netflix
Culture

Un petit écran, escroc mais pas trop

Alors que le CNC (Centre National de la Cinématographie) annonçait pour 2014 une augmentation de plus de 40% de la fréquentation des films français qui ont alors atteint leur plus haut niveau d’audience depuis trente ans, le cinéma Hollywoodien, en berne depuis 2013, ne cesse de reculer. Sur le territoire américain, les performances décevantes de certains gros opus tels que Transformers 4, Hunger Games, The Amazing Spider-Man 2 semblent vérifier une bien regrettable prophétie annoncée par Michael Cieply en 2012 dans Le New York Times qui titrait «  Movies try to escape cultural irrevence  » autrement dit « Le cinéma cherche à redevenir pertinent ». Le cinéma, du moins outre-Atlantique, aurait-il déjà franchi le seuil de la modernité? Le plus jeune des Arts aurait-il subi un vieillissement prématuré? A ce constat s’ajoute l’effondrement du sacro-saint marché de la distribution doublé du déclin amorcé de la 3D. Depuis le piratage et l’éclatement des plateformes de visionnage illégales, le cinéma bataille pour son existence. Pourtant, alors en plein milieu d’une seconde crise d’audience liée au développement des sites de locations de films et de séries télévisées tels que Netflix, ce sont les grands gardiens du cinéma, ces réalisateurs connus qui ont fait du grand écran le bastion de leur succès, qui semblent se désolidariser de celui-ci en s’associant au format sériel du petit écran, dévitalisant encore plus nos cinémas bien amoindris.
Woody l’entourloupette

Signait cette maxime restée culte : « La vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision ». Prolifique au grand écran, Woody Allen, le réalisateur de Manhattan, abandonne à titre provisoire un septième Art morose, pour se consacrer au petit écran, bien plus tendance en ces temps. C’est précisément le studio de production Amazon Studios qui a annoncé le savoureux projet dans lequel Woody Allen se voit confier l’écriture et la réalisation intégrale d’une saison de huit épisodes d’une demi-heure, baptisée «  Untilted Woody Allen Project » autrement dit Le projet Woody Allen sans titre. Malgré un discours naïf hurluberlu que nous lui reconnaissons bien, « Je ne sais pas comment je me suis mis là-dedans. Je n’ai aucune idée et je ne sais pas par où commencer (…)», difficile de ne pas faire le rapprochement avec l’attribution, et ce, la veille au soir, du Golden Globe à Kevin Spacey, pour son premier rôle dans la série House Of Cards produite par Netflix, un concurrent direct de Amazone Studios.
Petits écrans, grands affronts
Clint Eastwood pour la série Rawhide, Steve Mac Queen pour Au nom de la loi accompagné d’acteurs des plus cinégéniques comme Johny Depp, Brad Pitt ou George Clooney, autant de figures emblématiques du grand écran gagnées par le petit. Hitchcock l’avait très justement présagé dès 1955 avec les anthologies Alfred Hitchcock, ainsi qu’en tournant Psychose avec les moyens techniques de la télévision. L’avenir du cinéma se trouverait donc derrière lui, dans nos écrans LCD, depuis l’érosion de son succès et l’apparition du format sériel. Les plus gros producteurs Américains comme Jerry Bruckheimer, McG, David Fincher, malgré son dernier succès Gone Girl sorti fin 2014, sont aujourd’hui rangés derrière des chaines câblées prépondérantes tels que HBO, Showtime et des sites de locations : Netflix ou Amazone Studios et mènent une guerre d’audience acharnée. Le 7e Art connait une débâcle historique. Le petit écran, longtemps considéré comme un média ringard et peu valorisant pour la carrière d’un acteur se positionne aujourd’hui comme un art à part qui propose aussi bien une densité et une variété des rôles qu’une visibilité telle que le cinéma n’en pourrait jamais donner.

 
Johana Bolender
@JohBolen
Sources :
nytimes.com
slate.fr
lemonde.fr
cnc.fr
Crédits photo :
pro.clubic.com
gq.com

actricenoire
Culture

Not classically beautiful

Scandal, série de la chaîne ABC, lancée en 2012 : c’est la première fois qu’on voit une héroïne noire dans une série télévisée depuis les années 1970.
Entre politique de quotas et stéréotypes, la représentation des minorités ethniques dans les séries américaines dispose d’une influence culturelle certaine en raison de l’exportation massive de ces séries dans les pays occidentaux. Les politiques de quotas poussent à croire à une diversité dans la fiction télévisée, mais elles constituent plutôt une illusion que le facteur d’un changement social.
Sans réel équivalent français, ce qu’on appelle le « tokenism » est la pratique qui pousse à inclure un peu d’une minorité ethnique ou sociale dans un groupe, sans pour autant les mettre sur un pied d’égalité en termes de crédibilité ou de pouvoir. Exemple de tokenism : mettre à l’écran un noir pour qu’il représente, voire qu’il parle au nom de tous les autres noirs. Ou lors d’un congrès scientifique, mettre une femme dans une conférence pour qu’elle représente toutes les femmes de ce champ. Dans la fiction française, on peut parler de tokenism quand on rencontre un arabe qui joue « le banlieusard des cités », en somme « le beur de service » par excellence. La politique de quotas donne alors lieu à une représentation superficielle des minorités dans le monde de la fiction.
Ce changement socio-moral est pourtant essentiel. Les séries, comme le cinéma, en particulier grand public, permettent de créer une vision particulière, de produire un langage avec de nouvelles représentations. Les séries permettent aux publics de s’immerger dans des univers qui semblent reproduire la société, avec ses normes, ses aléas et ses relations humaines. Mais s’agit-il seulement de divertissement lorsqu’on sait qu’elles disposent d’un impact considérable sur les représentations sociales ? Ainsi, les fictions télévisées les remettent en cause, tel que dans Girls de Lena Dunham qui propose des figures féminines plus réalistes, ou les cristallisent, comme en France dans Scènes de Ménage où l’humour repose entre autres sur les stéréotypes genrés. Elles ne sont pas à considérer comme un miroir sociétal, mais comme un dispositif qui montre les manières de voir, et donc qui peut réellement changer les représentations et les stéréotypes, notamment ethniques.

