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Culture

Un crime parfait pour la télé

Ce soir, découvrez l’histoire de la petite Marguerite, enterrée par ses parents dans un bloc de béton, celle de la veuve noire de Floride qui tue ses maris en mettant des sangsues dans leur bain ou bien celle de l’employé de fast-food fou empoisonnant ses clients avec leurs hamburgers. Programme alléchant : 100% vraies, 100% glauques, les émissions d’enquêtes et de crime ont la côte !
Si “Faites entrer l’accusé” – avec ses 15 ans d’existence – fait partie des vieux meubles télévisuels du crime, l’émission a depuis été massivement déclinée : “Enquêtes criminelles” sur W9, “Crimes” sur NRJ12 ou encore “Les enquêtes impossibles” sur NT1.
Et appelons un chat, un chat. Malgré quelques variations, de la plus métaphorique – “Faites entrer à l’accusé” – à la plus littérale – “Crimes”, les titres restent évocateurs : de l’hémoglobine, des empreintes digitales compromettantes, des alibis douteux et des rebondissements judiciaires, voilà ce qui nous attend, on le sait et c’est pour cela que l’on regarde.

Du point de vue de la construction du programme, rien de bien extraordinaire : il s’agit de retracer une enquête du début à la fin, soit du crime à sa résolution. Un peu comme un épisode des Experts en somme : qui a tué et pourquoi ? Le récit de l’enquête policière et de l’instruction judiciaire est généralement étayé par des archives télévisuelles ou photographiques, des entretiens avec des experts-psychiatres, des journalistes, des enquêteurs, des avocats ou des témoins mais aussi par des prises de paroles des proches de la ou des victime(s) et, parfois même, par les suspects et les coupables de l’affaire en question.
A mi-chemin entre la série policière américaine (ou française d’ailleurs) et l’émission d’information judiciaire et policière, ces émissions attirent indéniablement les publics. Enquête express sur ce mystère non-résolu.
Tutoriel pour une enquête réussie ou délectation morbide ?
Si les séries télévisées policières foisonnent sur toutes les chaines télé, elles ne sont pas parvenues à endiguer l’apparition de ces programmes hybrides que sont les émissions d’enquêtes criminelles : quelle est la clé de ce succès ?
La réponse semble évidente : la réalité. De vrais meurtres, de vraies victimes, de vrais tueurs, de vrais lieux, de vrais policiers, de vraies enquêtes, un florilège de réalité-vraie-qui-a-réellement-eu-lieu.

Dans un contexte de généralisation de la défiance du public où le soupçon du “fake” est une menace, ces programmes télé détournent une potentielle polémique en garantissant la “réalité” de leur contenu. Exit les “ce n’est pas crédible”, “c’est tiré par les cheveux”, “c’est tellement tordu que ça ne pourrait jamais arriver en vrai” : puisque cela s’est veritablement passé, le jugement du public quant à la validité et la vraisemblance des faits exposés n’a pas lieu d’être. Cette véracité des faits ouvre la porte à une plus forte compassion du public et au frisson de savoir que cela peut arriver. Les interventions de la famille et des proches qui parlent de la victime et de son passé ou la localisation précise du drame dans une zone géographique particulière (une ville, une région, une maison…) sont autant d’éléments qui ancrent les faits dans cette réalité inquiètante dont se délecte le téléspectateur.
Ces émissions s’inscrivent dans une tendance générale de l’amenuisement progressif de la frontière entre fiction et réalité, dont témoigne la multiplication de programmes hybrides dans le paysage télévisuel contemporain. Le néologisme “téléralité” illustre à lui seul cette extraordinaire ambiguité des contenus : comment faire cohabiter la télé – soit la fiction, le créé et le construit à destination d’un public – et la réalité – soit le fortuit, l’aléatoire et l’imprévisible ?
Et de cette grande question découle le problème posé par ces émissions d’enquètes criminelles : celui de parvenir à les qualifier. Si elles semblent chercher à nous faire découvrir les dessous du système judiciaire et policier, peut-on pour autant les rapprocher de programmes documentaires ? Certaines émissions qui insistent davantage sur les méthodes d’investigation et de résolution d’enquètes, à l’instar des “Enquêtes impossibles”, pourraient y trouver la justification de leur existence mais, dans la majorité des cas, le caractère instructif des programmes paraît largement surpassé par le sensationnel. Entre instruction et divertissement pervers, quelle finalité trouver à ces contenus médiatiques ?
De l’art de brouiller les pistes
Au terme d’une micro-investigation sur le fond et la forme des ces émissions d’enquètes criminelles, il apparait rapidement que la “réalité” ne joue que comme argument dans la construction d’un contenu médiatique aux fins davantage divertissantes qu’instructives.
Si le modèle fonctionne indéniablement du point de vue de l’audimat, c’est également un modèle efficace du point de vue économique. De la réalité donc peu de frais ! On oublie les acteurs et les scénaristes : l’enquète est servie sur un plateau avec tous les protagonistes et les rebondissements qu’il faut, pour peu qu’on la choississe avec soin. Compte tenu du nombre de faits divers des dernières décennies, la matière télévisuelle potentielle est considérable. La quantité d’histoires incroyablement sordides et originales est importante au point d’autoriser le luxe du choix. Car si le public veut de la réalité, il veut la crème de la réalité. De même qu’une maison de téléréalité se doit de fournir son lot de coucheries et de disputes pour échapper à la fadeur la plus totale, une enquète criminelle se doit de s’en tenir à certains critères. De l’inhumanité, de la trahison, des mobiles atroces…pourvu que ce ne soit pas banal. Il va sans dire qu’un simple homicide involontaire, un désaccord basique qui aurait mal tourné ou un réglement de comptes de voisinage ne sauraient trouver grâce aux yeux des téléspectateurs. L’”histoire” qui fonctionne est celle qui brise les règles établies et acceptées tacitement par la majorité du corps social, celle qui déplace les limites de l’humanité, celle qui pousse à essayer de comprendre l’incompréhensible : les cas d’infanticides, d’incestes ou de meurtres en série sont ainsi des perles télégéniques, par la charge émotionelle, terrifiante et révoltante qu’ils portent en eux.

