Politique

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr

Politique

E-diplomatie : la diplomatie (française) à l’heure du numérique

 
Le rapport Tavernier sur Le réseau diplomatique et le rôle des ambassadeurs, présenté à l’Assemblée Nationale en février 2002, explicitait déjà les liens étroits entre diplomatie et médias :
« Dans l’exercice de sa mission d’information, l’ambassadeur se trouve désormais concurrencé par les médias. »
 
Nous assistons en effet à un enchevêtrement des sphères médiatique et politique – a fortiori diplomatique -, accentué par l’avènement des réseaux sociaux. Le Quai d’Orsay a notamment ouvert, en mai 2012, son compte Twitter, en arabe, sous le nom de @francediplo_AR, afin de communiquer sur l’action du ministère dans le monde arabe. L’information diplomatique semble de plus en plus perdre de son panache, de son caractère « officiel » crypté par les diplomates chevronnés, au profit d’une analyse strictement journalistique. Les journalistes ont d’ailleurs un accès privilégié à l’information qui leur permet d’exercer  une influence sur les décisions politiques.
Dès lors, la communication diplomatique, cet art séculaire de la conduite des relations internationales, subit de profondes mutations, à l’heure où se dessine un « monde multipolaire » sous l’impulsion des NTIC : la diplomatie semble prise dans  « une révolution de la vitesse », selon une expression chère à P. Virilio.
Aussi convient-il de penser la diplomatie, à travers le prisme des médias, comme un art de régulation  des échanges interétatiques à l’intérieur du « monde communicationnel ». La communication diplomatique est aujourd’hui multilatérale et se décline en version 2.0. Internet offre de grandes potentialités quant aux nouvelles façons de travailler, avec l’ensemble de la communauté internationale : dans un élan de solidarité collectif, de plus en plus  d’entreprises, d’ONG, et d’individus intègrent peu à peu Facebook, Twitter, Linkedin et les autres réseaux sociaux dans leurs échanges.
La question se pose alors de savoir comment la diplomatie s’adapte à l’ère des télécommunications et des médias.
Si Napoléon Bonaparte définissait, au XIXème siècle, la diplomatie comme « la police en grand costume », on peut l’actualiser en précisant que la diplomatie se veut désormais « puissance normative » dans les Relations Internationales, se heurtant néanmoins aux intérêts et désaccords propres à chaque Etat.  Il s’agit en fait de  combiner la participation à une société internationale et la pratique des relations d’Etat à Etat, à l’heure d’Internet. En d’autres termes,  il convient de s’interroger sur le nouveau paradigme diplomatique que les réseaux sociaux façonnent.
Si la manière dont le printemps arabe s’est appuyé sur Internet se veut une manifestation particulièrement marquante de cette nouvelle donne dans la communication diplomatique, c’est loin d’en être l’unique. Il pose  cependant plusieurs difficultés propres à la diplomatie, telle qu’elle se revendique 2.0 : le traitement standardisé et bureaucratique de l’information se voit remis en cause par une multiplication des sources et des analyses, dont l’expertise est parfois à revoir.  De même, on constate que le système est dichotomique entre d’un côté « les nobles artisans » de la diplomatie, les têtes pensantes, et de l’autre, les « petites mains », qu’Internet tend à rassembler/confronter.
Le printemps arabe témoigne d’une nouvelle configuration des Relations Internationales, ouvrant la voie à un nouveau paradigme, alors que la diplomatie tente de s’adapter aux nouveaux enjeux médiatiques et communicationnels.
A la diplomatie traditionnelle, à laquelle la France se cantonne toujours, succède désormais  la e-diplomatie appelée aussi diplomatie digitale, diplomatie en ligne, ou encore cyber-diplomatie.
On pourrait reprendre la célèbre formule de C. Von Clausewitz, selon lequel «  la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », en la remaniant légèrement : l’e-diplomatie  serait désormais  la continuation de la politique par d’autres moyens.
Penser la e-diplomatie nécessite toutefois de s’intéresser au cas des Etats-Unis, où la diplomatie digitale commence à s’institutionnaliser, et à réellement se structurer.  Depuis le succès des campagnes électorales 2.0, les réseaux sociaux sont devenus un vecteur clé de la politique d’influence américaine à travers le monde. Avec B. Obama, le « smart power » est apparu, dès 2009, comme le nouveau mode d’expression et d’expansion diplomatique, à travers le monde,  et Twitter comme Facebook  se sont révélés être des canaux de communication décisifs. Cette stratégie s’inscrit d’ailleurs en contrepoint avec l’administration « va-t-en-guerre » sous Bush, étant donné qu’elle vise au contraire à développer les ententes entre les institutions, à plusieurs échelles. En outre, la communication 2.0 implique les populations à un niveau local et « ad hominem »  de façon plus systématique que les traditionnels communiqués officiels destinés aux fonctionnaires des gouvernements.
En France, le manque de  confiance et donc de solidarité collective entre institutions,   ONG, hackers et activistes du Web cantonne le pays à une diplomatie encore traditionnelle, basée exclusivement sur la croyance indéfectible en l’expertise des diplomates : ce qui peut engendrer des erreurs de jugement, comme lorsque Michèle Alliot-Marie a proposé d’envoyer des CRS français pour maintenir l’ordre en Tunisie.
Malgré son ancrage dans une « tradition », la diplomatie française cherche toutefois à se mettre à l’heure du numérique : l’AFP a notamment lancé un Hub e-diplomatie à savoir une application web interactive sur Twitter, permettant l’accès aux Tweets des institutions et des personnalités les plus influentes du monde, tout ça en temps réel et à l’échelle mondiale.  C’est la première fois que les acteurs sont référencés dans un même outil public.  La sélection des comptes  est opérée par les experts de l’AFP.
Envisager l’e-diplomatie amène à comprendre le glissement des relations diplomatiques entre Etats vers une géopolitique des réseaux sociaux, et comment ces derniers façonnent les relations internationales.
Si l’explosion des NTIC permet une certaine démocratisation des processus de diffusion et de participation à l’information, elle engendre aussi des insuffisances. Les diplomates semblent aujourd’hui confrontés à un dilemme : soit tenter d’apporter une information brute, selon la logique du traitement médiatique,  soit une information soumise à leur expertise,  avec le risque de se faire doubler par les décideurs. C’est là tout l’enjeu de l’e-diplomatie.
 
