affiliation, ce tweet sera ensuite susceptible d’atteindre un public virtuellement infini.

A l’origine, le croisillon sert à référencer des conversations sur IRC (protocole de communication textuelle sur internet) qui sont de cette manière retrouvables. Suite à la suggestion de l’un de ses utilisateurs qui voulait améliorer le filtrage de contenu, twitter a intégré cette fonction en 2007.

Il aura fallu attendre 2009 pour que Twitter commence à renvoyer le croisillon en liens hypertextes qui mène à une liste exhaustive des messages contenant le même hashtag. Facebook a suivi en 2013 et a été ensuite rejoint par Google+ ou encore Instagram.
Dans sa documentation,  Facebook donne la définition suivante : « Les hashtags permettent de transformer des sujets de discussion et des locutions en liens « cliquables » dans des publications sur votre journal personnel ou votre page. Ils permettent de trouver plus facilement des publications sur des sujets précis. ».
Le choix du symbole est intéressant parce qu’il fallait en trouver un qui puisse être produit par n’importe quel appareil : il ne restait plus qu’à choisir entre l’astérisque et le croisillon. L’usage s’étant rapidement répandu sur Twitter, un autre utilisateur propose de nommer ce signe hashtag ( que l’on pourrait traduire par “étiquette marquée par le signe dièse”).
 #Pourquoi ?
Aujourd’hui, le hashtag est devenu banal mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un simple élément de décoration. La définition du Journal Officiel de la République Française insiste sur les fonctions de ce hashtag : « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe #, qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage ».
C’est la fonction essentielle du hashtag. Suivant cette définition, il devient évident que ce hashtag est intéressant dès que l’on souhaite faire de la veille sur internet ou dialoguer autour d’un sujet important. Mais ce n’est pas son unique fonction. Chirpify en a par exemple fait un système d’achat : en récupérant les informations sur ses utilisateurs, la plateforme disposait d’une base de données pour envoyer des échantillons aux intéressés. Le hashtag peut donc s’avérer très utile mais un néophyte aura de grandes difficultés à le comprendre et à rentrer dans cette communauté d’intérêt.
De surcroît, il ne faut pas confondre le hashtag avec les détournements ironiques auxquels il est sujet. Un hashtag repose avant tout sur sa capacité d’indexation. Quand une personne utilise le croisillon pour désigner une humeur, une situation ou un contexte, on ne peut plus parler de hashtag : le symbole est utilisé de manière humoristique ou informative mais ne peut plus être désigné comme un hashtag car il perd sa fonction première. Autrement dit, on utilise le mot hashtag à n’importe quelle sauce comme l’illustre parfaitement cette vidéo de Jimmy Fallon & Justin Timberlake.

Toutefois, cela n’empêche pas de manier le hashtag suivant différents desseins. L’expression « hashtag activism », d’abord utilisée par The Guardian, désigne de façon péjorative l’utilisation militante de cet outil. Cette expression est née du décalage qui existe entre les réalités pour lesquelles se battent certains militants et l’a priori futilité de leurs actions virtuelles, ou plutôt, de leur utilisation prétendument utile du hashtag.
La manifestation n’est pas importante en soi, ce sont les rencontres humaines et réelles qu’elles provoquent qui le sont. Or, avec le « hashtag activism », il ne reste généralement que la manifestation. Dans d’autres cas, il n’est pas impossible que ce genre d’action mène à une médiation numérique. Il est trop facile d’accepter le raccourci habituel qui oppose « internet »/ « réalité » et « concret »/« virtuel ».

Pour ne citer que lui, le #BringBackOurGirls faisait écho à l’enlèvement de 200 écolières de Chibok au Nigeria par le mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, Boko Haram. Utilisé par 2 millions de twittos dont Michelle Obama, ce hashtag avait pour but d’attirer l’attention internationale et d’empêcher cette histoire de subir l’amnésie médiatique.
Mais une question subsiste. Est-ce le signifiant ou le signifié qui reste dans les mémoires ? Est-ce le #JeSuisCharlie qui reste dans les mémoires en tant qu’objet ou bien les idéaux qu’il est censé porter ?  
 #Métamorphoses
Auparavant, le croisillon était immédiatement associé au dièse en musique ou à d’autres utilisations comme aux échecs. Mais le hashtag a vite pris le pas sur les usages antérieurs du croisillon en se démocratisant sur internet. Par le passé, le symbole est donc passé du hors-ligne à l’online.

Aujourd’hui, force est de constater que le symbole rebrousse chemin. Avec sa nouvelle e-réputation, il revient sous une nouvelle forme dans le réel. Ainsi, le croisillon est souvent utilisé hors-ligne pour faire référence au symbole numérique même s’il perd sa fonction d’indexation. Il devient ainsi un symbole qui renvoie au monde d’internet et des réseaux sociaux. Il revient vers le réel avec une nouvelle forme : on le retrouve sur le packaging de certains produits et même sur la devanture de magasins.

