Publicité, Société

Publicité et marketing : la parole aux enfants

De la figure attendrissante du petit garçon et de Maurice son poisson rouge dans la publicité de Nestlé, à celle où le fiston vente la simplicité de la nouvelle voiture électrique de Renault, on ne compte plus les publicités dans lesquelles l’enfant joue un rôle central. Cependant, le statut d’enfant-acteur dans la publicité évolue avec son époque. Ces derniers temps, il semble qu’une légère tendance se dessine : les « publicités expérimentales ». En mettant en scène des témoignages d’enfants, elles soulèvent en creux des questions de société. Des questions sur lesquelles les enfants sembleraient avoir leur mot à vendre… euh, à dire.
Une expérience sociale à caractère scientifique
Interroger les enfants sur l’expérience qu’ils ont d’un produit, l’idée n’est pas révolutionnaire. Il suffit pour le constater d’aller voir du côté de la célèbre marque de petites briques de construction Lego, qui se définit comme un « prestataire d’expériences de jeu » (« provider of play experiences »). Mais en 2014, Lego bouleverse le statut de l’enfant dans la publicité en lançant une campagne d’un nouveau genre : « l’expérience créative ». Cette expérimentation joue sur la mystique de l’épanouissement par le jeu, en nous dévoilant l’envers du décor : par-delà la brique, l’expérience du jeu.

Le principe est simple : plusieurs enfants, entre 6 et 11 ans, sont interviewés chacun leur tour sur leur expérience des Lego. L’expérience consiste alors à démontrer aux mamans que le rapport des enfants aux Lego dépasse toute la profondeur de l’imaginaire créé par l’enfant autour de la brique.
Le cadre de l’expérience et la manière dont elle est filmée révèlent la volonté de dépeindre le caractère sérieux, expérimental et presque scientifique de l’expérience : fond neutre, atmosphère lumineuse, peu de mouvement, plans caméras alternés entre le visage et le corps … Par ces procédés, la marque cherche à prendre le spectateur à témoin et à le persuader de l’authenticité et de la conformité de l’expérience, comme le faisaient les scientifiques au XVIIème siècle. Le spectateur est incité à dépasser la matérialité du jeu pour le voir comme une expérience personnelle constructive, en combattant les a priori des mères – et seulement des mères – jusqu’alors « prisonnières de la brique ».
Quand la publicité fait de la télé-réalité
Plus récemment, le concept d’expérience dans la publicité a franchi une nouvelle étape. Alors que dans le cas de Lego, l’enfant révélait au spectateur les dessous de son expérience de jeu dans une démarche plutôt scientifique, on voit désormais défiler sur nos écrans des publicités dans lesquelles ce ne sont plus des pratiques qui sont en jeu, mais une certaine conception de la société, un point de vue sur des problématiques actuelles. C’est le choix de la publicité aux 10 millions de vues sur YouTube de la marque d’hygiène féminine Always. Dans une interview, Laureen Greenfield, réalisatrice du spot publicitaire « Like a girl », récompensé aux 67ème Emmy Award dans la catégorie « Oustanding Commercial », définit clairement son projet comme une « expérience sociale », une appellation qui fait écho au principe originel de la télé-réalité.

A la volonté de donner une dimension scientifique à l’expérience s’ajoute la prétention de la publicité à devenir un vecteur de prise de conscience et d’évolution sociétale. En dénonçant les représentations de la femme comme une figure de faiblesse et de fragilité, la marque fait le pari de mettre encore plus à distance le produit matériel afin de souligner davantage les valeurs véhiculées par la marque et son engagement social. Dans la continuité de cette publicité, la période de Noël a notamment vu les Magasins U s’emparer à leur tour de la délicate question du genre en utilisant le même principe d’expérience sociale qui met à bas les stéréotypes sociétaux.

