Emily in Paris: abuser des clichés pour mieux buzzer ?
Paris ville lumière, Paris ville de l’amour, de la culture, de la gastronomie et de la magnificence architecturale. Si la série Emily in Paris, sortie en octobre 2020 sur Netflix, semble à première vue une énième production américaine à l’eau de rose, elle est aussi représentative d’un imaginaire collectif de Paris et de ses habitants, entretenu à l’étranger. Des stéréotypes qui ont poussé la rédac’ de FastN à penser ce fossé culturel entre la France réelle et l’image qu’on s’en fait à l’étranger. En quoi la stéréotypisation est-elle efficace dans ce genre de production culturelle ? Et comment Emily In Paris contribue-t-elle, non pas à casser les codes, mais à abuser des clichés pour faire réagir ?
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“Par le producteur de Sex and the city”, “excusez son français”: dès l’affiche, la production Darren Star annonce la couleur: Emily in Paris sera à Paris ce que Sex and the City a été pour New York. Une farandole de clichés joliment romancée dans une capitale sublimée qu’on croirait tout droit sortie du spot La vie est belle de Lancôme. Mais, d’ores et déjà excusez-les, ça fait partie du décor, on est là pour rêver.
L’héroïne Emily Cooper, originaire de Chicago, mutée dans la capitale par son agence de marketing, est à elle seule une caricature de l’américaine à Paris. Propre sur elle, sourire hollywoodien, parlant fort, adepte des réseaux sociaux. Elle est taxée de “plouc” et de “ringarde” par ses collègues français à la pointe de la mode. Son défi sera de s’adapter à cette nouvelle vie parisienne sans même parler la langue de Molière.
Productions culturelles ultra-stéréotypées, un genre à part entière ?
Engluer des mythes, abuser des clichés de type “Béret, croissant-oh-la-la-ménage-a-trois” : c’est peut-être bien l’intention première de la série. Émily, incarnée par Lily Collins, évolue en effet dans un Paris idyllique, fantasmé, idéalisé. Elle réside dans le 5e arrondissement, voit le Panthéon depuis la fenêtre de sa chambre de bonne, fréquente Montmartre, le quartier latin, la Monnaie de Paris ou encore l’Atelier des Lumières. Il ne manquait plus qu’elle s’entoure de personnages eux-mêmes caricaturaux: un voisin beau gosse cuisinier, un collègue fumeur qui ne parle pas anglais, une boss jouée par Philipine Leroy Beaulieu incarnant remarquablement la french class et la condescendance parisienne.
Une image mythifiée de Paris et ses habitants se dévoile, correspondant aux topoï récurrents qu’ont les étrangers avant d’atterrir dans la capitale. Des clichés “qui ont la dent dure” qui sont “résistants”: et pour cause ! Le stéréotype, cet « objet dupliqué à l’infini grâce à la reproduction d’un même modèle » (Ruth Amossy) vient du grec stereós “ferme, dur, solide“ et tupos, le “modèle”. On comprend alors la fixité et la résistance de ces représentations communes dans les imaginaires hors de nos frontières.
Cependant, dans Emily in Paris, le parti pris de montrer un Paris glamour par des stéréotypes poussés à l’extrême est clairement assumé par le producteur Darren Star, amoureux de Paris depuis son adolescence.
Cette hyper-stéréotypisation voulue entretient ainsi des mythes propres à la capitale qu’on retrouve dans des productions comme Ratatouille, Un américain à Paris, ou encore Moulin Rouge. On pourrait les réunir au sein d’un genre, celui du cinéma caricatural esthétisé, dans lequel le lieu commun comme matière de travail est romancé, idéalisé, spectacularisé, et où la recherche du beau prévaut sur le réalisme.
On pourrait aller encore plus loin en qualifiant Emily In Paris de “caricature d’une caricature ». Elle viendrait en fait appuyer cette tendance à standardiser les contenus culturels et, par là-même, exagérer ces clichés véhiculés par les mass média.
Car finalement, la série plait, elle marche. En dix épisodes de vingt minutes, la série est propice au binge-watching et a été placée, dès le lendemain de sa sortie, dans le top 3 des séries les plus visionnées sur Netflix. Une série qui trouve aussi sa place dans un contexte confiné où le public, tant américain que français, a plus que jamais besoin d’un peu de légèreté et de rêve.
Stéréotypes mis à mal sur la toile, buzz ou bad buzz ?