Le hashtag n’est pas un seulement un mot-clé, il est aussi le nouveau symbole de la culture Internet remplaçant le arobase et montrant par là même la prépondérance des réseaux sociaux. Au demeurant, l’American Dialect Society (société étudiant la langue anglaise) a fait du mot « hashtag » le mot de l’année 2012.
Il est devenu un outil de langage propre à une culture sociale et médiatique. Par ailleurs certains hashtags, tout comme les expressions de la langue, ne sont pas éphémères. Par exemple, le #FAIL est utilisé pour indiquer une erreur tandis que le #NSFW indique que le message contient des liens inappropriés aux mineurs. Grâce à ce symbole, on peut aussi identifier des Trending Topics récurrents avec le #TT.
Mais le hashtag a aussi pris d’autres formes puisqu’il est passé d’internet à la télévision. Les émissions utilisent le hashtag pour permettre aux téléspectateurs d’entrer en interactivité avec leur programme et d’interagir entre eux. « Réagissez sur Twitter » est aujourd’hui un leitmotiv pour rappeler la dimension participative de la télévision. Le hashtag s’organise ici en objet médiatique. Il est une nouvelle fois privé de sa fonction première : le couple hashtag-hyperlien n’existe plus. La télévision utilise le même symbole  pour renvoyer à un imaginaire participatif sur les réseaux sociaux.
De cette manière, la télévision crée un lien avec les smartphones, les tablettes et les ordinateurs. Cette stratégie cross-média permet d’attirer le téléspectateur-internaute : une part non négligeable de téléspectateurs regarde la télévision en restant connectée à internet. Cette stratégie permet donc d’inclure cette  part dans le processus télévisuel.
Le téléspectateur peut donner son avis et même parfois participer directement à l’émission. En effet, cet outil permet de répertorier facilement les participations et les contributions des téléspectateurs qui deviennent de cette manière acteurs de ce qu’ils voient. Le téléspectateur vote mais peut aussi proposer des changements dans son émission favorite.
Il y a un autre intérêt au hashtag. Le spectateur internaute promeut de manière indirecte le programme en live sur les réseaux sociaux. De cette manière, les émissions trouvent une publicité gratuite sur internet et augmentent leur exposition. Dans son émission quotidienne, Cyril Hanouna promet aux spectateurs de gagner des cadeaux en s’inscrivant à des tirages au sort via un hashtag. Ainsi, les spectateurs ont l’impression de toucher de près l’émission puisqu’ils doivent twitter pour participer, c’est-à-dire réaliser un acte effectivement. Avec leur post, ils peuvent également amener de nouveaux spectateurs en live.
Finalement, le hashtag nous montre comment un objet peut prendre différentes formes, fonctions et détournements tout comme les parties de la langue. Pendant combien de temps coulera t-il des jours heureux sur nos réseaux sociaux ? Telle est la question.
Bouzid Ameziane
Linkedin 
Sources :
« Savez-vous parler le hashtag ? Les 20 hashtags à connaître sur Twitter », Giiks, Franck Lassagne, 7 mai 2014 
 » Hashtag et militantisme, entre existence en ligne et hors-ligne « , (Dis)cursives [Carnet de recherche], Anne Charlotte Husson,22/06/2015, consulté le 10/02/2016
 #JeSuisCirconflexe, le hashtag qui agite la toile », GQ, Chloé Fournier, Pop Culture / Actu Culture, 04/02/2016
 » Le hashtag, un outil au service des stratégies social média », CultureCrossmedia, Kevin
 » Intégrer le hashtag dans campagne de communication », Comingmag.Ch, Renee Bani, 18/11/2014
 » Comment le hashtag est devenu le symbole d’Internet », Le Figaro, Florian Reynaud, 04/08/2014
Crédits images :
– Twitter
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– Nutribe
– Zakokor / Getty Images/iStockphoto

technophobie fastncurious
Société

En guerre contre la troisième révolution industrielle

Baudelaire fustigeait le progrès : selon le poète, « cette idée grotesque » était le germe de la décadence, une funeste confusion de la matière et de l’esprit, ce qui finirait par avilir l’humanité au lieu de l’affranchir.
Du luddisme à la Silicon Valley
Bien avant l’arrivée des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), de la démocratisation d’internet et des smartphones, le sociologue Jacques Ellul parlait dès les années 1970 du basculement de la « société industrielle » vers ce qu’il appelait « la société technicienne ». Sa théorie : tout reposerait sur les réseaux d’information et non plus sur les circulations de marchandises. En somme : l’avènement de la société de communication, dont le plus grand promoteur est Jeremy Rifkin et sa notion de « Troisième Révolution industrielle », une nouvelle révolution qui se distinguerait par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
A chaque révolution sa contestation. La technophobie contemporaine serait-elle une nouvelle forme de luddisme ? Au début du 19ème siècle, l’Angleterre connaît la révolution industrielle : les machines paraissent menaçantes. Les luddistes sont des artisans qui se réunissent pour briser les machines des manufactures de l’industrie textile, vecteur de déshumanisation et symbole du capitalisme. Deux siècles plus tard, les GAFA sont le nouveau visage de la classe capitaliste.

Un néo-luddisme apparaît en conséquence : destructions de Google Car, vols de Google Glass, immobilisation des bus des salariés de Google et Yahoo. Depuis l’année dernière, les militants de The Counterforce protestent contre les GAFA et la gentrification de San Francisco dont ils sont accusés. Le propriétaire capitaliste exploitant le prolétariat est dépassé, bienvenue au technocapitaliste qui exploite nos données.
Machine à textile, informatique… La « nouvelle » technologie présente toujours le même package de maux : aliénation, totalitarisme, déshumanisation. Est-ce réellement le destin de la société ultra-connectée ? Quelle vision adopter pour la société de demain ? Le clivage entre technophiles, ambassadeurs d’un monde meilleur connecté et technophobes, à la vision dystopique et craignant sans cesse l’ombre du grand Big Brother, fait de la technologie un enjeu politique.
L’innovation : une longue histoire
L’ectoplasme des « nouvelles » technologies plane sur nos esprits depuis au moins l’antiquité. Platon critiquait la technique de l’écriture en la présentant comme une menace pour la réflexion philosophique et la mémoire : « ce qu’il y a de terrible, c’est la ressemblance qu’entretient l’écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu’engendre la peinture se tiennent debout comme s’ils étaient vivants ; mais qu’on les interroge, ils restent figés et gardent le silence. Il en va de même pour les discours. On pourrait croire qu’ils parlent pour exprimer quelque réflexion ; mais, si on les interroge, c’est une seule chose qu’ils se contentent de signifier, toujours la même. » En somme, l’écriture allait emmener la société vers un crash intellectuel.
 