L’imaginaire de l’enfant dans les « publicités expérimentales »
Les propos de Monique Dagnaud, ex-directrice du CSA et actuelle directrice de recherche émérite au CNRS, apparaissent de nos jours difficilement contestables : « la publicité s’adresse directement à l’enfant, en fait un héros avec un comportement d’adulte, souvent plus impertinent et astucieux que ses parents ». Les spots publicitaires mettant en place de telles « expériences sociales » redéfinissent le statut de l’enfant dans la publicité. L’enfant est « surprenant de créativité » et de transcendance avec Lego, il prend conscience des stéréotypes sociétaux et en révèle les enjeux à ses parents avec Always, il éveille les mentalités et est vecteur d’évolution sociale avec les Magasins U.
Dans ces « publicités expérimentales », l’enfant ne joue plus seulement à l’adulte : il affirme son individualité et affiche des positions claires. De telles stratégies publicitaires font ressurgir l’imaginaire quelque peu oublié de l’enfant comme figure d’une innocence ponctuée de vérité.
Ces publicités ont majoritairement fait parler d’elles sur le contenu. Et c’est aussi cela leur force : pour atteindre leurs objectifs d’audience, elles réussissent à faire oublier leur nature commerciale en s’immisçant dans les conversations quotidiennes de fond.
A l’image de la publicité d’Always qui matérialise par des cubes les « cadres instituants » (Emmanüel Souchier) de la société pour mieux les détruire, il convient de mettre au jour les « cadres instituants » de ces publicités, qui, sous couvert d’une cause sociale de leur temps, utilisent la fibre émotionnelle et réveillent l’imaginaire de l’enfant comme figure de vérité, au service d’un objectif purement marketing.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
⁃ Lego – http://www.lego.com/fr-fr/aboutus/responsibility
⁃ Emmanuël Souchier (2012). La mémoire de l’oubli : éloge de l’aliénation Pour une poétique de « l’infra-ordinaire ». Communication & langages, 2012, pp 3-19 doi:10.4074/S0336150012002013
⁃ Emmy Awards – http://www.emmys.com/awards/nominees-winners/2015/outstanding-commercial
⁃ Interview Laureen Greenfield (« Like a girl ») – https://www.youtube.com/watch?v=u2wqxiq1nD8
⁃ CNRS – http://cems.ehess.fr/index.php?2639
Crédits images : 
– Capture d’écran de la vidéo LEGO – https://www.youtube.com/watch?v=pA_CZ7baFLw 

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Les Fast

« Une image vaut mille mots »… et peut rapporter gros

 
Qu’ils s’appellent stickers, emojis, émoticônes ou smileys, ces petits bonhommes expressifs ont envahi nos conversations numériques. Révolutionnant au passage nos modes de communication.
Pas de place pour l’indécision et le doute
Face à la multiplicité d’interprétations offertes par un même énoncé,  l’émoticône est venu en renfort du système de l’écriture, par essence lacunaire.  Au fil des années, il est devenu incontournable dans nos nouveaux modes de communication.
L’émetteur, par le biais de ce symbole, cherche à retranscrire visuellement son émotion – ou plutôt, ce dont il a envie de donner à voir – à son interlocuteur.  Le message est ainsi augmenté de données supplémentaires et  se fait plus lisible. Le spectre du malentendu s’éloigne.
De l’émoticône  au véritable sticker
D’abord simple signe typographique, l’émoticône, ou smiley, évolue. Les emojis, véritable police de caractère, ou encore les autocollants (« sticker » en anglais) sont ses descendants. Car aujourd’hui, ces symboles n’ont plus rien à voir avec ceux de nos premières messageries.
Un nouveau mode de communication rapidement investi par les marques
Les marques n’ont pas tardé à s’emparer du phénomène. Les avantages sont pour elles nombreux.
En mettant à  disposition de ses clients un large choix d’autocollants (le plus souvent gratuitement), elles mettent au cœur des conversations l’univers de la marque, s’offrant ainsi une publicité à moindre coût. C’est par exemple le cas des autocollants « Minions » du film Moi, Moche et Méchant, ou encore LEGO, téléchargeables gratuitement sur Facebook.
Mais, plus que publicité, l’autocollant peut se faire produit : Karl Lagerfeld, le célèbre couturier, vient de lancer en mars dernier sa ligne de stickers à son effigie, disponible après téléchargement d’une application sur smartphone.
Jusqu’où ira la marque dans sa conquête de la sphère privée de ses clients ?

