Société

Detachment

Henry Barthes (Adrien Brody) est un jeune professeur d’anglais remplaçant. Chargé d’élèves plus que turbulents d’un lycée difficile de la banlieue new yorkaise, c’est dans un environnement hostile qu’il fait son apparition. Dans cet établissement, il fait la rencontre d’une proviseure à bout de nerfs et de profs désarmés devant le désintérêt flagrant des élèves, mais également celui du gouvernement américain qui a littéralement abandonné sa mission éducative.
« Jamais je n’ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde », une phrase d’Albert Camus reprise dans le film pour illustrer la position de détachement adoptée par ce professeur qui refuse de s’engager dans une cause perdue d’avance mais qui continue son combat dans l’espoir d’atteindre ces élèves qui ont délaissé les bancs de l’école pour leur rêves de richesse et de célébrité.
Henry Barthes (la référence à Roland Barthes est évidente) donne désespérément cours devant une classe virtuellement vide : des élèves qui ont métaphoriquement quitté la salle de classe par démotivation, manque d’intérêt ou tout simplement par réalisme concernant leur avenir et se sont réfugiés dans la violence verbale, la recherche de l’affrontement et la recherche des plaisirs instantanés.
Les professeurs, qui ressentent un véritable sentiment d’impuissance et d’abandon, se battent pourtant et refusent de déposer les armes. Par des moyens tout aussi brutaux que la violence morale à laquelle ils sont confrontés chaque jour, ces professeurs tentent de ramener leurs élèves à la raison, comme on peut le voir dans le passage où Lucy Liu annonce à une adolescente insouciante dont la moyenne est en chute libre, le futur sordide et dérisoire de pauvreté et de misère auquel elle – comme tous les autres – est destinée si elle ne se ressaisit pas. Encore une fois, on lit le désespoir de cette conseillère d’orientation qui se sent inutile face à cette jeunesse stoïque et impassible.
L’école américaine est en ruine, c’est le message porté par cette image sur laquelle se termine le film de Tony Kaye : une école qui s’effondre sur elle-même par l’absence de soins malgré les symptômes persistants qui n’ont cessé d’être dénoncés. Le gouvernement américain a complètement abandonné cet aspect de la politique pourtant primordial pour l’avenir du pays. Obama avait lui-même  déclaré qu’il ne fallait négliger « cette priorité nationale qu’est l’éducation, essentielle pour l’avenir de la nation ». « Détachment » montre la défaite d’un système scolaire américain dans lequel la jeunesse a perdu toute confiance et tout espoir de s’en sortir. Une problématique de l’éducation qui nous concerne nous Français aussi. Quels individus voulons-nous former pour prendre la relève demain ? Quelles chances donnera-t-on à nos enfants ?

En 2009, l’administration d’Obama a mis en place le plan d’action American Recovery and Reinvestment pour répondre à la crise économique actuelle. Ce plan a pour but de relancer la croissance par l’emploi en s’attardant notamment sur l’éducation. En effet, selon le Président Obama, pour que les États-Unis se relèvent de la crise, tous les citoyens doivent faire des études supérieures adaptées au marché du travail et le pays doit devenir le premier au monde dans l’achèvement des études secondaires et supérieures. En 2009, selon un rapport de l’OCDE, les Etats-Unis ont été classés au 16ème rang des pays de l’OCDE pour le taux d’obtention d’un diplôme de l’enseignement secondaire dans la population en âge typique de l’obtenir. C’est pourquoi 100 milliards de dollars du budget ont été alloués à l’éducation afin d’améliorer les conditions d’enseignement dans les collèges, lycées et universités, en particulier dans les établissements publics à faibles revenus, ainsi que pour venir en aide aux familles les plus en difficultés. Il reste à voir la portée de cette nouvelle action (en 2002 George Bush avait lancé le plan No Child Left Behind dont le bilan reste contrasté), le monde du cinéma avait déjà tiré la sonnette d’alarme en 1995 avec « Esprits Rebelles » de John N. Smith.
« Detachment » n’est pas sans rappeler le film récompensé par le Festival de Cannes en 2008 « Entre les murs » qui avait dressé un constat similaire, quoique moins dramatique mais pas pour le moins alarmant de l’école « à la Française ». Deux films à portée commune d’une véritable crise universelle de l’éducation qui se profile en ces temps difficiles et qui en appelleront certainement d’autres si les mesures prises ne se révèlent pas efficaces.
 
