Elon Musk et le projet SpaceX : un nouvel humanisme ?
Créateur de Paypal, propriétaire de Tesla et désormais de l’entreprise SpaceX, Elon Musk se fait Jules Verne moderne, et s’annonce comme le successeur naturel de Steve Jobs en terme d’innovations Hi-Tech. Les perspectives d’Elon Musk distancent les limites terrestres et celles de notre raison : il désire créer un circuit touristique vers Mars et à terme une communauté permanente. Une manière selon lui de fuir la Terre, qu’il considère condamnée par le désastre écologique et la robotisation.
La mission Proxima : quand l'aventure spatiale retrouve son aura romantique
« Vers l’infini et au-delà »… petite pensée pour nos rêves d’enfant, nos envies d’évasion, et d’ailleurs. Et quoi de plus « ailleurs » que l’espace ? Le bleu profond de cette immense étendue n’en finit pas de fasciner : il y a dans cette contrée étrangère mille et une questions scientifiques irrésolues, et autant de mythes qui tentent d’y répondre. C’est pourquoi les photos postées chaque jour par les astronautes de la Station Spatiale Internationale (ISS) récoltent autant de « j’aime ». Le fait est que, depuis juin, leur connexion Internet s’est nettement améliorée, permettant un storytelling renouvelé des aventures spatiales.
Facebook, Twitter, Instagram et FlickR relaient des nouvelles destinées à un public de plus en plus large. La mission Proxima, qui envoie Thomas Pesquet (Fr), Peggy Whitson (USA) et Oleg Novitski (Ru) sur l’ISS, révèle l’importance des réseaux sociaux, qui sont devenus un terrain de communication privilégié pour les agences spatiales américaine et européenne (Nasa et ESA). Actuellement, ce succès médiatique est incarné par l’astronaute français, dernier arrivé à la Station et suivi par 500 000 personnes sur les réseaux sociaux.
Une star au milieu des étoiles
Thomas Pesquet a tout du héros moderne : ingénieur de formation, le jeune astronaute de 38 ans est aussi pilote de ligne, ceinture noire de judo, saxophoniste à ses heures perdues… il doit cependant en avoir peu, vu l’entraînement intensif qu’a connu le Français depuis son recrutement en 2009 par l’Agence Spatiale Européenne. Son parcours extraordinaire suscite identification et inspiration, et pas seulement à l’échelle nationale.
Si Thomas Pesquet est évidemment représentant de son propre pays — le drapeau tricolore flotte en apesanteur dans son étroite cabine — son appartenance à l’ESA est aussi une part essentielle de son identité, il est le seul représentant de l’Europe sur l’ISS. Son nationalisme n’est pourtant pas exacerbé par la distance, au contraire. Sa communication sur les réseaux se fait en français et en anglais, et est partagée par des milliers de fans à travers le monde.
Paradoxalement, à travers le regard des astronautes, ce n’est parfois plus l’espace qui représente l’étranger, mais la Terre elle-même, redécouverte. En un mois de vie astronautique, Thomas Pesquet et ses collègues ont déjà publié des photos des cinq continents. Celles-ci dévoilent des paysages étranges et magnifiques, lunaires aimerait-on écrire. Finalement, l’émerveillement de ces scientifiques extraordinaires, partagé par ceux qui les suivent, s’accompagne d’un sentiment d’appartenance et de fierté, celui un peu science-fictionnel de se sentir Terrien.
√(Science x Facebook) = pédagogie2
Ce n’est pas par hasard si l’ISS communique maintenant essentiellement via les réseaux sociaux. Jean-François Clervoy, membre du jury ayant sélectionné Thomas Pesquet, affirmait sur RTL : « c’est très difficile de communiquer sur l’espace […] il faut donc faire preuve d’une très grande pédagogie. […] Pour cela il faut être un bon communicant, et Thomas Pesquet est très bon. ». Dans un secteur trop souvent jugé comme mystérieux, perméable au regard d’un public amateur, la nouvelle recrue était un atout majeur pour recouvrir un grand public perdu depuis le pic de fascination pour l’exploration spatiale après le 1er vol de 1961.
