Le règne des héros immoraux ou le rejet du héros traditionnel
« Ils me remercieraient tous, s’ils savaient que je suis celui qui lui a ôté la vie » (…)
« En fait je suis sûr qu’au fond d’eux ils apprécieraient ce que je fais ».
C’est sur cette belle auto méditation que Dexter conclut la première saison de la série éponyme dont il est le héros. Héros ? Un sérial-killer ?
Oui, si Dexter, le tueur en série- justicier est bel et bien LE héros, il n’a pourtant rien à voir avec la figure traditionnelle explicitée par Sarah Revelen. En effet, dans son article Qui es-tu héros traditionnel?, elle nous révélait que Eric Camden ou encore Charles Ingalls se faisaient les porte-drapeaux du héros traditionnel aux bonnes mœurs et surtout aux bonnes intentions. Or ce n’est pas un scoop, ces héros ne courent plus nos rues et encore moins nos écrans.
Ils ont été chassés par un tout autre type de héros : les anti-héros. Ils se caractérisent par des intentions plutôt mauvaises, des mœurs d’aucuns diraient pas très orthodoxes, mais surtout une moralité douteuse.
Tony Soprano (Les Soprano), Walter White (Breaking Bad), Dexter Morgan (Dexter), Don Draper (Mad men), Hannibal Lecter (Hannibal) et le dernier né Francis Underwood (House of Cards) sont tous, à leur degré, une espèce d’anti-héros en voie de prolifération.
Force est de constater que, grâce à la floraison des chaines câblés outre-Atlantique (HBO, Showtime, Netflix), les producteurs, plus téméraires que ceux des chaines publiques, ont choisi de prendre le risque de créer et diffuser des séries dont les héros repoussent les limites de l’acceptable.
Reminder – qui sont-ils ?
Petit rappel pour ceux qui ne les connaissent pas, très peu, ou seulement quelques uns.
Le mot-clé est « justifié »
Justifier. Selon Maureen Ryan – critique de télévision pour le Huffington Post – les actions des personnages peuvent être sans limite dès lors qu’elles sont justifiées. Prenons Dexter : ce qui justifie ses meurtres en masse c’est bel et bien le fait qu’il ne tuerait que des êtres qui le mériteraient. En effet, ayant échappé au système judiciaire, ils risqueraient de commettre à nouveau des atrocités. Ainsi, Dexter en suivant un rituel macabre et enivrant, s’attache à poursuivre son but : celui de « vider les poubelles » comme il se plait tant à nous le dire. Dexter se veut donc être le justicier qui punit les méchants pour sauver les enfants et préserver l’harmonie sociale entre les gentils citoyens! What a hero !
Dexter, ou encore Tony Soprano, agissent dans des buts compréhensibles et intelligibles, où le spectateur peut aisément se mettre à la place de ce héros d’un nouveau genre. Tony Soprano tient à sa famille ce qui nous conduit à excuser son comportement de bandit; Walter White, un ancien prof, parfait Monsieur Toulemonde, se métamorphose en malpropre qui n’a d’autre choix que de dealer pour guérir sa maladie. Ainsi, ces anti-héros ne sont jamais méchants de manière anodine, leurs actions sont toujours motivées et justifiées. Alors, bien que pouvant paraître irritants et provoquants dans un premier temps, le spectateur s’attache à ces personnages et accepte en toute conscience une partie intrinsèque de leur identité : qu’ils soient des meurtriers puisqu’après tout, « la fin justifie les moyens ».
Ils nous dérangent, nous les aimons
Aujourd’hui, la prolifération de ces anti-héros comme figures structurantes de nos écrans, tient aussi à l’augmentation d’un public fidèle et attentif aux aventures de ces personnages. Effectivement, dans un monde qui se transforme à toute vitesse et où l’imperfection est caractéristique de notre identité, qui a besoin de se retrouver tous les soirs avec un ersatz réchauffé de la perfection même, tout en sachant qu’elle n’existe pas ? Pas vous, ni moi, à en croire le nombre d’aficionados de Breaking Bad, House Of Cards ou encore Dexter.
