Culture

Le XV de France : essai non transformé

Le samedi 17 octobre 2015, l’équipe de France de rugby se faisait humilier durant le quart de finale de la coupe du monde face aux All Blacks, l’équipe de Nouvelle-Zélande, avec un score de 62 à 13. Une véritable déculottée qui a marqué un tournant dans l’histoire du XV de France — tant au niveau sportif qu’au niveau communicationnel.

Fracture entre passé et présent

Il faut dire que l’équipe de France de Philippe Saint-André (entraîneur de 2012 à 2015) était loin du prestige de ses aînées. Un jeu sans intérêt et stéréotypé, une claire fracture entre les joueurs et le staff, les critiques médiatiques se faisaient de plus en plus virulentes, sans jamais vraiment savoir qui accuser. L’entraîneur, oui. Mais pas trop. Après tout, il s’agit d’une équipe nationale. Peut-être pas aussi populaire que l’équipe de France de football ou l’équipe de France de basket – tous deux des sports plus (re)connus à l’international – mais tout de même. Le milieu sportif est surmédiatisé, mais il est aussi porteur du softpower d’un pays. Comment dénigrer ainsi l’image de sa vitrine médiatique nationale ? Alors oui, personne ne bronchait, ni les joueurs ni les médias ni les instances de décision nationales du rugby. Politique de l’autruche qui a fini par se retourner contre eux.
Certes, la France n’a jamais remporté les championnats du monde. Mais il y a encore une dizaine d’années, elle était considérée comme une nation majeure du rugby international, au point d’accéder à la finale de la Coupe du Monde 2011, et de ne s’y incliner que d’un petit point, après un arbitrage douteux. Les joueurs eux-mêmes faisaient figures de référence – Thierry Dusautoir, capitaine emblématique, a même été nommé meilleur joueur du monde cette année là. La France disposait d’une image favorable auprès du public et des médias. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.


Thierry Dusautoir marque le seul essai de la finale du championnat du monde 2011.


Après la politique de l’autruche vient donc la politique du coup de balais. Exit Saint-André et une grande partie de son staff. Guy Novès, entraîneur le plus titré d’Europe, prenait alors la tête du XV de France : l’espoir renaissait.

Flou Communicationnel

Seulement, la stratégie communicationnelle du XV de France devait changer en même temps que son entraîneur. Fini les interviews régulières des joueurs comme les autorisait « PSA ». Afin de les laisser se concentrer sur le rugby, sur leurs entraînements, Guy Novès réduisait au maximum les interactions entre acteurs sur le terrain et médias, tout en se permettant lui-même de régulièrement leur couper l’herbe sous le pied. Un bras de fer s’engage entre journalistes avides de scoops et de gros titres et un entraîneur expérimenté, habitué à la pression médiatique – et sachant parfaitement insinuer que lui a une légitimité et une expérience pour parler de rugby, quand les journalistes professionnels n’en ont que peu, et n’ont souvent jamais frôlé la pelouse d’un terrain.


Guy Novès, entraîneur actuel du XV de France


Seulement, les résultats ne suivent pas. Le XV de France a certes regagné en popularité depuis que l’ancien manager toulousain est à sa tête, au point de récolter 22% des parts d’audience selon France Télévisions. Le crédit en revient à un jeu plus séduisant, à une ligne directrice claire et à une relation plus stable entre l’équipe nationale et les clubs.
Mais samedi 25 février, l’équipe de France perdait son match contre l’Irlande lors de la troisième journée du Tournoi des Six Nations, diffusé sur France 2. Le deuxième en l’espace de trois jours. Le quatrième en cinq matchs. Ça fait beaucoup, du moins aux yeux des journalistes. L’équipe de France peut-elle redevenir une grande équipe ? Guy Novès est-il la bonne personne ? Ces vieilles questions, les mêmes qu’il y a quatre ans, se couplent à des nouvelles, résultant de la récente élection de Bernard Laporte – ancien Ministre des Sports et entraîneur du Racing Club de Toulon – à la tête de la Fédération Française de Rugby.
Bernard Laporte a pour objectif de redorer le blason de la France à l’international et auprès des médias. Il veut des joueurs médiatisés, des « stars », pour porter le visage de l’équipe de France sur et en dehors des terrains. Une politique contraire à celle de Novès, donc. Encore une marque du fossé communicationnel et médiatique existant entre l’équipe et les instances de décision. La communication du XV de France se fait de plus en plus hermétique, attendant que les résultats montrent enfin le bout de leur nez, tandis que les journalistes critiquent de plus en plus cette absence de transparence qui les limite dans leur travail.


Le capitaine actuel du XV de France, Guilhem Guirado, l’un des seuls joueurs à apparaître
régulièrement en conférence de presse.