Adeline Mateus
Source:
Lefigaro.fr

Publi exposition Cartier ? Le style et l'histoire
Archives

Jacques a dit : publi-expose toi !

 
La dernière mode dans le monde de l’art, ce sont les publi-expositions. Dior, Vuitton, Cartier, Roger Vivier, mais aussi Lego et Playmobil ont saisi cette opportunité : présenter leurs œuvres – ou produits, comme il vous plaira de l’entendre – dans certains des plus beaux musées, de plus en plus tentés d’ouvrir leurs portes aux entreprises – et à leurs subventions -. D’autant que les marques exposées, institutions de la mode, de la joaillerie ou encore de l’horlogerie, possèdent déjà la reconnaissance qui leur assurera un nombre d’entrées non négligeable.
Mais devant la mise en scène, le temps d’une exposition, d’un produit transformé en œuvre d’art, sommes-nous en droit d’espérer d’être pris pour plus que de simples consommateurs ?
Les marques dans nos musées : la publi-exposition au goût du jour
Le terme de publi-exposition – dont personne n’a jusqu’ici revendiqué la paternité – renvoie à celui de publi-reportage, que l’on retrouve de temps à autre dans nos médias traditionnels. Il s’agit d’articles, lesquels, n’étant pas rédigés par des journalistes indépendants mais souvent par les entreprises vendant les produits qui y sont promus, doivent comporter une mention spéciale en haut de page, pour signifier au lecteur leur caractère promotionnel.
Mais qu’en est-il alors des expositions dédiées aux marques ?
Le visiteur, émerveillé par la scénographie et les pièces exposées, n’est-il pas soumis au risque d’oublier qu’il se tient en réalité devant rien de moins qu’une orchestration commerciale ? Bien que la participation des maison de luxe à faire vivre l’art, – par le biais de  fondations, ou en tant que mécènes – ne date pas d’hier, c’est la nature même de ce mécénat qui évolue aujourd’hui, passant de la discrétion d’un logo apposé dans le coin d’une affiche, à la réquisition des murs et des vitrines des espaces culturels.
La rétrospective : publicité ultime ?
Quand on parle de luxe «  à la française » mais ailleurs également, on implique un héritage, un désir de promouvoir l’artisanat et la technicité d’une maison. Aujourd’hui,  Cartier va plus loin, et en exposant près de 600 pièces au Pavillon d’Honneur du Grand Palais, place son héritage sous une différente enseigne : celle de l’Art, de l’intemporalité.
Donner une âme au produit, lui attribuer une histoire, et le doter d’une aura artistique, le tout en faisant payer 8 euros à l’entrée.
Sans remettre ici en question l’existence de tels événements, qui ne sont pas sans intérêt, il s’agirait en revanche de se demander si, au même titre que le publi-reportage, ces expositions ne devraient pas se présenter comme telles.
Aider le visiteur à différencier l’exposition gratuite Miss Dior, où le Grand Palais avait effectivement été « loué » par la maison de couture – tout comme le Palais de Tokyo par Chanel en mai 2013 – et celle de Cartier, dont la recette des entrées revient au musée, mais dont l’apport des pièces et la scénographie ont été pris en charge par le joaillier.
Et comprendre pourquoi eux, alors que Guerlain expose actuellement dans sa maison des Champs Elysées les œuvres de 9 artistes, à l’occasion du 160ème anniversaire du flacon Abeilles, et que le grand couturier Azzedine Alaïa a préféré choisir le musée Galliera, musée de la mode de la Ville de Paris.
 
