Le Moyen Âge dans la publicité : une valeur ajoutée pour les marques ?
Le camembert au lait cru Charles VII, du nom éponyme du célèbre roi de France du XVe siècle
Si dans l’inconscient collectif, le Moyen Âge sert — bien plus souvent à tort qu’à raison — de repoussoir (« On retourne au Moyen Âge ! »), les marques, au contraire, se servent à dessein de cette période à des fins communicationnelles, si bien que la Tour Jean Sans Peur à Paris a organisé une exposition traitant le sujet l’an passé. À rebours de l’opinion majoritaire sur le Moyen Âge, quel est donc l’intérêt que trouvent les marques à utiliser, plus ou moins finement, cette période de l’Histoire pour valoriser leurs produits dans leurs publicités ?
Le « médiévalisme alimentaire » ou quand la marque mise sur l’authenticité
S’il y a un domaine dans lequel le Moyen Âge est l’une des périodes les plus représentées dans la publicité, c’est bien celui de l’agro–alimentaire. Dans un contexte de méfiance des consommateurs vis-à-vis des produits industriels et du véritable engouement que suscite l’agriculture biologique, les entreprises du secteur ont bien compris l’intérêt d’utiliser l’époque médiévale comme cadre à leurs publicités. Le Moyen Âge est, en effet, une période propice à la mise en scène de l’authenticité de la marque, ainsi que de la valorisation de la notion de terroir, si chère à la gastronomie française.
C’est ce que les historiens médiévistes Anne Kucab et Florian Besson appellent le « médiévalisme alimentaire » qui consiste, pour les marques, à utiliser un Moyen Âge plus ou moins fantasmé pour valoriser leurs produits, surtout s’ils sont associés, dans les mentalités communes, à cette époque de l’Histoire européenne — comme le vin, le fromage ou la bière. L’un des meilleurs exemples de cette stratégie marketing étant sans doute celle de l’entreprise fromagère Chaussée aux Moines, où toute l’identité de la marque — nom, logo, packaging des produits, publicité — se fonde sur l’imaginaire médiéval contemporain.
Jeux vidéos et fantasy médiévale
Outre l’alimentation, la même medieval-mania règne dans un tout autre univers : celui des jeux-vidéos. Ici, le caractère fantasmé du Moyen Âge qui y est représenté est bien plus évident que dans le premier cas, puisqu’il est souvent associé à des éléments tirés du genre littéraire de la fantasy. Ainsi, elfes, fées, dragons et sorcières se mêlent aux chevaliers, à leurs armures, à leurs épées et autres châteaux forts.
Dans ces publicités, comme dans celles des jeux-vidéos de la franchise Skyrim, l’ancrage médiéval de l’univers est particulièrement symbolisé par une certaine esthétique de la violence (presque systématiquement associée au Moyen Âge) ou encore par les paysages (grands espaces naturels, forêts, petits villages pittoresques nichés au creux d’une montagne, etc.). La temporalité de Skyrim se manifeste également, dans la publicité, par l’allure des guerriers qui reprennent les codes vestimentaires des Vikings, peuple à lui seul représentatif de l’époque médiévale dans l’imaginaire collectif.
Les héros médiévaux dans la publicité ou l’anachronisme maîtrisé
Outre les jeux-vidéos, les Vikings ont aussi droit à leur quart d’heure de gloire dans les spots de la marque Apéricube. Mais contrairement à leur utilisation dans les jeux-vidéos, ils sont ici moins la source d’inspiration, que les véritables héros de ces publicités, quitte à en faire des personnages totalement anachroniques dégustant les célèbres carrés de fromages des siècles avant l’apparition de la marque.
De même, l’héroïne Jeanne d’Arc, célèbre pour avoir pourtant « bouté les Anglais hors de France » en 1429 est dépeinte sur une publicité pour le quinzième anniversaire d’Eurostar, en train d’arborer fièrement le drapeau britannique en lieu et place de sa célèbre bannière. L’affiche indique d’ailleurs, en guise d’accompagnement : « En 15 ans, Eurostar a fait naître une nouvelle génération », symbolisant par là le rapprochement entre les peuples français et anglais de par la construction du tunnel sous la Manche. L’anachronisme — très ingénieux — est donc non seulement voulu mais est encore la clé d’interprétation de la publicité, le décalage entre la réalité historique de l’épopée de la Pucelle d’Orléans et de sa représentation au sein de cette affiche étant presque ubuesque.
En dépit de l’obscurantisme dont on accuse cette période et qui entache sa réputation, force est de constater que le Moyen Âge continue paradoxalement à inspirer les publicitaires de tous les secteurs d’activité, posant plus largement la question de la relation existant entre l’Histoire et son utilisation communicationnelle par les marques.
Sara Lachiheb
Sources :
Florian Besson, Anne Kucab. « Le Moyen Âge a-t-il inventé la publicité ? », Influencia, mis en ligne le 21 novembre 2017. Consulté le 14/05/2018.
Crédits images :
https://www.him-mag.com/moyen-age-et-publicite-exposition-et-conferences-a-la-tour-jean-sans-peur/
https://fr.adforum.com/creative-work/ad/player/34455319/joan-of-arc/eurostar