Premières expériences de dialogue entre Station Spatiale et Terrien lambda
Dans un registre plus interactif, Thomas Pesquet a posté une photo le 17 décembre dernier, dont la seule légende était : « quizz du soir : de quelle ville s’agit-il ? ». Cette interview avec des collégiens de Saint-Malo, en direct depuis l’espace, visait à créer un échange entre amateurs et professionnels. Une vingtaine d’autres écoles ont également été sélectionnées pour participer à ces entrevues très spéciales, un investissement qui assure une curiosité durable des élèves pour la cause spatiale.
En outre, de nombreux accords ont été passés avec différents médias nationaux et internationaux (RTL, Europe 1, Aujourd’hui en France…) afin d’assurer une transmission d’information régulière via des canaux plus traditionnels. L’ESA joue sur tous les fronts médiatiques pour assurer une relation fidélisée entre l’ISS et le grand public. Elle travaille ainsi pour une meilleure connaissance, voire une reconnaissance du travail astronautique. Thomas Pesquet confiait à ce sujet dans une interview : « Je veux montrer aux gens à quel point c’est intéressant, à quel point les recherches qu’on mène sont pour eux. ».
Comment le multimédia dévoile une science… humaine.
Le cas Thomas Pesquet n’est qu’une facette de la stratégie de communication globale mise en place par l’ESA ou la NASA pour mieux vendre l’aventure spatiale. Chaque événement majeur pour la station est un rendez-vous médiatique mondial, depuis le retour de l’astronaute Jeff Williams (#YearInSpace) jusqu’à la prochaine sortie des astronautes dans l’espace, le 16 janvier prochain.
La culture cinématographique – vecteur majeur de l’imaginaire spatial – est aussi mise à contribution. Seul sur Mars avait par exemple été diffusé en avant-première par la NASA, qui ne manque pas de donner son avis sur le degré de réalisme de chaque nouveau film de science-fiction concernant l’espace. Buzz l’Eclair de Toy Story, lui, est régulièrement utilise comme ambassadeur du monde scientifique chez les enfants. Il a, de ce fait, été envoyé dans l’espace en 2009 (sous forme de figurine), et son retour a été fêté en grandes pompes à Disneyland. L’institution scientifique se déride donc, même pour les plus grands : la NASA vient de lancer quatre centaines de GIFs sur giphy.com. Dramatique ou humoristique, l’information scientifique se teinte d’affects sur les réseaux sociaux, et pour le mieux !
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Pour en revenir à Thomas Pesquet, il est à noter que parmi les 200 missions qu’il a à remplir pendant son semestre dans l’espace, l’une d’entre elles consiste à filmer des images en qualité 4K en vue d’un documentaire sur grand écran. Son devoir de scientifique se décline aussi sur les terrains de la communication à court, moyen, et long-terme, histoire de « remettre la science en culture », comme le souhaitait J.M. Levy-Leblond, c’est-à-dire de « ré-attribuer à chacun à la fois la tache de produire du savoir et de le partager ».
Mélanie Brisard
LinkedIn
Sources :
• Thomas Pesquet sur Facebook
• Petit point historique par FranceTVInfo, De John Glenn à Thomas Pesquet, comment la vie en orbite a évolué , Camille Adaoust, publié le 10/12/2016 et consulté le 21/12/2016. http://
• Sur Thomas Pesquet Astronaute surdoué et as de la communication RTL, publié par Rémi Sulmont et Loïc Farge le 30/08/2016 et mis à jour le 17/11/2016, consulté le 21/12/16
• Sur la communication de la NASA par La Nouvelle République.fr, La Nasa crée sa banque de GIF de l’espace par Clément Hebral, le 14/12/2016, consulté le 21/12/2016
• Sur Thomas Pesquet, le blog de l’ESA qui lui est consacré
• Un petit essai sur la science aujourd’hui, et ses problèmes de communication par J.M. Levy Leblond, « Remettre la Science en culture » issu de Courrier de l’environnement de l’INRA n°56, décembre 2008
Crédit photo :
• Couverture : NASA
• Photos 1, 2 et 3 : capture d’écran du Facebook et du Twitter de Thomas Pesquet le 21/12/16
• Photo 4 : extrait de la couverture de La Vulgarisation Scientifique, Cécile Michaut, chez EDP Sciences, 2014. Dessin de René Pétillon.