Danaé DM
Sources :
–       Les enjeux actuels de l’évolution des métiers de la diplomatie – Les Cahiers IRICE, n°3, 2009, « Diplomaties en renouvellement »
–       Diplomatie digitale : pionniers en la matière, les Etats-Unis sont aujourd’hui suivis par la France – La Netscouade
 –       A definition of digital diplomacy –

Politique

La guerre de la communication

 
« Une guerre sans image », voilà l’expression employée ces derniers temps pour décrire la communication du conflit malien. On l’entend se répéter comme un cliché journalistique, ses occurrences nous submergent, elles envahissent nos écrans ainsi que nos oreilles.
Nous avons été mitraillés par cette expression au cours des offensives maliennes, et son usage s’étend jusqu’à la plupart des guerres : celle d’Afghanistan, celle d’Irak, jusqu’à la première guerre du Golf, en passant bien sûr par tous les génocides africains et est-européens.
La conclusion se dessine : nous ne voyons rien ! Cette formule est donc, par là même, un reproche adressé par certains reporters à l’armée française. Nous voulons voir ! Un peu plus la vérité du scandale de la guerre, nous voulons voir le déclin, la mort, la ferveur, les batailles, les vainqueurs et surtout les perdants. Nous voulons voir  mais surtout savoir si on ne nous cache pas certaines choses, glorieuse ou non.
L’armée ne l’entend pas de cette oreille. Est-elle pour autant sourde ?
En effet, la présence des journalistes dans les régions concernées est restée difficilement acceptable d’un point de vue stratégique. Pourtant cette guerre s’inscrit aussi bien militairement que médiatiquement, mais la communication entre les deux partis semble souvent difficile. Ils n’ont pas les mêmes visées, les mêmes attentes, et ces différences ne sont-elles pas d’ailleurs, à l’origine même des tensions qui les traversent ?
Un dialogue compliqué entre « La Grande muette » et le déballage médiatique
L’armée et les médias ont des stratégies de communication différentes et l’Histoire fait souvent d’eux des adversaires plus que des grands alliés.
La communication journalistique est à la recherche de l’information nouvelle : sur l’avancée ou non, du conflit, à l’affût des chiffres, ceux du nombre de morts, de blessés… Elle établit principalement une communication vers l’arrière, vers tous ceux qui ne sont pas sur le terrain.
Transparente, elle veut rendre visible aux yeux des informés un combat et pour cela, elle a besoin d’images, de documents audios, de témoignages qui soient vérifiés, vérifiables au moins.
Elle cherche à se démarquer des autres médias par son analyse, son originalité, son scoop, elle veut créer de l’audience, intéresser, polémiquer. Sa communication dépend alors aussi de la ligne éditoriale, à savoir ce qui prime dans le média, entre actualités des faits, réécriture, point de vue ou synthèse. Mais malgré cette nuance, le point commun est le suivant : les reporters ne sont pas là pour écrire des billets doux à l’armée française, et ils ne louperont pas ses éventuels dérapages. Heureusement, tel est aussi le devoir de véracité et de régulation journalistique.
Il n’est donc pas toujours à l’avantage de l’armée d’être en relation, sur le terrain, avec des colporteurs qui ne s’interdiront pas de transmettre la moindre erreur, le moindre faux pas. Le risque d’erreur militaire ayant des conséquences souvent plus dommageables. Et c’est souvent à son insu, que l’armée est rendu médiatique.
Les journaux omnivores, cannibales, ne font parfois qu’une bouchée de ce qui la concerne, et l’affaire Petraeus, dans un tout autre contexte, en est quand même bien l’exemple. L’Express s’intéressait aussi à l’état de l’armée française, à son retard, sa vulnérabilité, titrant à propos du conflit malien :« La France a t-elle les moyens ? ».