Si l’effet de la comédie fantaisiste-caricaturale a bel et bien séduit le public outre-atlantique, ces représentations simplistes ont attisé la critique du public parisien sur les réseaux sociaux. Comme le propose d’étudier Aude Seurrat dans la revue Communication et Langage:
“Les stéréotypes sont présentés comme des représentations qui ne sont pas questionnées : il conviendrait de les rendre conscientes pour les disqualifier. L’idée sous-jacente serait que si l’on sait qu’un stéréotype en est un, il perd ses effets.”
En taxant Emily in Paris d’être décalée de la réalité, les utilisateurs de Twitter ont ainsi déconstruit les clichés entretenus par cette série rose bonbon. Ils montrent avec humour ce qu’est le “vrai Paris” et sont allés jusqu’à parodier la bande-annonce pour replacer Emily dans les désagréments d’une vie quotidienne à Paris.
Bientôt 10 ans que jhabite a Paris et je n’ai jamais eu un voisin aussi beau #EmilyInParis pic.twitter.com/P4fnbkwtfN
— Bérénice (@berenicelgs) October 4, 2020
#EmilyInParis vs moi in paris pic.twitter.com/SAXhIOjsYC
— sopho (@sopheau2000) October 2, 2020
Sex and the City, la série grande soeur d’Emily In Paris, avait été critiquée pour ses personnages new-yorkais financièrement aisés, élitistes, de couleur blanche, en dépit de ceux vivant dans les quartiers les plus populaires de New York. Idem pour Emily in Paris. Oubliez le Paris de la misère, donc, ou des quartiers moins hupés,… vous ne verrez pas non plus l’héroïne prendre la ligne 13 aux heures de pointe, ni assister à une manifestation des gilets jaunes. On aurait (presque) aimé voir Emily attablée au Fouquet’s en mars 2019 lorsque l’établissement fut vandalisé.
On l’aura compris, la capitale n’est pas parfaite comme elle pourrait être dépeinte dans la série. Mais au moins, le pari voulu par la production américaine d’avoir fait réagir le public français est réussi et a valu à la série un buzz Made In France. Ces réactions nombreuses auront servi à déconstruire les stéréotypes pour les afficher au grand jour: par l’échange médiatique opéré entre la France et le reste du monde, les étrangers sont d’autant plus conscients de la puissance des stéréotypes, ces « images dans notre tête qui médiatisent notre rapport au réel » (Walter Lippman).
Quand les stéréotypes font des dégâts…
Y-a-t-il une limite à ce genre de production culturelle abusant des stéréotypes nationaux ? Cette vision de Paris fétichisée, qui perpétue le fantasme de la ville-musée sans défauts, peut en effet générer de fausses attentes et des désillusions jusqu’à s’en rendre malade. On a en effet observé ce phénomène sur des touristes Japonais, atteints du “syndrome de Paris”. Le visiteur étranger se trouvant face à une réalité tellement décalée de l’image qu’il s’était faite de la capitale, construite entre autres par les médias ou le cinéma, peut se retrouver désillusionné et pris d’hallucinations une fois sur place. Le stéréotype dont l’influence est si grande dans la construction de l’imaginaire de Paris pourrait donc avoir un effet néfaste dans la réalité.
…mais qu’après tout, on les aime quand même
On peut quand même tirer du bon aux imaginaires véhiculés par la série en pensant aux intérêts culturels, socio-économiques qu’ils impliquent. Les clichés servent à la ville de Paris à alimenter le tourisme – la “ville de Paris” étant presque considérée comme une marque. En effet, l’office de tourisme de la capitale incite désormais à se rendre sur les lieux cultes de la série, comme la petite place d’Emily ou le restaurant de son voisin Gabriel, qui propose d’ailleurs un menu spécial « Emily In Paris« . Après le Sex and the city Tour à NYC, y-aura-t-il un Emily In Paris Tour ? Aussi a-t-on pu observer les campagnes de promotion dans les couloirs du métro mettant (finalement) en scène Emily dans les transports en commun. Aussi peut-on arborer fièrement les tenues d’une américaine à Paris, devenues fashion contre toute attente, pour se jouer, nous aussi, des clichés.
Colombe Freynet
Sacha Guitry : « Être parisien, ce n’est pas être né à Paris, c’est y renaître »
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Sources:
Les idées reçues, sémiologie du stéréotype, Ruth Amossy, 1991.
Identités sociales, identités culturelles et compétences, Patrick Charaudeau, 2006
« Les stéréotypes, c’est bien, les imaginaires, c’est mieux », Patrick Charaudeau, 2007.
Déconstruire les stéréotypes pour « lutter contre les discriminations » ? Aude Seurrat, dans Communication & langages N° 165.
Public Opinion, Walter Lippmann, 1922
https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_Paris#Culture_populaire