Société

La voix universelle

 

En matière de programmes audiovisuels, l’achat de concepts étrangers est moins coûteux que la création originale et le plagiat, gage de succès. Super Nanny et A la recherche de la Nouvelle Star (Pop Idol) sur M6, Koh Lanta (Survivor) sur TF1… Plus récemment You can dance (So you think you can dance) sur NT1. La France est friande de ces importations. L’inverse est moins vrai. Les exportations françaises sont plus rares ,bien que Camera Café ou Kaamelott (société de production CALT) se soient vendus comme des petits pains sur les autres continents et que le Fort Boyard accueille vingt-cinq nationalités entre ses murs. Ce procédé apparaît comme un moyen intelligent de minimiser les risques pour les chaînes importatrices puisque le programme, déjà installé sur un territoire, donne a priori davantage de garanties qu’une nouvelle création onéreuse. La question qui se pose pour les sociétés de production internationales (Endemol ou Fremantle pour n’en citer que deux) est l’adaptabilité des programmes de création pour l’étranger.

Médiamétrie nous apprend, le 22 mars dernier, que le divertissement se hisse en seconde place du podium des genres les plus regardés dans le monde et qu’il compte pour 38% des « 10 meilleurs programmes tous pays confondus ». Véritable exutoire aux informations anxiogènes, le divertissement rend donc la télévision plus digeste pour le téléspectateur. Parmi eux, les formats musicaux – et tout particulièrement ceux qui s’évertuent à dégoter de nouveaux talents, sont les plus exportés : Got Talent figure dans les tops 10 de 11 pays* mais le dernier spécimen, qui crève nos écrans depuis peu et se hisse en pole position n’est autre que The Voice, véritable franchise internationale pour laquelle TF1 a signé un protocole d’accord début 2011. La version française, produite par Shine France est ainsi une adaptation de « The Voice of Holland » créé par John De Mol (Endemol) diffusé sur RTL4 aux Pays- Bas.

Depuis l’arrêt de Star Academy en 2008, faute d’audience, TF1 cherchait en vain un nouveau concept de télé-crochet. Le format se veut plus original et caractérisé par trois phases : un jury composé de quatre professionnels font, dans un premier temps, passer des « auditions à l’aveugle », installés dans quatre fauteuils rouges faisant dos aux candidats – auditions qui arrivent après des sélections, semblables à tout autre casting, effectuées en amont. Chaque juré est muni d’un « buzzer » qui lui permet de faire pivoter son siège pour signifier au candidat qu’il souhaite le recruter dans ses rangs. Si plusieurs « coachs » se tournent, c’est alors au candidat de faire son choix. Le temps de quelques secondes, les rôles s’inversent ! Lors de l’étape suivante, chaque équipe s’affronte en interne lors des « battles » dans un décor de ring de boxe. Puis arrivent les « live shows », phase commune à tout télé-crochet. Ce concept d’audition aveugle nourrit cependant le débat. Malgré un véritable effort de démythification des canons de beauté et des critères physiques de sélections des autres télé-crochets et castings en tout genre, il faut avouer que les pré-sélections et les « battles », quant à elles, ne se font pas à l’aveugle ! Il est ainsi tout à fait possible qu’un physique « hors critères » soit sélectionné lors de la première étape et renvoyé chez lui dès la deuxième. Kant disait que seule la bonne intention est morale, nous nous posons ainsi la question !

Des formats qui voyagent…

Une voie/voix qui s’universalise véritablement puisque The Voice a déjà été vendu et adapté dans une quarantaine de pays sur quatre continents, de l’Australie à l’Indonésie, de la Corée du Sud à la Macédoine en passant par l’Ukraine, de la Turquie à l’Argentine et bien entendu, des USA au Royaume-Uni ! Les résultats français sont remarquables : ce programme de divertissement s’impose comme le grand leader du moment sur le grand public, les ménagères et les 15-34 ans avec 8,2 millions de téléspectateurs soit 37,3% de part de marché pour le samedi 24 mars dernier**. The Voice se place ainsi au deuxième rang des meilleures performances historiques de la chaîne ; ce qui reste exceptionnel pour un samedi soir.