Foot VS Rugby : un match perdu d’avance

Si le XV de France a gagné en popularité, il est loin d’atteindre la notoriété du football. Si l’on interroge des personnes dans la rue sur les joueurs de l’équipe de France de football actuelle, ils sauront toujours vous donner un nom – ne serait-ce que grâce à la coupe d’Europe de l’année dernière. Faites la même chose avec le rugby ? Vous obtiendrez peut-être le nom de Louis Picamoles, l’un des seuls joueurs à surnager ces dernières années, mais c’est à peu près tout. Un fossé, donc, entre les deux sports les plus médiatisés en France. Ce fossé entre football et rugby ne date pas d’aujourd’hui. Outre les différences intrinsèques à la pratique de ces deux sports, ce sont aussi leur professionnalisation et leur médiatisation qui creusent l’écart.


Louis Picamoles, n°8 du XV de France, surnommé « King Louis » Outre-Manche


En France, le football a été ouvert à la professionnalisation depuis les années 1930; le rugby l’est seulement depuis 1995. Une différence temporelle qui a permis au football de s’habituer à la médiatisation – pour le meilleur comme pour le pire – alors que le rugby se débat toujours avec les enjeux et les conséquences de celle-ci.
On veut des joueurs professionnels compétents pour jouer en équipe de France, mais la plupart des clubs de l’élite préfèrent acheter des joueurs internationaux étrangers en pré-retraite pour gagner des titres et s’attirer l’attention des médias. On veut que l’équipe de France gagne et soit populaire, mais on lui tire dessus dès qu’elle perd, sans lui laisser le temps de se construire. On veut des joueurs « stars », médiatisés, figures emblématiques du sport, mais on les rabaisse à la moindre bourde, en particulier les jeunes.
Le XV de France semble donc perpétuellement sur le fil, déchiré entre une nécessité de résultats, des conditions défavorables et une communication aléatoire, qui ne sait pas choisir entre la médiatisation ou l’aspect purement sportif de l’activité et ce, au niveau même des instances de décision. Cela a pour résultat une communication intra et extra-sportive banale, ressemblant davantage à des tirs croisés entre journalistes et professionnels du rugby, et desservant encore plus l’image du XV de France au niveau national comme international.
L’équipe de France a jusqu’à la prochaine Coupe du Monde en 2019, pour faire converger ces différences, et trouver une ligne directrice communicationnelle cohérente.

Margaux Salliot

Sources :
« TOURNOI DES 6 NATIONS – Les Bleus n’ont pas de star(s) mondiale(s) et c’est un vrai souci… », article du 26 février 2016, d’Yvan Petros pour le site Rugbyrama, consulté le 28 février. http://www.rugbyrama.fr/rugby/6-nations/2017/tournoi-des-6-nations-les-bleus-n-ont-pas-destar-s-mondiale-s-et-c-est-un-vrai-souci._sto6073028/story.shtml
« XV de France: Guy Novès, c’est enfin officiel ! », article du 31 mai 2015 de Richard Escot pour L’Equipe, consulté le 28 février. http://www.lequipe.fr/Rugby/Actualites/Noves-c-est-enfin-officiel/563007
« L’Irlande étouffe le XV de France », article du 25 février 2016 de Richard Escot pour L’Equipe, consulté le 28 février. http://www.lequipe.fr/Rugby/Actualites/Tournoi-des-6-nations-l-irlande-etouffe-le-xv-de-france/781222
« GUY NOVÈS AFFICHE SES INTENTIONS DE JEU ET RENVOIE MARC LIÈVREMONT DANS SES 22 », article de Riway Demay du 2 novembre 2015 pour LeRugbynistère, consulté le 28 février. http://www.lerugbynistere.fr/videos/video-xv-france-guy-noves-affiche-intentions-jeu-renvoiemarc-lievremont-22-0211151022.php
Crédits photo :
Christophe Ena pour 20 Minutes, le 9 février 2016 : http://www.20minutes.fr/sport/1784863-20160211-xv-france-guy-noves-dort-trop-moment
Rob Griffith pour Le Monde¸ article du 24 octobre 2011 : http://www.lemonde.fr/sport/portfolio/2011/10/24/thierry-dusautoir-le-rugbyman-de-l-annee-en-images_1592922_3242.html
Image de l’Agence France Presse pour La Croix, article du 18 novembre 2016 : http://www.lacroix.com/Sport/Guirado-Un-match-charniere-pour-XV-France-2016-11-18-1300804179
Image de l’AFP pour Le Dauphine, article du 2 novembre 2015 : http://www.ledauphine.com/sport/2015/11/02/louis-picamoles-quittera-toulouse-pour-northampton-la-saison-prochaine

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