Pourtant, la communication externe de l’armée française se veut discrète. D’ailleurs, qui sait le nom du ministre français de la Défense ? Mais à la manière d’une entreprise, il lui est utile de jouer sur ses atouts vis-à-vis de l’opinion publique notamment par la publication quotidienne de communiqués, mais aussi vis-à-vis de son processus de recrutement. Et on se souvient des campagnes publicitaires attractives pour l’armée de Terre telle que « Devenezvousmeme.com ».
Mais l’armée se base essentiellement sur sa communication interne, qui, fine, rapide et efficace, passe par des dispositifs techniques pointus. Sans interruption, elle est en contact avec les missions sur le territoire nationale et à l’étranger, les différents bataillons, les différents commandements. Alors quand les journalistes sont tournés vers l’arrière, l’armée elle, est surtout axée vers le front.
Mais les reporters ont aussi besoin de s’approcher du conflit pour mieux le comprendre et le faire comprendre.
Le journalisme embarqué : une réconciliation possible ?
Quand on parle de journalisme embarqué, on met en évidence plus fortement encore que la guerre est le lieu de prédilection de l’armée, pas celui des journalistes. On les relègue à un rôle secondaire, un rôle qu’ils n’apprécient pas forcément, celui où il sont sous influence, sous contrôle.
La communication de la guerre du Vietnam avait déjà mis au jour les problèmes d’un fonctionnement où les acteurs possèdent des rapports de forces asymétriques, et où le pouvoir médiatique est sous le joug de manipulations, telles que la propagande ou la désinformation.
Le journalisme embarqué est donc limité et les journalistes eux-mêmes adressent leurs critiques à cette méthode.
Mais on ne peut certainement pas se restreindre au journalisme de bureau pour couvrir un conflit. Car couvrir une guerre, c’est couvrir non seulement les faits mais aussi sa population, la vie présente et celle qui disparaît. Le terme même de « couvrir », renvoie au champ de la protection, celle des personnes, comme celle des informations. Couvrir c’est aussi et alors répandre, voiler, mais surtout mettre le voile sur certains aspects pour mieux en dévoiler d’autres. Et c’est pour cela que la guerre doit avoir des images, car la logique du reportage se place dans un paradigme où voir c’est agir, ou faire voir c’est faire agir, par le seul fait déjà d’en prendre conscience.
Un journalisme moins embarqué, plus réfléchi n’est pas une solution négligeable dans ce dialogue compliqué, et il prend déjà place. Mais tous ne peuvent pas suivre les militaires sur le champ des opérations, nous faisons alors confiance aux journalistes pour utiliser leur réseau de contacts développant un dialogue si ce n’est plus complice, moins encadré.
Pourtant la réconciliation parfaite des deux partis semble utopique, chacun joue son rôle communicationnel, défendant ses intérêts propres. L’armée est plus tournée vers sa communication interne alors que les journalistes investissent une sphère plus externe. Et finalement à l’image de la démocratie et au détriment d’une cité idéale, s’ils ne s’entendent pas toujours, n’est-ce pas le signe de la vigueur de leur pouvoir ainsi que celui de leur auto-régulation ?
Mais tout ne les divise pas, ils possèdent certains points communs. En effet, ces deux acteurs du conflit véhiculent une double image : l’armée et les reporters représentent à la fois un symbole salvateur, les uns sauvant des vies, protègeant, les autres apportant une visibilité à des peuples oppressés et à des combats. Et un symbole carnassier, d’un côté les forces spéciales, les tueurs dont on ignore les dérives, et de l’autre ceux qui livrent en pâture médiatiquement, les sans scrupule.  Ils sont par là même, à la fois objets et sujets des théories du soupçon,  ou de celles du complot.
Et ce débat sur la guerre de la communication est aussi éthique, il se calque sur la meilleure façon d’agir en situation de crise. Alors un troisième acteur entre en scène, le public. Les spectateurs doivent-ils tout voir ? Sont-ils déjà spectateurs s’ils savent la trame d’un spectacle ? Nécessitent-ils toute cette imagerie de guerre ? Soyons réaliste : The show must go on !
 