Miss Dior au Grand Palais : l’Apologie d’un parfum

« L’exposition n’est pas la promotion d’une marque, mais l’analyse d’un style…” Jean-Paul Cluzel – Président du Grand Palais

Un timing au poil
Fort heureusement, en cette période de fêtes, la tendance n’a pas envahi nos musées au point de mettre au placard les rendez-vous dédiées aux Braque, Jordaens et autres Bilal. Le doute cependant demeure, notamment lors d’un tour à l’exposition « The Art of Brick », au musée de la Bourse de Bruxelles ouverte depuis le 22 novembre. Nathan Sawaya, ancien juriste américain reconverti dans la construction Lego, y expose quelques 60 œuvres, réappropriations de monstres de l’art, ou créations. « L’une des dix expositions majeures au monde » d’après CNN, et surtout, une formidable publicité pour le fabriquant de jouet, dont les produits se retrouvent inévitablement à la boutique de l’exposition.

Incontournables ?
Malgré tout, ce procédé d’exposition de marque possède un atout indéniable, celui d’attirer au musée une nouvelle catégorie de visiteurs. Car si ces expositions ont un dénominateur commun, c’est bien celui de l’émerveillement. Là-bas, pas question de choquer, ni de bousculer outre mesure notre cortex cérébral. On en ressort avec un goût de trop peu, sans doute, mais les yeux noyés par la finesse d’un travail, l’inaccessibilité d’une maison d’exception. Aussi, dans les journaux, – auxquels on pourrait reprocher parfois d’être un peu trop en phase avec le discours marketing de la marque – une seule recommandation : « Un détour s’impose ! »
Alors, vous qui n’avez jamais songé à photographier une publicité afin de la conserver précieusement parmi vos souvenirs de vacances, repensez-y, quand vous patienterez dix longues minutes avant d’accéder à la vitrine où trône le diadème porté par Kate Middleton lors de son mariage, à l’exposition Cartier. Parce que toutes ces personnes agglutinées devant vous, elles, Smartphone au poing, n’en sont plus très loin.
 
Eléonore Péan
Sources :
Brusselslife.be – The Art of Brick
Osmoz.fr – Dior et Guerlain, un parfum pour exposition
Louvrepourtous.fr
Crédits Photos :
Une – Toutelaculture.com
Expo LEGO – Eléonore Péan

Société

A l'école des marques

 
Que peuvent avoir Lego, Free et Google en commun ? Le premier crée une école au Danemark. Le deuxième est à l’initiative de la controversée « Ecole 42 ». Le troisième ne se contente plus de Google Scholar, son moteur de recherche des articles universitaires. Il cherche à se placer dans le commerce de l’e-education par la vente de manuels. Mais comme toujours, le mastodonte d’Internet tente d’anticiper. Ainsi, en plus de s’associer avec EdX, le projet du MIT et de Harvard, Google est en train de mettre en place un site tout simplement appelé « mooc.org » qui devrait être terminé en 2014. Acte qui peut paraître anodin, mais vu l’importance que devraient prendre les MOOCs, cela revient à posséder des noms de domaines tels que ecole.com, video.net… Pour la première fois, Google ne cherche pas à créer un mot en partant de rien (YouTube) et se débarrasse de l’omniprésence de son nom (Google Mail, Google Doc, Google Music, Google Reader…)
En quoi cela va-t-il consister ? Et surtout qu’est-ce qu’un MOOC ?
Le procédé est simple. Les Massive Open Online Course sont des cours en ligne proposés par des grandes écoles : Stanford d’abord, puis Harvard, Yale, le MIT, et depuis peu, en France, Polytechnique. Ceux-ci sont rassemblés sur des plateformes, Coursera étant la plus connue. Elle commence d’ailleurs à trouver un système économique, ce qui était loin d’être évident ; car ces cours sont gratuits.
N’importe qui peut y accéder, il suffit de s’inscrire et de sélectionner des cours entre les deux catégories suivantes :