Au delà de ce choix editorial du “meilleur crime” à raconter, le tiraillement entre fiction et réalité auquel sont confrontées les émissions d’enquètes criminelles se manifeste dans les choix, imposés par le média qu’est la télévision, de mise en scène, de cadrage et de narration.
Les titres des enquètes présentées – “Meurtre sur ordonnance”, “L’assassin habite au numéro 1”, “Cauchemar au fast-food” ou “Massacre en chambre froide” – donnent le ton et renvoient immédiatement à  l’imaginaire du polar de gare un peu “cheap”. Les mélodies à suspens sont de mise, les coupures publicitaires sont travaillées de manière à maintenir en éveil l’attention du téléspectateur, une musique bouleversante accompagne les temoignages larmoyants des proches éffondrés, les fondus au noir accentuent le caractère mystérieux de l’enquète tandis qu’une voix off semble nous narrer un roman d’Agatha Christie – entre reprises de souffle et silences angoissants. Autant d’éléments qui achèvent de faire basculer ces “histoires vraies” dans une pure logique narrative.
Ce recours massif à des mécanismes intimement liés au contenu de divertissement témoigne bel et bien de l’inscription de ce type de programmes dans la “romance télévisuelle” et en aucun cas dans le genre du “documentaire”. L’émission est travaillée afin d’être vendable aux chaines auxquelles elle se destine et consommable par son public. NRJ12, W9 ou encore NT1, chaines de la TNT, ont fait du divertissement leur crédo et des hybrides à mi-chemin entre la fiction et la réalité, leurs spécialités : il n’est donc pas étonnant que ces émissions d’enquètes criminelles s’inscrivent dans cette ligne éditoriale.
Proposé sous une forme proche de celle d’émissions comme “Tellement vrai” ou “Confessions intimes”, le fond du contenu médiatique reste cependant tragique : dans quelle mesure est-il convenable de proposer une expérience de divertissement autour de faits réels si dramatiques ?
C’est grave docteur ?
Si ces émissions fonctionnent, c’est qu’elles ont su trouver leur public : comment situer le téléspectateur au sein de ce phénomène ?

Au delà du risque encouru (et mérité) de passer pour le fana de morbide de la bande, se pose véritablement la question de la distinction entre la production médiatique consommée et la réalité à laquelle elle renvoit. Regarder, à l’aune du divertissement, les témoignages de familles en deuil et les images de vraies scènes de crimes témoigne d’une insensibilité croissante du téléspectateur. L’étalonnage de tous les programmes télévisuels autour d’une considération indifférenciée – “c’est de la télé” – n’est pas sans risques. En effet, l’exposition répétée à des images violentes peut engendrer un phénomène d’acculturation – soit d’accoutumance du regard – mais aussi un potentiel manque de retour critique sur les contenus donnés à voir. Un autre effet néfaste à prendre en considération est que la surconsommmation télévisuelle d’émissions d’enquètes criminelles participerait d’une vaste tendance à la surrévalutation de la dangerosité du monde. Par leur contenu violent et anxiogène, ces programmes tendent à altérer la perception de l’environnement dans lequel on évolue, à surestimer sensiblement les risques réels et à accroitre la paranoia. Le fameux théoricien de la télévision et ses effets, Georges Gerbner, le montrait déjà il y a plusieurs d’années : la consommation d’images violentes et la crainte d’être victime de cette même violence dans la réalité sont corrélées. Une expérience menée avec des volontaires a ainsi permis de constater que les téléspectateurs les plus assidus surestimaient très largement la dangerosité de leur environnement, à partir de l’image faussée que leur en donne la télévision.
Alors, pour échapper aux insomnies chroniques, s’éviter des pics de stress en rentrant chez soi le soir et ne pas entretenir ce penchant naturel pour le morbide, le meilleur remède consiste encore à zapper sur un épisode des Chtits dans la brousse ou sur les confessions d’un drag-queen effrayé par les paillettes : autant de réalité, moins de lugubre.
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :
programme-tv.net
puretrend.com
Crédits photos :
blog.plaine-images.fr
“Enquêtes criminelles” – W9
“ Crimes” – NRJ12
“Les enquètes impossibles” – NT1

nicki minaj twerk fastncurious
Culture

Pour une sociopolitique du twerk

Nicki Minaj, Taylor Swift, Miley Cyrus. Le twerk n’appartient ni au rap, ni à la pop, ni à un quelconque genre artistique : il appartient aux twerkeur(se)s. Loin du spectre misogyne qui tourmente les références pop, et notamment l’industrie de la musique, le twerk peut également être considéré comme un outil de revendication identitaire pour les femmes et certains groupes sociaux comme les noir(e)s et les queers (les minorités de genre ou de sexe), ou simplement pour ceux qui se réapproprient leur corps. Le bootyshake peut ainsi être potentiellement considéré comme permettant à l’individu bootyshakant de rompre symboliquement avec toute appartenance, voire toute acceptation, du carcan hétéronormatif.
Geste féministe
Le twerk, l’expression vulgaire et indécente d’une sexualité débridée, d’une dépravation générale du siècle ? L’éclat d’une œuvre (ou sa médiocrité) ne réside que dans l’œil des spectateurs. Le twerk représente alors un symbole d’hypersexualisation seulement si on le considère à travers le prisme patriarcal, celui qui sexualise et culpabilise systématiquement le corps féminin.
A l’inverse, twerker pourrait être aussi une façon pour l’individu social de devenir l’agent actif de son propre corps en utilisant son postérieur selon ses envies propres et individuelles. Fannie Sosa, twerkeuse et étudiante en socio, affirme ainsi que : « le twerk est le kiff de (se) bouger le cul consciemment ». L’éthique du twerk a donc pour visée de considérer le twerk de l’agent actif dans le cadre de sa propre satisfaction. De par son revival récent dans les milieux queers, plus qu’un vecteur féministe, il deviendrait un outil de revendication identitaire de genre plus étendu, qui a pour absolu l’affranchissement du rapport hommes/femmes.

Depuis ses origines diasporiques africaines des populations émigrées dans les banlieues ghettoïsées, le jeu entre dominants et dominés est omniprésent. A partir de ce fait, les fesses deviennent alors un véritable medium pour les revendications.
Appropriation culturelle ?
Plus spécifiquement née au sein des groupes sociaux en marge de la société comme dans la culture hip hop et queer, l’appropriation culturelle par les pop stars blanches des années 2010 constitue une problématique culturelle actuellement débattue. Ces pop stars reprendraient des éléments de revendications identitaires de la culture afro-américaine à des fins d’entertainment. S’approprier l’esthétique d’un mouvement sans en considérer tout le poids idéologique et culturel, c’est l’histoire du glissement des subcultures vers le mainstream, à savoir le « courant dominant », la diversité standardisée.
Ainsi, les tweetclash fusent dans l’industrie de la musique, blancs contre noirs. Earl Sweatshirt, membre noir du collectif subversif Odd Future, accuse Taylor Swift de stigmatiser les noirs : elle cacherait ses préjugés en proclamant son amour de la culture afro-américaine. A côté, la rappeuse Azealia Banks critique Iggy Azalea pour son appropriation des codes culturels noirs (dont le bootyshake) et de son absence de prise de position suite aux événements de Ferguson : « La culture noire est cool, mais les problèmes des noirs le sont moins, hein ? […] »
Outre les tweetclash, le média américain féministe Jezebel a aussi déclaré que Miley pillait la culture afro-américaine sans revendiquer son combat pour l’égalité sociale : « Twerking, popping the ass, bending at the waist and shaking her rump in the air. Fun. But basically, she, as a rich white woman, is « playing » at being a minority specifically from a lower socio-economic level. » (Twerker […]. Amusant. Mais fondamentalement, elle, en tant que femme blanche et  riche, « joue » à être une minorité, spécialement issue de la classe socio-économique inférieure)

