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Société

Nous indigner ?

 
Ces attentats à la morosité ne seront certainement pas passés inaperçus auprès des usagers du métro parisien. Et, plutôt que de saluer la prouesse technique de ce « terrorisme comique » ou de retracer la généalogie des démonstrations indignées, nous allons nous contenter de « lire » ces opérations de braconnage qui, pour ne pas être subliminales, ne sont pas moins ambigües.
La première illustration est la plus délicate à interpréter. Elle se heurte rapidement à un public sceptique et à la surprise où elle fonde son artifice. Son message est trop plausible, trop rigoureusement semblable aux messages parodiés pour que le spectateur juge de son sérieux sans appel. En fait, ce premier habillage mime les pompes et les tournures du discours officiel pour en usurper la crédibilité ; il pastiche les formes plastiques et rhétoriques de la communication institutionnelle pour en récolter la légitimité – donc le pouvoir. En somme, la reproduction du ton attendu en pareilles occasions suffit à ce que la supercherie du costume opère. Les plaisantins sont grimés ; les énonciateurs sont confondus. Or, cette dangereuse confusion, cette impossibilité à se rassurer est, en définitive, la condition du guet-apens émotionnel – cette embuscade conative – où les larrons veulent surprendre leurs spectateurs. Pour renverser la situation en leur faveur, pour séduire, ils ont besoin que les certitudes chancellent…
Les illustrations suivantes concluent la plaisanterie et aboutissent aux sourires convoités. Nous ne nous attarderons pas sur les derniers messages. Nous supposerons toutefois que la dérive du registre employé est une métaphore du déclin financier condamné… En revanche, les trois discours pris ensemble révèlent une forme de protestation originale. En effet, la guérilla discrète et sarcastique est ici préférée aux démonstrations débordantes de revendications agressives, impératives et sans nuances qui se discréditent en même temps que le système fustigé. Les chenapans reprennent à leur compte le fameux « divertir pour instruire » et appliquent à leurs revendications les dernières vogues de la communication publicitaire, mêlant morale et humour. La complicité subtile et pédagogique devient donc le mode de contestation privilégié des pirates anonymes face à un régime impuissant à se renverser spontanément… Ne laissant à ces chevaliers blancs – pourfendeurs des ordres sourds et sclérosés – que les ressources de la révolution civique – cette indignation clémente.
 
Antoine Bonino

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