les cours « fermés » : programmés dans le temps, il n’est pas possible de les rejoindre à n’importe quel moment, et il faut être à l’heure pour le suivre. C’est le format le plus proche de celui auquel nous sommes habitués. Le professeur parle par vidéo par exemple, l’on peut poser des questions sur des forums, et il faut rendre des devoirs

les cours un peu plus sporadiques, souvent moins longs, qu’il est possible de télécharger. Ils sont moins interactifs, mais les forums sont toujours animés.

Certains de ces cours débouchent sur un diplôme numérique (oui, vous pouvez désormais être diplômé de Harvard !) qui atteste la réussite de l’étudiant.
Les MOOCs ont fait, et font toujours face à une vague de scepticisme venant de plusieurs d’acteurs. Il y a d’abord la traditionnelle peur de la dématérialisation et de la disparition du professeur, dont découle le problème de l’assiduité : rester seul devant son écran sans se divertir n’est pas chose aisée. Vient ensuite celui du financement : Coursera a décidé de faire payer les diplômes. Cela fonctionne pour les grandes écoles prisées, mais qu’en sera-t-il pour les plus petites ?
Pour autant, étant donnés les récents positionnements des marques, ce scepticisme a tout l’air d’un leurre. Si même Google décide d’investir, il y a fort à parier que ce secteur a de l’avenir.
Il est clair que l’éducation va être bouleversée par le numérique. Les MOOCs sont loin d’être la seule innovation : entre les classes qui utilisent Twitter pour communiquer et éveiller les enfants, les « serious games », les jeux éducatifs, c’est tout un nouveau marché qui s’ouvre. Etant donné le retard de l’Etat, il pourrait bien être trusté par les grandes entreprises. Reste la question éthique : est-ce sain de passer sa maternelle chez Lego et d’étudier chez (pour ?) Free ?
 
Virginie Béjot

Flops

Briques racistes

 
Jabba The (Dead) Terrorist
Dans la foulée de Django Unchained, voici que de nouvelles (et succulentes) accusations de racisme viennent frapper un grand nom de la culture mainstream.
Il était prévisible que l’usage répété du mot « nègre » dans un film de Quentin Tarantino soit voué à faire des remous. En revanche, il y avait plus de quoi créer la surprise le 19 janvier, lorsque Lego a été visé par une plainte de la Communauté Culturelle des Turques d’Autriche, à la fois dans leur pays mais également en Allemagne et en Turquie.
Quel était donc le grief de la communauté ? Le set « Star Wars 9516 » sorti l’été dernier et représentant le palais de Jabba the Hutt de Star Wars VI « Le Retour du Jedi ».

Les plaignants voyaient en effet une nette incitation à la haine raciale dans la structure du jouet et dans son packaging, avec en bloc : une architecture reproduisant à l’identique (sic) celle de Hagia Sophia (Sainte Sophie) à Istanbul, une tour de garde qui ne pouvait être que l’un des quatre minarets de la même Grande Mosquée et un mercenaire alien placé au sommet de la tour et étant à l’évidence une grossière caricature d’un muezzin à l’heure de la prière. La Communauté Culturelle poursuivait en mettant en garde contre un amalgame potentiel par les enfants entre les musulmans et les criminels sadiques habitant le palais de Jabba – le jouet étant conçu pour les 9-14 ans. On se retiendra de demander quelles conséquences ils associent au film lui-même sur la jeunesse d’hier, Star Wars VI montrant un palais nettement plus réaliste et frappant.