Maxence Tauril
Sources :
FranceCulture.fr
L’Express, « Guerre au Mali : La france a t-elle les moyens ? », n°3212, paru 23 janvier
Crédits photos : © Fred Dufour/AFP (1), Défense Française (2) (3), L’Express (4)

Politique

La France, tu l’aimes ou tu la quittes

« #JeDemandeLaNationalitéRusse Parce que les droits de l’Homme c’est quand même moins important que les éléphants ou les impôts! » (@Paul_da_Silva).
Depuis plusieurs semaines, les peoples français se sont découverts une passion pour la Russie et ce cher Vladimir Poutine. Le 3 janvier dernier, ce dernier accueillait le Cyrano français. Le lendemain, Brigitte Bardot, s’enflammant à son tour, menace de prendre la nationalité russe pour sauver deux éléphantes tuberculeuses. La Russie est-elle devenue en l’espace d’une semaine une «grande démocratie» (Gérard Depardieu) et son président un homme avec « beaucoup d’humanité » (Brigitte Bardot)?
En 2013, je sauve les éléphants ou je pars en Russie
Le 11 décembre 2012, le préfet de la région Rhône-Alpes autorise l’euthanasie de Baby et Népal, deux éléphantes potentiellement atteintes de tuberculose, une maladie transmissible à l’homme et encore mortelle. Les éléphantes obtiennent un sursis grâce la mobilisation générale, lorsque Brigitte Bardot prend l’affaire en main. Elle a menacé le 4 janvier de s’exiler en Russie, si les deux pachydermes ne sont pas confiés à sa fondation, position qu’elle a défendue dans son communiqué de presse publié le même jour…
En 2013, j’en ai marre de payer mes impôts
Grand martyr de la fin 2012, Gérard Depardieu n’en finit pas d’alimenter la chronique en ce début 2013. Faisant fi des qu’en-dira-t-on, n’écoutant que son courage  – et l’état de son compte en banque – l’acteur se refait maintenant une santé au pays de la vodka, après avoir reçu fièrement des mains du président son passeport russe, le 3 janvier dernier. La chroniqueuse de France Inter Sophia Aram lui a consacré un billet des plus croustillants le 15 janvier dernier.
En 2013, quoi qu’il en soit, je renie mes idéaux et je pars en Russie
Après avoir critiqué fortement Gérard Depardieu pour son amour de la corrida, ce « rituel sublime », Brigitte Bardot défend aujourd’hui l’exil de cette « victime d’un acharnement extrêmement injuste ». Quel bel esprit de contradiction, notre BB ! Mais ce n’est pas tout. Notre chère actrice dit avoir trouvé en la Russie une terre d’accueil pour ses convictions et en Poutine, un homme « plein d’humanité », prêt à écouter ses revendications. Lorsqu’elle affirme que sa nouvelle idole « a fait plus pour la protection animale que tous nos présidents successifs », oublie-t-elle que la Russie n’est pas un exemple en la matière? Rappelons qu’en 1994, elle haranguait la Russie contre le massacre des bébés phoques. Nous pourrions évoquer longuement la pratique du braconnage, le massacre (pardon la chasse) des ours bruns en pleine hibernation ou encore l’importance du marché de la fourrure. L’état de développement des droits des animaux devrait laisser à désirer pour une femme qui s’en dit fervente défenseure. Ne parlons même pas des droits de l’Homme, qui n’ont manifestement pas le même sens en France qu’en Russie. La démagogie a la mémoire courte…