Shonda Rhimes : le progressisme en vogue 
Shonda Rhimes est réalisatrice, productrice et scénariste de télévision. A l’origine de Grey’s Anatomy, de Private Practice, du thriller politique Scandal, elle s’adresse au grand public en bousculant les normes. Dans ses histoires : des personnages homosexuels, des femmes fortes et des minorités ethniques, sans les pointer du doigt en tant que tel. Zéro tokenism dans les fictions de Rhimes. Dans sa dernière série, How to Get Away with Murder, lancée en septembre 2014 sur ABC, l’héroïne est une grande avocate, interprétée par Viola Davis. C’est une femme noire, sans en faire une particularité : pas de pathos, de pauvre fille issue du Bronx ni de lutte acharnée pour l’ascension sociale. Shonda Rhimes, à travers ses personnages, revendique alors une modernité saisissante qui jure encore malheureusement avec le reste du paysage audiovisuel américain.
Dans How to Get Away with Murder, une scène bouleversante : Viola Davis se démaquille et enlève perruque, maquillage, faux cils, comme pour enlever son armure, pour se mettre à nue devant le miroir, face à elle-même. Ni apprêtée, ni métisse, la peau foncée percute l’écran de par sa rareté. Alessandra Stanley, critique du New York Times, ne voit pas la mise à nue d’une femme, mais seulement celle d’une « noire ». Dans sa critique de la série, elle a été accusée de perpétuer le stéréotype de la « femme noire en colère ». En effet, elle commence son article par « When Shonda Rhimes writes her autobiography, it should be called “How to Get Away With Being an Angry Black Woman.”», (Si Shonda Rhimes devait écrire son autobiographie, cela s’appellerait « Comment s’en sortir en étant une femme noire en colère »).

Rhimes n’a pourtant pas ressorti le stéréotype de la femme noire en colère. Elle compose son personnage en estimant qu’il n’y a pas de choses qu’un personnage noir doit faire ou ne doit pas faire à la télévision, comme si le fait de faire exister un personnage noir devait justifier des comportements précis. Un déterminisme racial. Le personnage de Viola Davis est fort, mais aurait-on parlé de angry white woman si elle avait eu un physique occidentalisé ? La journaliste poursuit. Puisque Viola Davis a la peau plus foncée que Kerry Washington, l’héroïne de Scandal, elle est décrite par Alessandra Stanley comme « classically not beautiful » (pas une beauté classique). Euphémisme. En utilisant ces termes, elle diffuse alors l’idée d’une hégémonie de la beauté occidentale et blanche. Elle pointe directement du doigt la couleur de peau du personnage, qui n’a alors pas de lien, ni avec la narration du récit ni avec la trajectoire personnelle du personnage.
En balayant du revers de la main les standards sociaux, Shonda Rhimes et ses personnages connaissent un incroyable succès auprès du grand public américain. Elle fait partie des personnes les plus influentes du monde selon le classement du Time. Toute la programmation du jeudi soir de ABC est dédié à ses créations. Chacune de ses séries constitue un record d’audience, jusqu’à dépasser Game of Thrones. Cela montre quand même une appétence du grand public pour de nouveaux personnages, dont la couleur de peau, le sexe ou l’orientation sexuelle ne sont plus qu’une caractéristique parmi d’autres.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
lesinrocks.com
nytimes.com
publiceditor.blogs.nytimes.com
slate.com
Crédits photos :
ABC Studios
Frederick M. Brown

Culture

Hypothèses post-tragiques sur le héros de série contemporain

Dans cet article, il sera question de quelques représentations très actuelles du héros de série contemporain. Sans pouvoir tous les analyser, nous nous intéresserons ainsi aux titres marquants de cette dernière saison : The Knick, Halt and catch fire, Masters of Sex, The Americans, Homeland, Leftovers, The Affair, Manhattan, entre autres.

Culture

Les fans pour vous servir

 
The Walking Dead doit une partie de son succès à la performance de ses cliffhangers (1), méticuleusement répartis à chaque épisode pour s’acheminer vers le midseason (2), qui constitue une réserve émotionnelle assez puissante pour perdurer jusqu’à la reprise de la série. 
Mais cette année, le savant engrenage se voit menacer par la rouille, après un élément narratif que certains n’hésitent pas à qualifier de meurtre. Que s’est-il donc passé pour qu’AMC se voit contraint d’expliquer à quelques 50 000 consommateurs d’apocalypse pourquoi il a « tué » leur personnage préféré ? 
La mort des personnages principaux est le lot d’un nombre croissant de séries télévisées, qui jouent ainsi avec les nerfs de leur audience – jusqu’alors dans un climat de relative complicité. Lorsque la midseason de Walking Dead paraît sur les écrans, révélant la mort de Beth, elle provoque la colère d’une vaste communauté de fans qui, aussitôt, promeuvent la pétition « Bring Beth back ». Sur change.org, cette pétition regroupe à ce jour 56 854 signataires passionnés qui strient la toile de commentaires mécontents.
Les critiques se situent généralement à deux niveaux, et révèlent une approche intéressante de ce qu’est devenu la consommation de divertissement pour beaucoup d’utilisateurs. En premier point, la frustration affective engendrée par la disparition d’un personnage devenu familier semble être désormais un motif légitime de réclamation, qu’on pourrait résumer à cet amer constat : « Ce n’était pas le produit  que j’attendais. » 
La seconde facette de ces critiques procède de cette tendance qu’a le web de donner le même temps de parole à l’amateur qu’au professionnel, et concerne directement, cette fois, la compétence des réalisateurs qui n’auraient pas exploité le potentiel scénaristique du personnage « tué ». Ce faisant, ils auraient lésé le consommateur en ce qui relèverait littéralement d’une faute professionnelle. 
C’est la naissance d’un autre type de fan service. De quoi s’agit-il ? Initialement, de clins d’oeil adressés par l’auteur d’une œuvre à ceux qui la suivent, afin de s’en attirer les bonnes grâces – procédé particulièrement employé dans l’univers des mangas, où il n’est pas rare de tomber sur un hors-série dévoilant les charmes d’une héroïne populaire…
Cette tactique devient désormais d’ordre préventif, voire impératif.
Le fan service réussi ou la tendance diplomate
Si AMC n’a pas encore répondu à ces accusations d’assassinat gratuit, d’autres producteurs se prêtent au jeu du fan service, avec plus ou moins d’élégance.
Au moment où Masashi Kishimoto relève le douloureux défi de clore une saga au succès mondial en heurtant le moins de fans possible, Gotham, nouvelle série de la FOX, se prête au jeu du fan service assumé. Véritable vitrine du genre, Gotham est aux amateurs de Marvel ce que le green-washing est aux images de marque, soit un gage de reconnaissance et, dans une certaine mesure, de prestige inattaquable.
D’autres encore entretiennent des liens plus discrets, mais tout aussi efficaces avec leur communauté – liens qui naviguent à loisir entre les clins d’oeil et les mesquineries soigneusement dosées. Sur la page Facebook d’American Horror Story, une série télévisée à la capicité de teasing redoutable, les community managers procèdent à une véritable analyse de terrain. Aussitôt un personnage est-il porté aux nues qu’un portrait en est publié sous un jour peu flatteur ; les plaisanteries devenues cultes au sein des amateurs sont rapidement intégrées au langage de la page officielle.
La palme du fan service revient peut-être à la série Supernatural, qui publie régulièrement des méta-épisodes sur le ton de l’humour, reprenant avantageusement les codes et les propos de la communauté de fans pour les intégrer à son scénario, clamant ainsi que ces derniers font partie de l’aventure.

