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Médias

Un crime parfait pour la télé

Ce soir, découvrez l’histoire de la petite Marguerite, enterrée par ses parents dans un bloc de béton, celle de la veuve noire de Floride qui tue ses maris en mettant des sangsues dans leur bain ou bien celle de l’employé de fast-food fou empoisonnant ses clients avec leurs hamburgers. Programme alléchant : 100% vraies, 100% glauques, les émissions d’enquêtes et de crime ont la côte !

Si “Faites entrer l’accusé” – avec ses 15 ans d’existence – fait partie des vieux meubles télévisuels du crime, l’émission a depuis été massivement déclinée : “Enquêtes criminelles” sur W9, “Crimes” sur NRJ12 ou encore “Les enquêtes impossibles” sur NT1.

Et appelons un chat, un chat. Malgré quelques variations, de la plus métaphorique – “Faites entrer à l’accusé” – à la plus littérale – “Crimes”, les titres restent évocateurs : de l’hémoglobine, des empreintes digitales compromettantes, des alibis douteux et des rebondissements judiciaires, voilà ce qui nous attend, on le sait et c’est pour cela que l’on regarde.

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Du point de vue de la construction du programme, rien de bien extraordinaire : il s’agit de retracer une enquête du début à la fin, soit du crime à sa résolution. Un peu comme un épisode des Experts en somme : qui a tué et pourquoi ? Le récit de l’enquête policière et de l’instruction judiciaire est généralement étayé par des archives télévisuelles ou photographiques, des entretiens avec des experts-psychiatres, des journalistes, des enquêteurs, des avocats ou des témoins mais aussi par des prises de paroles des proches de la ou des victime(s) et, parfois même, par les suspects et les coupables de l’affaire en question.

A mi-chemin entre la série policière américaine (ou française d’ailleurs) et l’émission d’information judiciaire et policière, ces émissions attirent indéniablement les publics. Enquête express sur ce mystère non-résolu.

Tutoriel pour une enquête réussie ou délectation morbide ?

Si les séries télévisées policières foisonnent sur toutes les chaines télé, elles ne sont pas parvenues à endiguer l’apparition de ces programmes hybrides que sont les émissions d’enquêtes criminelles : quelle est la clé de ce succès ?

La réponse semble évidente : la réalité. De vrais meurtres, de vraies victimes, de vrais tueurs, de vrais lieux, de vrais policiers, de vraies enquêtes, un florilège de réalité-vraie-qui-a-réellement-eu-lieu.

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Dans un contexte de généralisation de la défiance du public où le soupçon du “fake” est une menace, ces programmes télé détournent une potentielle polémique en garantissant la “réalité” de leur contenu. Exit les “ce n’est pas crédible”, “c’est tiré par les cheveux”, “c’est tellement tordu que ça ne pourrait jamais arriver en vrai” : puisque cela s’est veritablement passé, le jugement du public quant à la validité et la vraisemblance des faits exposés n’a pas lieu d’être. Cette véracité des faits ouvre la porte à une plus forte compassion du public et au frisson de savoir que cela peut arriver. Les interventions de la famille et des proches qui parlent de la victime et de son passé ou la localisation précise du drame dans une zone géographique particulière (une ville, une région, une maison…) sont autant d’éléments qui ancrent les faits dans cette réalité inquiètante dont se délecte le téléspectateur.

Ces émissions s’inscrivent dans une tendance générale de l’amenuisement progressif de la frontière entre fiction et réalité, dont témoigne la multiplication de programmes hybrides dans le paysage télévisuel contemporain. Le néologisme “téléralité” illustre à lui seul cette extraordinaire ambiguité des contenus : comment faire cohabiter la télé – soit la fiction, le créé et le construit à destination d’un public – et la réalité – soit le fortuit, l’aléatoire et l’imprévisible ?

Et de cette grande question découle le problème posé par ces émissions d’enquètes criminelles : celui de parvenir à les qualifier. Si elles semblent chercher à nous faire découvrir les dessous du système judiciaire et policier, peut-on pour autant les rapprocher de programmes documentaires ? Certaines émissions qui insistent davantage sur les méthodes d’investigation et de résolution d’enquètes, à l’instar des “Enquêtes impossibles”, pourraient y trouver la justification de leur existence mais, dans la majorité des cas, le caractère instructif des programmes paraît largement surpassé par le sensationnel. Entre instruction et divertissement pervers, quelle finalité trouver à ces contenus médiatiques ?

De l’art de brouiller les pistes

Au terme d’une micro-investigation sur le fond et la forme des ces émissions d’enquètes criminelles, il apparait rapidement que la “réalité” ne joue que comme argument dans la construction d’un contenu médiatique aux fins davantage divertissantes qu’instructives.