Quelques siècles après, heureusement pour nous, la société continue d’évoluer, notamment dans une ère où les innovations sont marketées comme des symboles révolutionnaires, créant un clivage : il est ainsi de coutume d’opposer les technophiles, les « modernity enjoyers », aux technophobes, radicaux et réac, qui voudraient quitter le monde désincarné des smartphones en brandissant un Nokia 3310.

 
 
 
Homo connecticus
 
Cette idée de déshumanisation sociétale est prégnante dans nos médias. De multiples exemples, comme Stromae récemment, véhiculent l’idée selon laquelle le monde virtuel nous éloigne les uns des autres et arrache les individus du monde « réel ». Le progrès apparaît alors pour certains comme « subi ». La dernière tendance : la digital detox, proposée par des thalassos et des spas pour permettre un sevrage technologique en coupant toute connexion numérique pour « revenir à l’essentiel ». Le WIFI, l’empoisonnement 2.0 ?
 
Dans cette vision, Technologos, un groupe militant, a forgé sur le modèle du tabagisme passif le concept de « technicisme passif ». Leur manifeste mentionne : « Quiconque, dans son travail, se retrouve obligé d’utiliser un ordinateur pour exécuter des tâches futiles subit de plein fouet l’idéologie technicienne, qu’il le veuille ou non ». Le renversement économique qu’impliquent les nouvelles technologies correspondrait au bouleversement de l’équilibre moral de la société. Mais selon la vision antique grecque, la stabilité de l’univers est LA valeur intouchable, l’élément sacro-saint à préserver pour sauver l’humanité du chaos.

 
 
Bête noire
 
Ce scepticisme à l’encontre de l’avancée technologique ne date pas d’aujourd’hui. En 1840, l’historien Jules Michelet utilisait pour la première fois le mot « machinisme », qu’il assimile à la misère ouvrière et à l’appauvrissement intellectuel des foules. Platon es-tu là ?
 
Ainsi, à travers les siècles, les « nouvelles » technologies, particulièrement les médias, ont toujours représenté des dangers immenses pour le bien-être des sociétés. Cinéma, téléphone, télévision, internet : à chaque mode de communication sa prophétie. Pourtant, les dangers s’avèrent toujours les mêmes : les gens ne vont plus lire, les gens ne vont plus se voir, les gens s’abrutissent… A croire que l’humanité est menacée depuis des siècles.
 
Pour François Jarrige, maître de conférences en histoire contemporaine, « le progrès est idéologie ». Dans cette perspective, des journalistes ont comparé Apple à une religion, Google à un régime totalitaire. Le mythe orweillien de Big Brother n’a jamais été aussi présent qu’aujourd’hui : la technologie serait un instrument de pouvoir, de surveillance et de contrôle social. Mais un outil de communication reste un outil. Comme le couteau, la dangerosité d’un outil repose sur l’usage qu’on en fait. En réalité, personne ne craint les nouvelles technologies. C’est leur impact sur la société que l’on fantasme.
 
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm

 
 
Sources :

Mythologie et intertextualité, Marc Eigeldinger
elimcmaking.com
gizmodo.com
technologos.fr
internetactu.blog.lemonde.fr
britannica.fr
Crédits photos

