Société

Les Gérard

 
Il n’y a pas que Gérard Depardieu dans la vie, il y a aussi les Gérard. Ce lundi s’est en effet tenue la septième cérémonie des Gérard de la Télévision récompensant les plus mauvais programmes et animateurs de la télévision française. Cette parodie des Sept d’Or créé en 2007 par trois amis écrivains et journalistes décerne à chaque lauréat un énorme parpaing doré surmonté d’une plaque portant la catégorie de la récompense.
Des rédacteurs de FastNCurious se sont rendus à Bobino dans le 14ème arrondissement.
19h30
La file d’attente débouche sur la rue de la Gaité. Dans la foule, les invités n’ont pas l’air surpris d’être là mais plutôt habitués et détendus. Tout le monde semble se connaître, c’est un peu comme un spectacle de fin d’année où sont invités parents, amis et lointains proches.
19h45
Les animateurs sont présents à l’entrée, dans le courant d’air. On se serre la main, on se félicite, on se claque la bise. On est entre nous après tout. Les présentateurs jouent la carte de la proximité avec un public qu’ils connaissent bien et qu’ils ont, en grande majorité, eux-mêmes invité.
20h00
Nous pénétrons dans la salle Bobino aménagée façon Hollywood, des énormes spots lumineux de toutes les couleurs, un tapis rouge, un grand écran : ambiance 20th Century Fox. La plupart des sièges sont « réservés ». A qui ? Aux professionnels de la télévision, aux personnalités de la télévision et aux journalistes, plusieurs d’entre eux composent d’ailleurs le jury des Gérard. Ce soir, la télévision s’adresse à la télévision. Les autres sont des curieux. Les deux types à côté de nous ne tiennent plus en place : ils veulent voir du « people. »
20h (‘Gérard de la super soirée au El Crétino Circus’)
Stéphane Rose, chargé de la fausse veille médiatique en direct annonce la couleur et le ton très fin que prendra l’émission : « puisqu’on parle de « Qui veut épouser mon fils », je voudrais vous signaler le lancement en 2013 d’une émission dérivée : Qui veut fister mon époux ? »
20h45

La cérémonie débute. En fait, elle a débuté il y a quelques semaines lors de l’annonce, tant attendue, des catégories et des personnalités en lice.  On nous informe que Stéphane Rose animera un live-tweet qui est en fait un détournement alimenté de faux tweets d’Audrey Pulvar sur sa rupture avec Montebourg et son “kikou love” avec Booba et Matt Pokora.

21h00
Raphael Mezrahi (oui, il existe toujours !) apparaît sur scène en envoyé spécial abruti, à l’image de son passé. Il a ponctué la soirée de faux reportages en direct des grandes chaînes de télévision.