"90 jours" pour tout changer ?
« Écologie » : c’est presque de manière violente que ce terme clivant retentit dans les esprits, victime d’une quantité de clichés indénombrables. L’ « écolo », dans l’imaginaire collectif, est tantôt associé à une sorte de babacool nostalgique aveuglé par les promesses utopiques que lui font ses tongs en bois, tantôt à un genre de « bobo biocool », faisant peser sur tout ceux qu’il fréquente une véritable culture de la culpabilité. L’écologie effraie car elle nous confronte à des réalités parfois choquantes et dramatiques, qui nous renvoient à notre statut de « poussière d’étoile » et bousculent notre rapport au temps. L’écologie effraie, aussi, parce qu’elle nous responsabilise et nous demande de jouer pleinement notre rôle de citoyen.
Les nouvelles technologies au service de l’écologie participative
Pourtant, certains n’hésitent pas à faire preuve de créativité et à utiliser les supports communicationnels modernes pour réconcilier écologie et citoyenneté. La technologie semble en effet s’imposer peu à peu en tant que medium innovant, encourageant la sensibilisation de la société civile aux problématiques écologiques.
C’est dans cette lignée communicationnelle ludique que s’inscrit l’application pour smartphone « 90 jours ». Imaginée par Elliot Lepers, designer de formation, elle offre à tout un chacun la possibilité de se familiariser à l’écologie et d’agir de manière non-chronophage à partir d’outils qui sont entrés dans notre quotidien. Son créateur envisage l’application en tant qu’ « assistant personnel permettant de mettre en œuvre sa propre transition écologique ».
Première étape : remplir un questionnaire afin de définir son profil personnalisé. Deuxième étape : relever vaillamment les défis reçus. De « faire pipi sous la douche » à « modérer sa consommation de viande » ou encore « s’inscrire à une AMAP », les impacts environnementaux des défis sont expliqués et assortis de conseils qui favorisent le passage d’une écologie de la privation à une écologie plaisante qui crée une nouvelle pratique.
Lors d’une conférence donnée pour TedX Paris, Elliot Lepers explique penser qu’il est « important de sortir l’écologie de ses incarnations ». Dans l’espace public et médiatique, l’écologie est le plus souvent dépeinte à coup de drame et de fin du monde, alors que c’est uniquement l’inaction face aux questions environnementales qui nous sont posées qui présage des conséquences dramatiques. De quoi encourager le plus grand nombre à fermer les yeux et à mépriser les couleurs des bacs de tri sélectif.
Il semble légitime de questionner l’efficacité concrète de ce genre d’application qui ne relève, pour certains, que du gadget. Les résultats sont bien là, pourtant : les utilisateurs de « 90 jours » ont déjà réussi à économiser 900 000 kg de cO2 et un million de litres d’eau. Plus de 60 000 personnes l’utilisent aujourd’hui. Cependant, d’autres outils communicationnels de plus vaste ampleur permettent, à une autre échelle, la mobilisation d’acteurs écologiques qui tentent de porter les revendications devant les pouvoirs publics. C’est le cas de la pétition en ligne, par exemple, qui est à l’origine d’une nouvelle communauté partagée.
S’informer, se former… et agir ?
Ce qui semble important, avant de pouvoir agir en tant qu’acteur écologique citoyen, est de savoir comment et pourquoi. Cette nécessité informationnelle est exploitée sous des formes de plus en plus innovantes, comme le webdocumentaire. Ces œuvres multimédia et interactives proposent une immersion documentée au sein d’un thème donné et invitent le spectateur à participer voire, parfois, à mener la visite guidée. Elles sont données à l’usagé comme des jeux, des panoplies à explorer et à manier. Arte en a produit de nombreux, mis en ligne sur sa plate-forme créative. « Polarsea360 », par exemple, est un voyage virtuel à la découverte de la fonte des glaçes.
Ces plate-formes technologiques nous proposent à la fois du contenu informatif et un nouveau mode de participation au débat : le citoyen a des clés en mains. Lors de la COP 21, par exemple, les internautes étaient invités à réagir via les réseaux sociaux. Pour la journée du dimanche 29 novembre (jour de l’arrivée de 130 chefs d’Etat à Paris) plus de 750.000 tweets en lien avec la conférence des Nations unies ont été postés sur Twitter.