Quant à Depardieu, il aime aussi à flatter ses nouveaux compatriotes, sans exception. Ne prenons qu’un de ses nombreux propos élogieux à l’égard de son pays d’accueil: “J’aime la Russie, Poutine et sa démocratie”. Voulait-il parler d’une vision proprement poutinienne de la démocratie?
En 2013, je soigne ma com’ (ou pas)
Le cas des deux acteurs de renom, suscitant mépris, désapprobation, résignation ou forts encouragements, n’a certainement pas laissé les tweetos français insensibles. Ils ont été nombreux à faire part de leurs petits désagréments quotidiens via le hashtag #JeDemandeLaNationalitéRusse. Ainsi, l’acte des deux acteurs, aussi symbolique puisse-t-il être à leurs yeux, nous a avant tout fait sourire par son grotesque et son décalage avec ce que nous croyions connaître de ces deux ex-pontes de la vie culturelle française.
Du côté des politiques, la tendresse n’est pas le maître mot. Depardieu voit son choix de l’exil fiscal traité de “minable” par un premier ministre remonté et sans doute inquiet pour les finances françaises. De son côté, BB est victime du sarcasme de Benoît Hamon. Sa proposition? Un mariage aux couleurs locales, avec son cher Gérard. La présidente de la fondation éponyme déchaîne même l’ironie de la très discrète Michèle Delaunay, ministre de la Santé, qui évoque sa liste des personnalités françaises qu’elle souhaiterait voir décamper en Russie.
Finalement, Brigitte et Gérard, nos “deux crétins finis” du moment, comme les appelle (certes peu affectueusement) Daniel Cohn Bendit, ont été très présents sur la scène médiatique ces dernières semaines. Difficile de croire qu’ils sauront redorer leur blason médiatique après tout le mépris que leurs actes ont récemment suscité. D’autant plus que cela ne semble pas être une priorité à leurs yeux.
Bref, en 2013, je revois mes idéaux (à la baisse)
Choisir de changer de nationalité, de se réfugier dans un pays par idéologie, par contestation politique est un projet noble s’il s’accompagne de la réflexion philosophique qui le justifie. Le malheur de nos deux protagonistes dans cette histoire, c’est de l’avoir fait par intérêt personnel ou chantage irréfléchi (choisir la Russie quand on défend les droits des animaux, c’est comme s’y réfugier pour manifester contre le nucléaire…). Nous déplorons le manque de valeurs et de morale dont font preuve nos symboles déchus du cinéma français, mais heureusement pour nous, des tweetos ont eu une idée des plus cyniques: et si on échangeait les trois Pussy Riots contre nos chers acteurs décadents? Offrir un passeport français à chacune de ces trouble-fêtes, emprisonnées pour leurs actes de rébellion politique contre le régime russe, serait faire à Vladimir Poutine un sacré pied de nez. Nous verrons si la pétition mise en ligne pour réaliser ce projet pour le moins original, va donner suite à cette folle histoire de transit patriotique.
Parce qu’après tout, c’est la période des soldes alors pourquoi ne pas brader ses convictions ! FastNCurious a entendu dire que la Russie faisait des offres sur les passeports. Jet-setteurs français, profitez-en!
 