I Robot, Twentieth Century Fox
Tara Jacoby
Ex Machina, Universal Pictures

le gorafi fastncurious
Société

Infaux-maniac

Les visiteurs du musée Grévin seraient autorisés à gifler les statues des personnalités qu’ils n’aiment pas chaque vendredi ! Dans sa rubrique « Dernière minute » du numéro de février 2015, Arts magazine s’indigne. « Un cahier pour écrire ce qu’on pense d’eux aurait suffi et laissé plus de traces. Je pense que les gifler ne sert pas à grand-chose ça ne vide pas ce qu’on a sur le cœur et ça détruit le travail des artistes qui ont fait ces statues. Il faut respecter leur travail même si certaines personnalités ne méritent pas d’être exposées », se désole un internaute penaud en commentaire. Cet emballement et la bévue de la dernière minute, celle de trop, font sourire les habitués du Gorafi, site d’information satirique à l’origine de l’intox. Cette méprise aurait pu arriver à beaucoup. A l’heure où la moindre information se veut aussi divertissante qu’un singe ventriloque, difficile de distinguer la satire du fait avéré…
Un engouement pour les fake news
« Russie – Une nouvelle loi sanctionne les personnes qui connaissent ou qui ont déjà vu un homosexuel », « Ouverture d’un pont de déchets en plastique entre l’Amérique et l’Asie », « Fabrice Luchini sombre dans la dépression après avoir commis une faute de liaison », « Sortie en DVD de la version longue de la pub LCL avec Gad Elmaleh »… Le Gorafi, site satirique d’ « information de sources contradictoires » créé en 2012 attire, selon ses créateurs, plus d’un million de visiteurs chaque mois avec ses articles « faux (jusqu’à preuve du contraire) ». Depuis, plusieurs sites se sont inspirés de ce concept, que ce soit bilboquet-magazine.fr, le dailyberet.fr, darons.net ou encore trollywood.fr.
Fort de son succès, Le Gorafi s’est vu offrir un créneau au Grand Journal de Canal+. Chaque lundi, Pablo Mira présente un faux sujet d’actualité – « Les politiques devront déclarer leurs pots-de-vin aux impôts », « Un élève des beaux quartiers a trois fois moins de chance de remporter une bagarre qu’un élève de ZEP », … – photomontages et propositions de loi factices à l’appui. Les codes du journalisme sont repris, le cadre de l’énonciation aussi : seul le jugement critique du spectateur (aidé par les rires de ses pairs présents sur le plateau) lui permet de déceler la farce.
Les réseaux sociaux ou l’avènement du bullshit viral
Evidemment, le succès de l’information satirique n’est pas un phénomène nouveau. Il remonte aux origines du journalisme et l’a accompagné au fil des siècles, de La Baïonnette à Charlie Mensuel en passant par l’Os à moelle et Hara-Kiri. Seulement, l’arrivée des réseaux sociaux a totalement bouleversé notre rapport à l’information humoristique.
A la différence de ses ascendants sur papier, le site web satirique laisse planer un flou sur la véracité de ses articles. Sur Le Gorafi, si l’internaute n’a pas le réflexe de faire un détour par la rubrique « A propos », seul endroit du site où il est précisé franchement que les articles sont faux, rien ne le lui indique. Or peu d’internautes se rendent sur le site – et a fortiori sur la rubrique « A propos » – d’eux-mêmes. La popularité des articles est grandement due au fait qu’ils sont massivement relayés sur les réseaux sociaux. Contrairement aux journaux, donc, les articles satiriques ne sont pas regroupés en une entité médiatique, cantonnés à un journal unique qui ne se mélange pas avec les autres, ne serait-ce que par sa matérialité. Sur Internet, les articles sont volatiles, extraits de leur site, et donc de leur contexte d’origine. Ils ne sont pas abordés avec une grille de lecture propre. Info et intox se mêlent dans nos fils d’actualité, sur Twitter ou Facebook, sans aucune hiérarchie, offrant une lecture uniforme. De plus, rien ne ressemble plus au site du Figaro que celui du Gorafi.
Sur les réseaux, on ne lit pas un article parce que la source est fiable, comme lorsqu’on achète un journal ou que l’on regarde une émission, mais pour son titre. Or dans le flux ininterrompu des réseaux sociaux, l’attention de l’internaute hypersollicité va au plus racoleur, au plus insolite, au plus inattendu. L’information se consomme vite, se dévore en un coup d’œil : on lit le titre et les premières lignes.
Et entre « Les critiques de la CNIL contre le projet de loi sur le renseignement » (Le Monde) et « La boulette de Ribéry : Nominé à l’Ice Bucket Challenge, il se renverse des Buckets du KFC et se brûle » (Footballfrance), l’œil va plus facilement au dernier. Cela pourrait être sans conséquences si les réseaux n’étaient pas la première source d’information pour beaucoup d’entre nous, journalistes compris et que souvent, l’instantanéité de l’information et son potentiel émotionnel triomphent sur sa vérification méticuleuse.
L’insoutenable légèreté du web
Les réseaux sociaux confèrent une visibilité énorme au vide ou presque, pourvu qu’il fasse rire et qu’il permette de créer du lien. C’est ce qu’a illustré l’engouement immense pour les faux évènements sur Facebook, mystérieusement nés le 15 février (et morts une semaine plus tard d’une lassitude agacée de la presque totalité des utilisateurs du réseau social). Pendant quelques jours, nos fils d’actualité Facebook se sont inexplicablement empli de faux évènements reprenant là aussi les codes du genre. « Grand concert pour enfin entendre la carotte râpée » (regroupant 20 671 participants), «Grand bal de fin d’année pour que Manuel valse », «Sommet pour savoir si l’OTAN en emporte le vent », « Rassemblement pour retrouver le pain perdu » : ils étaient plus d’une centaine à fleurir sur le réseau. Tous ces faux évènements qui ont fait le buzz n’avaient aucune raison d’être, si ce n’est de créer un sentiment de communauté et de faire rire – ou du moins provoquer un rictus –, par des jeux de mots et une culture populaire. Ces événements se sont appuyés sur une expérience commune (celle du CP et de l’apprentissage des conjonctions de coordination avec la «Traque pour retrouver Ornicar »), des références cinématographiques populaires («Grande battue pour retrouver la valise de Charlotte » (Nos Jours heureux) ou «Grand débat pour savoir si c’est une bonne ou une mauvaise situation » (Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, regroupant 46 527 participants)) ou musicales («Grand questionnaire pour savoir qui a le droit » (Patrick Bruel, 12 162 participants)).

Cette courte tendance a mis en lumière l’engouement créé par la satire et la viralité liée aux réseaux sociaux.
L’ère de l’infotainment
Le phénomène de confusion de la satire et de la réalité est renforcé par l’infotainment ambiant. Ce mot valise, composé des termes information et entertainment, renvoie au mélange de trois des quatre catégories du contenu médiatique dégagées par Daniel Bougnoux : l’information proprement dite, le divertissement et les émissions relationnelles. L’infotainment permet de ressembler les fonctions essentielles de la communication, à savoir s’informer et être ensemble, de manière ludique.
Car l’information a plus d’impact si elle est humoristique, comme c’est le cas dans Le Canard enchaîné. Il y a, dans notre société, une injonction à l’humour, forme de distinction nouvelle. Pour Gilles Lipovetsky, auteur de L’ère du vide, l’humour caractérise notre époque en tant qu’il s’est démocratisé. Pour que l’information trouve preneur, elle doit être sensationnelle. « On est naturellement attiré par ce qui nous paraît surréaliste et qui nous fait rire. C’est l’avènement de l’info de l’émotion. Les médias de masse comme leurs pendants satiriques se lancent dans une course aux infos invraisemblables parce que ça emballe la machine à clics », analyse le journaliste Vincent Glad.
En somme, il est moins aisé de distinguer le vrai du faux sur Internet du fait de notre lecture rapide mais aussi des sites d’information classiques qui relayent les informations les plus insolites possibles, bien qu’elles relèvent parfois plus du bruit que de la pertinence. Et quand bien même, la réalité dépasse parfois cruellement la satire, lorsqu’on apprend qu’un groupe d’extrémistes saccagent un musée pour réaliser une vidéo de propagande…
Néanmoins, forts de notre humiliation d’avoir pris la satire pour la réalité ou inversement, nous avons développé un sens critique plus aiguisé que celui des générations précédentes. La génération Y, et davantage encore la génération Z, sont caractérisées par leur méfiance envers les médias.
Louise Pfirsch
@ : Louise Pfirsch
Sources :
legorafi.fr
Stylist, n°064
Gilles LIPOVETSKY, L’Ere du vide, essai sur l’individualisme contemporain, Gallimard, coll. Folio Essais, éd. 2013
Crédits images :

