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Scepticisme scientifique : vers un monde de post-vérité ?

On dit souvent « ce n’est pas la fin du monde » … mais qu’en est-il réellement ? La dernière comédie apocalyptique « Don’t look up : déni cosmique », disponible sur Netflix, tente d’y voir plus clair tout en alertant sur les dérives de notre société. Parmi elles, la réception des vérités scientifiques auprès de l’opinion publique. Analyse de ce phénomène, sous le prisme de la pensée d’Etienne Klein et son essai « Le goût du vrai ».

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L’urgence climatique s’impose comme objet central de la nouvelle production du réalisateur Adam McKnay, tout en faisant écho au contexte épidémique dans lequel nous vivons. Le film, sorti le 24 décembre sur Netflix, relate la découverte inquiétante de deux astronomes : celle d’une comète qui entrera en collision avec la Terre, dans pas moins de six mois et quatorze jours. S’ensuit alors le début d’une quête médiatique, où les deux protagonistes vont tenter de prêcher la bonne parole, malgré divergence d’opinions, scepticisme et un désintérêt complet de la part des instances politiques. Une satire peut-être trop réaliste…

Les deux scientifiques, incarnés par Jennifer Lawrence et Leonardo Dicaprio, sont moqués et leurs discours instrumentalisés.  © Image promotionnelle Netflix

Derrière un humour grinçant, cette comédie met en exergue toute la complexité de notre monde moderne qui fait face à une véritable crise de la vérité. Léonardo Dicaprio, campant le rôle de l’un des astronomes, affirme d’ailleurs que « nous avons du mal à nous concentrer sur la vérité, et avec la crise du Covid, une nouvelle controverse scientifique s’est ouverte ».

Mais comment appréhender cette période d’incertitude ? Quelles opinions doit-on suivre et pourquoi y croire ? Quel rôle doit-on désormais accorder à la science ? Twitter ou vérités scientifiques ? Toutes ces questions, le philosophe et physicien Etienne Klein tente d’y répondre dans son ouvrage Le goût du vrai, publié en juillet 2020, en apportant un point de vue révélateur sur notre gestion de la situation.

Croire ou ne pas croire : une question devenue centrale

Qu’il s’agisse de pandémie mondiale ou de réchauffement climatique, nous ne savons plus à qui accorder notre confiance au sein de la sphère médiatique. Cela entraîne des réactions publiques qui génèrent un climat de doute. Etienne Klein s’y penche dès les premières pages de son essai, en abordant l’un des biais qui « contamine nos libertés de pensée » : cette tendance à parler de ce que l’on ne connaît pas ou l’ultracrépidarianisme. L’un des réseaux sociaux qui a décuplé la force de ce phénomène est sans aucun doute l’oiseau bleu, Twitter. Chacun souhaite exprimer son opinion, sur tout sujet, en tout temps, sans réelle raison valable. Le débat se polarise progressivement, sans trouver de consensus et les personnalités publiques mettent le feu aux poudres à coups de tweets.

© Capture d’écran de commentaires Instagram
© Capture d’écran Twitter

L’actrice Juliette Binoche et la chanteuse Nicki Minaj ne cachent plus leurs penchants antivax, l’homme politique Florian Philippot appelle à la résistance nationale, l’ancien Président Donald Trump continue de véhiculer son climato-scepticisme…

Klein évoque également l’Effet Dunning-Kruger, admettant que l’ignorance rend plus confiant que la connaissance. On repense notamment à l’arrivée du vaccin, l’annonce du pass sanitaire et aux nombreux invités à qui l’on a accordé des temps d’antenne sans qu’ils ne soient spécialistes en la matière. « Je ne suis pas médécin, mais » caractérise leurs discours qui peuvent prendre des ampleurs considérables, comme lorsque l’humoriste Jean-Marie Bigard a comparé le pass sanitaire à l’étoile jaune porté par les juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

Être à contre courant, un chemin de pensée fiable

Bien que les plateformes tentent de canaliser le flux d’informations, les publications complotistes continuent de se multiplier, notamment autour du mouvement anti-vaccins. Plus généralement, les utilisateurs ont tendance à croire ce qu’ils entendent ou lisent, en accordant une autorité aveugle à certaines personnalités et médias numériques. Klein appelle donc à réagir, en s’ouvrant à « une autre pensée que la pensée immédiate » ou penser contre son cerveau, comme le dirait Bachelard. 

Dans le contexte sanitaire que nous connaissons, il est plus important que jamais de vérifier les sources et les rumeurs que l’on voit circuler, en se rendant sur des sites experts sur le sujet comme celui du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui a récemment ouvert une page consacrée aux informations scientifiques officielles concernant le COVID-19. 

Lire aussi : « Fact-checking, fake news et faux fact-checking ». Un article de Léonore Godet, publié le 19 mars 2020, pour FastNCurious.

Quand certains scientifiques parviennent à semer le doute

Compliqué de prêcher la bonne parole scientifique, lorsque les canaux de communication sont ainsi brouillés par l’opinion publique et les déviances informatives. Mais plus compliqué encore lorsque les recherches de la communauté scientifique se retrouvent éclipsées par ces soi-disant chercheurs « qui ne sont pas vaccinés contre le narcissisme » (Etienne Klein).

Le documentaire La fabrique de l’ignorance, produite par la chaîne Arte, met en lumière la stratégie de ces industriels qui utilisent la « science contre la science ». Débutant dans les années 50 avec la découverte de la cancérogénicité du tabac, les industriels continuent aujourd’hui de réaliser leurs propres études afin de détourner l’attention autour des résultats scientifiques. Ils dissimulent ainsi leur véracité, en trouvant des origines extérieures au vrai problème. Cette technique a notamment été utilisée contre le Bisphénol A, le pesticide contre les abeilles ou encore le réchauffement climatique.