Toutes ces initiatives tendent à dé-diaboliser l’écologie considérée comme science obscure pour en faire une pratique qui nous soit familière. Demain, film documentaire réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, récompensé par le césar du meilleur documentaire, nous propose d’aller à la rencontre de ces acteurs innovants qui repensent l’écologie via l’utilisation de nouveaux outils. Comme le dit Elliot Lepers : « nous sommes tous les designers de notre quotidien ». Alors, prêts à relever le défi ?
Emilie Beraud
Sources :
http://90jours.org/
http://www.tedxparis.com/?s=90+jours
http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/05/05/linky-le-compteur-intelligent-suscite-deja-la-polemique_1517385_3234.html
Cyril Dion nous raconte le succès de « Demain », le docu écolo-feel good devenu phénomène de société
http://www.franceculture.fr/emissions/la-revolution-ecologique/ecologie-et-democratie
La résistance au changement, produit d’un système et d’un individu par Daniel Dicquemare
Crédits images :
Aline Nippert
http://90jours.org/
5 minutes dans la peau d'un scientifique
Étaler sa science sur YouTube ? Les vidéos à ce sujet ne cessent de se multiplier sur la plateforme, réalisées pour la plupart par de simples passionnés. L’idée séduit : pourquoi parler de science ne serait réservé qu’à un petit groupe de chercheurs enfermés dans leurs laboratoires ? Mais cette tendance soulève de nombreuses questions notamment quant à la crédibilité et à la légitimité de leurs explications.
Youtubeuse végétalienne vs politiques de santé publique
Lorsque Erin Janus veut nous prouver que les produits laitiers sont tout simplement « f**king scary » selon ses propres termes, elle n’y va pas par quatre chemins. La jeune femme, qui se décrit comme « une activiste et végétalienne passionnée », choisit alors de poster une vidéo sur YouTube nous expliquant en 5 minutes top chrono en quoi consommer des produits laitiers, dans les faits, contribue à « l’exploitation sexuelle et à l’épuisement émotionnel et physique » des vaches. Tout y est : brièveté, humour (noir), images dures et choquantes, sentiments… Enfin, Erin sort l’argument ultime. Un panel de captures d’écrans d’études scientifiques défile alors rapidement sous nos yeux. Les personnes consommant le plus de produits laitiers seraient les plus exposées aux fractures. Vous l’aurez donc compris, 3 produits laitiers par jour, les produits laitiers sont nos amis pour la vie (ça y est vous l’avez dans la tête, ne me remerciez pas), tout ça, ne serait que du blabla orchestré par un très puissant lobby, affirme la youtubeuse. En 5 minutes, Erin Janus, qui n’est a priori ni médecin, ni une grande spécialiste du sujet, a réussi à convaincre ou du moins à interpeller les consommateurs invétérés de fromage que nous sommes et à (presque) décrédibiliser toutes recommandations médicales à ce sujet, au nom d’un complot parfaitement organisé.