Faire du soi avec de l’autre
Cette entrée rampante dans le mainstream poserait donc problème. L’appropriation du twerk par les pop stars blanches est critiquée puisqu’elles utilisent des codes culturels comme sources artistiques et financières, mais n’en diffuseraient pas les racines, c’est-à-dire les discriminations sociales et économiques de ces communautés (raciales ou sexuelles) dominées.
De plus, paradoxalement, elles ne l’utiliseraient non plus comme geste féministe, mais comme outil d’érotisation de leurs corps (personne ne veut être Hannah Montana toute sa vie), créant ainsi dans l’inconscient collectif un lien entre la culture afro-américaine et l’hypersexualisation.
« Plus que jamais à l’époque contemporaine, marquée par une forte valorisation de l’hybridité, du métissage et du sampling, faire du soi avec de l’autre tient d’un principe créatif. Une culture n’est pas un isolat étanche et mobile mais un ensemble ouvert qui ne cesse de se construire par l’importation d’influences et d’éléments étrangers », affirme Monique Jeudy-Ballini, spécialiste des questions d’appropriation culturelle au CNRS. Le twerk connait alors un basculement : initialement objet de revendication identitaire de genre et de race, il s’ancre dans la culture mainstream et se trouverait ôté de son sens premier.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
retard-magazine.com
slate.fr
www.lesinrocks.com
Crédits photos :
Terry Richardson
Matthew Kirby
Disney Channel

Culture

Deuxième sexe et 7ème art, l’équation cannoise

A presque un mois du festival de Cannes, la croisette se prépare d’ores et déjà à recevoir le temps de sa quinzaine annuelle, l’attention insatiable du monde médiatique concentrée sur ses 24 marches, et sa cinquantaine de films présentés chaque année. Les spéculations vont bon train sur le futur réalisateur qui se verra attribuer la prestigieuse palme. Oui, mais plutôt « le » ou « la » diriez vous ? Pourtant, en optant pour l’article masculin, la probabilité de faire fausse route reste faible. Quasi nulle en fait, elle a été invérifiée une seule fois en 1993, par la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion (présidente du jury 2014) et sa magistrale Leçon de Piano qui lui vaudra une palme d’or.

Face aux accusations sexistes, un nouveau programme, « Woman in Motion »
Pour rectifier le tir, le Festival de Cannes et la holding Kering (Saint-Laurent, Balenciaga, Stella McCartney…) inaugurent cette année le programme « Women in Motion » qui se donne pour objectif la revalorisation de la contribution des femmes dans le 7ème art. Par cette nouvelle approche, le Festival s’évertue à éteindre la polémique récurrente autour du choix d’attribution des récompenses. En effet, souvent la manifestation azuréenne a été accusée de sexisme par de multiples organismes engagés. En 2012, le collectif féminin « la Barbe » avait, dans une tribune du Monde, dénoncé la sélection « exclusivement masculine des films en compétition » (cette année là, le hasard si l’on puit dire, avait voulu que les vingt-deux films de la sélection officielle soient réalisés respectivement par vingt-deux hommes). « A Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes leurs films » résumaient-elles, témoignant ainsi du sentiment d’injustice de la gente féminine. Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes avait alors rétorqué « ce n’est pas à Cannes, ni au mois de mai, qu’il faut poser le problème, c’est toute l’année ». Le constat semble univoque: la place de la femme dans le cinéma doit être accrue, voir reconsidérée.

68ème édition : création de deux prix féminins
C’est donc à l’occasion de ce 68ème festival que nous verrons pointer sur la croisette une éclaircie à la faveur du cinéma au féminin. Du 13 au 23 mai se tiendront des rencontres, « Talks Woman in Motion », guidant la réflexion sur le thème de la question du statut de la femme, à sa représentation et à sa place dans le monde du grand écran. Pour cette première, François-Henri Pinault (fondateur de Kering) et Thierry Frémaux remettront un prix d’honneur à une personnalité féminine d’influence.
Il faudra cependant attendre 2016 pour que deux nouveaux prix soient institués. L’un récompensant une personnalité pour sa contribution à la cause féministe dans le cinéma, tandis que l’autre saluera une jeune cinéaste de talent. Nous ne manquerons pas de remarquer que Thierry Frémaux, trois ans plus tard, se décide, finalement, à poser cette problématique à Cannes en déclarant: « partie intégrante du programme officiel du Festival de Cannes, “Women in Motion” donnera une place supplémentaire aux femmes talentueuses du 7ème art et à leur regard sur le cinéma ».

Kering : récupération ou philanthropie ?
Face à cette initiative, on peut, d’abord, s’interroger sur l’implication du groupe de luxe Kering qui se pare de bienveillance pour se faire mécène de la cause féminine au cinéma. Une première ? Il en résulte que non, la fondation d’entreprise Kering participe de longue date au financement et à la production de films engagés (Fleur du Désert de Sherry Hormann, 2009, Home de Yann-Arthus Bertrand, 2009…) mais aussi de festivals (Tribeca Film Institute, New York ; Britdoc, Londres ; Festival Lumière, Lyon), ainsi qu’à la restauration d’œuvres. Quant à la sensibilité au droit des femmes dont se targue Kering quand est-il? Là aussi depuis sa création en 2009 (anciennement
Pinault-Printemps-Redoute), la fondation a collaboré avec des ONG et des entrepreneurs sociaux dans la lutte contre les violences faites aux femmes et pour son autonomisation (Chime for Change).
L’initiative est donc sincère et l’objectif noble. Cependant, en réservant deux nouveaux prix exclusivement à la cause féminine ne bouleverse-t-on pas irrémédiablement, l’équilibre fragile, et certes imparfait entre les deux genres ? En récompensant, non plus seulement au mérite mais par volonté d’égalitarisme absolu, ne retire-t-on pas l’essence même de la parité ? Ces questions demeurent ouvertes, et il nous apparait pertinent de suivre avec attention les réflexions qui accompagneront ce renouvellement lors de cette cérémonie éblouissante, aux allures de rêve, éphémère et impalpable.
Thelma Cherpin
Sources :
http://lexpress.fr
http://kering.com
http://lesinrocks.com
http://rtl.fr http://lefigaro.fr
Crédit photo :

20minutes.fr
rtl.fr

César 40ème édition Fanny Ardant
Culture

Et les nommés sont…

Chaque année, 4381 professionnels du cinéma départagent 636 films. Ainsi, 21 César sont remis aux acteurs, producteurs et « petites mains » du cinéma pour récompenser les prestations les plus méritantes. Cependant, cette cérémonie-spectacle est de plus en plus associée à des polémiques et offre une vision inédite des acteurs, passant du statut de personnage à celui de personne. Par ses codes et sa mise en scène, la cérémonie redessine également les frontières d’un « cercle clos », en nous faisant pénétrer dans ce milieu fermé qu’est la grande famille du cinéma français.
C’est à Georges Cravenne, publicitaire et producteur de cinéma que l’on doit la création en 1974 de l’Académie des arts et techniques du cinéma.
Suite à cela, naît la première nuit des César, le 3 avril 1976 sous la présidence de l’acteur Jean Gabin. Son but est alors de concurrencer les Oscars, équivalent américain.
Qu’en est-il du choix de l’intitulé de la cérémonie ? L’appellation « César » a plusieurs origines parmi lesquelles l’hommage à Raimu, acteur et interprète de César dans la trilogie de Marcel Pagnol.
Une parfaite maîtrise du temps
Cette cérémonie s’inscrit dans une temporalité strictement planifiée, rythmée par un calendrier précis. Chaque édition est annoncée par une égérie. En 2015, Fanny Ardant succède à Romy Schneider (2011), Simone Signoret (2013) et Isabelle Adjani (2014). S’en suivent les déclarations médiatiques des nommés, puis la révélation du couple président – maître de cérémonie, séances photos. Enfin, le temps des « Révélations » et le déjeuner des nominés constituent la dernière étape de cet agenda.