21h15
Arnaud Demanche et quelques comédiens parodient TF1 avec l’émission “Saw Lanta”: « Alors les rouges, en ce moment c’est pas facile … Pas de feu … Pas de nourriture … Armand qui a dû être évacué par hélicoptère après s’être transpercé la jambe avec un bambou … Patrick qui est mort de faim avant-hier… C’est pas la joie, hein ? » Les catégories contribuent certes au succès de la cérémoniemais les animateurs l’enrobent de sketchs, de parodies d’émissions et de fausses improvisations qui apportent de l’humour et du rythme à la soirée.
21h36
(« Gérard de la personnalité à qui on aurait bien aimé remettre un Gérard, mais voilà, trop tard »)
Comme bien souvent, Fred Royer et Arnaud Demanche rebondissent sur l’annonce du lauréat pour provoquer des éclats de rire : « Je suppose que Thierry Roland n’est pas dans la salle ? » Les trois amis sur scène prennent un malin plaisir à adopter une liberté de ton, rare pour un direct, mais que permet une chaîne comme Paris Première.
22h
(« Gérard de l’animateur embourgeoisé qui se regarde dans le miroir en repensant aux années où il avait des cheveux, des abdos, des idées l’envie de provoquer, de conquérir le monde (…) avant d’aller repasser sa cravate fluo pour son jeu du midi »)
Après la victoire de Naguy, Christophe Dechavanne, lauréable, orchestre une parodie de l’UMP en critiquant un trucage des votes. Il exige un recomptage des voix en direct en faisant participer le public qui salue son fair-play. Qualifiés chaque année de bobos gauchistes en quête de reconnaissance, les Gérard utilisent volontiers ce ton décalé pour anéantir les critiques qui finissent par tourner en rond.
22h20
Le « Gérard de l’émission où on t’explique que t’as tout à apprendre de pygmées de 1m40 qui ont des frisbees dans les lobes d’oreilles, des anneaux de pêche dans le nez, des plateaux de cantine dans les lèvres, des nichons en forme de bananes, plus une dent et la bite dans un tube en bambou » est décerné à « Rendez-vous en terre inconnue » de France 2.
Le sondage « TV Notes 2012 » du site Puremedias.com montre que les Gérard correspondent aux personnalités télé les plus appréciés des Français, il en va de même pour les émissions. Parmi les nominations aux Gérard 2012, nous avons repéré le meilleur magazine de société « Enquête exclusive » (M6), la meilleure émission événementielle « Rendez-vous en terre inconnue » (France 2), la meilleure série française « Bref » (Canal +), le meilleur présentateur du JT Laurent Delahousse (France 2). Les Gérard ne récompensent donc pas les plus mauvais de la télévision. Ils cherchent les piques d’audience et les chouchous du public. Plus que les nominés, c’est la qualité des catégories qui importe.
22h36
Christian Jeanpierre, commentateur phare de l’Equipe de France de fooball reçoit le « Gérard du GROS MALADE QUI HURLE COMME UN GROS MALADE QUAND THOMAS VOECKLER EFFECTUE UNE REMONTEE FANTASTIQUE DANS LE TOURMALET OU QUAND FRRRRRRRRRRRRANCK RIBERY MET LE BUT DU KOOOOOOOOOO !!! ».
22h40
Après la victoire d’Arthur pour le « Gérard de l’animateur qui fait de la scène, mais qui ferait mieux de se jeter dedans », nous commençons à comprendre que les auteurs utilisent les têtes à claques de la télévision, ceux que les gens adorent critiquer : Sébastien Follin, Jean-Marc Morandini, Audrey Pulvar, Eric Zemmour, Christophe Hondelatte.
 
23h
On sort de la salle, certains d’avoir passé une bonne soirée. Réintroduire un retour sur critique de la télévision, tel semble être l’objectif des Gérard. Tout le monde en mange pour son grade, Laurence Ferrari est élue plus mauvaise animatrice de l’année, Vincent Cerruti plus mauvais animateur, au grand dam du public qui réclamait la tête de “Morandini”. Les Gérard rappellent que la télé n’est que de la télé et qu’il ne faut pas trop se prendre au sérieux, au risque de repartir avec un joli parpaing.
 
Steven CLERIMA
Recommandations :
Article du Nouvel Obs
Palmarès TV Notes 2012, organisé par Puremedias
Article de Paris Première
 

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Capture Ecran Pub TV Fraises Tagada Haribo 2012 - Couple d'adultes enfants
Publicité et marketing

Tagada ou la schizophrénie de Peter Pan

 
Le 6 juin, Haribo a lancé La Bombe, un nouveau film publicitaire dédié à l’une de ses marques filles les plus emblématiques : les fraises Tagada ! Orchestrée par l’agence Hémisphère Droit, cette nouvelle prise de parole est symptomatique d’une pathologie inhérente à la marque Haribo.

