Société

L'affaire Virgin

 
Les faits
La catastrophe avait pourtant été annoncée. Le 7 janvier 2012, la direction de Virgin réunit un comité exceptionnel d’entreprise. Ca y est, l’entreprise est en cessation de payement. Et les choses ont continué. Personne ne semblait remarquer l’absence de ces vitrines, au Louvre ou sur les Champs. Une grève des employés avait bien eu lieu, dès décembre, suite à la résiliation du bail du magasin phare de l’enseigne sur la grande avenue parisienne, mais en vain. Virgin devrait subir la valse des repreneurs et propositions, comme une entreprise traditionnelle. Pourtant, l’entreprise a bien connu son heure de gloire, même si les profits n’étaient plus au rendez vous (« plus que » 286 millions d’euros en 2011). Lors de son ouverture il y a quinze ans sur les Champs Elysées, Virgin était déjà décrit comme « le plus grand magasin de musique du monde ». Mais on en aurait presque oublié ce paradis tombé en ruine… Jusqu’à cette semaine, qui signèrent les derniers soubresauts d’une lente agonie.
Le 13 mai à minuit, l’enseigne qui cherche à rentabiliser le peu de temps qui lui reste à vivre, et pensant attirer par cette opération d’avantage de repreneurs décide d’organiser une grande braderie. Jusqu’à -50% sur tout le magasin, et -20% supplémentaire pour les détenteurs de sa carte de fidélité. La suite se passe de commentaires :
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Virgin, cadavre exhalant, est maintenant surmédiatisé. L’article de Rue89 met en lumière les nombreuses violences de cette journée de folie : magasin pillé, modèles d’exposition arrachés, vitrines détruites… Mais surtout, l’effet sur les salariés, traités comme de vulgaires coursiers. L’enseigne a du fermer ses portes a 19h pour filtrer l’intégralité des clients restant, et les employés n’ont vraiment terminé leur journée qu’à 22h.

Le bilan ? Une offre vite retirée, et une agonie qui n’en finit plus. En effet, le lendemain de la vente, le potentiel principal repreneur de la marque, Rougier et Plé, a retiré son offre. Cette dernière concernait notamment la survie du principal magasin parisien. Et aucun autre repreneur ne s’est fait connaître à ce jour.
A qui profite le crime ?
Il est relativement simple d’expliquer cette descente aux enfers de Virgin. « Le plus grand magasin de musique du monde » existe toujours, mais dans nos ordinateurs. L’iTunes Store a explosé, là où la marque écarlate a peiné à prendre le virage, préférant se spécialiser, sur la téléphonie mobile par exemple.
Mais bien plus que le simple prix des loyers de ses magasins pointé du doigt par la direction, il y a un grand coupable. Son nom est sur toutes les lèvres : Amazon. En effet le géant américain propose des prix défiant toute concurrence, et pour cause : grâce à de l’optimisation fiscale et diverses astuces, le groupe ne paye que de modiques sommes d’impôts à des pays où il emploie pourtant des centaines de personne et possède plusieurs grosses infrastructures. Et cela commence à irriter. En Angleterre, la marque au sourire a décidé de rendre publique son imposition. Et celle-ci fait réagir : Amazon a payé 2,4 millions de livres (2,8 millions d’euros) d’impôt sur les sociétés l’an dernier alors que le chiffre d’affaires de sa filiale britannique s’est élevé à 320 millions de livres. Il semble alors impossible pour des groupes comme Virgin de rester compétitif en face de telles marques, omniprésentes en ligne.
Qui est le suivant ?
Virgin n’est pas seul. Une autre enseigne vacille et pourrait bien connaître le même sort. La FNAC est elle aussi en danger. Depuis 2007, le groupe multiplie les plans sociaux, et ses bénéfices continuent à chuter. Au total, plus de 1500 salariés ont déjà été reclassés ou licenciés. Depuis 2009 une épée de Damoclès plane sur le groupe. Son propriétaire, François-Henri Pinault a annoncé son intention de vendre le groupe au Wall Street Journal. Malgré de nombreuses offres et une présence importante en ligne, la FNAC n’arrive pas à endiguer la saignée de ses clients vers l’eldorado Amazon. La bataille pour la survie des enseignes de distribution culturelle n’est donc pas finie. Elle ne fait que commencer.
 