Le Gorafi
Facebook

mark zuckerberg
Société

Mark, un ami qui vous veut du bien

 
« L’épidémie d’Ebola se trouve à un tournant critique. Le virus a contaminé 8400 personnes jusqu’à présent, mais il se répand très rapidement et certains prédisent qu’il pourrait contaminer 1 million de personnes, voire plus, d’ici plusieurs mois si rien n’est fait pour le combattre », a expliqué il y a quelques semaines Mark Zuckerberg, président de Facebook.
L’épidémie de cette fièvre hémorragique aurait déjà, selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), causé la mort de 4800 personnes, principalement au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée. Le PDG du réseau social le plus utilisé au monde (1,32 milliard d’utilisateurs) ainsi que son épouse, Priscilla Chan, avaient déjà annoncé le 14 octobre un don de 25 millions de dollars aux Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) pour lutter contre le virus. Ce n’est pas une première pour le jeune milliardaire de 30 ans qui avait été placé en 2013 en tête de la liste des plus grands donateurs de la planète par le journal américain The Chronicle of Philanthropy.
Sans doute parce qu’il est soucieux d’étendre ses ardeurs philanthropiques aux utilisateurs de son réseau social, est apparu sur Facebook, début novembre au sommet de votre fil d’actualité un nouveau bouton : « cliquez pour faire un don ».

De l’utilité du like responsable
Le simple pouce en l’air, symbole ultime du géant Facebook, a été remplacé par la même main tenant un petit coeur rose. Tout comme Marc Zuckerberg et sa femme, et comme c’est écrit, « nous pouvons participer à la lutte contre Ebola ». Nous, simples utilisateurs, pouvons faire comme eux, milliardaires. En d’autres termes, nous pouvons tous agir à notre niveau et Facebook nous facilite la tâche. Plus d’excuses et fini le slacktivisme : sur les réseaux sociaux il est particulièrement aisé de se donner bonne conscience en likant et en twittant les actualités d’une multitude d’ONG. En revanche, les actions concrètes et utiles qui en découlent sont rares.

Cette opération de collecte de fonds a été mise en place au profit de deux ONG : International Mediacal Corps et Save the Children. La première a pour but de fournir des traitements d’urgence sur place et de former les équipes médicales. Il s’agit de les « aider à stopper Ebola à sa source » et de « restaurer la santé et l’espoir chez des millions de personnes ». La seconde soigne les enfants et protège ceux dont les parents ont été emportés par la maladie. Les internautes qui souhaitent faire un don sont amenés à choisir l’une des deux. Cependant, pas question pour le géant du web de se faire de la gratte puisqu’il est précisé que « l’intégralité du montant » sera reversé à l’association.
Comme Mark Zuckerberg, Larry Page (directeur et fondateur de Google) a lancé sa propre collecte de fonds. Le principe est simple : « pour chaque dollar versé, Google donnera 2 dollars ». Le but est que la somme totale atteigne les 7,5 millions de dollars. Le mouvement a aussi été suivi par Bill Gates, co-fondateur de Microsoft.
Entreprises, humanitaire et image : une recette qui marche
Protéger et entretenir sa réputation est un enjeu majeur pour l’entreprise. Le maintien d’une bonne image de marque auprès du public et des actionnaires relève de subtiles stratégies. De plus en plus exposées et soumises à la rapidité des flux d’informations et des rumeurs, elles rivalisent d’inventivité pour se construire et véhiculer une image positive. Elles font face à des consommateurs de plus en plus méfiants et avertis qui cernent très bien leur « mauvaise foi » et la finalité commerciale de leurs campagnes. La communication corporate (ou communication institutionnelle) est d’autant plus utilisée par les géants de l’internet (Facebook, Google, Apple, Amazon). En effet, ils sont présents dans le quotidien des utilisateurs et doivent prouver à chaque instant leur légitimité et leur responsabilité sociale.

C’est dans ce contexte que l’utilisation de campagnes fondées sur l’humanitaire semble très efficace. Et les entreprises l’ont très bien compris. La cause humanitaire est difficilement critiquable. En effet, quoiqu’on en dise les résultats sont là : même si en poussant ses internautes à faire des dons, Facebook améliore son image, il n’en demeure pas moins que l’argent sera effectivement utilisé pour lutter contre Ebola. Même si Mark Zuckerberg s’est défendu de faire du marketing en répondant aux critiques sur son profil Facebook, le but est de donner au réseau social l’image d’une entreprise responsable et d’intérêt public qui se soucie des grandes causes sanitaires et sociales de son temps. Et justement, la firme en a besoin. Elle a récemment été secouée par différents scandales concernant la protection de la vie privée. En effet, le business-model de Facebook repose sur l’exploitation des données personnelles des utilisateurs et a donné lieu à de nombreuses polémiques. Outre sa supposée collaboration avec la NSA, il lui est principalement reproché de ne pas respecter la législation européenne sur la protection de la vie privée ce qui a conduit 25000 internautes à porter plainte en août dernier.