Dose de savoir dans un monde très occupé
Bien qu’elle n’ait aucune légitimité à évoquer les bienfaits ou les méfaits des produits laitiers sur notre santé, la vidéo d’Erin Janus aura immanquablement un impact beaucoup plus important que toutes les études scientifiques sur le sujet. En effet, même si la youtubeuse ne cite pas ses sources et qu’ils sont inconnus du grand public, certains travaux ont bel et bien démontré que les produits laitiers pourraient avoir un effet néfaste sur notre santé. C’est le cas, notamment, d’une étude réalisée en 2014 par des chercheurs suédois. Pour autant, ces derniers ne remettent pas en cause des années de politique de santé publique ; qu’Erin Janus, elle, écarte en 5 minutes. Ils appellent même à prendre leurs résultats avec beaucoup de précaution en attendant la validation par la communauté scientifique. Nous voilà donc confronté à deux temporalités distinctes : le temps long de la communauté scientifique afin qu’une étude acquiert de la légitimité, opposé à la brièveté de la vidéo sur YouTube qui s’empare d’un sujet en un temps éclair, comme le propose Erin « parce que tout le monde est très occupé en ce moment ». Et cela ne rate pas ! En effet, rien qu’en 2 semaines, sa vidéo a été visionnée plus de 249 000 fois, soit autant que la diffusion de Sciences et Avenir, le 2e magazine français spécialisé en sciences. Malgré l’absence de sources et de sérieux doutes sur sa légitimité, ce contenu a obtenu autant de visibilité qu’un article publié dans une revue scientifique reconnue, voire plus, étant donné que le mensuel est consulté, dans la majorité des cas, toujours par le même cercle d’abonnés, alors que la vidéo va toucher un public très varié, notamment grâce aux réseaux sociaux. Elle est même arrivée jusque moi qui suis ni végétarienne, ni végétalienne. D’où le paradoxe : sur des sujets qui nécessitent pourtant une véritable expertise, nous prêtons finalement plus l’oreille aux messages portés par des non-spécialistes, ces derniers étant de fait médiatisés, qu’à ceux de scientifiques, qui restent, au contraire, peu médiatisés ou seulement auprès d’un cercle très restreint. La preuve : essayez de citer le nom d’un seul chercheur un tant soit peu connu (Non, les frères Bogdanov, ça ne compte pas). Vous n’y arrivez pas ? Moi non plus. Pour pallier cette réalité, il existe aujourd’hui un véritable essai de médiation de la parole scientifique : on pensera, notamment, aux conférences TED. Pourtant, cette tentative n’en est qu’à ses débuts, puisque, pour reprendre l’exemple précédent, ces conférences sont encore loin d’être connues du grand public. « Attends TED, c’est le film avec l’ours en peluche graveleux ? »
Qui pour légitimer sur YouTube ?
Malgré tout, cela ne signifie pas qu’il soit impossible de livrer un contenu aussi rigoureux que ludique sur YouTube en 5 minutes top chrono. De nombreuses personnes, d’abord aux Etats-Unis et, très récemment, en France, ont d’ailleurs très bien compris l’opportunité que représente la plateforme en termes de vulgarisation scientifique. « Sur YouTube, on peut atteindre très rapidement une audience même sur les sujets de niche comme la science », fait valoir la plateforme. Docteurs en sciences ou le plus souvent de simples passionnés, ils veulent faire part de leurs connaissances au grand public. Cette forte médiatisation des youtubeurs pose la question de la crédibilité de leurs explications. Qui prend en charge la validation des contenus dans le cas des youtubeurs ? La plateforme elle-même ? Il est peu probable que ses employés soient à même de juger de la véracité ou non d’un exposé sur la relativité restreinte. YouTube laisse donc soin à la communauté de se saisir du sujet si les internautes se rendent compte que l’auteur de la vidéo dit des énormités. Encore faut-il s’en rendre compte, me direz-vous. Nous n’avons donc plus qu’à lire les commentaires et à espérer qu’un scientifique aguerri en valide le contenu. Ou que l’auteur de la vidéo soit aussi exigeant sur le contenu que ne l’est une Florence Porcel, créatrice de « La folle histoire de l’Univers », une chaîne YouTube spécialisée en astronomie : « Comme je ne suis pas spécialiste, je suis obligée de tout vérifier, chaque mot, chaque phrase ». Du fond du cœur, merci Florence ! Beaucoup encore, il nous reste à apprendre.
Héloïse Bacqué
Sources :
Sciences et Avenirs (AFP) : http://www.sciencesetavenir.fr/sciences/20150917.AFP9998/des-youtubeurs-depoussierent-les-sciences.html
OJD : http://www.ojd.com/Chiffres/La-Presse/La-Presse-Payante/Presse-Magazine
Les décodeurs, Le Monde.fr par Ania Nussbaum : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/02/12/faut-il-boire-du-lait_4574590_4355770.html
Crédits images :
Canoe.ca
Bizbash
Souvenez-vous d'oublier
Qui n’a jamais été tenté d’improviser une séance de spiritisme « juste pour voir » ? La tentative de s’affranchir de la contrainte ontologique n’est pas nouvelle. N’en déplaise aux amateurs de science-fiction, certains scientifiques vont même plus loin encore : ils réfléchissent à communiquer non pas avec le passé, mais avec le futur.