Le Trophée des César : l’emblème de la victoire ou l’éclat symbolique du « bijoux » précieux ?
La fonction symbolique du légendaire César est d’incarner – selon l’expression de Riccioto Canudo – le mythe du « 7ème art ». En effet, si les trophées incarnent surtout « l’emblème de la victoire », ces objets semblent dépasser le simple statut de la récompense pour devenir des bijoux précieux, des objets d’art. En effet, les 21 trophées sont fabriqués en Normandie dans la fonderie d’art Bocquel. Ils répondent depuis 40 ans aux même critères définis par César Baldaccini : une « bûche industrielle » de 3,8 kilos, fabriquée en bronze, entrant dans la lignée de ses « compressions ».

L’envers du décors : une cérémonie de plus en plus critiquée
Au-delà d’un passé mythique, les César sont critiqués car ils exacerbent des problématiques telles que le manque de renouvellement des talents, l’existence d’un cinéma à deux vitesses, la frontière entre le microcosme glamour et esthétique et les intermittents du spectacle, la rémunération des acteurs et les polémiques liées au financement du cinéma français.
De plus, la sélection des films est souvent décrite comme trop prévisible ou incohérente par rapport aux succès en salle. « Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu », « Supercondriaque » et « Lucy », vainqueurs au box office ne figurent pas dans la sélection. Il y aurait donc un profil type César que dénonceraient de plus en plus de professionnels du milieu. Dans le palmarès des films, on remarque également l’absence de femmes dans la catégorie « meilleur réalisateur » : 39 hommes pour 1 femme, et 13 réalisatrices nommées pour un total de 183 réalisateurs.
Malgré ces critiques, le vote et le déroulement de la cérémonie restent impassibles : Alain Terzian, président de l’Académie a ainsi déclaré : « Il n’en est pas question. Par respect pour Georges Cravenne qui a créé la cérémonie il y a quarante ans, on ne touchera à rien. »
Ces problématiques favorisent un désamour des César et de nombreuses critiques comme celle de l’acteur Vincent Macaigne. « C’est compliqué les César! J’en pense ni du bien, ni du mal. Pour moi, c’est une sorte de gâteau à la crème. D’un côté, je suis pour qu’il y ait un maximum de publicité autour des films. (…) D’un autre côté, c’est un système qui s’autoalimente. »

Pour une lecture sémiologique des César : portée symbolique et dimension rituelle
D’un point de vue symbolique, cette cérémonie attire car elle installe les acteurs dans une situation inédite où le spectateur ne fantasme plus sur un personnage mais s’identifie à une personne « normale », rendue réelle car ancrée dans notre quotidien.
Les acteurs, habituellement regardés, se regardent mutuellement. L’acteur prend la place du spectateur, il regarde une scène qui se passe sous ses yeux, attend d’être appelé pour faire partie du spectacle. Proximité et distance s’entremêlent dans la mise en scène d’un monde proche (salle de cinéma, présence sur l’écran) mais néanmoins déconnecté du monde réel.
On peut cependant s’interroger sur l’apparente neutralité du rôle « nommé aux césar ». En effet, la cérémonie répond à des codes et rituels précis : elle donne lieu à des répétitions lors du déjeuner des nommés au Fouquet’s. Elle est hiérarchisée entre le président, le maître de cérémonie, les remettants, les nommés. Ainsi, le Président de la Cérémonie est le seul à pouvoir initier la cérémonie avec la phrase suivante : « Et je déclare ouverte la Cérémonie des César » : acte performatif par excellence qui initie la première étape du rituel.

Ainsi, chaque discours de remise de prix ou de remerciement a l’apparence d’un scénario performé. Cette année, un guide de « conseils en cas de victoire » a été remis, visant notamment à synthétiser les remerciements. Les organisateurs précisent : « Évitez que le souvenir de votre intervention ne vous laisse le goût amer d’une prestation décevante ».
Une vitrine publicitaire pour le cinéma français ?
L’acteur Jean Rochefort confie : «  J’ai reçu la première récompense le 3 avril 1976. Drôle d’ambiance. L’impression d’une réunion entre nous, mais avec des caméras qui nous épient. Une poignée d’intimes qui concentre les haines, les colères, les rancœurs que chaque corporation accumule. » La cérémonie s’apparenterait donc plus à une cérémonie d’autocongratulation assurant la promotion d’un cercle clos. A cet égard, l’académie regrette chaque année ses disparus avec une minute de silence et célèbre ses naissances par la remise du César du Meilleur Espoir. Cette récompense serait alors similaire à un rituel d’entrée, de (re)naissance au sein de la grande famille du cinéma. L’idée de transmission et de passation d’un patrimoine entre générations d’acteurs est également présente : chaque espoir est parrainé et chaque vainqueur reçoit son César de la part d’un autre acteur, assurant ainsi le lègue d’un héritage.
Au-delà de l’agréable spectacle que représente cette cérémonie, comment penser les César, autrement que comme une performance de codes et de rituels, assurant certes une longévité à la famille du cinéma français, mais ne semblant pas destinée à se tourner davantage vers le futur…
Clarisse de Petiville
Sources :
academie-cinema.org
cahiersducinema.com (1) ; (2) ; (3)
lanouvellerepublique.fr
culture.fr
parismatch.com
lefigaro.fr
Crédits photos :
culture.fr
blog.lenodal.com
rtl.fr
canalplus.fr