La série-télévisée sanctionnée par ses clients
Quel message ces rapprochements entre production et consommateurs délivrent-ils ? Le brouillement volontaire de cette frontière n’est pas du goût de certaines productions, qui se réclament d’une certaine liberté artistique, ni de certains consommateurs qui estiment n’avoir aucune légitimité pour intervenir dans le processus d’élaboration d’un contenu culturel. 
Toute proportion gardée, il est difficile de donner tort à l’une ou l’autre des parties. Les fans se sont toujours emparés de l’objet culturel – livre, film, série télévisée – sans prendre massivement d’assaut ses auteurs pour exiger des prestations supplémentaires. Maintenant que les réseaux rassemblent et fédèrent les groupes d’intérêts, la force numéraire et économique des téléspectateurs est conscientisée, et s’envisage comme un contre-poids face à l’industrie culturelle.
Est-ce le devoir du producteur de se plier aux exigences du public, ou doit-il être intraitable, fidèle à sa vision artistique ? Jusqu’à quel point s’étend sa responsabilité auprès de sa communauté ?
D’aucuns répondraient simplement que la production est sanctionnée, en cas d’impair, par la simple absence de ses télé-spectateurs habituels et potentiels. Mais ce mécanisme de boycott peut-il s’appliquer de manière aussi idéalement systématique en ce qui concerne les séries télévisées, conçues pour fidéliser et créer un besoin de suivi ? Produit à la rencontre de l’art et du marketing, le format des séries télévisées engage et retient le consommateur tout en étant dégagé de toute responsabilité par le caractère artistique du produit lui-même, échappant du même coup à la plupart des obligations légales inhérentes à un produit commercial… Cet équilibre fragile est justement bouleversé par la « clientélisation » des fans, qui semblent ne plus hésiter à exiger le meilleur de leurs chaînes préférées. 
A l’exemple de Mass Effect 3, qui, sous l’impulsion de 67 000 signataires, s’est vu forcé de réécrire une fin pour son best-seller, les médias culturels doivent désormais craindre les réactions de leur public plus si dévoué.
Marguerite Imbert
Sources
Change.org
facebook.com
gamekult.com
Crédits photo
thewalkingdead.com
cuckaluhr.com
(1) Type de fin ouverte créant le suspens
(2) Période entre janvier et avril qui marque le retour de certaines séries, ou leur lancement.

exhibitB
Culture

Zoo humain : le racisme pour l'art

 

Cette semaine, les travaux subversifs d’un artiste sud-africain se sont introduits entre les murs d’un grand centre culturel et artistique parisien. Du 7 au 14 décembre 2014, le Cent Quatre accueille l’exposition Exhibit B de Brett Bailey. L’exposition propose aux visiteurs la reproduction d’un zoo humain du 20ème siècle. A travers une douzaine de tableaux vivants, des noirs sont exhibés et mis en scène dans des situations de domination raciale historiques et contemporaines.
Ce spectacle déambulatoire fait l’objet de polémique, notamment en raison de son caractère potentiellement raciste. L’intention artistique de Brett Bailey est d’établir un parallèle entre l’histoire coloniale et la situation actuelle des immigrés noirs, de déclencher des réactions pour mieux dénoncer l’horreur.
En dépit de sa bonne volonté, l’exposition reste un zoo humain, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, notre société permet toujours de voir des individus exposés comme des animaux, des noirs qui se donnent à voir aux blancs. Sans distanciation, la violence symbolique est réelle, actualisée. Un zoo humain qui illustre l’atrocité de la domination blanche est mis en scène pour en faire une expérience. L’argument artistique est dégainé, mais aurait-il été tout aussi artistique, pertinent et tolérable de mettre en scène des camps nazi pour dénoncer les actes antisémites contemporains ?

La blancheur hégémonique
De plus, Exhibit B constitue un exemple plus de l’hégémonie du « mâle blanc cishétéro », la catégorie des individus socialement dominants de la société à l’heure actuelle, celle qui dispose du plus de « privilèges » au sein de la société moderne, dont fait partie Brett Bailey. Ainsi, quelle sorte de légitimité sociale peut-on lui attribuer pour exprimer la voix des noirs opprimés du 20ème siècle et d’aujourd’hui ? Exhibit B, c’est un homme blanc qui tient au nom des noirs et de leur souffrance un discours sur l’oppression et la servitude : l’illustration même du monopole de la parole blanche dans l’espace public et social, de l’appropriation culturelle.
Pourtant, l’artiste ne prend pas en compte sa propre couleur de peau (ce qui est demeure logique, puisqu’elle n’a jamais été objet de revendication) : « Je ne pense pas qu’elle soit importante. On m’a demandé pourquoi moi, un blanc, je racontais des histoires de personnes noires. Mais Exhibit B est une pièce sur l’espèce humaine. La déshumanisation concerne les deux parties. Je suis simplement un homme blanc qui parle. »
La couleur de peau, pas si importante que cela ? C’est une idée paradoxale lorsque ses travaux artistiques et réflexifs traitent des questions coloniales et raciales, qu’il a lui-même vécu dans le camp social des dominants, notamment à travers l’expérience de l’Apartheid. Son parti pris esthétique est de mettre en scène uniquement des noirs bâillonnés et muets. Quelque soit l’intention de Brett Bailey, il s’agit d’une reproduction, d’une duplication des objets racistes sans détournement ni démarquage.