Le pitch est simple : une action surprenante vient perturber le quotidien banal d’un couple normal. La fraise Tagada est bien sûr à l’origine de cet instant de folie qui conduit la jeune femme à sauter toute habillée dans sa baignoire. On retrouve ainsi le ressort comique utilisé dans la campagne Njut! d’IKEA, elle aussi orchestrée par l’agence Hémisphère Droit… On ne change pas une équipe qui gagne ! Quoique, la même idée ne gagne pas à tous les coups…
Le film s’adresse a priori à un public adulte. Malgré tout, le monde de l’enfance est présent et envahit le monde des adultes grâce aux fraises Tagada qui permettent de retrouver son insouciance. Haribo illustre ici le syndrome de Peter Pan, une certaine nostalgie de l’enfance, et l’affirme par sa signature : « on grandira plus tard ». Le bénéfice émotionnel défendu par la marque est ce moment de liberté, d’insouciance, de plaisir d’enfant qu’offre la consommation d’une fraise Tagada.
La démonstration de ce bénéfice émotionnel passe par le ton résolument décalé de cette publicité. Toutefois, on sent que ce registre n’est pas complètement assumé par la marque. Le rendu final reste très sobre et gentil. Les couleurs sont pâles, les expressions maîtrisées…On s’adresse à des adultes avec un gag pour enfant. C’est là que l’on prend conscience de la schizophrénie d’Haribo, qui souhaite réaliser un film destiné aux adultes mais n’assume pas pleinement son choix de cible. Et cette schizophrénie n’est pas sans conséquences. En voulant garder une tonalité qui plaise à la fois aux enfants et aux adultes, la marque freine le potentiel de l’idée créative de départ pour se retrouver, en fin de compte, avec un film relativement plat.
Haribo veut être une marque intergénérationnelle, elle le rappelle à  tout moment à travers son jingle, qui reprend la signature transversale à tous ses produits : « Haribo c’est beau la vie, pour les grands et les petits ». Mais comment garder un message fort et cohérent à travers une gamme de produits si large, et en s’adressant à une cible si étendue ? Haribo a fait le choix de la consensualité, et a ainsi confié ses différentes marques filles à différentes agences. Aussi, seule sa signature historique fait le lien entre ses différents produits. Néanmoins, pour une marque leader, la clé du succès est peut être dans le choix d’un ton qui ne fait pas de vagues. Ou tout simplement parce que ses bonbons sont bons…à tout âge !
 
