Société

L'intime au service des ambitions

Dimanche 9 octobre, coup d’envoi de la nouvelle émission de M6 à l’orée d’une course à la présidentielle déjà bien engagée. Karine Le Marchand à sa tête, nous voilà plongés dans l’intimité des politiques ou du moins dans ce qui leur plait de nous narrer pour attendrir et susciter l’empathie auprès du téléspectateur. Il n’est plus question de clivage gauche/droite, mais seulement d’hommes et femmes politiques avec des blessures et des fêlures: en somme une histoire de vie ! Une histoire de vie, ou un format médiatique spécialement affrété pour servir le story-telling de ces hommes et femmes politiques?
 

« Bienvenue presque chez vous »

Les canapés changent à chaque homme politique, tout comme le décor de l’appartement immédiatement introduit en début de séquence par l’animatrice à l’aide d’un « bienvenue presque chez vous ». Aussi toute l’ambiguïté de l’émission repose sur ce paradoxe: on feint la proximité et on invite le politique à se sentir comme à la maison, mais le discours est rôdé, l’intimité factice et la gêne certaine pour le téléspectateur pris dans le carcan du voyeurisme.
Et pour cause, il s’agit ici de narrer un parcours de vie en commençant bien sûr par l’enfance et la famille, deux thématiques efficaces lorsqu’il s’agit de mobiliser les leviers de l’émotion en feignant la confidence. Les différentes anecdotes, les témoignages de l’entourage et la projection de photos de famille, participent de la réussite émotionnelle du format qui invite à la projection et à l’identification du téléspectateur pour ces hommes et ces femmes aux parcours parfois compliqués, mais toujours attendrissants.
Pas de doute possible donc, nous sommes bien sur M6, l’émission du coaching psychanalysant : « Belle toute nue » vous apprend à aimer votre corps, « Déco » vous apprend à aimer votre intérieur, « Nouveau look pour une nouvelle vie » vous apprend à aimer votre image, et « Ambition intime » vous apprend à aimer les politiques. Karine Le Marchand apparaît ici comme la coach de l’amour: si les agriculteurs cherchent l’amour d’un ou d’une conjointe, les politiques recherchent celui de leurs électeurs. L’exercice de séduction ne se cache plus et tous les ressorts narratifs de l’émotion sont ainsi mobilisés pour remplir le contrat.
Aussi, l’opération séduction est double: les politiques en usent pour faire face à la défiance croissante des français ; tandis que l’animatrice qui est « nulle en politique, [ne sachant] même pas qui est Jaurès » (dépêche AFP), minaude devant ces hommes et femmes à coup de sourire mielleux et de rires retentissants. Corps et sourires trahissant le flirt mis en place dans la relation qu’elle instaure. Une attitude désolante où la femme semble réduite à sa condition d’objet de désir pour tenter de créer une intimité aléatoire avec son interlocuteur.
 

Ambitions intimes, la nouvelle télé-réalité politique ?

La question mérite d’être posée puisque le format est calqué sur l’émission phare de la chaîne, L’amour est dans le pré: on y retrouve la même voix off de la présentatrice pour chapitrer le portrait ou la playlist romantique et larmoyante comme pour dicter l’émotion au téléspectateur. Mais la chaîne pousse encore plus loin la ressemblance en faisant intervenir un ancien candidat agriculteur, Thierry, pour interpeller directement Bruno Le Maire: la séquence sert alors doublement l’homme politique, qui donne la parole à un agriculteur – profil majeur de son électorat – tout en le poussant à parler de son intimité avec sa femme, au sens le plus singulier du terme.
On parle donc de vie, de mort, de sexe dans cette émission, soit des aspects bien éloignés d’un programme politique mais qui rassemblent et cristallisent l’intérêt du téléspectateur pour une émission, somme toute, parfaitement produite.
 

Une production rythmée et une émission parfaitement marketée

On peut être agacé par l’exercice de mise en scène de nos politiques, mais on est tenu par une production et un montage rythmés qui donnent envie de voir la suite ; on est gêné par un trop plein d’émotions suggérées mais on s’étonne de l’être passablement à notre tour. Bref on regarde l’émission en entier sans forcément oser le dire.
Le format ne fait pas dans la nuance mais crée l’ambiguïté car ce n’est ni une émission politique où l’on parle de l’intime, ni une émission intime où l’on parle de politique. Or, le programme s’inscrit explicitement dans le débat démocratique en vue des prochaines présidentielles, preuve en est la signature qui clôture l’émission « je rappelle que ceux qui ne voteront pas ne pourront pas râler pendant 5 ans. Ça serait dommage! »
En définitive, c’est un format nouveau, à cheval entre la télé-réalité et la confession marketée parfaitement produit à destination d’un public non intéressé par les émissions politiques par ailleurs. Aussi agaçant que prenant, l’émission est controversée mais réussit le pari de faire parler d’elle en convoquant une narration jusqu’alors inédite dans le domaine de la politique.

Charlotte Bavay
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@charlottebavay

Crédits photo :
Pierre Olivier / M6
 

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