Un dispositif performatif
Les partisans qui luttent en faveur du spectacle de Brett Bailey se refusent presque à parler « d’exposition » pour qualifier cet événement vivant, il s’agirait alors davantage d’une « performance », notamment en raison de la présence de comédiens noirs qui se tiennent immobiles durant une centaine minutes. Lors de ce spectacle, l’artiste insiste sur la partie prenante que constitue le public. En déambulant près de ces douze tableaux, les spectateurs sont contraints à choisir : voir ou ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux.
Ce spectacle présente alors une certaine forme de performativité, mais ce dispositif est-il réellement nécessaire pour dénoncer ? En soi, la réalité historique, qu’il s’agisse de zoos humains ou d’autres abjections de l’histoire de l’humanité, et son archivage suffisent d’ores et déjà à dénoncer la cruauté humaine. Cependant, Brett Bailey a jugé nécessaire de la réactualiser dans une perspective d’art engagé. Cela dit, peut-on parler d’ « engagement » en considérant l’absence de vecteur émancipateur de ce dispositif ?
Depuis quelques semaines, le collectif Contre Exhibit B manifeste pour son interdiction. Pour ces manifestants, cette performance artistique demeure essentiellement une forme d’exploitation et chosification délibérée du corps noir. En réalité, la censure n’a pas lieu d’être mais la question de la légitimité doit se poser.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
altermondes.org
104.fr
slate.fr
Crédits photos :
Franck Pennant / AFP
Jane Barlow

booba oklm
Culture

Après OKLM.COM, la tempête

 
En septembre dernier, le site OKLM.COM, élaboré par le rappeur Booba, a fait son apparition sur le net et a donné lieu à de nombreux teasing au sujet de son ouverture « imminente ». Mais depuis trois mois, les « pirates », fans du rappeur que l’on ne présente plus, demeurent dans l’attente. Le site se dédie à la découverte de nouveaux talents: sportifs, cuisiniers, humoristes ou encore musiciens sont invités à envoyer leur vidéo à destination du site dès lors que leur performance est « incroyable » selon les termes du rappeur.
L’objectif de OKLM.COM est bien de devenir un « média » tel que l’annonce Booba dans la vidéo d’accueil du site en reprenant un dispositif similaire au télé­crochet sur certains points.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler l’origine du terme OKLM dans le vocabulaire du représentant des Hauts­-de-­Seine afin de comprendre les enjeux de l’arrivée d’un tel média dans l’univers du rap ainsi que de la communication. OKLM reprend l’expression « Au calme » sous forme d’abréviation désignant le bien­être, l’aise et le confort. Reprise par beaucoup de rappeurs, elle est directement assimilée au langage urbain puisque c’est dans l’argot français actuel qu’elle est née. Or, c’est en chanson que Booba l’a largement médiatisée avec son tube OKLM de sorte qu’il a modifié la prononciation initiale de l’expression désormais épelée sous forme d’abréviation et non plus de manière phonétique.
A cet égard, les jeux de langage mis à l’œuvre dans le rap, et qui en font l’héritier moderne de la poésie, ne semblent plus être de simples moyens de communication mais faire du rap une communication en elle-­même. Le recours à la métaphore très présent dans l’écriture hip-hop souffrirait dès lors d’une mise en abyme c’est-­à-­dire que le rap deviendrait une simple métaphore qui n’exprimerait rien d’autre que de la forme pure. Alors, le rap produit par le dispositif de Booba peut-­il encore représenter le ghetto qui constitue son essence ou est-­il condamné à rentrer dans les cadres de la culture de masse en tant que médiateur de celle­-ci ? S’il se fait pur média de communication, le rap peut-­il encore faire des suggestions créatives qui relèvent de l’art ?
Le rap comme objet de communication
L’ouverture du site OKLM.COM matérialise la transformation progressive du rap en tant que pur moyen de communication autour de la marque « Booba » grâce à différents procédés marketing à la fois innovants et traditionnels.
C’est d’abord la fédération d’une communauté d’internautes autour d’un événement sans cesse repoussé, celui de la mise en ligne des premiers contenus du site. Actuellement, la page d’accueil ne contient qu’une vidéo de présentation du concept OKLM avec Teddy Riner en invité. Le système médiatique de la vidéo est lui­-même travaillé pour générer le désir et la curiosité de l’internaute. Booba y est interviewé furtivement dans un espace bruyant, sans doute afin d’accentuer la dynamique de l’événement, de sorte que l’ouverture officielle fonctionnera comme un rendez­-vous commun à ne pas rater fédérant internautes et nouveaux talents.
C’est d’ailleurs avec un lexique emprunté aux télé­crochets « incroyable » que Booba qualifie et caractérise les artistes qu’il présente sur son site. Oklm.com
Néanmoins, à la différence des télé­crochets que l’on retrouve sur les chaînes de télévision, c’est bien par le rap et par la création métaphorique que la figure de Booba construit le trailer d’OKLM.COM. Si les logos successifs d’OKLM et de Tallac Records fonctionnent comme des marques, ils invitent tout de même à penser une sémiologie du graphisme encore plus évidente sur le corps même du rappeur, véritable objet d’art. De fait, la vidéo qui présente l’interview de Booba s’ouvre par une question où ce dernier est appelé « Kopp » jouant à la fois sur le signe, le marketing et la construction d’une narration autour du personnage qu’incarne Booba.
« Kopp » signifie hélicoptère et renvoie d’une part au vrai prénom de Booba qui est Eli mais également au terme anglais cop (flic). Or, sur la main gauche de Booba figure un tatouage avec inscrit « Kopp » surélevé d’une tête de mort afin de réutiliser l’expression « mort aux flics ». Du reste, ce tatouage est davantage visible dans le clip de la chanson OKLM réalisé par Chris Macari. Cependant, le signe ne s’arrête pas là, puisque « Kopp » désigne également le biopic sur la vie de Booba lui-­même sorti récemment. En ce sens, le moyen de communication devient lui­-même objet de communication à travers des imbrications de sens.
C’est pourquoi, les dispositifs de communication mis en place sur le site OKLM.COM interrogent directement l’essence même du rap et sa nouvelle place dans la société. Certes, le film Kopp a été réalisé par Ange Jisa, à l’origine de la société JisaMedia mais aussi de la websérie Kebab caviar inspirée de South Park. Dans cette série, le réalisateur confronte des personnalités issues du milieu politique, médiatique ou plus généralement d’une élite sociale face à des personnalités issues d’un milieu plus urbain comme des rappeurs. C’est ainsi qu’un des épisodes oppose le polémiste Eric Zemmour au rappeur Youssoupha.
Lors d’une interview pour Streetpress, Ange Jisa entendait assumer ce décalage humoristique qui faisait se rencontrer deux mondes habituellement isolés l’un de l’autre dans les représentations médiatiques traditionnelles.
Or, cet exemple de websérie fait foi d’un véritable changement quant au statut du rap puisqu’elle comptabilise d’une part des millions de vues et qu’elle incarne d’autre part la récupération de plus en plus massive de la culture dite « urbaine » par des couches sociales plus aisées que les classes populaires voire par l’élite économique et/ou intellectuelle, lors même que le rap s’adresse initialement aux minorités exclues des normes sociales dominantes.