Pierre-François JAN

Société

La voix universelle

 
En matière de programmes audiovisuels, l’achat de concepts étrangers est moins coûteux que la création originale et le plagiat, gage de succès. Super Nanny et A la recherche de la Nouvelle Star (Pop Idol) sur M6, Koh Lanta (Survivor) sur TF1… Plus récemment You can dance (So you think you can dance) sur NT1. La France est friande de ces importations. L’inverse est moins vrai. Les exportations françaises sont plus rares ,bien que Camera Café ou Kaamelott (société de production CALT) se soient vendus comme des petits pains sur les autres continents et que le Fort Boyard accueille vingt-cinq nationalités entre ses murs. Ce procédé apparaît comme un moyen intelligent de minimiser les risques pour les chaînes importatrices puisque le programme, déjà installé sur un territoire, donne a priori davantage de garanties qu’une nouvelle création onéreuse. La question qui se pose pour les sociétés de production internationales (Endemol ou Fremantle pour n’en citer que deux) est l’adaptabilité des programmes de création pour l’étranger.
Médiamétrie nous apprend, le 22 mars dernier, que le divertissement se hisse en seconde place du podium des genres les plus regardés dans le monde et qu’il compte pour 38% des « 10 meilleurs programmes tous pays confondus ». Véritable exutoire aux informations anxiogènes, le divertissement rend donc la télévision plus digeste pour le téléspectateur. Parmi eux, les formats musicaux – et tout particulièrement ceux qui s’évertuent à dégoter de nouveaux talents, sont les plus exportés : Got Talent figure dans les tops 10 de 11 pays* mais le dernier spécimen, qui crève nos écrans depuis peu et se hisse en pole position n’est autre que The Voice, véritable franchise internationale pour laquelle TF1 a signé un protocole d’accord début 2011. La version française, produite par Shine France est ainsi une adaptation de « The Voice of Holland » créé par John De Mol (Endemol) diffusé sur RTL4 aux Pays- Bas.
Depuis l’arrêt de Star Academy en 2008, faute d’audience, TF1 cherchait en vain un nouveau concept de télé-crochet. Le format se veut plus original et caractérisé par trois phases : un jury composé de quatre professionnels font, dans un premier temps, passer des « auditions à l’aveugle », installés dans quatre fauteuils rouges faisant dos aux candidats – auditions qui arrivent après des sélections, semblables à tout autre casting, effectuées en amont. Chaque juré est muni d’un « buzzer » qui lui permet de faire pivoter son siège pour signifier au candidat qu’il souhaite le recruter dans ses rangs. Si plusieurs « coachs » se tournent, c’est alors au candidat de faire son choix. Le temps de quelques secondes, les rôles s’inversent ! Lors de l’étape suivante, chaque équipe s’affronte en interne lors des « battles » dans un décor de ring de boxe. Puis arrivent les « live shows », phase commune à tout télé-crochet. Ce concept d’audition aveugle nourrit cependant le débat. Malgré un véritable effort de démythification des canons de beauté et des critères physiques de sélections des autres télé-crochets et castings en tout genre, il faut avouer que les pré-sélections et les « battles », quant à elles, ne se font pas à l’aveugle ! Il est ainsi tout à fait possible qu’un physique « hors critères » soit sélectionné lors de la première étape et renvoyé chez lui dès la deuxième. Kant disait que seule la bonne intention est morale, nous nous posons ainsi la question !
Des formats qui voyagent…
Une voie/voix qui s’universalise véritablement puisque The Voice a déjà été vendu et adapté dans une quarantaine de pays sur quatre continents, de l’Australie à l’Indonésie, de la Corée du Sud à la Macédoine en passant par l’Ukraine, de la Turquie à l’Argentine et bien entendu, des USA au Royaume-Uni ! Les résultats français sont remarquables : ce programme de divertissement s’impose comme le grand leader du moment sur le grand public, les ménagères et les 15-34 ans avec 8,2 millions de téléspectateurs soit 37,3% de part de marché pour le samedi 24 mars dernier**. The Voice se place ainsi au deuxième rang des meilleures performances historiques de la chaîne ; ce qui reste exceptionnel pour un samedi soir.
Pas d’asymétrie entre les différentes versions mais une certaine homogénéité au contraire ! Le choc des cultures n’est pas au rendez-vous (ou presque) lorsque l’on visionne les différentes versions et le programme est universel.
Test réalisé avec l’Albanie, la Corée du Sud, le Royaume-Uni ou les USA qui utilisent tous la même recette : des jurés qui se disputent les candidats retenus et se veulent amicaux, des performances accompagnées par des musiciens… Les USA, le Royaume-Uni, la France et la Corée du Sud semblent s’être accordés sur le même modèle de jury : une femme et trois hommes ! On retiendra également des profils et physiques atypiques parmi les candidats (pré-sélectionnés lors d’un casting, rappelons-le !) ou encore des hommes aux voix de femmes et inversement.
De la communication à la conversation
Le programme est à la pointe de la mutation des rôles du public, passé du statut de simples téléspectateurs à celui de participants actifs et créatifs. Il n’est plus seulement question de communication lorsqu’il s’agit de The Voice mais bien de conversation, de connexion, de transmédiation. Chaque émission met en avant la présence du programme sur les réseaux sociaux Twitter (proposant le hashtag #thevoice) et Facebook. Lors de la première saison de diffusion aux USA, en 2011, un « live-tweet » était même projeté sur nos écrans lors des live shows. Les différentes adaptations ont su prendre parti des transformations médiatiques pour en user à bon escient dans une stratégie marketing bien rodée ! Tendons-nous progressivement vers une mondialisation des formats TV ?

