Scandal, série de la chaîne ABC, lancée en 2012 : c’est la première fois qu’on voit une héroïne noire dans une série télévisée depuis les années 1970.
Entre politique de quotas et stéréotypes, la représentation des minorités ethniques dans les séries américaines dispose d’une influence culturelle certaine en raison de l’exportation massive de ces séries dans les pays occidentaux. Les politiques de quotas poussent à croire à une diversité dans la fiction télévisée, mais elles constituent plutôt une illusion que le facteur d’un changement social.
Sans réel équivalent français, ce qu’on appelle le « tokenism » est la pratique qui pousse à inclure un peu d’une minorité ethnique ou sociale dans un groupe, sans pour autant les mettre sur un pied d’égalité en termes de crédibilité ou de pouvoir. Exemple de tokenism : mettre à l’écran un noir pour qu’il représente, voire qu’il parle au nom de tous les autres noirs. Ou lors d’un congrès scientifique, mettre une femme dans une conférence pour qu’elle représente toutes les femmes de ce champ. Dans la fiction française, on peut parler de tokenism quand on rencontre un arabe qui joue « le banlieusard des cités », en somme « le beur de service » par excellence. La politique de quotas donne alors lieu à une représentation superficielle des minorités dans le monde de la fiction.
Ce changement socio-moral est pourtant essentiel. Les séries, comme le cinéma, en particulier grand public, permettent de créer une vision particulière, de produire un langage avec de nouvelles représentations. Les séries permettent aux publics de s’immerger dans des univers qui semblent reproduire la société, avec ses normes, ses aléas et ses relations humaines. Mais s’agit-il seulement de divertissement lorsqu’on sait qu’elles disposent d’un impact considérable sur les représentations sociales ? Ainsi, les fictions télévisées les remettent en cause, tel que dans Girls de Lena Dunham qui propose des figures féminines plus réalistes, ou les cristallisent, comme en France dans Scènes de Ménage où l’humour repose entre autres sur les stéréotypes genrés. Elles ne sont pas à considérer comme un miroir sociétal, mais comme un dispositif qui montre les manières de voir, et donc qui peut réellement changer les représentations et les stéréotypes, notamment ethniques.
Shonda Rhimes : le progressisme en vogue
Shonda Rhimes est réalisatrice, productrice et scénariste de télévision. A l’origine de Grey’s Anatomy, de Private Practice, du thriller politique Scandal, elle s’adresse au grand public en bousculant les normes. Dans ses histoires : des personnages homosexuels, des femmes fortes et des minorités ethniques, sans les pointer du doigt en tant que tel. Zéro tokenism dans les fictions de Rhimes. Dans sa dernière série, How to Get Away with Murder, lancée en septembre 2014 sur ABC, l’héroïne est une grande avocate, interprétée par Viola Davis. C’est une femme noire, sans en faire une particularité : pas de pathos, de pauvre fille issue du Bronx ni de lutte acharnée pour l’ascension sociale. Shonda Rhimes, à travers ses personnages, revendique alors une modernité saisissante qui jure encore malheureusement avec le reste du paysage audiovisuel américain.
Dans How to Get Away with Murder, une scène bouleversante : Viola Davis se démaquille et enlève perruque, maquillage, faux cils, comme pour enlever son armure, pour se mettre à nue devant le miroir, face à elle-même. Ni apprêtée, ni métisse, la peau foncée percute l’écran de par sa rareté. Alessandra Stanley, critique du New York Times, ne voit pas la mise à nue d’une femme, mais seulement celle d’une « noire ». Dans sa critique de la série, elle a été accusée de perpétuer le stéréotype de la « femme noire en colère ». En effet, elle commence son article par « When Shonda Rhimes writes her autobiography, it should be called “How to Get Away With Being an Angry Black Woman.”», (Si Shonda Rhimes devait écrire son autobiographie, cela s’appellerait « Comment s’en sortir en étant une femme noire en colère »).
Rhimes n’a pourtant pas ressorti le stéréotype de la femme noire en colère. Elle compose son personnage en estimant qu’il n’y a pas de choses qu’un personnage noir doit faire ou ne doit pas faire à la télévision, comme si le fait de faire exister un personnage noir devait justifier des comportements précis. Un déterminisme racial. Le personnage de Viola Davis est fort, mais aurait-on parlé de angry white woman si elle avait eu un physique occidentalisé ? La journaliste poursuit. Puisque Viola Davis a la peau plus foncée que Kerry Washington, l’héroïne de Scandal, elle est décrite par Alessandra Stanley comme « classically not beautiful » (pas une beauté classique). Euphémisme. En utilisant ces termes, elle diffuse alors l’idée d’une hégémonie de la beauté occidentale et blanche. Elle pointe directement du doigt la couleur de peau du personnage, qui n’a alors pas de lien, ni avec la narration du récit ni avec la trajectoire personnelle du personnage.
En balayant du revers de la main les standards sociaux, Shonda Rhimes et ses personnages connaissent un incroyable succès auprès du grand public américain. Elle fait partie des personnes les plus influentes du monde selon le classement du Time. Toute la programmation du jeudi soir de ABC est dédié à ses créations. Chacune de ses séries constitue un record d’audience, jusqu’à dépasser Game of Thrones. Cela montre quand même une appétence du grand public pour de nouveaux personnages, dont la couleur de peau, le sexe ou l’orientation sexuelle ne sont plus qu’une caractéristique parmi d’autres.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
lesinrocks.com
nytimes.com
publiceditor.blogs.nytimes.com
slate.com
Crédits photos :
ABC Studios
Frederick M. Brown