Concernant Facebook et Ebola, la véritable hypocrisie se cache ailleurs. Début octobre, un hacker, étudiant à Stanford, a révélé que Facebook était en train d’expérimenter un système de paiement entre utilisateurs sur son application Facebook Messenger utilisée par 200 millions de personnes à travers le monde. Il est fort probable que les transferts d’argent qui seront effectués grâce au « bouton Ebola » servent en réalité à mesurer la capacité du serveur à les supporter. Facebook cherche donc à investir le marché des transactions monétaires. Cela semble d’autant plus évident que le directeur de l’application Facebook Messenger n’est autre que que David Marcus, ancien PDG de Paypal.
Cette volonté de se positionner comme acteur de l’intérêt général et social au même titre qu’un Etat par son aspect paternaliste et protecteur, est très bien illustré par le slogan de Google depuis 2004 : « Don’t be evil » (« ne soyez pas malveillant » en français). Dans la charte de l’entreprise la plus puissante du monde il est d’ailleurs mentionné « il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable »… En terme de culture d’entreprise, il s’agit du pilier identitaire central du groupe. Le comble du cynisme alors qu’en juin 2013, après les révélations d’Edward Snowden, Google ainsi que Facebook et Microsoft sont accusés de participer au programme d’espionnage de la NSA en livrant des millions de données personnelles relatives à ses utilisateurs. Ce n’est pas un hasard si Larry Page, le PDG de Google, a récemment exprimé vouloir changer de slogan.
Alice Rivoire
Sources :
bbc.co.uk
persee.fr
who.int/fr
lexpress.fr
leparisien.fr
Crédits photos :
facebook.com
taxjusticeblog.org
mailactu.net

Société

Internet sous péage : entre voies express et chemins de terre

 
La « neutralité du Net »… on en a déjà entendu parler, c’est le genre d’actualité à laquelle on ne prête pas vraiment attention, un peu comme le conflit israélo-palestinien et toutes ces autres choses qui paraissent beaucoup trop compliquées pour que l’on daigne ouvrir nos écoutilles. Et pourtant, ce n’est pas faute de couverture médiatique, de nombreux travaux journalistiques tentent d’expliciter cette affaire et de sensibiliser le public à cette cause, sans grand succès.
Alors la neutralité du Net, qu’est-ce que c’est ? C’est l’un des principes de base de l’Internet : un Internet neutre où toutes les informations circulent à vitesse égale à travers les « bandes passantes », ces immenses tuyaux qui font circuler l’information en ligne. Ainsi, que l’on soit un membre des « GAFA » ; acronyme désignant à l’origine Google Apple Facebook et Amazon, mais qui est de plus en plus utilisé comme un synonyme pour désigner tous les géants du Net à mesure qu’ils se multiplient, comme Twitter et Youtube par exemple ; ou une petite entreprise, ou une association, ou encore un particulier, nous empruntons tous la même autoroute de l’information. Seulement, il y a de plus en plus de poids-lourds sur la route, Youtube par exemple occupe 13% des bandes passantes pour ses contenus vidéos volumineux et très fortement consultés. Cela entraîne un surcoût pour l’entretien et le développement des bandes, et c’est ainsi qu’aux Etats-Unis, l’organisme en charge des télécommunications, la Federal Communications Commission (FCC), entreprend de réformer l’accès à aux bandes, notamment par la création d’offres différenciées.
Certes, aujourd’hui le débat est centralisé dans le pays de l’oncle Sam, c’est à cause de l’arrivée de Netflix et de son accaparement de 32% des bandes passantes, selon le cabinet Sandvine, mais puisqu’Internet est partout, sa neutralité nous concerne tous. En 2012 par exemple, les spécialistes du numérique s’interrogeaient déjà sur le sujet sur le site Owni.
AVOIR FACEBOOK SANS AVOIR INTERNET
La fin de la neutralité du Net ce serait donc des offres différenciées, un système de péage, amenant à un Internet à deux vitesses, entre ceux qui pourront payer plus cher un débit de connexion plus rapide et un accès illimité, et les autres.

Concrètement, cela instaurerait un filtre dans lequel seuls les grands groupes marchands, comme les GAFA, pourraient entrer. Les petites boutiques en ligne et les sites à but non-lucratif (associations, forums, blogs) n’auraient pas les moyens de s’offrir la voie rapide sur Internet et seraient relégués sur les petites routes départementales. L’accès à Internet ne leur serait pas refusé mais leurs sites seraient si longs à charger qu’à terme ils finiront par perdre en visibilité et par disparaître. En effet, les internautes ont perdu l’habitude d’attendre que la page charge et ne tardent pas à aller voir ailleurs. De nos jours, Internet et rapidité vont de pair, alors ralentir quelque-chose revient pratiquement à le faire disparaître. Quant à nous, internautes, nous aurons à choisir entre plusieurs forfaits Internet. Comme le vendeur en informatique nous demande ce que nous recherchons comme type d’ordinateur, le fournisseur d’accès nous demanderait quel usage on souhaite faire de l’Internet : les mails, Facebook, Wikipédia, les sites d’information, Youtube… Vous pourriez avoir Facebook sans avoir Internet, ou envoyer des mails qui, pris dans les embouteillages, mettront plusieurs heures voire jours avant d’atteindre leurs destinataires.
LOADING… PLEASE WAIT