La massification d’une sous-­culture
Les exemples d’OKLM.COM ou encore de Kebab caviar permettent en effet de comprendre la récupération de plus en plus massive du rap par les élites telle qu’elle a pu avoir lieu avec le jazz. Toutefois, c’est bien à cause de la finalité communicationnelle à l’œuvre autour de ce genre musical que s’opère davantage cette transition. Faisant appel aux métaphores, au rythme, à l’oral, au clash, aux battles, le rap emprunte également à la rhétorique et apparaît de ce fait comme un outil communicationnel fort et précieux pour une marque. Or, ce qui est en jeu autour du personnage de Booba n’a plus à voir avec la musique mais bien avec la figure de l’entrepreneur avec l’expansion de sa ligne de vêtement « Unkut » et aujourd’hui le lancement de son propre système de production à travers OKLM.COM.
Mais, si la musique sert à développer l’image et cultiver une légende autour du récit proposé par Booba, elle n’est plus une finalité et ne représente plus les populations des « cités ». C’est effectivement en businessman que Booba se présente en suggérant par l’implicite la fin de son parcours musical. « Ma carrière est incroyable » rythme en effet le refrain du morceau OKLM. En conséquence, la sortie de l’album Temps mort 2.0 illustre la volonté d’établir une légende à travers l’implicite, le récit du personnage de B2o. Mais, le vécu de Booba ne sera plus que fictif comme le démontre la sortie du biopic Kopp puisqu’il s’agit bien d’un format 2.0, une version virtuelle et donc revisitée de l’album de 2002 du même nom.
En somme, à mesure que le rap s’appuie sur les nouveaux moyens de communications, il est possible de croire à une capitalisation nouvelle du rap en tant qu’objet de langage, de communication, comme une nouvelle fonctionnalité. A l’occasion d’un autre article Booska P dressait le récapitulatif des trente principales expressions issues du rap et transférées au langage quotidien. Cette peinture générale témoignait de l’influence de plus en plus prégnante de la culture Hip-Hop sur les modes de langage. Ainsi, la performativité des images construites par le rap sur le langage institue un nouveau capital culturel dans la société.
Quel futur pour le rap ?
Si ce capital culturel investi dans l’imaginaire créé autour du site OKLM.COM fonctionne pour faire de Booba une marque rentable, peut-­on malgré cela considérer que cette capitalisation ne nuit pas à l’essence même du rap ?
Né des sous-­cultures urbaines, le rap a certes utilisé la métaphore, le rythme et beaucoup de procédés stylistiques empruntés à la poésie afin de créer des images. Or, c’est bien à travers ces images que le rap s’est attelé à représenter sa différence, à construire un discours à part entière et désintéressé de toute utilitarisme. De ce fait, un paradoxe semble se creuser davantage dans le milieu du Hip-Hop.
D’une part, le rap est réutilisé comme moyen de communication et de rhétorique marketing par exemple chez Booba. D’autre part, le rap dans sa forme la plus artistique c’est­-à-­dire désintéressée de toute récupération médiatique, ne semble pas permettre aux rappeurs qui le pratiquent de vivre de leur art comme en témoigne cet ultime article de Booska P.
Si Booba a enterré le rappeur, peut-­ê-tre peut-­il encore permettre aux nouveaux talents de faire naître un grand producteur. Ainsi, l’attente générée par OKLM.COM n’a qu’une alternative : produire de talentueux artistes ou faire du site un énième média de divertissement.
Marie Vaissette
Sources
Booska-p.com (1), (2)
Streetpress.com
Wikibooba.blogpost.fr
Oklm.com
Jisamedia.com
FastNcurious.fr
Genius.com
Remerciements : Jean­Paul Gagey

Culture

Le street, c'est pas automatique

 
S’il y a encore un mariage qui fait débat, c’est naturellement celui de la publicité et du street-art. La tendance à cette association contestée n’est, certes, pas inédite mais elle poursuit sa systématisation et sa normalisation. Loin d’être encore perçu comme une expérimentation originale et périlleuse de la marque, le recours aux codes du street-art est désormais tristement banal. L’underground acéré s’est fondu dans la masse, à grands coups d’édulcoration et de censure. Exit les contenus politiques et sociaux contestataires, bienvenue dans le joli monde marketé du street-art gentillet.
Un mariage arrangé contre-nature
« J’essaie de faire de belles peintures et je m’arrêterai le jour ou la publicité ne m’agressera plus dans les rues » , nous dit le street-artist Lenz. Que penser aujourd’hui quand le street-art prend part au mécanisme de « pollution visuelle » qu’il prétend combattre ?
Le street-art et la publicité entretiennent originellement une relation conflictuelle, aux limites de l’antagonisme. Les Pixadores, groupe de graffeurs de São Paulo, appuient cette idée en présentant le street-art comme « une forme de protestation, de révolte idéologique ! » . Précisons que, ironie du sort ou appât du gain, ces mêmes défenseurs de l’art sauvage finiront par collaborer avec Puma en 2012 (Puma x ASOS dans « OS PIXADORES »).
L’acte originel de la profanation de l’espace publicisé (ou simplement urbain) a aujourd’hui ouvert la voie à son contraire. Le contre-dispositif qui se met en place depuis quelques années investit la publicité non plus comme victime du street-art mais bel et bien comme instigatrice et mécène de celui-ci. Le mouvement audacieux et subversif est devenu un enjeu économique, tombé dans la production à la chaîne et instrumentalisé à des fins marchandes.
Le street-art pour tous ?
La question majeure qui se pose est celle de la légitimé et de la pertinence d’une marque à communiquer via les codes esthétiques et culturels qui sont ceux du street-art. Se dessinent alors plusieurs cas de figure, que l’on peut distinguer en fonction du degré de cohérence entre l’ADN de la marque et les valeurs portées par l’art de rue (la transgression, la contestation…).
Les « vrais » de la street

Keith Haring pour Reebok (à gauche) – Modèle Toki de Nike (à droite)
Ces « vrais de vrais » sont à chercher parmi les marques qui, à l’instar de Reebok ou de Nike, ont fondé leur image même sur cette « culture de la rue ». Les collaborations avec des street-artists ou les featurings avec des rappeurs se justifient par le fait qu’ils coïncident avec la volonté de la marque de se positionner en tant que pseudo « sub-culture » revendicatrice.

