#BringBackOurGirls : l'opération du tout digital
Tout a commencé par une vidéo de quelques minutes postée le 5 mai dernier par l’organisation terroriste nigériane Boko Haram, dont le leader revendique l’enlèvement de 276 lycéennes le 14 avril en vue de les vendre comme esclaves. Un mois après le drame, la propagation du hashtag #BringBackOurGirls constitue un véritable témoignage de soutien envers les jeunes filles détenues et leurs familles.
La réaction est planétaire, mais le plus impressionnant dans cette opération reste que la mobilisation est quasi exclusivement numérique.
La réaction des internautes aux évènements internationaux et nationaux n’est pas un phénomène nouveau : on se souvient du terrible tsunami qu’a connu le Japon en 2011, face auquel Lady Gaga avait appelé ses fans à donner aux sinistrés par Twitter. Ce type d’engagement virtuel – Jacques Ion parlait déjà « d’engagement distancié » en 1997* – a fait couler beaucoup d’encre et pose la question du sens donné à ces formes de participation. Les multiples pétitions en ligne, photos de soutien et rassemblements virtuels sont souvent dénoncés comme faciles et ne serviraient pour beaucoup qu’à se donner bonne conscience. Comment dès lors aborder de la façon la plus neutre ces interventions sous le signe du buzz ?
Si le hashtag #BringBackOurGirls déferle dans le monde entier, il vient à l’origine d’une cérémonie qui s’est tenue fin avril dans le cadre de la nomination de Port Harcourt (Nigéria) comme capitale mondiale du livre par l’Unesco. Lors du discours d’Oby Ezekwesili, vice-présidente de la section africaine de la Banque mondiale, qui demandait la libération des jeunes nigérianes, deux hommes ont alors tweeté la formule, qui depuis a fait du chemin…
Quelques jours après la publication sur Youtube de l’annonce de Boko Haram, Michelle Obama s’est pour la première fois exprimée à la place du Président des Etats-Unis dans une vidéo hebdomadaire de la Maison Blanche : elle y affirme l’indignation et l’immense chagrin du couple face à la situation, à la veille du « Mother’s Day » américain.
On peut notamment en retenir ces mots :
« I want you to know that Barack has directed our government to do everything possible to support the Nigerian government’s efforts to find these girls and bring them home. In these girls, Barack and I see our own daughters. We see their hopes, their dreams, and we can only imagine the anguish their parents are feeling right now. » **
La première dame a également publié une photo et un message, retweetés plus de 50 000 fois : « Our prayers are with the missing Nigerian girls and their families. It’s time to #BringBackOurGirls. » ***
L’implication des politiques les plus hauts placés a également touché la France : Najat Vallaud-Belkacem ou encore Christiane Taubira se sont elles aussi emparées des réseaux sociaux pour affirmer leur soutien aux victimes et rappellent la mobilisation du pays pour retrouver les auteurs de l’enlèvement.
Plusieurs pages Facebook, une pétition de quelques 900 000 signatures sur change.org et un Tumblr lancé par Amnesty International… Jamais la marque du digital ne se sera autant faite sentir pour un événement localisé de ce type.
Plus anecdotique, Angelina Jolie, Alexia Chung, Emma Watson ou encore Whoopi Goldberg se sont manifestées sur Twitter, où les messages de soutien et les portraits affichant le hashtag se multiplient… Même le très connecté Pape François a fait appel à l’oiseau bleu pour appeler à la prière !
Les mauvaises langues pourront juger tout cela comme le seul moyen de pallier le manque d’investissement ou d’actions des gouvernements. Néanmoins, le tweet permet tout au moins de maintenir en haleine la communauté internationale et de diffuser l’information en masse.
La révolte est mondiale, certainement parce que l’enlèvement de ces jeunes écolières n’est pas le premier au Nigéria et relance le débat du droit à l’éducation et de la violence envers les femmes. Ces deux causes trouvent un écho bien au delà des frontières du pays et amènent certains à s’engager dans le mouvement #BringBackOurGirls, depuis leur écran ou leur smartphone.
Le hashtag viral aura in fine eu l’avantage -et pas des moindres- de réveiller les médias, qui ont fait fin avril leur mea culpa : à la surprise générale, les internautes sont à l’origine du buzz, suivis après plusieurs semaines par les médias qui ont tardé à parler de l’affaire. Boko Haram n’a pas eu besoin d’eux pour poster sa vidéo, pas plus que les millions de followers pour s’engager (?). #BringBackOurGirls laisse donc envisager un retour en force du soutien citoyen et communautaire dans l’action sociale, aux dépens des grands titres de l’actualité.
Laura Pironnet
* Jacques Ion, La fin des militants ?, 1997, L’Atelier
** « Je veux que vous sachiez que Barack a tout fait pour que notre gouvernement soutienne les efforts du gouvernement Nigérien afin qu’il retrouve ces filles et les ramène chez elles. Au travers de ces filles, Barack et moi voyons nos propres filles. Nous savons leurs espoirs, leurs rêves et nous ne pouvons qu’imaginer l’angoisse que leurs parents vivent à cet instant. » (http://www.youtube.com/watch?v=PAncJ3nuczI)
*** « Nos prières vont vers les jeunes filles nigérianes disparues et leur famille. Il est temps de #BringBackOurGirls ».
Sources :
Atlantico.fr
Lesoir.be
Madmoizelle.com
Crédits photos :
Twitter.com