En effet, les publics de ces séries les aiment et en redemandent toujours plus car d’une certaine façon, ils s’identifient à ces anti-héros. Cela ne signifie pas que votre voisin est un sérial-killer ou un dealer de drogue mais que, dans son imperfection il a besoin de voir que le héros, sous couvert de normalité, se questionne, doute de lui, a une morale et des mœurs (parfois) louches.
De même, ces anti-héros remplissent une fonction cathartique, c’est à dire une purgation de nos passions. En commettant des actes légalement et moralement répréhensibles dans les séries, ils permettraient au spectateur de se libérer le temps d’un épisode, de tout le poids de la bienséance, du politiquement correct et de la morale du quotidien.
What’s Next ?
On pourra s’interroger sur l’avenir de l’anti-héros, la coqueluche des producteurs. Avec la fin de la série Breaking Bad, Walter White – considéré comme l’anti-héros de référence- semblerait sonner le glas d’un modèle.
Si dans la série éponyme, Hannibal semble légitime sur le banc des remplaçants au poste d’anti-héros, il convient de se demander si le public sera encore au rendez-vous.
La réponse est déjà connue : non. La mise en exergue de la perversion et du sadisme juste pour le plaisir des producteurs ne fait pas l’unanimité auprès de nos aficionados.
Francis Underwood tire cependant son épingle du jeu en provoquant chez le spectateur des réactions oscillant entre fascination, exaspération et satisfaction. En effet, les caractéristiques de la série et de ses personnages émanent d’une attente explicitement formulée par les spectateurs, au préalable sollicités par Netflix.
Moralité ?
Moralité, aurait-on besoin de vrais héros dans nos sociétés comme on aurait besoin d’un vrai Batman pour combattre la pègre ? Non, vous ne voudriez pas voir votre bon vieux professeur de chimie se transformer en bandit de grands chemins.
Moralité ? Ces anti-héros sont le reflet de nos nouvelles attentes pour des séries plus complexes et plus psychologiques, où la fin justifie les moyens à l’instar d’un Francis Underwood (House Of Cards) politicien véreux et avide de pouvoir.
« Si tu peux tuer ton ennemi, fais-le, sinon fais t’en un ami ».
On dit merci à Machiavel pour avoir offert tant d’inspirations à la construction de nos héros made in XXIème siècle.
Clémence Chaillou
@clemencechll
Sources:
Braindamaged.fr
Toutelaculture.com
Relevantmagazine.com
Bbc.com
Lanuitdublogueur.com
crédits images:
Vipfanauctions.com
Rohitbhargava.com
Kingoftheflatscreen.com
Kooltvblog.blogspot.fr
Icinemaniaci.blogspot.fr
Allthingsd.com
Premiere.fr
Fanpop.com
Dribbble.com
3 thoughts
mais je pense que la bonne recette aussi c’est que les séries sont fun et comme les personnages sont décalés ça permet de créer un humour de mauvais goût tout en gardant du suspens, je pense pas que la plupart des gens s’identifient tout le temps aux personnages
Bonjour !
À l’époque on entendait Sarkosy dire, en réaction à ceux qui étudiaient les violences urbaines qu' »essayer d’expliquer l’inexplicable, c’est essayer d’excuser l’inexcusable ». Aujourd’hui Valls tient le même discours à propos de l’OEI.
Dans cet article, on comprend que les anti-héros sont appréciés dès que leurs actions sont justifiables. Le réalisateur d’une série fait un travail de sociologue/psychologue en expliquant au téléspectateur l’inexplicable (il est meurtrier, oui, mais parce que), et ce dernier finit par excuser l’inexcusable (« la fin justifie les moyens »)
Du coup je me demandais : est-ce que ce raisonnement appuie les mots anti sociologie de nos élites ? Ou peut on répondre que ce comportement n’a lieu que grâce à la catharsis, et que la logique qui s’applique au spectacle n’a pas sa place dans la réalité ?
Dès 1996, un anti-héros très intéressant aussi: Profit dans la série du même nom, qui malheureusement n’a duré qu’une seule saison, jugée trop immorale… Elle était pourtant en avance sur son temps, comme le montre votre article. La série Oz fait aussi partie du lot avec sa galerie d’anti-héros.
Merci pour ces articles sur les séries télévisuelles, encore peu appréciées et étudiées à leur juste valeur en France!