Le street-artist Niark à l’œuvre dans le métro pour la campagne
« Shoes are boring, wear sneakers » de Converse
Dans cette même catégorie, on retrouve les marques qui exploitent le filon de la provocation et de l’anticonformisme. Converse, avec sa campagne « Shoes are boring, wear sneakers » , dont les affiches ont été « vandalisées » volontairement par des street-artists, ou avec l’aménagement de son pavillon (au bord du canal de l’Ourcq) par l’artiste Supakitch propose une véritable collaboration entre l’art de rue et la publicité.
Les surfeurs superficiels
Ce phénomène de « street-artification » a particulièrement le vent en poupe chez les marques de boissons : on ne compte plus le nombre de bouteilles collectors en édition limitée issues des collaborations Marque/Street-Artist (Hennessy, Perrier, Malibu, J&B, Kronenbourg…). Le mouvement a également trouvé un écho dans la fashion sphère, où les marques de vêtements de luxe et semi-luxe ont toutes plus ou moins exploité les codes graphiques du street-art (Kongo x Hermès, Honet x Lacoste…).

Le manquement fondamental de ces marques est d’envisager le recours à ces « arts décalés » comme une formule magique à même de satisfaire leur aspiration à s’inscrire dans l’air du temps et à toucher un public jeune et branché.
La directrice marketing France de Perrier souligne en effet, dans le cadre de la collaboration « Inspired by Street-art » , la volonté de « parler à des gens avec lesquels [la marque] ne parle pas d’habitude », entendons « les jeunes urbains ».
Or, dans le monde de la communication, les échecs retentissants provoqués par ce type de raccourcis maladroits sont légion. Si peindre un 4×4 en rose n’en fait pas pour autant une voiture destinée aux femmes, si parler verlan n’est pas la garantie de toucher un public jeune, « faire à la manière» du street-art ne suffit pas à transformer une marque en the brand to be.
Le risque encouru, via ce genre de raisonnement littéral, est de tomber dans la gratuité de l’esthétique et dans l’absence de discours de marque au-delà. Le rapport entre le street-art et la marque devient indéniablement superficiel au sens où cette dernière est davantage dans l’imitation de codes visuels que dans l’incarnation de valeurs fortes.
La journaliste Catherine Cochard le formule clairement : « L’art est soumis aux règles de la tendance et celle-ci est actuellement urbaine » . Les marques, dans leur désir d’actualité et d’attractivité, sont ainsi les premières à surfer sur cette vague.
Les opportunistes illégitimes

La Collection Street-art de Monoprix, lancée en cette rentrée 2014, symbolise la dénaturation et la négation la plus complète du mouvement artistique qu’est le street-art. La marque a banalisé au plus haut point la tendance et a destitué l’œuvre d’art pour en faire une pure marchandise. L’absence de signature d’un artiste en particulier, au profit d’un englobant « Collection Street-art », marque l’apparition de biens de consommation sérialisés et anonymes, dont seule l’esthétique désincarnée évoque vaguement les graffitis urbains. Dans ce lieu de distribution grand public qui propose la customisation de produits domestiques (torchon, gant de cuisine, culotte…), l’art a disparu, le street aussi.
Monoprix, qui s’est démarqué sur d’autres collaborations bien plus réussies, a malheureusement endossé le mauvais rôle cette fois-ci. Alors que le recours au street-art se limitait, jusque-là, à des campagnes publicitaires et des produits de niche, l’initiative malhabile de la marque fait jouer au mouvement artistique urbain son dernier acte : celui de sa néantisation.

Détournement des codes visuels des packagings Monoprix par Martin Parker, adepte
de urban hacking, pour dénoncer la « Collection Street Art »
Le divorce radical entre l’annonceur et l’urban-artist n’est pas nécessairement souhaitable. Il serait simplement bon que certaines marques osent fermer leur porte et laisser le street-art à la rue.
Tiphaine Baubinnec
http://www.linkedin.com/pub/tiphaine-baubinnec/75/76/995
Sources :
slate.fr
digitalhunter.fr
allcityblog.com
fabula.org
midilibre.fr
Crédits photos :
street-rules.com
buzzly.fr
fraisfrais.com
monoprix.fr

Culture

Rising star : quand l'émission déchante

 
Lancée en 2013 par la société de production israélienne Keshet Broadcasting, l’émission HaKokhav HaBa – repris sous le nom de Rising Star – a très vite gagné sa place dans le monde des télé-crochets. Ce programme innovant remporte rapidement l’adhésion du public israélien – atteignant jusqu’à 49% de parts de marché – et devient alors le nouveau succès convoité des diffuseurs internationaux. En France, c’est M6 qui se montrera la plus persuasive pour remporter le contrat.
Un concept innovant où l’immédiateté règne
Avec un format reposant sur la gratuité du vote, le direct continu et une interaction plus qu’active avec le téléspectateur qui décide du sort des candidats, Rising Star rompt avec les codes classiques des télé-crochets, ces concours de chant télévisuels. Chantant derrière un mur, les candidats, sélectionnés par un jury ou bien sur Instagram, doivent recueillir 70% de votes positifs via l’application Rising Star afin de faire lever le mur et ainsi poursuivre l’aventure. C’est donc sur le principe d’immédiateté que repose cette émission, où le téléspectateur, friand du direct, peut détenir les pleins pouvoirs du déroulement d’un prime.
Des audiences en chute libre
Le 15 septembre dernier M6 diffuse un kick off* de l’émission : un succès avec 3,7 millions de téléspectateurs. Un score très encourageant qui se reproduira 10 jours plus tard pour la première avec 3,8 millions et 16,9% de parts de marché et surtout M6 première sur les cibles jeunes et féminines, les cibles recherchées. Mais voilà, ce succès n’aura pas duré puisque la deuxième émission ne rassemble que 2,7 millions pour 12% de part de marché ; la troisième chute encore en atteignant seulement 9% d’audience et la quatrième ne fait guère mieux, peinant à atteindre les 2 millions de téléspectateurs.
Des bugs techniques, un jury irritant qui sonne faux, une présentation en duo qui se cherche, un manque de souffle et de surprise : la presse, tout comme le public, sont critiques. Les réseaux sociaux, plus particulièrement Twitter deviennent des défouloirs où la moindre erreur n’est pas pardonnée. Un comble pour cette émission musicale interactive.
« @Mauraneofficiel : « En résumé, pour moi #RisingStar c’était la première et la dernière fois » »
« @neige2407 : « Avis très mitigé sur cette 1ere de #risingstar, présentation tres en deçà et le surf sur la vie privé des candidats me dérange bcp » »
Un coup dur pour la chaîne qui partait pourtant confiante avec notamment Nicolas de Tavernost qui annonçait en mars dernier : «  Je vais vous faire une confirmation, un aveu, Rising Star ça va être un immense succès, voilà. »…raté.
Malgré des améliorations, le public n’adhère pas. En conséquence, la régie publicitaire de la chaîne doit revoir à la baisse ses tarifs, le coût des écrans passant de 60.000 à 30.000 euros les 30 secondes. Avant d’être un pari risqué pour la chaîne, Rising Star reste surtout un programme très onéreux.
Rising star : le télé-crochet où la voix est oubliée
Autre critique de l’émission : la focalisation sur l’histoire des candidats. « Je veux prouver à mes parents qu’ils se sont trompés », « j’ai abandonné l’école pour réaliser ce rêve », « je veux prendre une revanche sur la vie » : Ces phrases-là ne sont que des échantillons parmi tant d’autres. Pathos et sob stories** sont mis au premier plan et la prestation même du candidat au second. Avec les codes de la téléréalité, l’histoire du candidat est alors rabâchée encore et encore par la présentation ou par une Cathy Guetta larmoyante. Le cliché supplante alors la musique et faire le buzz semble alors être l’objectif principal. Nous sommes loin du concept de The Voice où la voix est au cœur de l’émission. Une volonté de la production ? Malheureusement cela ne paye pas et engendre moins de sympathie que d’agacement.
Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias, relève également le concept du mur comme repoussoir. Ce  « mur virtuel » peut « donner l’impression de quelque chose d’un peu désincarné, ou du moins dont on n’a pas l’habitude visuellement », annonçait-elle sur BFMTV. Cette dernière ajoute qu’il faudrait «laisser du temps au téléspectateur pour qu’il s’habitue. » Mais les téléspectateurs pros du zapping auront-ils assez de patience ?
Un échec du genre
Petite dernière sur la liste, Rising Star arrive dans une période où les télé-crochets sont assez contestés.
Serait-elle donc la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Là où The Voice est parvenue à se faire une place grâce à son concept novateur, Rising Star semble avoir manqué la marche et entretient cette lassitude des télé-crochets chez le public français. Les récentes déprogrammations de X Factor, Star Academy et Popstars ou la baisse d’audience de Nouvelle Star annoncent-elles déjà une fin prématurée de Rising Star ?
Si M6 assure ne pas vouloir diminuer son nombre de prime, la rude concurrence de TF1 avec la série Profilage attirant plus de 30% d’audience, la pression économique ou encore des crises internes comme la récente mort d’un participant, peuvent sonner la fin de ce programme. Rising Star parviendra-t-elle à échapper à une déprogrammation en France, là où l’Angleterre n’aura même pas attendu une première diffusion ?
*coup d’envoi
**histoires larmoyantes
Félix Régnier
Sources :
BFMTV
Europe 1
RTL
Le Tube (Canal +)