Clément Francfort

Culture

Jacques a dit que Balzac et Zola allaient devenir des panneaux publicitaires

 
Rien d’étonnant dans le fait de trouver des doubles pages de publicité dans Glamour, ni même dans votre M du weekend : les annonceurs commerciaux ciblent toutes les composantes du spectre de la presse écrite sans faire les fines bouches, en visant néanmoins les titres correspondant à leur secteur d’appartenance et aux publics qu’ils souhaitent toucher – leurs clients potentiels. Cette stratégie permet effectivement d’atténuer le caractère invasif de leurs appels d’offres qui, tombant à propos, dérangent moins les lecteurs. Prenons l’exemple archétype des magazines féminins : si nombreuses sont les lectrices – et nombreux les lecteurs ? – qui témoignent de leur exaspération face à l’absence de contenu éditorial et se plaignent de l’invasion des annonces, il n’en reste pas moins qu’elles font aujourd’hui partie intégrante du corps de ce genre de titres, jusqu’à paraitre naturelles. Ces magazines constituent des supports publicitaires particulièrement opportuns – des écrins publicitaires si bien conçus que les publicités appartiennent désormais au contrat de lecture. Et notons que ce qui est vrai pour Elle ou Grazia l’est aussi pour Auto-Journal ou Science & Vie Junior. Il serait cependant injuste, inutile voire même insensé de faire de ce constat un blâme : la presse écrite a autant besoin des ressources que lui procure la publicité que les annonceurs des supports qu’elle leurs offre – ils sont nécessaires à leur existence respective. L’ensemble du système de la presse écrite repose sur cette interdépendance qui, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, lui permet de conserver sa liberté – son autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques.
Rien d’étonnant, donc, à trouver de la publicité dans les journaux ou dans les magazines – seuls les lecteurs du Canard Enchaîné ou de Causette y échappent. Mais que diriez-vous de voir apparaitre une annonce pour Nescafé, Mr Propre ou encore Durex dans un livre ?
C’est ce qui vous attend si vous avez adopté les eBook readers, ces liseuses numériques à ne pas confondre avec les tablettes, qui possèdent bien plus de fonctions et sont dotées d’applications. Il vous est par exemple impossible de jouer à Angry Bird sur le Kindle d’Amazon ou sur le Kobo de la Fnac ; et je crains qu’elles ne vous permettent pas non plus de consulter vos comptes, de géo-localiser le McDo le plus proche ou de live-twitter un meeting de Mélenchon. Notons cependant que les liseuses offrent un réel confort de lecture : leur écran n’est pas rétroéclairé, et les yeux ne fatiguent pas. Si elles ne multiplient pas les fonctions, c’est donc pour mieux assumer la leur.
J’entends d’ici les puritains crier au scandale – « un support numérique ne remplacera jamais le livre ! ». Et je ne peux qu’acquiescer.
Les eBooks ne remplaceront pas les livres – ce n’est d’ailleurs pas leur vocation. Les contenus numériques sont transportables plus facilement, et moins chers – tout simplement. Et c’est à la lumière de ces avantages qu’il faut reconsidérer et juger les liseuses.
Mais nous ne sommes pas ici pour faire leur procès. Signalons néanmoins que le fait qu’il n’y ait pas encore de tradition attachée au livre numérique laisse la porte ouverte à des pratiques auxquelles on n’aurait jamais songé avec les livres papiers – c’est le cas de la publicité.
Les éditeurs numériques songent effectivement à autoriser l’insertion de publicités au sein même des eBooks. Ainsi, lorsqu’un personnage du roman que vous lirez sirotera une tasse de thé, il se pourra qu’apparaisse sur la page de votre liseuse une annonce, ou le lien vers une annonce de la marque Earl Grey. De même, si le décor de l’action est planté à San Francisco, vous pourriez voir s’afficher sur votre écran une publicité pour une chaîne d’hôtels prestigieux de la ville, ou pour une agence de voyage américaine …
Une telle nouvelle donne envie de crier au scandale, je vous l’accorde. La première réaction ne peut être que le refus épidermique : souiller ainsi le livre, cet objet sacré – sacralisé ?
Les éditeurs numériques mettent en avant la baisse des coûts : une telle pratique permettrait de diminuer le prix des eBooks, et donc de faciliter l’accès à tous aux contenus et à la culture. Rappelons que la T.V.A. sur les livres vient d’augmenter, passant de 5,5% à 7%…
Que penser d’une telle mesure ? Faut-il distinguer les livres papiers des livres numériques, et accepter de faire une place aux annonceurs sur le territoire bien gardé du livre, via les eBooks ? Sans doute serait-il plus judicieux de ne pas établir de différence fondamentale entre les deux types de supports, pour plusieurs raisons : cela permettrait d’abord de revaloriser le livre numérique, qui souffre d’un manque essentiel de reconnaissance et de crédit par rapport au livre papier. Et puis, si l’on autorisait l’insertion de publicités dans les eBooks, pourquoi la refuserait-on, à long terme, dans les livres traditionnels ? …
 
Elodie Dureu

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