coexist street art fastncurious
Culture

"Coexist", le street-art militant

Un slogan pacificateur et universel
En 2001, à l’occasion d’un concours organisé par le musée socio-politique d’art contemporain de Jérusalem (the Museum on the Seam) autour du dialogue et de la tolérance, le graphiste polonais Piotr Mlodozeniec invente le logo « Coexist ». Ce mot-slogan est formé par les symboles des trois religions monothéistes, respectivement, le croissant de l’Islam, l’étoile de David et la croix du christianisme, formant le C, X et T de « Coexist ». L’artiste ne dépose aucun droit sur cette création, la léguant ainsi au domaine public. En effet, il souhaite qu’elle puisse être diffusée dans le monde entier comme message de paix.
Les plus férus de musique n’auront pas manqué de remarquer que Bono et ses acolytes irlandais se sont appropriés ce symbole lors de leur Vertigo Tour en 2005.
Combo, le digne héritier parisien
Son aspiration trouvera du sens à travers l’œuvre du graffeur parisien Combo. A la suite des attentats qui ont visé Charlie Hebdo en janvier dernier, on peut voir fleurir sur les murs de la capitale l’apophtegme. Un de ses auteurs, Combo, un jeune artiste français de 28 ans « ne cherche pas à défendre la religion, mais les gens souffrant des préjugés concernant leur religion » confie-t-il à l’hebdomadaire Elle. On peut parfois apercevoir sa silhouette, vêtue d’une djellaba, dessinée aux côtés du slogan. Pourtant, le 30 janvier dernier, ce n’est pas ses dessins qui ont été pris pour cible mais bien le graffeur lui-même. Victime d’une violente agression après avoir refusé de retirer son affiche, il parvient à s’en tirer sans blessures graves et devient un symbole de la liberté d’expression.
Combo n’en est pourtant pas à son coup d’essai. En 2014, il effectue un voyage à Beyrouth où il initie une campagne de « Dji-art ». Le procédé est simple et déclinable à l’infini, il détourne les images utilisés par Daesh pour mieux renverser leur propagande. « Moins de Hamas, plus de Houmous » peut-on lire sur un mur de la capitale libanaise. Ancien publicitaire, il maitrise la rhétorique des catchphrases, les murs sont ses terrains d’expression engagée, car engagé il l’a toujours été.
Le 8 février, sur le plateau du Grand Journal, il lance une campagne d’affichage baptisée « Coexistons » et donne rendez-vous à l’Institut du Monde Arabe pour une distribution d’affiches destinées à être placardées sur les façades parisiennes. Les volontaires présents sont d’autres graffeurs mais aussi des communicants, des enseignants ou encore des étudiants. L’initiative est encouragée par le maitre des lieux, Jack Lang, et l’IMA revêt le premier « Coexist » de la matinée.

Combo fait aussi remarquer que depuis les attaques terroristes de janvier, ses messages ont une durée de vie raccourcie et sont effacés en quelques jours par la Mairie, alors qu’ils pouvaient subsister plus de deux ou trois mois auparavant.
Dernière création en date, réalisée le jour de la Saint-Valentin, deux personnages – un juif et un musulman – en train de s’embrasser. A côté on lit le tag “Love is blind. And religion can blind us.”
L’idée, encore une fois, est de faire réfléchir, ici autour de l’homosexualité et de la religion, de casser les stéréotypes. L’image est forte et n’est pas sans rappeler le « baiser fraternel » échangé entre Leonid Brejnev et Erich Honecker, dessiné sur le mur de Berlin par l’artiste russe Dimitri Vrubel.

Un phénomène amplifié par l’actualité
Paris n’est pas un cas isolé, le phénomène est repris par-delà les frontières. Le graffeur raconte qu’il a reçu des photos de Bordeaux, Chicago, Boston. Il suffit de télécharger le slogan et chacun peut alors lui aussi diffuser le message.
Lors des manifestations qui ont suivi les profanations de cimetières juifs dans le Bas-Rhin cette semaine, on retrouvait là aussi le fameux « Coexist » sur les banderoles.
Si ce crédo connait un tel succès, c’est parce qu’il tend à concerner la plupart des conflits géopolitiques actuels, à apaiser les tensions croissantes liées à la religion. L’action est symbolique et pacifique et l’on peut se demander dans quelle mesure elle parvient à éduquer les pensées, et à lutter contre les déchainements de violence commis au nom de la religion. Au-delà de ce message, le street-art, engagé par essence, représente un terrain d’expression virale et impactant, autour duquel la réflexion est toujours intéressante.
Thelma Cherpin
Sources :
elle.fr
observers.france24.com
lemonde.fr
Crédits photos :
observers.france24.com
culturebox.francetvinfo.fr
observers.france24.com

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Culture

50 nuances de fan-fictions

La prochaine sortie en salle de 50 Nuances de Grey provoque l’hystérie chez les ménagères et adolescentes pré-pubères. De nombreux teasers et photos du tournage circulent déjà sur les réseaux sociaux ; déchaînant ainsi les fans invétérés du fameux roman érotique de E.L James, dont le film est inspiré. Mais saviez-vous que cette trilogie est initialement une fan-fiction de la saga Twilight ? Et que sa première version fut premièrement auto-publiée sur le site de l’auteur, puis sur le site The Writers’ Coffee Shop ? Cet exemple démontre ainsi l’importance de ce phénomène qui remet en question notre façon de consommer la culture, mais aussi le statut même de l’écrivain. Zoom sur les « fan-fics » (comme on les appelle dans le jargon), récits amateurs qui vont parfois jusqu’à être publiés par des éditeurs de renom et qui deviennent des best-sellers internationaux, à l’instar de 50 nuances de Grey.
Le principe des fan-fictions

Les fan-fictions sont des textes écrits par des fans de livres, de films ou de célébrités tels que Harry Potter, Twilight ou encore Les One direction. Ces productions prolongent, transforment les récits initiaux et sont hébergées par des sites spécialisés comme Fanfiction, Quotv ou encore Kindle Worlds. On peut aisément y trouver des histoires mettant en scène une relation amoureuse entre Harry Potter et Goyle ou encore Bella et le père d’Edward. La boîte de Pandore s’est ouverte, place aux fantasmes !

Une pratique communautaire
On observe depuis un certain temps, l’avènement des sites participatifs de crowdfounding qui proposent à qui le souhaite de financer des projets collectifs et d’apporter, par une modeste contribution, sa pierre à l’édifice. Il semblerait que les fan-fictions s’inscrivent dans cette même dynamique. En effet, les lecteurs de « fan-fic » sont appelés à liker, à commenter et à partager l’œuvre mise en ligne. L’auteur peut ainsi avoir un feedback presque instantané sur sa production et adapter son œuvre aux demandes du public, s’il le souhaite – un système qui lui permet de mettre à l’épreuve son talent auprès de son cœur de cible.
De plus, ces sites d’hébergements rassemblent des communautés de fans qui partagent une passion commune, une passion qu’ils font perdurer. L’auteur sait donc à l’avance que le thème de son livre plaira, puisqu’il reprend l’univers chéri par ses lecteurs.
Un renouveau dans le travail d’écriture
Il existe deux grandes catégories de fan-fictions : le « one shot » et la « long story ». Le « one shot » tient en une page, consiste bien souvent en un passage érotique et se lit d’une traite. La « long story », quant à elle, est un récit plus construit pouvant faire jusqu’à 100 000 mots et plus. Elle développe des passages du roman peu explicités par l’auteur initial par exemple.
Le format « one shot » est tout particulièrement intriguant. A l’heure du « porno à gogo », cette forme de pornographie 2.0 nous apparait comme plus « romantique », car plus romancée. Elle met en scène des personnages fantasmés lors de nos lectures qui sont bien souvent des couples gays. Cela permet sans doute aux lectrices de se distancer, de se déculpabiliser en sachant qu’elles relatent des ébats sexuels d’hommes. Autre fait étrange, les fan-fictions sont majoritairement rédigées par la gente féminine puisque selon les statistiques de fanfiction.net, 78% de ses membres seraient des femmes.