Camélia Docquin

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Débat des candidats républicains aux présidentielles à Las Vegas en 2011
Politique

En janvier : l'Odyssée républicaine débute…

Aux États-Unis, la campagne pour les présidentielles de 2012 est lancée et on  voit poindre les challengers potentiellement éligibles au milieu d’une pléthore de prétendants.
Si Barack Obama ne s’est pas encore prononcé quant à une probable candidature pour briguer sa propre succession, c’est le branle-bas de combat du côté des Républicains puisque les primaires vont commencer le mardi 3 janvier.
Au gré des affaires, les candidats tombent et laissent place à de nouveaux favoris : si Herman Cain, mis hors course pour cause de scandales sexuels était en bonne place dans les sondages, son éviction a redonné de l’espoir aux candidats aspirants à l’investiture de leur parti. À l’heure où nous écrivons, ils sont sept, sept à pouvoir prétendre affronter le candidat démocrate, et parmi eux, trois fringants sexagénaires, sinon septuagénaires, prêts à se lancer dans la bataille des primaires qui ne consacrera qu’un unique vainqueur.
Newt Gingrich, 69 ans, Mitt Romney, 64 ans et enfin le doyen Ron Paul âgé de 76 ans ont pour point commun d’être les candidats les plus âgés de la campagne. Si ce point pourrait paraître anecdotique, on peut toutefois s’interroger sur ce phénomène et son incidence sur la future campagne électorale. En effet, depuis 2008 et la campagne victorieuse d’Obama, les codes ont changé. Ces seniors sont-ils capables de s’adapter ? Quelles stratégies seront mises en place pour l’emporter ?
 
Une campagne gagnée sur la toile
 
Si l’élection d’Obama en 2008 porte aux nues tant un candidat que des valeurs qu’il incarne telles que le dynamisme, la nouveauté ou la jeunesse, elle pose aussi de nouvelles questions en termes de communication. La campagne d’Obama est en effet sans précédent, donnant au marketing politique de nouveaux codes qui font souffler un vent de fraîcheur sur la campagne, l’affluence aux urnes témoignant de cette ferveur citoyenne. Cette campagne a su toucher les jeunes (66% des 18-25 ans ont offert leur vote à Obama) et les minorités, qui avaient le sentiment d’être délaissés, en parvenant à entrer dans leur quotidien et à les atteindre par le biais de la toile.
Vraie révolution politique qui s’est massivement fondée sur les nouvelles techniques de communication, Obama est parvenu à faire entrer sa campagne dans l’Histoire. Mû par un formidable plan de bataille, Obama a conquis la toile où la résistance de son ennemi était dérisoire. Les réseaux sociaux furent son premier porte-voix : les désormais traditionnels Twitter et Facebook associés à des dizaines de sites communautaires se firent l’écho de cette campagne et lui apportèrent un grand soutien. Avec son propre réseau social MyBarackObama.com, le candidat impulse un militantisme virtuel et efficace qui se retrouve sur une plate-forme gérant les réunions, l’organisation des meetings, le partage des informations entre ses soutiens et à travers le pays : grâce à « MyBo » les actions sur le terrain et sur le net se multiplient. Énième ressort ; son site officiel ObamaBidensite.com, extrêmement actif ET interactif. En un mot : le concept d’échange au carré.
Notons la réactivation de ce site pour la prochaine campagne (on ne change pas une équipe qui gagne !). L’« e-publicity », les plates-formes dédiées aux vidéos de soutien du candidat, la diffusion massive d’informations par SMS sont d’autres vecteurs utilisés par l’équipe d’Obama en 2008.
Ce phénomène nouveau dit du « grassroots » (littéralement les « racines »), exprime le mouvement du « bottom up » au cœur de la stratégie de communication politique d’Obama : l’émulation doit venir des citoyens et être portée par eux.
 
Des seniors prêts à s’y mettre ?
 
La question semble rhétorique : par la force des choses, chaque candidat se doit d’être présent sur ce nouveau terrain, au risque d’être tout simplement mis hors course avant même le coup d’envoi de la campagne. Si les démocrates bénéficient d’une bonne avance dans leurs infrastructures en ligne, les républicains ne sont pas en reste et ont habilement rattrapé leur retard, reconnaissant la maîtrise d’internet comme le nerf de la guerre.
Une présence quasi-formelle est nécessaire sur Twitter ou Facebook, un site officiel s’impose, et ça, les républicains l’ont compris.
Un candidat aussi vieux soit-il n’est en aucun cas un senior lambda qui rechigne à se mettre à la technologie, il est avant tout une bête politique prêt à tout pour gagner. Gageons donc que l’équipe de jeunes communicants dont le futur candidat investi sera bardé se chargera de pallier ses carences si, d’aventure, il en présentait.
 
Des politiques trop conservateurs ?
 
On pourrait donc s’inquiéter pour l’ensemble du parti plus que pour ces trois candidats.  Les conservateurs ont accusé un sérieux retard et cette image de parti courant après le train, acquise en 2008, risque de leur coller à la peau.
Ce qui pourrait faire la différence entre les candidats serait leur manière d’investir ces outils. Les termes « voter », « réseaux sociaux », « Obama » formaient le même paradigme en 2008 ; voter s’était fait avec le même naturel qu’utiliser Twitter pour une bonne partie des citoyens et Obama fut le candidat de ces « virtual citizen ». Le défi de 2012 pour Obama : réitérer l’exploit. Celui des républicains : pouvoir y prétendre.
Pourtant se mettre à jour est-il suffisant pour remporter l’élection ? En effet pendant que les républicains se démènent pour se mettre à niveau, il est certain qu’Obama et ses équipes continuent de perfectionner leur plan de bataille et réservent des surprises (à l’image du site MyBo, devenu une référence en la matière) en terme de communication politique  pour 2012.
La bataille sera rude et épique, mais il est certain que tel Ulysse dans l’Odyssée, le prétendant qui voudra éliminer tous ses concurrents devra user de ruse et de finesse pour gagner le cœur de l’Amérique.
 