Harmony Suard
Sources :
* selon Médiamétrie
** selon TF1

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Pub Biomen, un shampoing
Publicité et marketing

« Biomen : une publicité 100% mauvais goût »

 
Et non vous ne rêvez pas! Il ne s’agit pas d’une association douteuse d’images, mais réellement de clichés tirés d’une publicité diffusée depuis une semaine sur la télévision turque. Dans ce spot, la marque Biomen détourne des images du Führer doublées en turc et sous-titrées en allemand, pour vanter les mérites de son shampooing “100% réservé aux hommes”. « Si vous ne portez pas une robe de femme, vous ne devriez pas non plus utiliser son shampoing » clame le Führer en tapant du poing devant une foule en délire. Lors de sa diffusion, ce spot a suscité l’indignation d’associations luttant contre l’antisémitisme qui ont demandé son retrait immédiat.
Cette publicité est particulièrement insultante et de mauvais gout. Ici, le raisonnement est le suivant : tout d’abord il est établi que l’achat du shampooing est seulement l’affaire des femmes et que, par défaut, les hommes n’utilisent pas leur propre shampooing. Première conclusion : les hommes n’achètent pas de shampooing. Il est vrai que les marques s’adressent en général plutôt aux femmes qui sont les premières consommatrices de produits d’hygiène et de cosmétiques, mais depuis une dizaine d’années, le marché s’est ouvert aux hommes. Ensuite il semblerait que le choix du shampooing fasse partie de ce qui caractérise les femmes, comme la robe, le maquillage ou encore le soutien-gorge. Donc se laver les cheveux avec le shampooing de sa femme ferait de l’homme une femme. Dans ce cas, pourquoi ne pas bientôt proposer du savon masculin, de la lessive masculine ou des aspirateurs 100%  réservés aux hommes ?
Certes, le message de cette publicité s’adresse aux hommes, mais il ne faut pas oublier le cœur de cible secondaire : les épouses qui achètent pour leur mari ou les mères qui achètent pour leur fils. Comment une femme peut-elle se sentir séduite par ce genre de discours ? Il semblerait que Biomen ait volontairement fait le choix de s’amputer de l’adhésion des femmes en favorisant « l’humour » car oui, il s’agit bien d’humour ici !
Le choix du personnage est également discutable. Pour quelle raison la marque Biomen a-t-elle choisi d’associer son image à la personnalité certainement la plus haïe de toute l’Histoire de l’Humanité, au lieu des habituels acteurs ou joueurs de football ? Apparemment, Hitler était un homme, un vrai. Peu importe les millions de morts causées par l’idéologie nazie, peu importe la barbarie dont elles ont été les victimes, peu importe les traumatismes de la guerre, c’est ça être un homme et un homme se lave les cheveux avec du shampooing d’homme. On en est revenu à l’homme des cavernes et sa massue, qui hurle pour faire fuir ses adversaires.
La publicité se doit de séduire sa clientèle, non de l’insulter ni de la stigmatiser. Elle doit être plaisante et on doit pouvoir s’y assimiler. Biomen a fait le choix de jouer sur l’aspect macho des hommes et ce qui lui semble être la définition de la virilité, et pourtant, quand on voit ce spot, que l’on soit un homme ou une femme, on ressent un rejet immédiat. Qui a envie d’être associé au plus tristement célèbre meurtrier de masse ? Ici, l’aspect séduction a totalement été mis de côté au bénéfice de la stratégie de buzz.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’image d’Hitler a souvent été détournée dans les campagnes de publicité afin de susciter l’intérêt des consommateurs. Il semblerait que ce soit la stratégie adoptée par Hulusi Derici qui a réalisé cette publicité ; il se justifie dans le magazine Marketing Turkiye : « Si les gens parlent de la publicité pour un produit, cela fait exister le produit ».  Cependant, le Führer reste un personnage hors du commun, qu’il faut savoir prendre avec précaution. Il est dangereux de le présenter dans une pub comme un personnage sympathique. Hulusi Derici ajoute : « s’ils ne comprennent pas la blague, c’est leur problème. » L’agence publicitaire refuse de supprimer la vidéo, affirmant que «le message du commercial était plein d’humour». Une bonne blague qui ne risque pas de faire Führer…
 
Camélia Docquin

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Politique

Débats télévisés et présidentielle : quelle incidence du format sur le discours des candidats ?