Ces jeunes femmes des « générations y et z » n’auraient-elles pas créé une forme de pornographie féminine, relativement crue mais surtout laissant plus de place à la libre interprétation ?
L’explosion de l’écriture de fan-fictions rappelle le phénomène des blogueurs. Taxés d’amateurs, ils furent longtemps controversés quant à leur statut hybride, mi-journaliste, « mi-monsieur-tout-le-monde », puis peu à peu acceptés notamment grâce à la fleuraison de nombreuses versions web de nos célèbres quotidiens.
Preuve que cette tendance est déjà en passe d’être intégrée : Amazon a créé un site d’hébergement de fan-fictions. A quand la création d’un site lemondedegallimard.fr ?
Enfin, il est de notre devoir de nous demander si cette nouvelle pratique d’écriture n’est pas en train de faire émerger un nouveau genre littéraire car en septembre 2011 on pouvait accéder à 4 064 615 récits sur fanfiction.net.
Un éditeur au plus près des désirs des lecteurs
On connaît bien les catégories classiques de romans telles que le thriller, le roman historique, le fantastique ou la science-fiction qui nous permettent d’orienter nos choix de lectures. Cependant, ceci n’est pas comparable au système de personnalisation extrême mis en place par les sites d’hébergement de fan-fictions. Ces derniers permettent au lecteur de choisir la longueur du récit, les personnages mis en scène, le type de récit (humour, horreur), le degré d’érotisme ou de violence, la période durant laquelle se déroule l’histoire (ex: avant ou après la création de Poudlard pour les fan-fictions d’Harry Potter), la présence de couple de personnages ou non et la langue.
Le lecteur a donc la possibilité de trouver un produit culturel sur mesure, répondant exactement à ce qu’il recherche, ce qui laisse peu de place à la découverte et aux bonnes surprises que l’on peut éprouver lorsqu’on déniche un roman en brocante par exemple.
Mais nous le savons, notre génération sait trouver de l’information tout en optimisant son temps. C’est pourquoi cette solution proposée par l’éditeur est en totale adéquation avec la demande de beaucoup de lecteurs de la tranche 15-25 ans.

Par ailleurs, ces produits culturels sont gratuits. En effet, les auteurs de fan-fictions ne sont pas rémunérés. Les « success stories »  comme celle d’Anna Todd sont rares. Cette jeune femme de 25 ans fut l’auteur d’une fan-fiction relatant la vie d’un des membres du groupe One direction qui sera bientôt adaptée au cinéma.
Cependant, on peut aisément imaginer un nouveau modèle qui intégrerait les marques. Les auteurs, habitués à une certaine flexibilité, pourraient par exemple faire du placement de produit.
Un fantasme d’enfant gâté
Néanmoins, cette tendance comporte un aspect « caprice d’enfant gâté ». Ne sommes-nous pas capables d’accepter la fin d’une saga ?
Le parallèle avec le film Misery de Rob Reiner (1990) est assez fascinant. Ce film relate l’histoire d’un romancier à succès qui achève son dernier livre et est victime d’un accident de voiture en apportant le manuscrit à son éditeur. Sauvé de justesse par une fan de ses romans, il est cajolé par cette dernière durant sa convalescence. Elle le convainc alors de lire son dernier ouvrage mais elle est hélas déçue par la fin du roman et finit par séquestrer l’auteur, afin qu’il la modifie à son goût.
Il s’agit certes d’un scénario extrême mais il saisit parfaitement le cercle vicieux de ce genre de processus qui enferme le lecteur dans un appétit insatiable.

« Paul Sheldon used to write for a living.
Now he’s writing to stay alive. »
 S’il est indéniable que cette tendance explose, son évolution semble compromise. En effet, les fan-fictions ne peuvent se développer qu’autour de romans ayant un univers très fort et un style littéraire fort pauvre, car les auteurs-amateurs ne peuvent copier la patte de grands écrivains. Les fan-fics seront donc cantonnées à  des ouvrages mainstreams, souvent à destination d’un public d’adolescents. Cependant, celles-ci peuvent être une alternative permettant de promouvoir la lecture auprès des jeunes lecteurs, qui bien souvent la délaissent au profit des écrans.
Enfin, des enjeux légaux entravent également le développement de ce nouveau genre littéraire. Les « apprentis écrivains » ne détiennent pas les droits d’auteurs et ne peuvent donc pas, jusqu’à un certain point, exploiter les personnages et l’univers de l’auteur.
Le droit patrimonial les empêche de capter le lectorat acquis par l’auteur et d’en tirer profit. Le droit moral protège, quant à lui, le lien artistique entre l’œuvre et son auteur afin d’empêcher toutes nuisances à l’image de l’œuvre initialement produite. Mais les fan-fictions sauront-elles respecter ce mélange entre inspiration et plagiat afin de protéger au mieux ce nouveau mouvement littéraire ?
Clara Duval
Sources :
etude.fanfiction.free.fr
slate.fr
mag.monchval.com
Crédits photos :
leschroniquesculturelles.com
lesinrocks.com
m.leplus.nouvelobs.com
citelighter-cards.s3.amazonaws.com
journalzoical.files.wordpress.com
aki-hoshi.com
jeffkatz.typepad.com
static1.purepeople.com
folkr.fr

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netflix
Culture

Un petit écran, escroc mais pas trop

Alors que le CNC (Centre National de la Cinématographie) annonçait pour 2014 une augmentation de plus de 40% de la fréquentation des films français qui ont alors atteint leur plus haut niveau d’audience depuis trente ans, le cinéma Hollywoodien, en berne depuis 2013, ne cesse de reculer. Sur le territoire américain, les performances décevantes de certains gros opus tels que Transformers 4, Hunger Games, The Amazing Spider-Man 2 semblent vérifier une bien regrettable prophétie annoncée par Michael Cieply en 2012 dans Le New York Times qui titrait «  Movies try to escape cultural irrevence  » autrement dit « Le cinéma cherche à redevenir pertinent ». Le cinéma, du moins outre-Atlantique, aurait-il déjà franchi le seuil de la modernité? Le plus jeune des Arts aurait-il subi un vieillissement prématuré? A ce constat s’ajoute l’effondrement du sacro-saint marché de la distribution doublé du déclin amorcé de la 3D. Depuis le piratage et l’éclatement des plateformes de visionnage illégales, le cinéma bataille pour son existence. Pourtant, alors en plein milieu d’une seconde crise d’audience liée au développement des sites de locations de films et de séries télévisées tels que Netflix, ce sont les grands gardiens du cinéma, ces réalisateurs connus qui ont fait du grand écran le bastion de leur succès, qui semblent se désolidariser de celui-ci en s’associant au format sériel du petit écran, dévitalisant encore plus nos cinémas bien amoindris.
Woody l’entourloupette

