Casse de bijouterie, photo de 20 minutes
Agora, Com & Société

Le fait divers, conte moderne.

Le 26 novembre 2011 à 18h, une bijouterie de Cannes est braquée par quatre individus lourdement armés. Le gérant de la boutique est abattu d’une balle dans la tête et les quatre braqueurs prennent la fuite.
Si je suis au courant de cette affaire et qu’elle a retenu mon attention, c’est tout simplement parce que ma mère habite en face de cette bijouterie. Cela fait un choc qu’un événement particulièrement violent soit survenu tout près de chez soi alors même qu’on a passé pour sa part une journée tout à fait banale. Lors d’un diner familial, un mois plus tard, j’ai été frappée par le fait que chaque membre de ma famille avait quelque chose de personnel à raconter par rapport à l’affaire. Ma mère était dans cette même bijouterie vingt-quatre heures plus tôt, ma belle-sœur est passée en voiture devant la boutique avec sa fille cinq minutes auparavant. Enfin, mon cousin trouvait que le frère de la victime – le co-gérant de la boutique – était plutôt « antipathique » et n’avait pas l’air assez triste de la mort de son frère lorsqu’il le croisa, une semaine plus tard, dans la rue …
S’il reste assez concevable que ce fait divers ait pu avoir sa place dans un diner à Cannes ; le fait qu’il ait été relayé par le journal de BFM TV, de RTL, dans plusieurs articles du Figaro et encore plus dans le Parisien (1er quotidien national d’information qui assume par ailleurs accorder une place centrale au fait divers dans ses colonnes-NDLR) m’a beaucoup plus surpris. On a ainsi pu retrouver à plusieurs reprises cette affaire dans la rubrique « Société » du Figaro, et encore ce Mercredi 25 janvier, son site internet publiait une « flash-actu » sur cette affaire. Pourtant le Figaro déclare lui même que se sont produits quasiment un braquage de bijouterie par jour en France en 2011 …
De nombreux observateurs critiquent les médias pour la grande importance qu’ils donnent à ces informations jugées sordides. Néanmoins, selon Philippe Madelin, «la presse est née de la fascination du récit du mal ». A tous ceux qui ont l’impression que les faits divers prennent de plus en plus d’importance dans le paysage médiatique, l’ancien journaliste et blogueur de Rue89 rappelle qu’à ses débuts, la presse faisait ses plus grosses ventes sur les scandales et faits divers à sensations, en scandant à la criée les titres les plus racoleurs possibles.
Seulement, les temps ont changé. La mise en ligne de contenu journalistique sur le web, la multiplication de brèves ou « flash-actus » et donc la possibilité de choisir l’information qui nous intéresse et de la commenter nous ont fait passer d’une consommation médiatique unilatérale à l’ère du consommateur-acteur. Ainsi, on aurait pu croire que la préoccupation du public pour le fait divers allait décroitre. Or, il n’en est rien. Les enquêtes de satisfaction le prouvent, le fait divers intéresse toujours autant les gens. Pourquoi ?
Le fait divers, conte pour adulte ?
 
Au delà des poncifs souvent avancés pour expliquer ce phénomène (le voyeurisme naturel de l’être humain, le public qui se sentirait conforté dans le bonheur de sa propre existence au regard des drames qui touchent autrui) ; un des éléments de réponse peut être apporté par l’expression d’« émotion démocratique » théorisée par Christine Chevret. En effet, en informant du fait divers, les médias répertorient les écarts commis par certains par rapport aux normes sociétales. Les histoires tragiques de braquage, d’enlèvement, de viol, de meurtre relatées par les médias – qui répètent d’ailleurs souvent un même schéma – parlent toujours de la déviance d’un individu par rapport à la Loi. Au delà de la notion de crime, le fait divers brille par son caractère extraordinaire : il s’écarte de la banalité.
Derrière la fascination pour ce qui est inexpliqué, qui nous dépasse ou qui rappelle la fragilité et l’absurdité de la condition humaine, l’intérêt du public pour ce qui le choque pourrait être, en plus d’une catharsis médiatique, un besoin inconscient de moralisation. Le fait divers revêt en ce sens les mêmes oripeaux que le conte pour enfants. Choquer pour mieux instruire ; les personnages ne sont plus de jeunes adolescents mais bel et bien des adultes. Tout comme le conte, les faits divers abondent de personnages types : la jeune adolescente écervelée, le mari jaloux, la femme volage, le grand-père détraqué, etc..
Un miroir de la société
 