 
Qui dit campagne présidentielle dit émissions de campagne : « Paroles de Candidat » sur TF1 et « Des paroles et des actes » sur France 2 reçoivent les principaux candidats à la présidentielle. Emissions de prime time, audiences fortes, commentées en live sur Twitter par des milliers de personnes (hashtags : #pdf #dpda). Elles sont des occasions uniques pour les candidats de faire entendre leur « parole » au plus grand nombre.
« Paroles de français » sur TF1, renommée « Paroles de candidat » pour la campagne présidentielle, est une émission où se confrontent des participants soigneusement choisis et un présidentiable. Ce dispositif est l’occasion pour le candidat de rebondir sur de nombreux sujets : agriculture, sécurité, enseignement, etc. Ainsi ce n’est pas Laurence Ferrari qui interviewe réellement le candidat, mais des Français, réduits à une simplicité facilitante pour l’émission : un homme, un problème, un sujet, une solution présentée par le candidat. Des journalistes sont aussi présents pour titiller les présidentiables sur des sujets plus complexes comme l’économie. L’image d’un dialogue simple entre le candidat et les personnes présentes donne à penser au spectateur que celui-ci est proche des problèmes des Français. Il ramène pourtant à une vision un peu populiste de la politique, à savoir que chaque problème personnel est forcément lié à un problème important de la société.
« Des paroles et des actes » sur France 2, présentée par David Pujadas, est une émission « pot-pourri », à la fois entre le talkshow à l’américaine, l’émission d’économie pure et le débat incisif entre journaliste et candidat ou candidat contre candidat. En ce sens, elle semble être un résumé rapide de toutes les épreuves que les candidats ont à passer dans cette campagne. L’aspect talkshow est donné par l’interview du début par la journaliste Nathalie Saint-Cricq : on attaque François Hollande sur son poids, Nicolas Sarkozy sur son « casse-toi pauvre con ». Cela est suivi par le questionnaire économique pointu de François Lenglet, puis par une interview plus institutionnelle avec Fabien Namias. Le présidentiable se retrouve ensuite à débattre avec un contradicteur, avant de reprendre l’émission point par point avec Franz-Olivier Giesbert et Hélène Jouan. En ce sens, c’est un bilan complet pour le candidat : image médiatique, économie, idées sur la politique et les institutions, capacité à débattre. Ce format semble pourtant diviser la politique en strates, rendant parfois difficile la vision d’un projet de société complet de la part des candidats.
Ces émissions très regardées semblent être un passage obligé ou du moins voulu par tous les candidats : c’est le cas d’Eva Joly, dont le porte-parole Sergio Coronado dénonce « la logique sondagière » de France 2 qui n’a pas encore invité la candidate. On peut conclure par le fait qu’il est étonnant de remarquer qu’à l’heure du digital, la télévision semble encore être le principal média de la campagne présidentielle. Il est d’ailleurs le seul à être soumis à des temps de paroles (cf Les images et la spontanéité forcée, Thomas Millard, Asymétrie, December, 5th 2011).
 
Ludivine Preneron
Crédits photo : ©Ladmedia.fr

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Al-Jazi Foot
Société

Al-Jazi quoi ?