Pas d’asymétrie entre les différentes versions mais une certaine homogénéité au contraire ! Le choc des cultures n’est pas au rendez-vous (ou presque) lorsque l’on visionne les différentes versions et le programme est universel.

Test réalisé avec l’Albanie, la Corée du Sud, le Royaume-Uni ou les USA qui utilisent tous la même recette : des jurés qui se disputent les candidats retenus et se veulent amicaux, des performances accompagnées par des musiciens… Les USA, le Royaume-Uni, la France et la Corée du Sud semblent s’être accordés sur le même modèle de jury : une femme et trois hommes ! On retiendra également des profils et physiques atypiques parmi les candidats (pré-sélectionnés lors d’un casting, rappelons-le !) ou encore des hommes aux voix de femmes et inversement.

De la communication à la conversation

Le programme est à la pointe de la mutation des rôles du public, passé du statut de simples téléspectateurs à celui de participants actifs et créatifs. Il n’est plus seulement question de communication lorsqu’il s’agit de The Voice mais bien de conversation, de connexion, de transmédiation. Chaque émission met en avant la présence du programme sur les réseaux sociaux Twitter (proposant le hashtag #thevoice) et Facebook. Lors de la première saison de diffusion aux USA, en 2011, un « live-tweet » était même projeté sur nos écrans lors des live shows. Les différentes adaptations ont su prendre parti des transformations médiatiques pour en user à bon escient dans une stratégie marketing bien rodée ! Tendons-nous progressivement vers une mondialisation des formats TV ?

Harmony Suard
Sources :
* selon Médiamétrie
** selon TF1

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4 thoughts

  • Génial cet article! Je n'aurais jamais cru que The Voice avait un tel retentissement dans le monde… Très belle analyse du phénomène, il serait même intéressant de pousser l'étude sur les différences ou l'absence de différence entre les différents dérivés de l'émission.
    Tous les signes tendent à montrer que les supports se transmettent et se ressemblent de plus en plus, mais j'espère que la dernière question de l'article n'est pas une prémonition ou que mondialisation ne voudra pas dire copié/collé sans aucune trace des particularités nationales… Pour l'exemple, Next à la française n'a jamais marché, pas plus que Le Château de Takeshi. Peut-être y a-t-il encore de l'espoir…

  • Pour une analyse plus poussée, je n'avais pas assez de recul sur certaines versions de l'émission mais je pense effectivement qu'il serait intéressant d'y consacrer plus de temps. C'est un réel sujet, que j'aimerais développer dans le cadre d'un travail de recherche (pas forcément sur le programme The Voice d'ailleurs). Je pense que ces dernières années, on assiste à une certaine uniformisation des programmes, comme je le disais, garantie de succès de manière globale. Mais on constate toujours des particularités entre les différents coutumes, valeurs, cultures pour chaque pays, garantie également du succès! Merci pour ton commentaire en tout cas !

  • La télévision n'a toujours été qu'un miroir que se renvoie la société à elle-même, un peu comme tous les médias de toute façon. Le succès d'un programme dont les ficelles sont les mêmes partout dans le monde veut dire au moins deux choses : la première, c'est que la fibre "humaine" sur laquelle l'émission joue transcende chacun dans sa culture, puisque tu nous dis que de la Corée du Sud aux USA, l'émission fonctionne. Il faut un dénominateur commun.. vraiment commun.
    La seconde, c'est que des sociétés de production proposent la déclinaison d'un concept TV à des chaines nationales dont la gestion financière est de faire toujours plus d'audience avec toujours moins de budget. L'émotion est ce qui coûte le moins cher à produire. Les acteurs ne sont pas payés (c'est le grand public) et les audiences sont au rendez-vous.
    En revanche ce qui pourrait changer, ce sont les manières pour chacun de ces publics de réceptionner le programme. Chacun y trouve, à travers sa propre culture, ce qu'il vient y chercher… du rêve ? un peu d'évasion ? (Souvenons nous des études en SIC sur l'émission Santa Barbara dans les années 1990). Il serait intéressant de faire une étude d'audience (quali) pour savoir ce que le téléspectateur coréen et américain puise réellement dans ce type d'émission.
    Comme tu dis, le choc des cultures n’est pas au rendez-vous. Mais n'est-ce pas justement l'objectif ?

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