Probablement en raison d’une certaine perplexité, Lego a mis cinq jours à réagir pour finalement délivrer un communiqué le 24 janvier. On y lit en substance et sans grande surprise que la marque n’a jamais compté offenser qui que ce soit, que le palais ne représente que des personnages fictionnels, etc.
Déjà vu
Le communiqué ne faisait nulle mention du possible retrait du set, sans doute à cause du côté anecdotique de l’évènement. Mais, il n’en est pas toujours ainsi. On se souvient des cas de Resident Evil 5 (Capcom, 2009) et Thor (Paramount et Marvel, 2011).
Le premier avait subi les foudres du New Black Panthers Party américain, car la séquelle de la célèbre série de jeux de zombies se déroulait en Afrique, menant à la dénonciation d’ « un Blanc qui tue des Noirs en Afrique ». Malgré une communication de crise réactive, Capcom avait fini par régler la question en ajoutant une héroïne d’origine africaine, qui visiblement n’avait pour sa part rien de choquant dans sa pratique du massacre vidéoludique.

Thor avait quant à lui souffert d’une méfiance semblable au moment de son annonce : une rumeur s’était répandue sur Internet et avançait que la mise en image des dieux nordiques serait une occasion d’exalter le « White Power ». Engageant Idris Elba, dans le rôle de l’être divin Heimdall pour couper court aux critiques, Marvel avait alors ouvert la porte à de nouvelles joyeusetés. Cette fois, le coup était venu de divers groupuscules néo-nazis américains. Ces derniers clamaient que « Marvel continue sa campagne radicale, anti-blanche » en engageant un acteur à la peau noire (lequel ne s’était d’ailleurs pas gêné pour mettre cette accusation en charpie). Au reste, l’offensive continue encore à ce jour en parallèle de la production de Black Panther, nouveau film de super-héros cette fois sans aucun rapport avec l’organisation éponyme.

Jeunesse en danger
Tout cela étant dit, ne mélangeons pas tout. La Communauté Culturelle Turque a été alertée par les craintes sans doute sincères d’un père de famille autrichien. Il avait initialement reçu le jouet de sa sœur pour son fils et l’avait considéré dans cette optique. Rien à voir donc avec l’hystérie néo-nazie vue plus haut. En outre, la crise relativement récente autour de Innocence of Muslims est probablement une raison, parfaitement compréhensible au demeurant, de cette paranoïa.
Il est en revanche remarquable que les producteurs et exploitants de licences fictionnelles aient de plus en plus à se dépêtrer d’amalgames immédiats et faciles et par suite, de condamnations contradictoires. Quentin Tarantino lui-même se défendait avec cet argument dans son interview pour Slate. Il remarquait en effet que The Legend Of Nigger Charley (1972), traitant de l’esclavage comme Django Unchained, avait à l’époque été boudé pour ne pas être allé assez loin dans la dénonciation. On observe la même inversion absurde que pour le cas de Marvel, à tel point que la promotion de ce type de productions semble maintenant devoir prendre en compte la moindre interprétation déplacée.
Alors, comment éviter des Flops plus ou moins graves, comme ceux que nous avons passés en revue ? Il est évident que le classique « il s’agit d’une œuvre de fiction » n’a plus beaucoup d’efficacité. L’interconnectivité d’Internet est certes incontrôlable par les marques, mais elle ne peut être le seul coupable. Le bouche à oreille fonctionnait tout aussi bien par le passé pour créer des effets d’indignation. Mais ce sont les causes de ces indignations qui prennent des formes inédites : les jouets, le jeu vidéo…
Les exploitants de licences fictionnelles sont peut-être face à un choix draconien : aplanir leur propos et leur créativité selon une logique inexorable, ou devenir assez tentaculaires sur les réseaux pour pouvoir combattre de telles crises.
 
