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Stickers de fruits : du design caché au quotidien ?

Les stickers collés sur les fruits font partie de ces éléments familiers que l’on a perdu l’habitude d’interroger ou de regarder. S’il s’agit d’une étiquette ordinaire à vocation pratique pour une majorité de personnes, il est pour d’autres un objet à haute valeur affective. Utilisés par les producteurs pour rendre identifiable leurs marchandises, nombreux sont ceux qui en font la collection, rejoignant ainsi la communauté des « légufrulabélophiles » (les collectionneurs d’étiquettes de fruits et légumes). Divers usages autour de ces stickers ont ainsi émergé du côté des publics et le numérique a permis le développement de nouvelles pratiques.

Quelles sont-elles ? Que font les gens avec ces stickers de fruits ? Il s’agira d’observer comment les publics ont réinventé l’usage de ces designs de la vie quotidienne.

Un objet d’intérêt graphique pour les designers

 

Images issues du compte Instagram @Fruit_Stickers.

Depuis la création de son compte Instagram « Fruits Stickers » en 2015, Kelly Angood est devenue l’ambassadrice de cette tendance.

Kelly est designer. Elle habite dans l’est de Londres et possède plusieurs milliers de stickers de fruits qu’elle partage sur Instagram. Une fois par mois, elle passe une journée à scanner et isoler ses dernières acquisitions sur un fond blanc via le logiciel Photoshop. Le fait de publier les stickers un par un dans un écrin minimaliste – éloigné des étalages habituels – aide à centrer son attention sur la typographie, la forme et les éléments graphiques des stickers.

Pour Kelly, ils sont « des chefs-d’œuvre de la vie de tous les jours.  Beaucoup sont vraiment intéressants graphiquement et presque tous sont marrants. Ce sont des designs qui osent (…) Tous les graphistes devraient s’y essayer selon moi. » déclare-t-elle.

Co-fondateur de l’agence de création Golgotha, Antoine Aillot a également mis en lumière cette dimension esthétique dans un post interrogeant un sticker d’orange et le nom de son graphiste.

Ce dernier soulève ici la question peu abordée des auteurs de ces stickers. Qui se cache derrière leur conception ?

Par exemple, les oranges en provenance d’Espagne présentent un sticker aux caractéristiques communes. Selon Kelly, il s’agit souvent d’une feuille verte munie d’une typographie orange ou rouge, quelle que soit la plantation d’origine.

Elle mène son enquête et cherche à savoir « si c’est parce qu’il n’y a qu’un seul graphiste qui s’occupe de tout le marché espagnol de l’étiquette d’orange ou si c’est une sorte de template qu’ils se partagent entre producteurs d’oranges. »

Images issues du compte Instagram @Fruit_Stickers.

La tendance prenant de l’ampleur, nous pourrions imaginer que les enjeux de propriété intellectuelle fassent un jour surface autour de ces stickers.

Récemment, la marque de streetwear haut-de-gamme Off-White a mis sur le marché une veste vendue au prix de 2 951 €, créée à partir de plusieurs autocollants trouvés sur le compte Instagram Fruit stickers de Kelly. L’un d’entre eux (le deuxième sur la première ligne) a pourtant été émis par Dole, une des plus grandes sociétés de distribution de fruits au monde, dans le cadre de leur campagne marketing de 1997. Ce sticker présente le signe ©, ce qui en fait théoriquement une création sous protection légale.

Veste Off-White / Autocollants présents sur le compte Instagram @Fruit_Stickers

Des collections nourries d’affects et de pratiques

« Je collectionne les étiquettes autocollantes que l’on trouve sur les mangues (seulement les mangues). J’en possède 7265 différentes en provenance du monde entier : Asie, Afrique, Océanie… Je vais prochainement en recevoir 4 de Russie (toutes les inscriptions sont en russe). J’en ai du Japon, de Chine, d’Indonésie, de Taiwan, du Bhutan, d’Israël (avec inscriptions en hébreu) » me raconte Jacques, rencontré via un groupe Facebook dédié aux collectionneurs.

« Il y a de nombreux collectionneurs dans le monde » continue-t-il. « Certains collectionnent les étiquettes de tous les fruits. D’autres, comme moi, sont spécialisés : seulement les bananes, les melons, les fruits exotiques, les papayes… Les collectionneurs des différents pays font des échanges entre eux. Une enveloppe et un timbreposte suffisent, ce sont les seuls frais. »

Au début, Jacques pensait être le seul à faire cette collection. Il a ensuite fait la connaissance d’autres collectionneurs grâce à Internet.

Marianne, collectionne les stickers et les papiers de tous les fruits. Elle les classe ensuite par fruit, avant de les répartir par ordre alphabétique, par formes, par pays ou par marques.

« J’ai commencé toute jeune à ramasser et coller sur des feuilles, les étiquettes losange noir du Maroc, en grande quantité. Je ne sais pas pour quelle raison. À 18 ans je suis allée en vacances en Espagne et j’ai découvert de magnifiques étiquettes sur les pastèques. J’en ai décollé autant que possible et je les ai ramenées chez moi. Et c’était parti. Ensuite, j’ai gardé toutes les étiquettes que je trouvais. Seule dans mon coin jusqu’à ce que je fasse connaissance de nombreux collectionneurs un peu partout, via internet » témoigne-t-elle.

Elle numérise les milliers de pièces de sa collection sur son blog. Les autres collectionneurs peuvent ainsi entrer en contact avec Marianne pour échanger leurs stickers.

Daniel vit à Manchester et a commencé à collectionner les stickers de fruits avec son frère dans les années 1980. « Au moment des courses avec nos parents, on enlevait secrètement les autocollants des fruits dans les supermarchés. On les collait sur nos bras jusqu’à notre retour à la maison. Nous les avons ensuite collés au mobilier de notre chambre ! » se souvient-il.

De nombreuses années plus tard, il a réalisé une série de créations à partir de ces stickers. Il en partage quelques-unes avec nous ici :

Réalisations de Daniel Mort

 

Si ces témoignages ont tous les trois été recueillis via le groupe Facebook « Fruit sticker appreciation society », plusieurs moyens existent pour consulter la diversité de ces étiquettes. Rechercher le mot « légufrulabélophilie » sur internet ou le hashtag #FruitStickers sur Instagram permet de remonter jusqu’aux compilations des collectionneurs.

Certaines chaînes de supermarché ont cependant commencé à remplacer ces autocollants par une marque au laser considérée plus écologique.

Bientôt la fin des stickers de fruits ?

Jeanne Petit

Sources:

Fruit Stickers (@fruit_stickers) sur Instagram

ANGOOD Kelly, « Fruit stickers, fashion, “Inspiration” and “Imitation” », Medium, 08/11/2017 

BREWER, Jenny, « Fruit sticker year planner by Kelly Angood rewards your five a day », It’s Nice That, 22/11/2016

BERTHELOT KLECK Pierre « 5 autocollants de fruits et légumes par jour », Vice, 06/02/2017

PULLMAN Nina « Swedish supermarkets replace sticky labels with laser marking », The Guardian, 16/01/2017

FARFETCH, Off-White « doudoune à patchs brodés »

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