Les bandes passantes sont saturées, elles demandent plus d’entretien, la FCC a besoin de lever de nouveaux fonds, sa réforme tient, en tous cas sur le papier. Dans les faits, elle se heurte à plusieurs réalités.
– A terme, cet Internet à deux vitesses se transformerait en une immense galerie marchande, où tous les sites se devraient d’être ou commerciaux, ou bardés de publicité, pour rentabiliser le péage versé aux « FAI » pour fournisseurs d’accès à Internet.
– Il n’y aurait plus d’Internet du savoir, d’Internet des connaissances, d’Internet citoyen et participatif. Cet Internet-ci serait tellement lent que les internautes finiraient par ne plus s’en servir.
Et pour une fois, citoyens et grandes entreprises se rangent du même côté : comme Google qui a récemment pris position pour la défense de la neutralité du Net, la plupart des entreprises de la Silicon Valley ont un système économique qui est fondé sur les contenus postés par les utilisateurs. Ce sont les « UGC » pour User Generated Content, dont ces entreprises se font les curateurs, les éditeurs, les hébergeurs et les distributeurs. Comme Youtube qui attend qu’un internaute poste une vidéo et nous oblige à visionner des publicités avant de pouvoir y accéder, toutes ces entreprises ont besoin de la créativité des internautes pour la monétiser et être rentables. Sans la masse d’internautes elles ne seraient rien. Ainsi, sans la neutralité du Net elles ne seraient rien non plus.
Et c’est ainsi que le 10 septembre 2014, le mouvement Internet Slowdown a été lancé : aux Etats-Unis, des milliers de sites se sont mis à fonctionner au ralenti le temps d’une journée, afin de montrer à leurs utilisateurs à quoi ressemblerait l’Internet de demain et les sensibiliser à la cause. Parmi eux : Tumblr, Netflix, Digg, Mozilla, YouPorn, Etsy, Kickstarter, Vimeo… Google a également récemment pris position pour défendre l’Internet innovant et citoyen qui est permis par la neutralité du net.
En définitive, imposer un accès différencié, autant dire discriminé, au Net, irait à l’encontre des principes fondamentaux de l’Internet et des libertés. Internet construit comme outil de démocratisation de la culture, permettant au savoir et à la connaissance de circuler à travers les distances géographiques mais surtout par-delà les frontières sociales, serait bafoué. Et l’opinion publique qui se forme en ligne, serait complètement modulée par les acteurs dominants du réseau, soit, pour poursuivre le raisonnement précédent, de grands groupes commerciaux. C’est pour toutes ces raisons que depuis le 12 mars 2012 le Conseil National du Numérique – CNNum – invite le gouvernement français à reconnaître le principe de neutralité du Net comme « principe fondamental nécessaire à l’exercice de la liberté de communication et de la liberté d’expression ».
Internet est un réseau de communications où freiner revient, ni plus, ni moins, à censurer.
Marie Mougin
@Mellemgn
 
Sources:
HBO – Last Week Tonight with John Oliver: Net Neutrality
France 4 – Internet va t-il coûter plus cher ?
France Culture Plus – La neutralité du net, cheval de Troie de la Silicon Valley ?
Le Monde blogs – Netflix et YouTube seront-ils épargnés par la remise en cause de la neutralité du Net ?
Le Monde blogs – Neutralité du Net : Google sort enfin de son silence
Libération – L’Internet pour les riches, des JPG pour les pauvres
Les Echos – La neutralité du Net sur la sellette
Slate – Pourquoi ça rame quand je veux regarder une vidéo YouTube avec Free
RTBF – Internet Slowdown Day
La Quadrature du Net – Les failles fatales de la neutralité du Net selon le CNNum
La Quadrature du Net – Net Neutrality
Owni – La guerre des tuyaux
Owni – La neutralité cachée d’Internet
CNNum – Avis sur la neutralité du net
Sénat – Union européenne et monde numérique
Crédits Gifs:
Conférence Cross Campus (Santa Monica)
Battleforthenet.com

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Société

Dislike the like

 
Nouveau chapitre dans la critique contre les réseaux-sociaux. Cette fois, c’est l’artiste italien Mr Thoms qui a posté le 8 juillet dernier une vidéo dévoilant en stop-motion une fresque street-art parodiant notre comportement sur Facebook, avec dans son viseur le like.

Le message est explicite. L’artiste peint un homme menotté, enfermé dans un système d’œillère à l’effigie de Facebook, hystérisé et obsédé par la fameuse main au pouce levé accrochée devant lui.
La critique est parlante : le réseau social, loin de générer du lien, emprisonne l’individu dans une frénésie abrutissante. Il devient un dispositif d’aliénation, qui présenterait presque des similitudes avec la célèbre allégorie platonicienne. Alors, les réseaux sociaux seraient-ils la caverne des temps modernes, et les likes des simulacres de popularité ?
 Nous pouvons tous nous reconnaitre dans cette fresque : elle caricature la façon dont nous « scrutons » le nombre de likes sur nos photos, commentaires ou statuts. Elle montre combien le « like » est dans l’ère du temps, mais peut-être surtout dans celle du marché, alors que les jeux-concours exploitant le dispositif se multiplient et que les marques rivalisent en nombres de « j’aime ». Mais l’e-réputation peut-elle se résumer au like, quand on connait sa volatilité ?
 Car plus généralement, l’artiste nous interroge sur la nature de ce geste : « Liker » est un réflexe. L’intuitivité du bouton est d’ailleurs ce qui fait son succès. On adhère d’un clic, sans forcément en mesurer les conséquences. Et si aimer la publication d’un ami semble sans danger, qu’en est-il du reste ? Des publicités, des pétitions, des messages politiques ? Sans compter qu’avec Facebook, qui ne souffre pas de quelques contradictions, l’intuitif a souvent vocation à devenir éternel.
 Et finalement, qu’arrive-t-il lorsque ce réflexe sort du cadre du réseau social ? Sommes-nous, comme semble le penser l’artiste, prisonniers d’un dispositif qui affecte notre propre rapport au monde ? Augure-t-il de l’avènement d’une société du like ou du dislike, en somme du tout ou rien et de l’assentiment instantané et inconséquent ?
 Clarisse Roussel
Sources :
Konbini.com