Ozap.com

Culture

No Ad: l'art, un danger pour la publicité?

 
 Deux mots, une idée:
NO AD c’est la nouvelle application smartphone pour iOs et Android lancée par deux américains, Jordan Seiler et Jowy Romano, artistes militants qui utilisent l’espace public comme nouveau lieu d’expression. La rencontre de deux esprits rebelles, passionnés d’art a donné naissance à cette application (en réalité augmentée) qui permet de remplacer les prints du métro new-yorkais par des œuvres d’art du Centre International de la Photographie en utilisant ces derniers comme des QR codes. Une initiative audacieuse puisqu’elle fait du métro de New-York un nouvel espace d’exposition pour les artistes partenaires, posant ainsi la problématique des champs d’expression possibles pour l’art et les marques. Néanmoins, une question subsiste : dans quel but?
3 000, c’est le nombre moyen de messages publicitaires auxquels nous sommes confrontés tous les jours! Les transports en commun, la radio, Internet : que l’on soit chez soi ou encore dans la rue, les marques sont omniprésentes voire « intrusives ». Il apparaît alors pertinent de se demander: et si trop de pub tuait la pub?
Assurément, les champs d’expression des marques n’ont plus aucune limite : si l’on peut tourner les pages d’un magazine ou zapper la chaîne de télévision qui diffuse notre série préférée pour la quatrième fois en une heure, il semble difficile de ne pas prêter attention aux panneaux publicitaires format 4×3 dans les rues ou dans les transports en commun, tout comme les pop-ups qui apparaissent sur tous les sites Internet que l’on visite. Et c’est précisément ce processus qui fait aujourd’hui l’objet d’une violente critique : cette communication envahissante, presque agressive, qui ne cesse de se perfectionner par le biais de stratégies de plus en plus ciblées et omniprésentes.
En effet, si le nom de cette application est si explicite, c’est qu’il y a aujourd’hui et depuis quelques temps déjà un rejet de la publicité, une indifférence face à tout ce « bruit publicitaire». On remarque ainsi, qu’un véritable courant anti-pub prend forme : contestataire et parfois violent, il s’exprime au travers du « brandalism » (le vandalisme des panneaux publicitaires), du boycott de certaines marques mais aussi des revendications moins agressives mais plus impactantes auprès des publics, comme le street-art. A la manière de Keith Haring dans les années 80 qui fit des rues de New-York sa toile XXL ou encore de Banksy, l’anonyme anti-système par excellence qui continue à faire des murs des plus grandes villes du monde de véritables œuvres dénonciatrices et provocantes, les partisans du « no-ad » s’emparent de l’espace public pour y exprimer leur message.

Ils entendent donc dénoncer « un système publicitaire agressif », palier à la « manipulation des esprits » et à « une pollution du paysage » qui poussent désormais une grande partie des consommateurs à ignorer ces nombreux messages. Voire, à y être complètement indifférent.
C’est donc dans l’optique d’une réappropriation des espaces publics, actuellement pris d’assaut par les marques, et de la collaboration de ces deux artistes, Jordan Seiler (un graffeur anti-pub) et Jowy Romano (le blogger/artiste du métro de la Big Apple), que No Ad est née.
Jordan Seiler parle, pour sa part, de « sensibilisation à l’environnement qui nous entoure, qui est à la fois un espace de vie et un espace d’expression ». Il réaffirme cependant, qu’en aucun cas ce projet ne veut « encourager quelque dégradation que ce soit ou n’importe quelle autre forme d’art illégal dans les espaces publics ».
Si l’application n’est pas totalement au point et ne sert aujourd’hui qu’à admirer les œuvres d’art au travers de l’écran de nos smartphones, elle est certainement l’une des plus prometteuses en la matière: No Ad ne pourra en effet pleinement montrer son efficacité qu’avec le système des Google Glass, par exemple. Pour les deux instigateurs du projet, il s’agit davantage d’une preuve de concept (POC) à développer en parallèle des nouvelles technologies à venir.
Enfin, en attendant l’arrivée de l’application dans les stations du métro parisien, la RATP ouvre, dès ce mois-ci, ses quais au photographe américain Garry Winogrand qui fait en ce moment l’objet d’une exposition au musée du Jeu de Paume. Vous pourrez admirer ses photographies dans seize stations et gares de la RATP jusqu’au 8 février prochain.
Prise de conscience ou simple initiative au profit de l’art de la rue? A suivre…
A tous les Curious, qui voudraient essayer l’application No Ad: malheureusement la démo du site ne fonctionne pas mais je vous invite à faire un essai sur la photo ci-dessous (qui se trouve déjà être une œuvre de l’artiste Poster Boy) pour vous donner un petit aperçu.