Léo Fauvel
Sources :
7sur7
Purepeople.com
Ozap.com
Le communiqué de la Communauté Culturelle des Turques d’Autriche

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Société

De Lennon à Lego

 
Vous vous rappelez ce clip où John et Yoko marchaient dans la brume jusqu’à cette maison blanche dont Yoko ouvrait une à une les persiennes pendant que John se mettait à chanter : « Imagine there is no country… Imagine there is nothing to kill or die for… Imagine all the people living life in peace. » Elle avait un joli bandeau dans les cheveux, il avait une belle chemise à pois. C’était chouette, c’était plein d’espoir. Un peu puérile peut-être ? Evidemment puisque le propre de l’enfance, c’est d’imaginer, à foison et sans limites. Et, en imagination tout est possible, le meilleur inclus.
Cela, Lego le sait particulièrement bien. D’ailleurs, c’est sa raison d’être et son gagne-pain. Depuis 1932, la société danoise vend de l’imaginaire, ou plutôt des supports pour l’imaginaire, à des milliers d’enfants dans le monde entier. Et, pour ce faire, il faut aussi créer un imaginaire de ces supports de l’imaginaire. Vous suivez ? Il s’agit en fait de communiquer sur la marque Lego, tout simplement. Du coup, comme beaucoup d’autres, l’entreprise lance régulièrement des campagnes, et le fait généralement avec un certain brio, cette semaine encore.
Un certain nombre de sites, dont blogenblois.fr, ont ainsi donné à voir la dernière campagne du fabricant de jouets, réalisée par l’agence allemande Jung Von Matt. En bref, de simples briques de legos sont empilées dans un espace vide. Un logo de la marque les présente, tandis qu’un laconique « Imagine » restreint le sens de l’image. La chose pourrait s’arrêter là, et cela nous paraîtrait d’ailleurs intéressant, mais les publicitaires n’ont pas osé et ont donc décidé de faire quelques références : aux Tortues Ninja, à Lucky Luke ou encore à Astérix et Obélix.
Quoi qu’il en soit, il s’agissait de montrer des possibles. La tâche était ardue et cela semble avoir galvanisé les créatifs allemands. En effet, contrairement à d’habitude, il ne fallait pas créer un univers symbolique autour d’un produit ou d’un ensemble de produits, mais montrer la possibilité de créer une gamme illimitée d’univers symboliques à partir d’un produit. Jouer, d’ailleurs, n’est-ce pas cela ? Manier des signes pour créer des réalités. Voilà pourquoi la mission est accomplie. L’agence a réussi à prouver qu’à partir de simples cubes emboîtables, il était possible de recréer un monde, celui des Tortues Ninja ou de Lucky Luke. Elle aurait été plus ambitieuse encore en se passant de ces références, mais le risque à prendre était sûrement trop grand. N’est pas autorisé à être Kandinsky qui le veut.
En travaillant ainsi, elle a également réussi à mettre en valeur son produit dans sa simplicité. Ce qu’on voit, ce sont de prosaïques legos, mais montrés ainsi ils donnent envie. Pas d’ambassadeurs de la marque, pas de lourd storytelling mais le produit, simplement le produit, et ses potentialités. Du coup, pas de problème d’attribution. Pas de séduction inutile, on sait qui s’exprime et on s’en rappelle. En outre, c’est à partir de ce produit qu’est créé le territoire de la marque. C’est un autre point fort de cette campagne. On ne fait pas entrer le produit dans un univers, on le fait créer lui-même cet univers et ainsi il en reste le centre, le point d’attraction, sur lequel se concentre l’attention du consommateur.
Mais, qui est le consommateur ? L’enfant, son parent, son grand-parent ? Pour les concepteurs de cette campagne, la réponse semble être assez claire. Le niveau d’abstraction du visuel comme du slogan les rendent peu accessibles à des bambins. C’est donc bien ici l’adulte qu’on vise, en lui donnant l’idée que son enfant va développer des capacités, accéder à des imaginaires. En somme, « le groupe Lego s’engage à développer la créativité des enfants par le jeu et l’apprentissage. » C’est écrit sur le site, noir sur blanc, et cela confirme au moins une chose : la publicité n’est pas un art. Il reste au moins cela à John…
 
Romain Pédron

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