Marie Latirre
 
Crédits photos :
©Ethan Miller/Getty Images North America
©Twitter
©Shannon Stapleton, Reuters
 

President Barack Obama and Vice President Joe Biden, along with members of the national security team, receive an update on the mission against Osama bin Laden in the Situation Room of the White House
Politique

Le déclin du martyr escamoté

 
Cette image est, peu ou prou, la seule épitaphe visuelle sérieuse que les médias aient diffusé pour « célébrer » la mort du leader taliban, Oussama ben Laden. Cette retenue est curieuse compte tenu du désamour, probablement tant unanime que légitime, dont souffrait cet ordonnateur des attentats du 11 septembre 2001. Mais pour comprendre le contraste que les chargés de communication de la Maison Blanche ont orchestré, déléguant aux médias le soin de le répéter et de le propager, peut-être faut-il retracer la généalogie de cet assassinat. Car le mépris de la justice commune dont Oussama ben Laden a été victime, fut-ce au nom de la vengeance nationale, transforme cette mort en exécution sommaire. Rien de moins. Heureusement, la question de la morale en politique ne nous concerne pas.
Reprenons. Il faut se rappeler le paradoxe où se fonde la terreur dont les attentats talibans procèdent. En effet, Oussama ben Laden est wahhabite et représente par là même ce segment musulman aniconique, particulièrement réticent aux différentes formes de la représentation et, par extension, au culte du spectacle. Or, la puissance symbolique des attentats talibans – suicide ou non – réside moins dans le phénomène que dans la monstration médiatique qui les reproduit a posteriori. Le carnage est « toujours » distant et la terreur, si elle est effective chez les populations directement impliquées, contamine la conscience collective par voie de médiation, par écrans interposés. A ce titre, les médias jouent pleinement leur rôle de – osons la tautologie – médiateurs entre deux espaces étrangers, naturellement voués à se méconnaitre.
Le premier versant de ce paradoxe réside donc en ce que les terroriste talibans vont à rebours de leur doctrine iconoclaste. Pour que les revendications de leur guérilla atteignent le fameux inconscient collectif, ils exploitent judicieusement la fascination démesurée – cette puissance consacrée – que la société occidentale voue à la messe des images médiatisées. Cette forme de terrorisme est donc fondée sur la visibilité du carnage, sur sa répétition par les images et sur le climat que cette « arme retournée » installe.
Or, quand Oussama ben Laden vient à mourir, les images viennent à manquer. Le commando ayant participé à la défaite du terroriste ne délivre aucune image. Le trophée national est jalousement conservé, privatisé, retenu. Comme si, privée de démonstration visuelle, la déclaration de la mort du premier des ennemis publics devenait indubitable, irrécusable. Les chargés de communication de la Maison Blanche, prétextant le respect du défunt et de ses convictions religieuses, opèrent donc un renversement des valeurs traditionnellement accordées aux pôles du complexe « image-texte ». Car la déclaration verbale de la défaite du terrorisme est immédiatement placée, dans les imaginaires occidentaux, en concurrence avec la non-image qui en est dévoilée. Ou plutôt, la seule image qui ait filtré du crible de la Maison Blanche excite-t-elle ces imaginaires irrités par des années de traque et de haine – régulièrement entretenue par une actualité chargée de nouveaux attentats. Le soulagement est ainsi frustré par un triomphe modeste, un martyr judicieusement refusé, un voyeurisme interdit. En fait, la véritable image se trouve hors du champ – dans le contrechamp, précisément – de la photographie de presse, à la croisée des regards suspendus de B. Obama et H. Clinton. La photographie employée en tête de cet article est ainsi composée que son centre est invisible, ou donné à voir dans le miroir de ses spectateurs affectés. Cette illustration unanimement reprise par les quotidiens papiers et numériques illustre parfaitement le pouvoir de suggestion des images – décuplé par la dissimulation. Le résultat de cette situation est nécessairement ambigu puisque la photographie des « chefs de guerre » insinue que le document visuel existe bel et bien, mais sous-entend que certains jugent le public inapte à en disposer et décident en conséquence de le dissimuler. Avec cette image, il est donc question de dévoiler la censure par contraste, en mettant en scène ceux qui la commandent.
Le second versant de ce paradoxe tient alors en ce que les funérailles médiatiques de Ben Laden sont célébrées sans les images crues et sanguines que les vengeances assouvies exhibent traditionnellement. Comme si, dans un ultime pied de nez, la présidence américaine refusait à Oussama ben Laden son véritable statut de paria taliban. Comme si, en escamotant la photographie finale, les U.S.A. remportaient par la ruse la compétition médiatique engagée et dominée par les terroristes depuis une décennie – exploitant habilement la soumission occidentale au régime des images. Pied de nez subtile, ou censure discrète… Car ici, la censure est le prix de la concorde.
 
Antoine Bonino

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