La construction d’Onkalo (« caverne » en finnois), projet validé jeudi 12 novembre 2015 par le gouvernement finlandais, s’inscrit pleinement dans cette problématique inédite. Il s’agira du premier site d’enfouissement permanent de déchets nucléaires radioactifs, une véritable petite ville souterraine composée de cinq kilomètres de galeries plongeant jusqu’à 500 mètres sous terre.
Sous nos pieds, le sanctuaire, protégé de l’instabilité de la surface (guerres, crises économiques, catastrophes naturelles, etc), a pour objectif d’assurer la destruction naturelle de la radioactivité des déchets. En d’autres termes, la durée de vie du site d’Onkalo doit être d’au moins 100 000 ans. Un véritable défi quand on sait que l’homme n’a jamais rien construit qui ait duré plus d’un dixième de ce temps.
Si ce projet pose effectivement de nombreuses questions purement techniques, il interroge également la communication à travers le prisme d’une temporalité à peine saisissable pour l’esprit humain. Comment faire comprendre aux êtres humains d’un lointain futur (compris entre 100 et 100 000 ans) que leur intrusion dans le site d’Onkalo n’est pas souhaitable puisqu’elle peut potentiellement être apocalyptique ? Comment expliquer le problème des déchets nucléaires radioactifs à une civilisation qui ne parlera pas la même langue, ne partagera pas les mêmes valeurs, ni les mêmes savoirs ?
Une photo pas très sexy, pour un projet pas très sexy..
On marche sur des œufs (t’aimes bien les omelettes ?)
L’environnement est si complexe, les comportements si imprévisibles, que les tentatives d’anticiper les évolutions des sociétés humaines sont, sinon vaines, en tout cas très fragiles (sauf pour Madame Irma). On ne peut même pas prédire dans quelle direction évoluera l’humanité : le progrès technique va-t-il se poursuivre indéfiniment ou au contraire va-t-on retomber dans un nouvel « âge de pierre » ?
Face à tant d’incertitudes, les scientifiques qui se sont penchés sur la question de savoir comment informer les générations (et civilisations) suivantes de ce lourd héritage qu’est Onkalo, se divisent en deux écoles.
Il y a, d’une part, ceux qui pensent qu’après avoir définitivement fermé Onkalo d’ici 2100, le site doit sombrer dans l’oubli. Ils partent du principe que la probabilité qu’une « intrusion humaine » se produise est finalement très faible et que tout indice sur l’existence du sanctuaire serait contre-productif puisqu’il ne ferait qu’augmenter cette probabilité.
A contrario, il y a ceux qui croient en un devoir d’informer les futurs humains en laissant ce qu’ils appellent des « marqueurs ».
Cher Papa Noël, je voudrais…un média inter-temporel
Dans ce cas pratique, c’est finalement la question du média qui est posée par les scientifiques qui se prononcent pour la mise en place de « marqueurs », en considérant le média comme un dispositif matériel qui configure une modalité d’échange. La problématique entourant le média semble s’être déplacée de la volonté de transcender l’Espace, c’est-à-dire d’abolir les frontières, vers l’ambition de dépasser l’indépassable : le Temps.
Certes, l’écriture est le premier média qui a permis à l’homme de s’affranchir des contraintes spatiale et, dans une certaine mesure, temporelle. Mais ce dépassement reste en pratique cantonné à des échelles de temps appréhendables. Or, il est ici question d’un temps plus géologique qu’humain. L’axe ci-dessous, inspiré par le très intéressant film-documentaire Into Eternity réalisé par Michael Madsen, permet de mieux cerner l’ampleur du projet.
Le pouvoir des archives contre la force obscure radioactive ?
Tenir informées les générations suivantes par l’archivage, par une externalisation de la mémoire en un sens, serait en fait un retour à la case départ. Le site d’Onkalo a été construit avec pour idée qu’après sa fermeture définitive prévue en 2100, il sera rendu totalement indépendant et ne requerra donc plus aucune intervention. C’est bien cette passivité absolue du site qui en fait une solution séduisante. Or, de la même façon que les entreposages provisoires actuels, les archives demandent une mise à jour régulière des informations mais aussi de la langue. Selon une étude de l’UNESCO (1997-2002), pas moins de 5500 langues sur les 6000 existantes disparaîtront d’ici un siècle, et se rangeront aux côtés desdites « langues mortes »*. Peut-on ainsi raisonnablement espérer une continuité de ce travail sur des milliers de générations à venir ?