Le 6 décembre 2011, Al-Jazeera (ou Jazira pour les intimes) rentre dans la danse de l’attribution des droits télé de la Ligue des Champions, jusqu’à présent détenus par TF1 et Canal+. Pour les passionnés de curling ou ceux qui ne jurent que par « les valeurs de l’ovalie » — le rugby quoi —, la Champions League en VO c’est le top of the top du football européen. Pendant huit mois, les trente-deux meilleures équipes européennes se livrent une lutte sans merci pour régner sur le vieux continent. Outre la gloire — pour un footeux, remporter la CL, c’est aussi beau qu’une coupe du monde — une telle compétition c’est aussi l’occasion de remplir les caisses des clubs grâce aux juteux droits télé que l’UEFA (l’instance dirigeante du football européen) distribue en fonction de leurs performances dans la compétition. À titre informatif, l’UEFA balance plus de 750 millions d’euros chaque année aux Real Madrid, Manchester United et autres Milan AC ; le vainqueur de la coupe aux grandes oreilles — comme Mickey ouais c’est marrant — pouvant récolter à lui seul plus de 30 millions d’euros.
Tous les quatre ans les droits sont renégociés entre l’UEFA et les chaines de télé intéressées. Des appels d’offre sont lancés, et les plus généreux raflent la mise. Problème, cette année un petit nouveau coiffé de son keffieh est venu bouleverser le game : les Qataris d’Al-Jazira Sport. Jusqu’ici TF1 et Canal+ se partageaient les lots mis en jeu: TF1 récupérait les 13 premiers choix dont la finale, pendant que Canal+ raflait le reste (133 matchs, plus des émissions spéciales).
Côté qatarien on n’a pas pour habitude de s’embarrasser avec des histoires d’argent. Alors si Canal+ proposait 31 millions pour ses 4 lots habituels, les Qataris ont posé 60 millions sur la table. Le double, en toute décontraction. Bertrand Méheut — PDG de la télé du Plus — essayait de camoufler l’échec avec des « oh mais vous savez le foot n’est qu’un élément parmi d’autres de notre offre ». Ouais, pas à nous Bertrand. Humiliation suprême, Charles Biétry, ex-directeur des Sports chez Canal viré comme un malpropre en 1998, prenait la tête d’Al-Jazeera Sports France. Belle quenelle glissée à son ex-employeur. Pour sauver la face, et éviter de virer la ribambelle de consultants sportifs qui officient sur Canal — sachant que chaque ex-entraineur de Ligue 1, ou pseudo international français aussi mauvais soient-ils avec un sifflet, un ballon ou un micro peuvent postuler à un poste chez Canal, ça fait un sacré nombre — Méheut a ramassé les miettes en piquant le lot historique de TF1.
Résultats des courses, les soirées Champions League vont coûter un peu plus cher que la Domino’s pizza à 7€99 du mardi soir. Il faudra s’abonner soit à Al-Jazira soit à Canal+ pour se régaler devant les exploits de Benzema et ses copains.
Cette information faisait en fait écho à une précédente brève qui est passée un peu plus inaperçue. La même Al-Jazira s’était offert un petit lot de matchs de Ligue 1 — le championnat français qui nous offre parfois des petits bijoux comme un succulent Dijon – Valenciennes au stade Gaston-Gérard —, et ce pour 90 millions d’euros. Les emplettes des Qatariens font en réalité partie d’un dessein bien plus grand.
Petit rappel : si vous étiez sur une autre planète l’été dernier, le PSG — club de la capitale, éternel prétendant à devenir un « grand d’Europe »  — a été racheté par les mêmes Qatariens via Qatar Sport Investment. L’objectif est donc simple: promouvoir le club et le football français en France mais aussi dans tout le Moyen-Orient par le biais du championnat de France et la Ligue des Champions à laquelle le PSG participera l’année prochaine, sauf cataclysme. Effectivement, le Qatar accueillera sous 45 degrés le Mondial 2022, donc il est urgent de s’y mettre pour essayer d’insuffler la passion du football dans une région pas particulièrement portée sur le ballon, mais prometteuse puisque 65% de la population a moins de 25 ans.
Cependant Al-Jazira ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Plus ambitieux, Al-Jazira Sport pourrait jeter son dévolu sur la retransmission des Euro 2012 (Polo-Ukraine) et 2016 (France) diffusés en règle générale sur TF1 et M6.
Petit à petit, Al-Jazira vient grignoter le peu de sport retransmis gratuitement qui survivait sur les chaines gratuites. La question n’est pas tant de savoir si l’action d’Al-Jazira est légitime étant donné que de tels rachats profitent au football français dans son ensemble, et qu’il est normal que le plus offrant récolte son dû. En effet, le résultat est le même avec Canal+ qu’Al-Jazira : le foot quitte la sphère du gratuit. Que les matches de Ligue des Champions se retrouvent sur les chaines payantes est somme toute la conséquence attendue d’une compétition qui se place dans une logique purement économique ; certains clubs — comme l’Olympique Lyonnais — frisant la banqueroute en cas de non-qualification. Mais que des compétitions comme l’Euro mettant aux prises les équipes nationales du continent échappent peu à peu aux chaines gratuites semble être un dévoiement non souhaitable. Effectivement, le football et le sport en général ne peut se résumer à une affaire de gros sous. La télévision reste aujourd’hui le seul moyen de vivre ensemble — pour un pays — un moment de communion que seul le sport peut nous offrir. Il serait dommage que certains soient privés de ce spectacle parce que certaines chaines auraient failli à leur mission.
 