Signait cette maxime restée culte : « La vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision ». Prolifique au grand écran, Woody Allen, le réalisateur de Manhattan, abandonne à titre provisoire un septième Art morose, pour se consacrer au petit écran, bien plus tendance en ces temps. C’est précisément le studio de production Amazon Studios qui a annoncé le savoureux projet dans lequel Woody Allen se voit confier l’écriture et la réalisation intégrale d’une saison de huit épisodes d’une demi-heure, baptisée «  Untilted Woody Allen Project » autrement dit Le projet Woody Allen sans titre. Malgré un discours naïf hurluberlu que nous lui reconnaissons bien, « Je ne sais pas comment je me suis mis là-dedans. Je n’ai aucune idée et je ne sais pas par où commencer (…)», difficile de ne pas faire le rapprochement avec l’attribution, et ce, la veille au soir, du Golden Globe à Kevin Spacey, pour son premier rôle dans la série House Of Cards produite par Netflix, un concurrent direct de Amazone Studios.
Petits écrans, grands affronts
Clint Eastwood pour la série Rawhide, Steve Mac Queen pour Au nom de la loi accompagné d’acteurs des plus cinégéniques comme Johny Depp, Brad Pitt ou George Clooney, autant de figures emblématiques du grand écran gagnées par le petit. Hitchcock l’avait très justement présagé dès 1955 avec les anthologies Alfred Hitchcock, ainsi qu’en tournant Psychose avec les moyens techniques de la télévision. L’avenir du cinéma se trouverait donc derrière lui, dans nos écrans LCD, depuis l’érosion de son succès et l’apparition du format sériel. Les plus gros producteurs Américains comme Jerry Bruckheimer, McG, David Fincher, malgré son dernier succès Gone Girl sorti fin 2014, sont aujourd’hui rangés derrière des chaines câblées prépondérantes tels que HBO, Showtime et des sites de locations : Netflix ou Amazone Studios et mènent une guerre d’audience acharnée. Le 7e Art connait une débâcle historique. Le petit écran, longtemps considéré comme un média ringard et peu valorisant pour la carrière d’un acteur se positionne aujourd’hui comme un art à part qui propose aussi bien une densité et une variété des rôles qu’une visibilité telle que le cinéma n’en pourrait jamais donner.

 
Johana Bolender
@JohBolen
Sources :
nytimes.com
slate.fr
lemonde.fr
cnc.fr
Crédits photo :
pro.clubic.com
gq.com

actricenoire
Culture

Not classically beautiful

Scandal, série de la chaîne ABC, lancée en 2012 : c’est la première fois qu’on voit une héroïne noire dans une série télévisée depuis les années 1970.
Entre politique de quotas et stéréotypes, la représentation des minorités ethniques dans les séries américaines dispose d’une influence culturelle certaine en raison de l’exportation massive de ces séries dans les pays occidentaux. Les politiques de quotas poussent à croire à une diversité dans la fiction télévisée, mais elles constituent plutôt une illusion que le facteur d’un changement social.
Sans réel équivalent français, ce qu’on appelle le « tokenism » est la pratique qui pousse à inclure un peu d’une minorité ethnique ou sociale dans un groupe, sans pour autant les mettre sur un pied d’égalité en termes de crédibilité ou de pouvoir. Exemple de tokenism : mettre à l’écran un noir pour qu’il représente, voire qu’il parle au nom de tous les autres noirs. Ou lors d’un congrès scientifique, mettre une femme dans une conférence pour qu’elle représente toutes les femmes de ce champ. Dans la fiction française, on peut parler de tokenism quand on rencontre un arabe qui joue « le banlieusard des cités », en somme « le beur de service » par excellence. La politique de quotas donne alors lieu à une représentation superficielle des minorités dans le monde de la fiction.
Ce changement socio-moral est pourtant essentiel. Les séries, comme le cinéma, en particulier grand public, permettent de créer une vision particulière, de produire un langage avec de nouvelles représentations. Les séries permettent aux publics de s’immerger dans des univers qui semblent reproduire la société, avec ses normes, ses aléas et ses relations humaines. Mais s’agit-il seulement de divertissement lorsqu’on sait qu’elles disposent d’un impact considérable sur les représentations sociales ? Ainsi, les fictions télévisées les remettent en cause, tel que dans Girls de Lena Dunham qui propose des figures féminines plus réalistes, ou les cristallisent, comme en France dans Scènes de Ménage où l’humour repose entre autres sur les stéréotypes genrés. Elles ne sont pas à considérer comme un miroir sociétal, mais comme un dispositif qui montre les manières de voir, et donc qui peut réellement changer les représentations et les stéréotypes, notamment ethniques.

Shonda Rhimes : le progressisme en vogue 
Shonda Rhimes est réalisatrice, productrice et scénariste de télévision. A l’origine de Grey’s Anatomy, de Private Practice, du thriller politique Scandal, elle s’adresse au grand public en bousculant les normes. Dans ses histoires : des personnages homosexuels, des femmes fortes et des minorités ethniques, sans les pointer du doigt en tant que tel. Zéro tokenism dans les fictions de Rhimes. Dans sa dernière série, How to Get Away with Murder, lancée en septembre 2014 sur ABC, l’héroïne est une grande avocate, interprétée par Viola Davis. C’est une femme noire, sans en faire une particularité : pas de pathos, de pauvre fille issue du Bronx ni de lutte acharnée pour l’ascension sociale. Shonda Rhimes, à travers ses personnages, revendique alors une modernité saisissante qui jure encore malheureusement avec le reste du paysage audiovisuel américain.
Dans How to Get Away with Murder, une scène bouleversante : Viola Davis se démaquille et enlève perruque, maquillage, faux cils, comme pour enlever son armure, pour se mettre à nue devant le miroir, face à elle-même. Ni apprêtée, ni métisse, la peau foncée percute l’écran de par sa rareté. Alessandra Stanley, critique du New York Times, ne voit pas la mise à nue d’une femme, mais seulement celle d’une « noire ». Dans sa critique de la série, elle a été accusée de perpétuer le stéréotype de la « femme noire en colère ». En effet, elle commence son article par « When Shonda Rhimes writes her autobiography, it should be called “How to Get Away With Being an Angry Black Woman.”», (Si Shonda Rhimes devait écrire son autobiographie, cela s’appellerait « Comment s’en sortir en étant une femme noire en colère »).

Rhimes n’a pourtant pas ressorti le stéréotype de la femme noire en colère. Elle compose son personnage en estimant qu’il n’y a pas de choses qu’un personnage noir doit faire ou ne doit pas faire à la télévision, comme si le fait de faire exister un personnage noir devait justifier des comportements précis. Un déterminisme racial. Le personnage de Viola Davis est fort, mais aurait-on parlé de angry white woman si elle avait eu un physique occidentalisé ? La journaliste poursuit. Puisque Viola Davis a la peau plus foncée que Kerry Washington, l’héroïne de Scandal, elle est décrite par Alessandra Stanley comme « classically not beautiful » (pas une beauté classique). Euphémisme. En utilisant ces termes, elle diffuse alors l’idée d’une hégémonie de la beauté occidentale et blanche. Elle pointe directement du doigt la couleur de peau du personnage, qui n’a alors pas de lien, ni avec la narration du récit ni avec la trajectoire personnelle du personnage.
En balayant du revers de la main les standards sociaux, Shonda Rhimes et ses personnages connaissent un incroyable succès auprès du grand public américain. Elle fait partie des personnes les plus influentes du monde selon le classement du Time. Toute la programmation du jeudi soir de ABC est dédié à ses créations. Chacune de ses séries constitue un record d’audience, jusqu’à dépasser Game of Thrones. Cela montre quand même une appétence du grand public pour de nouveaux personnages, dont la couleur de peau, le sexe ou l’orientation sexuelle ne sont plus qu’une caractéristique parmi d’autres.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
lesinrocks.com
nytimes.com
publiceditor.blogs.nytimes.com
slate.com
Crédits photos :
ABC Studios
Frederick M. Brown

Culture

Hypothèses post-tragiques sur le héros de série contemporain

Dans cet article, il sera question de quelques représentations très actuelles du héros de série contemporain. Sans pouvoir tous les analyser, nous nous intéresserons ainsi aux titres marquants de cette dernière saison : The Knick, Halt and catch fire, Masters of Sex, The Americans, Homeland, Leftovers, The Affair, Manhattan, entre autres.