La communication sauvera le monde !
Un des problèmes principaux dans la volonté d’informer sur l’existence du site par des « marqueurs », serait le temps nécessaire au décodage. Le cas des pyramides égyptiennes, dont l’énigme n’a toujours pas été entièrement résolue, l’illustre bien. Déchiffrer le langage d’une civilisation ancienne demande patience et acharnement, même pour des civilisations marquées par le progrès scientifique. Or, la découverte d’une poubelle radioactive offre très difficilement ce temps de réflexion.
Cette limite inhérente à la théorie des marqueurs peut être dépassée en pensant la dichotomie entre information et communication. L’idée serait moins d’informer par des explications, scripturales ou picturales, sur les risques liés à la radioactivité et sur la cause de l’érection d’un tel site, mais d’essayer de créer un sentiment de crainte, de faire ressentir à l’aventurier malheureux qu’il s’agit d’un lieu inhospitalier et qu’il vaudrait mieux rebrousser chemin. Se pose ici la question de l’existence ou de la possibilité de mettre en place des formes de communication qui convoquent l’affect de manière universelle.
On enterre nos déchets… mais pas nos centrales
Puisque nos générations ont exploité l’énergie nucléaire, il nous incombe de trouver une solution pour mettre les déchets à la poubelle. L’idée du tombeau nucléaire est séduisante, notamment parce qu’il ne demande plus aucune intervention humaine. Nombreux sont les pays nucléarisés qui se penchent sérieusement sur la question. La France réfléchit notamment à la mise en place d’un tel stockage souterrain à Bure.
On peut tenter de croire qu’aucune « intrusion humaine » n’aura lieu pour ces 100 000 prochaines années sur le site d’Onkalo, mais ce pari reste-t-il statistiquement raisonnable si de tels sites d’enfouissement se propagent ?
De quoi remettre en perspective les théories qui prétendent pallier au réchauffement climatique à travers l’exploitation de l’énergie nucléaire.
Aline Nippert
@AlineNippert
Sources :
* LECLERC, Jacques. « La mort des langues » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 10 mai 2012, [http://www.axl.cefan.ulaval.ca/Langues/2vital_mortdeslangues.htm], (16 décembre 2015).
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2015/11/12/97002-20151112FILWWW00263-nucleairedechets-1er-site-de-stockage-eternel.php
– Industrie et Technologies : http://www.industrie-techno.com/l-enfouissement-des-dechets-nucleaires-le-choix-de-tous-les-pays-nuclearises.40944
Crédits images :
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– http://sanjindumisic.com/onkalo-spent-nuclear-fuel-repository-future-of-monuments/
– http://www.toonpool.com/cartoons/nuclear%20is%20good%20for%20you_44117
28 minutes plus tard
Le 12 novembre dernier, l’atterrisseur Philae s’est posé avec succès sur la surface de la comète Tchourioumov-Guérassimenko, l’objectif de la mission Rosetta, débutée en mars 2004.
Le projet de l’Agence spatiale européenne était de taille et le grand public a pu en mesurer l’importance à travers le déploiement d’un large dispositif de communication, digne d’un évènement scientifique historique. À l’approche et à la suite de l’atterrissage, Rosetta a bénéficié de la couverture médiatique classique dans la presse écrite, à la radio, à la télévision et ce à un rythme de plus en plus régulier. Mais c’est pour l’internaute que la campagne de communication sur le long terme a été la plus passionnante, sur les réseaux sociaux Facebook, Twitter ou encore Flickr. Le support de la communication digitale semblait assez inhabituel pour une mission scientifique. Chaque réseau social représentait en fait un niveau de communication différent, chacun possédant ses propres codes sémiologiques et son public. Sur Instagram et Flickr, la légende est réduite au minimum, la photographie véhicule son propre sens, en tant que code universel elle s’adresse ainsi au plus grand nombre. Sur le Facebook de l’ASE, la mission Rosetta se positionne sur le registre de l’humoristique et de l’entertainment, à l’instar de nombreuses marques sur le réseau social. La chaîne Youtube propose à elle seule une communication du divertissement (reconstitutions 3D, créations sonores), une communication sérieuse de vulgarisation scientifique destinée à un public plus averti et disposé à s’informer sur format long (des vidéos de plus d’une heure autour d’intervenants de l’ASE) et une communication publicitaire (la campagne Ambition).