PAL

Annonce de la mort de Kim Jong II à la télévision par une présentatrice en pleurs
Politique

L'art des médias nord-coréens

Le dictateur Nord Coréen Kim Jong Il est mort le 17 décembre dernier à la suite d’une crise cardiaque à l’âge de 69 ans. Après 17 ans d’un règne sans partage, c’est son plus jeune fils Kim Jong-eun qui prendra sa place en tant que « Dirigeant Suprême de la République populaire démocratique de Corée».
L’annonce en direct de la disparition du « Cher Dirigeant » par la télévision d’état KRT a donné lieu à  une nouvelle démonstration du puissant appareil de propagande nord-coréen. A l’écran, la mort de Kim Jong Il est présentée comme un véritable drame national. La présentatrice,  mise en scène en tenue de deuil sur fond de montagnes et de forêt, peine, à grand renfort de pathos, à annoncer la nouvelle : le soleil de la nation est mort. D’un ton grave et solennel, elle déclame fastidieusement ses quelques lignes tout en ravalant ses larmes : « nous faisons cette annonce avec une grande tristesse ». On s’attend presque à la voir s’effondrer de désespoir. Au regard des conditions de vie catastrophiques des Nord-Coréens, il est difficile de ne pas se demander si la jeune femme pense réellement ce qu’elle clame. En tout cas, sa prestation médiatique ne doit rien laisser paraître.
Le choix de l’arrière-plan n’est non plus pas anodin puisqu’il s’agit du mont Paektu, décor de nombreuses légendes coréennes, notamment la légende officielle qui raconte la naissance du dirigeant nord-coréen. Ce jour-là, un grand glacier du mont Paektu aurait émis un son mystérieux, pour ensuite se briser et laisser échapper un double arc-en-ciel. Puis la plus haute étoile du ciel serait apparue. Tout un symbole donc : éternité et immortalité d’un dirigeant et d’une dynastie qui veille, qu’ils le veuillent ou non, sur tous les coréens. Le dirigeant est mort mais son pouvoir reste immuable tout comme les forces de la nature.
Un arrière-plan unique, immobile, standard comme sur beaucoup de chaînes d’Etats totalitaires. Il n’y aura rien de plus à voir que ce que l’on nous donnera à voir, c’est-à-dire rien. Rien du quotidien du peuple nord-coréen qui meurt de faim. Rien de la misère et rien de la répression. Malgré les images de coréens hystériques à l’annonce de la mort du dictateur qui ont circulé sur les médias étrangers, on peut imaginer une réalité bien différente de ce fond immobile et de cette présentatrice éplorée.
Cette mise en scène ne change en rien des thèmes habituellement abordés sur KRT qui, comme tout bon média de propagande, traite essentiellement et glorifie tous les faits et gestes du « Dirigeant Bien-Aimé ». Il n’est donc pas absurde de supposer une  annonce réglée comme du papier millimétré. On aurait pu espérer un relâchement dans l’appareillage médiatique de l’Etat mais cette mise en scène et l’ensemble des images que nous avons pu observer nous prouve que la mort de Kim Jong Il ne menace pas pour autant la stabilité de ce régime dictatorial. Ce qui est sûr c’est que même après son décès, l’ombre de Kim Jong Il plane toujours sur la Corée du Nord.
 
C.D.
 
Crédits photo : ©20 minutes

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