Publicité de 1950 : la figure du médecin utilisée pour vendre des cigarettes et contrer les possibles études scientifiques qui prouvent leur dangerosité.

Le danger ne s’arrête pourtant pas là, puisque des chercheurs parfois reconnus dans le milieu participent également à ce sophisme moderne qui se répand dans les médias. Claude Allègre, ancien ministre et géochimiste, nie toute cause humaine dans le réchauffement climatique et crédibilise le climato-scepticisme. Quant au mouvement anti-vaccins, Andrew Wakefield en est son prédicateur. Également ancien médecin et chercheur, il se fait connaître grâce à son étude fallacieuse, The Lancet (1998), qui établit un lien entre vaccin ROR (Rougeole-Oreillons-Rubéole) et autisme. Avec l’arrivée du COVID-19, ses recherches ont été reprises par les complotistes afin de légitimer leur opposition vaccinale. 

Ces deux personnages ne sont plus reconnus par la communauté scientifique, mais leurs paroles continuent de perpétuer le doute au sein des foules.

Il n’y a que la vérité qui fâche… mais doit-on pour autant l’éviter ?

Etienne Klein l’admet, le visage de la science est changeant et certaines vérités peuvent se révéler fausses. Mais pourquoi en arriver à croire ces colporteurs de fausses informations ? Le philosophe précise « Notre hâte de savoir créer une demande de conclusions, de certitudes que les scientifiques ne peuvent satisfaire puisque précisément, ils les cherchent ». Cette hâte s’explique peut-être par une appréhension, une crainte de notre part. La vérité nous effraie et une partie d’entre nous décide alors de se diriger vers des explications alternatives, qui résoudraient le problème par la colère et la révolte.

« La science donne beaucoup de satisfaction à celui qui y consacre son travail et ses recherches, mais fort peu à celui qui apprend les résultats ». – Nietzsche

Le climat anxiogène de nos sociétés nous pousse ainsi à assimiler la vérité aux mauvaises nouvelles et aux restrictions, plongeant notre monde dans une ère de post-vérité, où la peur du vrai viendrait à nous en dégoûter. Un rejet si prononcé qu’il est devenu coutume de décrédibiliser les travaux rigoureux des chercheurs. Le traitement journalistique de l’écologie le démontre bien. Les médias ne semblent pas assez informés sur le sujet et, dans un élan de vulgarisation idéaliste, déforment les véritables sources scientifiques.

L’une des scènes du film Don’t Look Up est particulièrement frappante, lorsque la journaliste réagit au discours fataliste mais véridique de l’astronome, jouée par Jennifer Lawrence : « We just keep the bad news light ». Une version édulcorée des mauvaises nouvelles ? Cela nous rappelle étrangement le roman post-apocalyptique de George Orwell (1984), où la frontière inexistante entre réalité et fiction est convenue et où l’information objective est abrogée pour laisser place à une croyance collective erronée.

L’intervention médiatique des astronomes n’est pas prise au sérieux, heurtée par les propos légers et creux des journalistes qui veulent « faire passer la pilule. »
© Image issue du film Don’t look up

Toutefois, il est encore temps de prendre en considération les dangers autour de la désinformation et des effets gourous qui nous amènent à médiatiser des discours faussés. L’espoir d’une nouvelle génération plus prévenante, qui saura faire face à la vérité, apportera peut-être un éclair de lucidité, comme le scande Ariana Grande dans le film de McKnay (« Just look up, turn off the shitbox news […] listen to the goddam qualified scientists ») et qui redonnera de la crédibilité à cette discipline que nous avons diabolisée par inadvertance :  la science.

Bilal Berkat

Et si nous poussions le débat encore plus loin ?

[ETUDIANTS EN L3 AU CELSA]

Rendez-vous le 7 janvier à 14h, pour une conférence au CELSA, destinée aux L3 donc, autour des controverses scientifiques liées au fake news et la crise de la vérité, en présence d’Etienne Klein. 

N’hésitez pas à préparer vos questions autour du sujet et à nous les soumettre sur Instagram !


Bibliographie/sitographie :

Etienne Klein, Le goût du vrai, 2020

Olivier Godard, Le climato-scepticisme médiatique en France : un sophisme moderne, 2012, p. 47 à 69.

Laura Narlian, « Don’t Look Up, déni cosmique », une comédie apocalyptique au vitriol portée par Leonardo DiCaprio et Jennifer Lawrence, [publié en ligne le 26/12/2021].

Luc de Brabandère, La vérité a toujours été secouée, mais aujourd’hui elle est en crise, [publié en ligne le 23/11/2020].

Adrien Sénécat et Assma Maad, Les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie, [publié en ligne le 12/11/2020].

Charlotte Chapius, Ces personnalités qui ont mis en doute la vaccination, [publié en ligne le 22/10/2021].

Jennifer Gallé, Pourquoi le climatoscepticisme a-t-il tant de succès aux Etats-Unis, [publié en ligne le 09/01/2020].

Becky Little, When Cigarette Companies Used Doctors to Push Smoking, [publié en ligne le 11/09/2019].


Documentaires :

La fabrique de l’ignorance, Arte, Pascal Vasselin, Franck Cuvelier,

Antivax – Les marchands de doute, Arte, Lise Barnéoud, Marc Garmirian, Colette Camden, Flora Bagenal 


Illustration : © Bilal Berkat

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