Orangina
Publicité et marketing

La canette Anti-Foot d’Orangina

 
La marque de soda light Miss-O d’Orangina vient de lancer une canette “Anti-Foot” destinée à celles et ceux qui se désolent à l’idée que les médias ne parleront que de la Coupe du Monde pendant un mois. Alors que les marques (mais aussi les hommes politiques *) profitent de la Coupe du Monde pour redorer leur communication à moindres frais, Orangina a pris le contrepied en déclarant vouloir contrer la “dictature du ballon rond”.
 La marque de sodas est partie du principe que plus de 37 millions de Français et près de 4 milliards de personnes sur Terre ne regarderont pas la Coupe du Monde, soit une majorité. Ce point de départ a mené à la création d’une canette à part, capable de capter les fréquences des télévisions : il suffit ainsi d’appuyer sur un bouton pour mettre fin aux matchs indésirables.
C’est avant tout une opération marketing (réalisée par l’agence Fred & Farid), mais l’objet magique existe réellement. Pour accentuer le buzz, la canette n’est pas en vente mais à gagner sur Facebook ou Twitter – ce qui permet aussi à la marque de resserrer le lien avec ses fans.
Le choix d’un positionnement “anti” est original, tout en étant en parfaite adéquation avec le discours de la marque qui s’était déjà mobilisée contre le foot en 2008. Orangina s’offre par la même occasion un plaisant pied-de-nez à son concurrent Coca-Cola, sponsor officiel de la Coupe du Monde.
L’opération pleine d’humour crée du buzz autour de la marque, qui profit donc aussi de la visibilité de l’événement…
Lucie Detrain
 
*
Sources :
https://www.facebook.com/Orangina

Facebook
Société

Marches Facebookiennes

 
A la suite de la victoire du Front National aux élections européennes du 25 mai dernier, un jeune lycéen marseillais, Lucas Rochette-Brelon, a créé un évènement Facebook intitulé « marche citoyenne contre le F Haine », donnant rendez-vous à ses contacts le jeudi 29 mai. Le jour de la mobilisation prévue, l’ensemble des évènements prévus dans la plupart des grandes villes de France rassemblait 24 000 personnes qui comptaient participer. Or, ce n’est finalement que la moitié de ce chiffre qui a manifesté dans toute la France.
En revanche, si ces marches citoyennes n’ont pas suscité une forte mobilisation, elles ont su inspirer les internautes les plus taquins. Ainsi, si on trouve une critique directe : « Marche citoyenne contre les marches citoyennes », certains ont été plus inventifs avec des intitulés tels que « Marche citoyenne contre la pluie, la haine et la mort de Dumbledore » (plus de 8 000 personnes inscrites), ou la « Marche citoyenne contre les Lannister » (qui rassemble plus de 28 000 personnes).
Ces déclinaisons –en plus de leur caractère humoristique- soulignent bien le caractère virtuel de la démarche. Cliquer sur le simple bouton « Je participe » est bien plus facile que de se déplacer pour manifester dans la réalité, mais donne une illusion d’engagement, comme l’inscription à une pétition.
Après cette multiplication des marches citoyennes lancées sur Facebook, la question de l’engagement sur les réseaux sociaux se pose encore plus fortement qu’avant. L’engagement est-il sincère ou s’agit-il d’un simple élément de langage sans acte réel derrière (on parle bien d’engagement lorsque le fan d’une marque s’implique par un like ou un commentaire), d’une posture face à ses amis ou ses followers ?
Astrid Gay
Sources :
Lemonde.fr
Lexpress.fr

Société

Heureux qui, comme le stagiaire

 
J’aurais pu vous parler de la non-fusion de Publicis et d’Omnicom ou de la victoire de Conchita Wurst à l’Eurovision, deux sujets dont la sous-médiatisation évidente ne laisse pas de marbre. Mais il n’en sera rien, et tel un Eric Zemmour survolté, je prends la plume et décide de revenir aux fondamentaux. Parlons donc de choses qui fâchent. Parlons du salaire des stagiaires.
Heureux qui, comme le stagiaire, gagnera plus
Le ton est grave mais essuyez cette goutte de sueur sur votre front car les nouvelles semblent bonnes. Mardi dernier, le Sénat a adopté plusieurs amendements sur le sujet dont la mesure la plus marquante prévoit une revalorisation de l’indemnisation mensuelle de stage : exit les 436,05 euros – parce que oui, à ce niveau chaque centime compte -, les stagiaires devraient désormais toucher 523,26 euros chaque fin de mois, soit une augmentation non négligeable de 20%.
Dans la même optique, un second amendement prévoit l’indemnisation obligatoire de tout étudiant de l’enseignement supérieur effectuant un stage de plus d’un mois dans l’entreprise, contre huit semaines actuellement.
Si le collectif Génération précaire se réjouit d’ores et déjà « des avancées obtenues », les réactions sur la toile restent mitigées et beaucoup craignent un revers de la médaille. Et si ces mesures ne venaient finalement que diminuer le nombre de stagiaires et, de facto, augmenter la difficulté qu’auront les étudiants à trouver un stage ? Et si, de cette réelle intention d’amélioration, ne résultait qu’un amassement de laissés-pour-compte, composé principalement d’étudiants bac +1/+2 à la recherche d’un stage d’un ou deux mois dans une petite entreprise ?

 
 Ces quelques prises de paroles sauvages au beau milieu de notre Galaxie Internet ne devraient cependant pas changer le cours des choses, et ces amendements seront bien étudiés par la Commission Mixte Paritaire les 14 et 27 mai. Ils devraient ensuite être validés puis adoptés.
Heureux qui, comme le stagiaire chez Facebook, fait des envieux
Mais j’en conviens, opérer une quelconque généralisation n’est jamais bon. Optons donc pour la nuance. Car si la France compte plus d’1,6 million de stagiaires dont la plupart doivent pour l’instant se contenter des minces mais précieux 436,05 euros, certaines multinationales, elles, n’hésitent pas à offrir aux étudiants des sommes plus que conséquentes. Outre-Atlantique par exemple, les stagiaires de la firme de Mark Zuckerberg gagnent en moyenne 5 622 dollars par mois, soit 4 274 euros. Néanmoins, gardez pour vous vos soudaines envies de poke, il ne s’agit là que de très rares exceptions.
Heureux donc qui, comme le stagiaire, est épicurien.
Céline Male
Sources :
Leparisien.fr
Challenges.fr
Latribune.fr