Si le modèle fonctionne indéniablement du point de vue de l’audimat, c’est également un modèle efficace du point de vue économique. De la réalité donc peu de frais ! On oublie les acteurs et les scénaristes : l’enquète est servie sur un plateau avec tous les protagonistes et les rebondissements qu’il faut, pour peu qu’on la choississe avec soin. Compte tenu du nombre de faits divers des dernières décennies, la matière télévisuelle potentielle est considérable. La quantité d’histoires incroyablement sordides et originales est importante au point d’autoriser le luxe du choix. Car si le public veut de la réalité, il veut la crème de la réalité. De même qu’une maison de téléréalité se doit de fournir son lot de coucheries et de disputes pour échapper à la fadeur la plus totale, une enquète criminelle se doit de s’en tenir à certains critères. De l’inhumanité, de la trahison, des mobiles atroces…pourvu que ce ne soit pas banal. Il va sans dire qu’un simple homicide involontaire, un désaccord basique qui aurait mal tourné ou un réglement de comptes de voisinage ne sauraient trouver grâce aux yeux des téléspectateurs. L’”histoire” qui fonctionne est celle qui brise les règles établies et acceptées tacitement par la majorité du corps social, celle qui déplace les limites de l’humanité, celle qui pousse à essayer de comprendre l’incompréhensible : les cas d’infanticides, d’incestes ou de meurtres en série sont ainsi des perles télégéniques, par la charge émotionelle, terrifiante et révoltante qu’ils portent en eux.

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Au delà de ce choix editorial du “meilleur crime” à raconter, le tiraillement entre fiction et réalité auquel sont confrontées les émissions d’enquètes criminelles se manifeste dans les choix, imposés par le média qu’est la télévision, de mise en scène, de cadrage et de narration.

Les titres des enquètes présentées – “Meurtre sur ordonnance”, “L’assassin habite au numéro 1”, “Cauchemar au fast-food” ou “Massacre en chambre froide” – donnent le ton et renvoient immédiatement à  l’imaginaire du polar de gare un peu “cheap”. Les mélodies à suspens sont de mise, les coupures publicitaires sont travaillées de manière à maintenir en éveil l’attention du téléspectateur, une musique bouleversante accompagne les temoignages larmoyants des proches éffondrés, les fondus au noir accentuent le caractère mystérieux de l’enquète tandis qu’une voix off semble nous narrer un roman d’Agatha Christie – entre reprises de souffle et silences angoissants. Autant d’éléments qui achèvent de faire basculer ces “histoires vraies” dans une pure logique narrative.

Ce recours massif à des mécanismes intimement liés au contenu de divertissement témoigne bel et bien de l’inscription de ce type de programmes dans la “romance télévisuelle” et en aucun cas dans le genre du “documentaire”. L’émission est travaillée afin d’être vendable aux chaines auxquelles elle se destine et consommable par son public. NRJ12, W9 ou encore NT1, chaines de la TNT, ont fait du divertissement leur crédo et des hybrides à mi-chemin entre la fiction et la réalité, leurs spécialités : il n’est donc pas étonnant que ces émissions d’enquètes criminelles s’inscrivent dans cette ligne éditoriale.

Proposé sous une forme proche de celle d’émissions comme “Tellement vrai” ou “Confessions intimes”, le fond du contenu médiatique reste cependant tragique : dans quelle mesure est-il convenable de proposer une expérience de divertissement autour de faits réels si dramatiques ?

C’est grave docteur ?

Si ces émissions fonctionnent, c’est qu’elles ont su trouver leur public : comment situer le téléspectateur au sein de ce phénomène ?

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Au delà du risque encouru (et mérité) de passer pour le fana de morbide de la bande, se pose véritablement la question de la distinction entre la production médiatique consommée et la réalité à laquelle elle renvoit. Regarder, à l’aune du divertissement, les témoignages de familles en deuil et les images de vraies scènes de crimes témoigne d’une insensibilité croissante du téléspectateur. L’étalonnage de tous les programmes télévisuels autour d’une considération indifférenciée – “c’est de la télé” – n’est pas sans risques. En effet, l’exposition répétée à des images violentes peut engendrer un phénomène d’acculturation – soit d’accoutumance du regard – mais aussi un potentiel manque de retour critique sur les contenus donnés à voir. Un autre effet néfaste à prendre en considération est que la surconsommmation télévisuelle d’émissions d’enquètes criminelles participerait d’une vaste tendance à la surrévalutation de la dangerosité du monde. Par leur contenu violent et anxiogène, ces programmes tendent à altérer la perception de l’environnement dans lequel on évolue, à surestimer sensiblement les risques réels et à accroitre la paranoia. Le fameux théoricien de la télévision et ses effets, Georges Gerbner, le montrait déjà il y a plusieurs d’années : la consommation d’images violentes et la crainte d’être victime de cette même violence dans la réalité sont corrélées. Une expérience menée avec des volontaires a ainsi permis de constater que les téléspectateurs les plus assidus surestimaient très largement la dangerosité de leur environnement, à partir de l’image faussée que leur en donne la télévision.

Alors, pour échapper aux insomnies chroniques, s’éviter des pics de stress en rentrant chez soi le soir et ne pas entretenir ce penchant naturel pour le morbide, le meilleur remède consiste encore à zapper sur un épisode des Chtits dans la brousse ou sur les confessions d’un drag-queen effrayé par les paillettes : autant de réalité, moins de lugubre.

Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec

Sources :
programme-tv.net
puretrend.com
Crédits photos :
blog.plaine-images.fr
“Enquêtes criminelles” – W9

“ Crimes” – NRJ12
“Les enquètes impossibles” – NT1

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