Ainsi, certains faits divers passionnent tellement l’opinion publique qu’ils finissent par aboutir à de véritables débats sociaux et nous incitent à mener une réflexion collective sur des thématiques souvent taboues, comme les violences conjugales (affaire Marie Trintignant en 2003) ou encore l’euthanasie (affaire Chantal Sébire en 2008).
A ce titre, la passion du public français pour le feuilleton DSK cet été 2011 a soulevé de nombreuses réactions sur la nature des relations hommes-femmes et la représentation de l’agression sexuelle dans la société. Une affaire d’une telle ampleur, lorsqu’elle est commentée et analysée par toute la société devient alors un véritable miroir de nos interactions sociales.
Finalement, il n’y a pas lieu de moraliser les médias en cherchant à déterminer si exposer les faits divers est une démarche bonne ou mauvaise. Ces affaires sont le reflet de notre société, autant pour l’événement qui se produit, que pour le choix de leur exposition par les médias. Les faits divers alimenteront toujours les médias, car ils font partie de notre humanité.
«Avec le fait divers, on est dans l’humain, le trop humain. » – Patrick Eveno, professeur en histoire des médias.
 
C.P
 
Crédits photo : ©20 minutes – ©BFMTV – ©Le Parisien

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Edito

C’est qu’une question de temps…

Le 23 novembre, pendant que certains buvaient les paroles d’un penseur de l’homme, d’autres ont fait la queue au cinéma du coin pour voir « Time Out », le nouveau film d’Andrew Niccol, à qui l’on doit notamment Simone et Lord of War. Cet édito n’a pas pour but de faire une critique cinématographique, mais bien d’analyser ce synopsis de fiction pas si fictionnel. Alors, ce film est-il une triste métaphore ou le fruit de l’imagination d’un homme ? Car ne l’oublions pas : le cinéma, de par son statut de média, sert de reflet de la société, tant par le message qu’il émet que par la façon dont il est perçu et reçu.
Le synopsis
 
Tout commence par une injustice. N’est-ce pas toujours le cas ?
Nous voilà plongés dans un monde régi par le temps. Le temps comme monnaie. Le temps comme but à l’existence. Chaque être humain naît avec 25 ans de vie, mais dès sa vingt-cinquième bougie soufflée, voit un compteur se mettre en marche sur son avant-bras avec 365 jours de « crédit ». A partir de là, il faut gagner son pain ou son temps pour subvenir à ses besoins et ainsi, survivre. Car, comme si cela ne suffisait pas, chaque achat se fait par une déduction de ce temps. Ainsi, un café coûte 4 minutes, un trajet en bus coûte 2 heures, et une chambre d’hôtel pour une nuit coûte 2 mois. La suite logique des choses : les riches sont éternels alors que les pauvres vivent au jour le jour, s’entretuant pour quelques minutes.

La problématique du temps
 
Les rapports aux dialogues actuels sont assez apparents. Tout d’abord dans la quête d’une vie rallongée, voire éternelle. La médecine met aujourd’hui en place des techniques qui ont pour but de repousser l’inévitable et si possible en ne prenant pas une ride. Andrew Niccol apporte une solution avec l’impossibilité génétique de vieillir qui nous donne à voir des visages jeunes à jamais. L’âge véritable, de qui que ce soit, devient donc imperceptible : un père et sa fille, par exemple, sont facilement pris pour un couple. Pourquoi a-t-on si peur de vieillir ? Aujourd’hui, ne plus vieillir ne suffit pas, il s’agit de rajeunir. Comme le montrent plusieurs articles sur le sujet, des femmes toujours plus jeunes soumettent leurs visages au botox et placent la vieillesse en pire ennemi de la beauté.
Par ailleurs, le serment d’Hippocrate et l’innovation pharmaceutique ont perturbé l’ordre naturel des choses. On peut les tenir pour responsables, en partie, des difficiles discussions actuelles sur les retraites. En effet, qui va payer pour les personnes âgées alors qu’elles sont en supériorité numérique et gérer une possible surpopulation future ? Là aussi, le concept du film propose une alternative en instaurant le règne du plus fort. C’est la loi de la jungle : un concept qui pousse à l’individualisme induit par le capitalisme, un autre thème fort de l’analyse. Si les riches sont immortels, les pauvres doivent leur laisser la place sur terre donc pour diminuer leurs chances de survie, les taxes dans « les ghettos » sont augmentées chaque jour.
« Remember that time is money »
 
On en revient à l’idée du « temps c’est de l’argent », que l’on doit à Benjamin Franklin, un des pères fondateurs des États-Unis. Cette expression, symbole du capitalisme, n’a jamais été aussi vraie qu’ici. Car ce concept reflète particulièrement le régime américain qui, contrairement au régime français, prévoit peu d’aides sociales. En effet, un citoyen américain qui ne travaille pas jour et nuit, ou qui ne prend pas de grands risques, a très peu de chances  de faire carrière et ainsi faire fortune.
La critique du capitalisme est aussi très présente dans la mise en scène de la société de consommation. Chaque achat correspond à une « perte » de temps. Comment être plus clair ? Perdre du temps, c’est se tuer à petit feu. Donc par déduction pure : consommer, c’est faire le choix d’écourter sa vie. Cette idée est d’autant plus vraie lorsque les héros prennent un verre dans un bar ou achètent un paquet de cigarettes.
 