Et pour ceux qui veulent faire un petit tour sur le site de l’application, c’est par là !
En bonus, une petite vidéo qui lèvera le voile sur cette appli futuriste !
Alizé Grasset
Sources
Noad-app.com
Subwayartblog.com
Vimeo.com
Nytimes.com
Animalnewyork.com
Crédits photos:
noad-app.com
blogspot.com
lifeproof.fr

Culture

Place Vendôme VS Tchétchénie aux Rencontres d’Arles

 
Le 7 juillet 2014, les Rencontres d’Arles se sont ouvertes en « Parade »* pour leurs 45ème édition, mettant à l’honneur les photographes du sérail (Martin Parr, Raymond Depardon, David Bailey…) ayant accompagné depuis une dizaine d’années le directeur du festival international de la photographie, François Hebel.

Des sponsors liés à l’histoire même des Rencontres
Alors qu’elles sont à 48% financées par le Ministère de la Culture et de la Communication et les différentes institutions locales**, les Rencontres arborent fièrement sur les affiches une liste de prestigieux sponsors, de Gare&Connexions à l’Occitane. Certaines marques placent leurs produits au Parc des Ateliers, comme les grosses voitures BMW. Pourtant, d’autres entreprises s’intègrent intégralement dans le festival, en soutenant la création photographique par l’organisation d’expositions  et par des initiatives désormais incontournables. On peut citer parmi eux la sélection des SFR Jeunes Talents qui possède, pour la première fois depuis 9 ans, son propre lieu indépendant dans la programmation In, ou encore le projet Olympus qui met en lien des grands photographes professionnels avec des étudiants de l’Ecole Nationale de la Photographie. Pour SFR et Olympus, le message est clair : une visibilité de premier plan avant tout. Partenaire d’autres grandes institutions consacrées à la photographie (le BAL, festival Circulation(s), Paris Photo…), SFR soutient les jeunes photographes qui, selon eux, devraient être vus et reconnus. Recevant entre 500 et 1500 candidatures, SFR se positionne comme un acteur majeur des révélateurs de talents. Mais il s’affiche aussi comme le leader des nouveaux outils digitaux par le développement d’outils numériques (applications mobiles par exemple). Olympus quant à eux, il en va de l’identité même de leur marque que le soutien à la création photographique contemporaine. Plus que le placement de produit, la célèbre marque d’appareils photo est devenue un acteur essentiel de la rencontre entre les maîtres et les élèves et leur présence sur les lieux du festival n’est évidemment pas étonnante.
La banque Pictet et la société de gestion Carmignac, les nouvelles entreprises (culturelles) au cœur des Rencontres
Pourtant, sur la liste des entreprises présentes sur le festival, certaines peuvent étonner par la dissociation de leur cœur de métier avec la photographie. Deux attirent particulièrement le regard, et pourtant font désormais partie intégrante de l’activité culturelle européenne. Il s’agit d’une part du Prix Pictet, et de l’autre, du Prix Carmignac pour le Photojournalisme.
La banque Pictet a su saisir une bonne combinaison. Alors que les budgets mécénat consacrés à la culture baissent cruellement d’années en années en faveur de l’environnement et du social, cette banque suisse a trouvé le moyen de concilier ces domaines en récompensant chaque année un photographe dont le projet est orienté vers les défis écologiques et le développement durable, à travers des grands thèmes universels : l’eau, la terre, la puissance, la croissance et cette année, la consommation. Présidé par son excellence Kofi Annan, la banque Pictet se dit investie de la mission de responsabilité envers ses collaborateurs et la société. Si son engagement philanthropique s’est inscrit dans l’identité même de l’entreprise, c’est parce qu’elle entend, grâce à ce biais-ci, pérenniser ses relations clients et ainsi de maintenir la stabilité  de ses finances et de ses ressources humaines.  Le message est manifeste: « Dans toutes ces activités, c’est la fierté de nos collaborateurs d’appartenir à Pictet, la fierté de nos clients d’entretenir avec leur banque une relation privilégiée, et la fierté de notre maison d’être utile à la collectivité qui nourrit notre volonté d’agir en entreprise responsable”. Investie dans ces missions, le prix Pictet ne peut aucunement être blâmé. Par le bien-fondé des sujets traités singulièrement et pertinemment par les photographes, le prix Pictet réussit indéniablement son objectif : celui d’informer le public des defis environnementaux auxquels nous sommes tous confrontés, et ceci à travers des oeuvres photographiques. Et dans le même temps, s’insérer dans les Rencontres pour une visibilité nouvelle auprès d’un public nouveau, expert et avisé.

A côté de Pictet, c’est la société de gestion Carmignac qui a étonné à Arles à travers une exposition indépendante dans un très bel hôtel particulier en face des Arènes. Le sujet : un regard esthétique et fort sur la quête d’identité de la Tchétchénie d’aujourd’hui par le photo-journaliste Davide Monteleone. “En harmonie avec les valeurs de courage et d’indépendance, de transparence et de partage qui animent ses équipes, Carmignac Gestion a pris le parti de défendre un regard personnel et engagé, par définition minoritaire et pour cette raison même indispensable.” Carmignac en profite ainsi pour collecter certaines oeuvres des photographes afin d’augmenter sa propre collection d’art contemporain.*** Au delà de la programmation officielle, Carmignac s’associe à Voies Off, le festival Off des Rencontres et un laboratoire professionnel (lui-même soutien de la jeune creation photographique contemporaine), pour réaliser son exposition qui n’est aucunement à envier à celle du In.  En offrant une exposition à la portée de tous, gratuite et esthétiquement irreprochable, Carmignac se place au plus près des Arlésiens, du public, et des professionnels presents lors de ces évènements.
* La 45ème édition a pour titre « Parade »
** Chiffres pour 2011
*** La Collection Carmignac est présentée dans les bureaux du siège social Place Vendôme, mais ouvrira sa Fondation sur l’île de Porquerolles en 2015.
 
Joséphine Dupuy Chavanat