Ce court-métrage donne par ailleurs l’impression de vouloir réunir les ingrédients de la recette miracle du succès : les codes visuels du blockbuster de science-fiction et une personnalité en vogue (Aidan Gillen alias Little finger dans Game of thrones) présentant Rosetta comme le premier pas vers un futur évolué. Enfin, le compte Twitter agit comme un flux RSS centralisant les données de tous les autres réseaux sociaux et l’on y retrouve alors la totalité des publics et des niveaux de communication. La stratégie a été construite d’une part sur un temps étiré : comme la sonde Rosetta, la communication était en veille. Par l’intermédiaire des comptes Facebook et Twitter, l’ASE a essayé au fil des mois de diluer avec une certaine régularité le teasing de l’objectif final. Puis pendant les dernières semaines, c’est-à-dire dans le temps de l’immédiat, de l’imminent, la communication a pris de l’ampleur, en partie grâce à la transmission de photographies inédites de la comète dès la fin septembre sur Flickr. Un dialogue s’est instauré entre le compte Twitter de l’atterrisseur et celui de la sonde : personnifiés par l’utilisation de la première personne, les deux engins spatiaux ont par exemple joué le drame de la séparation alors que Philae se détachait de Rosetta pour descendre sur la comète. Ravivée, la communication sur les réseaux sociaux est parvenue à recréer une interactivité entre les scientifiques et les internautes malgré l’absence de progression de la mission en terme de contenu informatif. Cette événementialisation permanente a dynamisé la phase d’approche monotone de la comète. Le jour J, le dispositif de communication s’est décliné dans une mise en abîme de l’information. Premièrement, un chat twitter a été mis en place avec des responsables de la mission Rosetta, sur le site un live stream captait la salle de contrôle et la salle de conférence où défilaient en direct les intervenants et en dernier lieu les caméras de télévision retransmettaient l’ensemble de ces installations.
Pourtant ce dispositif complexe a souffert d’une vraie faille : la communication différée. Un évènement est ancré dans le temps présent, dans l’immédiat même, ce que sont censés appuyer le fil Twitter et le live stream. Or le signal émis par Rosetta voyageait pendant 28 minutes avant d’atterrir sur nos écrans. Le contrat de la communication en temps réel est comme rompu, les temps d’attente entre une commande et sa réponse sont interminables et le live s’étire pendant plusieurs heures. Cette rupture de l’instantanéité, habitude induite par les communications modernes, atténue rapidement l’excitation du moment historique. Ce support du direct était-il alors réellement adapté aux exigences du public d’une société de communication moderne ? En somme, le temps de la science est-il compatible avec notre perception du temps au XXIe siècle ?
Il ne l’est certainement pas pour les détracteurs d’une science qui communique et qui profite des outils modernes. C’est une science qui, par tout ce dispositif communicationnel, trahit l’idéal d’une vérité sans rabaissement à la vulgarisation voire pire, à la publicitarisation. Quoiqu’il en soit, la science évolue trop rapidement pour notre système d’enseignement, seule la vulgarisation scientifique est assez souple pour suivre le rythme du progrès. Toutefois, même simplifié, le langage scientifique technique constitue la véritable et première barrière pour le grand public. Celui-ci a en effet la particularité d’être monoréférentiel, par opposition au langage courant qui peut renvoyer à plusieurs sens, les termes scientifiques obéissent à la règle de biunivocité, c’est-à-dire que chaque concept est désigné par un seul signe et un signe ne peut renvoyer qu’à un seul et même concept. D’où la difficulté à communiquer avec un système de références inconnu du destinataire. Pourtant, il est bien nécessaire que ce dispositif communicationnel instauré autour de la mission Rosetta soit décliné dans tous les autres projets scientifiques d’importance, le progrès doit être diffusé et chaque citoyen doit trouver son compte dans un des niveaux d’information, du plus imagé aux discours les plus techniques.
Marc Blanchi
@mrcblki
Sources:
Les faces cachées du discours scientifique (dans la revue Langue française, numéro 64, 1984), Yves Gentilhomme
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