Culture

Les fans pour vous servir

 
The Walking Dead doit une partie de son succès à la performance de ses cliffhangers (1), méticuleusement répartis à chaque épisode pour s’acheminer vers le midseason (2), qui constitue une réserve émotionnelle assez puissante pour perdurer jusqu’à la reprise de la série. 
Mais cette année, le savant engrenage se voit menacer par la rouille, après un élément narratif que certains n’hésitent pas à qualifier de meurtre. Que s’est-il donc passé pour qu’AMC se voit contraint d’expliquer à quelques 50 000 consommateurs d’apocalypse pourquoi il a « tué » leur personnage préféré ? 
La mort des personnages principaux est le lot d’un nombre croissant de séries télévisées, qui jouent ainsi avec les nerfs de leur audience – jusqu’alors dans un climat de relative complicité. Lorsque la midseason de Walking Dead paraît sur les écrans, révélant la mort de Beth, elle provoque la colère d’une vaste communauté de fans qui, aussitôt, promeuvent la pétition « Bring Beth back ». Sur change.org, cette pétition regroupe à ce jour 56 854 signataires passionnés qui strient la toile de commentaires mécontents.
Les critiques se situent généralement à deux niveaux, et révèlent une approche intéressante de ce qu’est devenu la consommation de divertissement pour beaucoup d’utilisateurs. En premier point, la frustration affective engendrée par la disparition d’un personnage devenu familier semble être désormais un motif légitime de réclamation, qu’on pourrait résumer à cet amer constat : « Ce n’était pas le produit  que j’attendais. » 
La seconde facette de ces critiques procède de cette tendance qu’a le web de donner le même temps de parole à l’amateur qu’au professionnel, et concerne directement, cette fois, la compétence des réalisateurs qui n’auraient pas exploité le potentiel scénaristique du personnage « tué ». Ce faisant, ils auraient lésé le consommateur en ce qui relèverait littéralement d’une faute professionnelle. 
C’est la naissance d’un autre type de fan service. De quoi s’agit-il ? Initialement, de clins d’oeil adressés par l’auteur d’une œuvre à ceux qui la suivent, afin de s’en attirer les bonnes grâces – procédé particulièrement employé dans l’univers des mangas, où il n’est pas rare de tomber sur un hors-série dévoilant les charmes d’une héroïne populaire…
Cette tactique devient désormais d’ordre préventif, voire impératif.
Le fan service réussi ou la tendance diplomate
Si AMC n’a pas encore répondu à ces accusations d’assassinat gratuit, d’autres producteurs se prêtent au jeu du fan service, avec plus ou moins d’élégance.
Au moment où Masashi Kishimoto relève le douloureux défi de clore une saga au succès mondial en heurtant le moins de fans possible, Gotham, nouvelle série de la FOX, se prête au jeu du fan service assumé. Véritable vitrine du genre, Gotham est aux amateurs de Marvel ce que le green-washing est aux images de marque, soit un gage de reconnaissance et, dans une certaine mesure, de prestige inattaquable.
D’autres encore entretiennent des liens plus discrets, mais tout aussi efficaces avec leur communauté – liens qui naviguent à loisir entre les clins d’oeil et les mesquineries soigneusement dosées. Sur la page Facebook d’American Horror Story, une série télévisée à la capicité de teasing redoutable, les community managers procèdent à une véritable analyse de terrain. Aussitôt un personnage est-il porté aux nues qu’un portrait en est publié sous un jour peu flatteur ; les plaisanteries devenues cultes au sein des amateurs sont rapidement intégrées au langage de la page officielle.
La palme du fan service revient peut-être à la série Supernatural, qui publie régulièrement des méta-épisodes sur le ton de l’humour, reprenant avantageusement les codes et les propos de la communauté de fans pour les intégrer à son scénario, clamant ainsi que ces derniers font partie de l’aventure.

La série-télévisée sanctionnée par ses clients
Quel message ces rapprochements entre production et consommateurs délivrent-ils ? Le brouillement volontaire de cette frontière n’est pas du goût de certaines productions, qui se réclament d’une certaine liberté artistique, ni de certains consommateurs qui estiment n’avoir aucune légitimité pour intervenir dans le processus d’élaboration d’un contenu culturel. 
Toute proportion gardée, il est difficile de donner tort à l’une ou l’autre des parties. Les fans se sont toujours emparés de l’objet culturel – livre, film, série télévisée – sans prendre massivement d’assaut ses auteurs pour exiger des prestations supplémentaires. Maintenant que les réseaux rassemblent et fédèrent les groupes d’intérêts, la force numéraire et économique des téléspectateurs est conscientisée, et s’envisage comme un contre-poids face à l’industrie culturelle.
Est-ce le devoir du producteur de se plier aux exigences du public, ou doit-il être intraitable, fidèle à sa vision artistique ? Jusqu’à quel point s’étend sa responsabilité auprès de sa communauté ?
D’aucuns répondraient simplement que la production est sanctionnée, en cas d’impair, par la simple absence de ses télé-spectateurs habituels et potentiels. Mais ce mécanisme de boycott peut-il s’appliquer de manière aussi idéalement systématique en ce qui concerne les séries télévisées, conçues pour fidéliser et créer un besoin de suivi ? Produit à la rencontre de l’art et du marketing, le format des séries télévisées engage et retient le consommateur tout en étant dégagé de toute responsabilité par le caractère artistique du produit lui-même, échappant du même coup à la plupart des obligations légales inhérentes à un produit commercial… Cet équilibre fragile est justement bouleversé par la « clientélisation » des fans, qui semblent ne plus hésiter à exiger le meilleur de leurs chaînes préférées. 
A l’exemple de Mass Effect 3, qui, sous l’impulsion de 67 000 signataires, s’est vu forcé de réécrire une fin pour son best-seller, les médias culturels doivent désormais craindre les réactions de leur public plus si dévoué.
Marguerite Imbert
Sources
Change.org
facebook.com
gamekult.com
Crédits photo
thewalkingdead.com
cuckaluhr.com
(1) Type de fin ouverte créant le suspens
(2) Période entre janvier et avril qui marque le retour de certaines séries, ou leur lancement.