Enfin, pour conclure, on peut voir dans le film un message d’espoir avec le thème récurrent du don, institué entre deux poignées de mains, par des héros à la Bonnie and Clyde, perdus dans un Robin des Bois futuriste. Quand on sait que le film sort à la période de Noël, connue pour être la période des dons depuis les réductions d’impôts qui y sont associées, on peut se demander si c’est un simple hasard…
 
Marion Mons

Le Calendrier des Dieux du Stade 2010 par François Rousseau
Société

Les Dieux du Stade

Il nous fait rêver, excite notre curiosité, électrise l’atmosphère, érotise le quotidien, met de l’ambiance dans les réunions Tupperware et dans les salles de muscu. Les femmes en sont folles, les hommes jaloux. A quelques semaines du déballage des cadeaux, zoom sur le phénomène du calendrier des Dieux du Stade, qui connait depuis 2004 un succès foudroyant.
Apparu en 2001, le calendrier des Dieux du Stade montre des athlètes, principalement des rugbymen, dans des poses érotiques illustrant chaque mois de l’année. Dès 2004, un DVD du making-off sort en parallèle du calendrier, contribuant à son succès. Cette année, les Dieux du Stade innovent encore, avec la sortie en juin prochain d’un livre du photographe 2010 des Dieux du Stade, Tony Duran, qui montre cette fois les joueurs totalement nus.
Il n’est alors peut-être pas si incongru de se demander : les Dieux du Stade, ode au sport ou ode au corps ?
Dans la société sensible à l’apparence que nous connaissons, les Dieux du Stade apparaissent à la fois comme une adéquation et comme une provocation.
Une adéquation avec les valeurs de jeunesse, de beauté extérieure et de perfection physique véhiculées par une société qui se veut profonde en se montrant superficielle. Et en effet, nul ne peut contester la beauté sans pareille des modèles du calendrier, mis en valeur par des photographes de talent. Les corps ressortent dans toute leur force majestueuse, les muscles salliants, érotisme se conjugue avec virilité pour un cocktail explosif. Dans cette perspective, le calendrier n’est rien de plus qu’une mise en valeur du Corps, pimentée par une pointe de sensualité.
Néanmoins, les Dieux du Stade sonnent aussi comme une provocation dans une société qui, bien que vouant un culte au corps parfait, n’a jamais autant rougi devant sa nudité. Malgré les publicités qui dévoilent les corps, les esprits ont rarement été aussi éloignés de la libération sexuelle des années 1970. Face à cette beauté brute et sans artifice, les regards se baissent, les joues rougissent, et les lèvres esquissent des sourires gênés. On avance l’argument de la plaisanterie pour l’offrir ou se l’acheter. Qui ose dire qu’il aime les Dieux du Stade pour l’esthétisme des photos et la nudité des corps ?
Mais les Dieux du Stade, ce n’est pas que des corps, de la beauté, de l’art, c’est aussi un ballon de rugby, le culte de l’ovalie à l’état pur. C’est un hymne au sport ainsi qu’aux valeurs qu’il véhicule : amitié, solidarité, fidélité, courage, force, l’essence même du rugby. C’est une main tendue vers tous ceux qui revendiquent cette ligne de vie sans pour autant faire du rugby. C’est enfin un cadeau aux amateurs (et surtout aux amatrices), qui peuvent s’enorgueillir d’un sport dont le courage ne se montre pas que sur le terrain, mais encore devant l’objectif. Car au-delà des considérations économiques qu’avanceront certains, il faut un certain courage pour poser ainsi, nu, lascif, abandonné devant l’objectif, en s’exposant ainsi au regard des autres, les nôtres en l’occurrence.
Originalité française, les Dieux du Stade ont de quoi faire parler d’eux. Et encore de quoi nous surprendre. Gageons que cette année sous le sapin, la rugbymania qui a enflammé le pays ces derniers mois n’est pas près de s’éteindre !
 
Julie Escurignan
Crédits Photo : ©François Rousseau/Stade.fr