Pauline St Macary et Sophie Pottier
Sources :
Lavie.fr
Echange Depardieu et Bardot contre Pussy-Riot
Contexte Baby et Népal
Bardot menace de s’exiler + tweets #jedemandelanationalitérusse

Politique

Liberté, liberté chérie…

 
C’est un débat vieux comme Internet qui mobilise aujourd’hui la justice française : celui de la neutralité du Web.
Les dérives
Internet doit-il rester un espace vierge de toute contrainte ? A première vue, l’idée peut paraître séduisante. Après réflexion, cette idée l’est beaucoup moins. Particulièrement lorsque l’on voit apparaître sur Twitter des hashtags intitulés « #unbonjuif » « #sijetaisnazi » ou « #simonfilsestgay ».
En quelques heures, chacun de ces hashtags s’est imposé comme un trending topic, attirant aussitôt l’attention des médias qui ont massivement relayé l’affaire comme preuve des dérives xénophobes de la toile. Twitter -qui est on le rappelle deuxième plus grand réseau social mondial derrière Facebook- avait alors retiré les tweets à caractère racial mais s’était fermement opposé à communiquer les coordonnées personnelles des utilisateurs ayant posté ces messages. Ce choix a provoqué la colère de plusieurs associations antiracistes parmi lesquelles l’Union des Etudiants Juifs de France qui, quelques jours après l’affaire « #unbonjuif » a porté plainte en référé contre la plate-forme.
Les attentes
La requête de l’association est double. Dans un premier temps, elle demande au site de fournir à la Justice française les coordonnées des comptes mis en cause. Dans un second temps, elle souhaite que les démarches pour signaler les tweets à caractère raciste soient simplifiées.
 Les résultats de l’audience du 8 janvier qui faisait se rencontrer l’UEJF et Twitter n’ont pas été ceux espérés par l’association. Ainsi, la plate-forme dont le siège social se situe à San Francisco, s’abrite derrière la loi américaine pour protéger ses données. On peut voir dans ce geste une volonté du site de protéger le droit à la liberté d’expression sur internet. Mais il ne faut pas oublier que Twitter est avant tout une entreprise qui souhaite maximiser son chiffre d’affaire. En protégeant ses utilisateurs, le site s’assure de maximiser le nombre de personnes fréquentant son réseau et il devient alors plus facile d’augmenter les ventes des tweets sponsorisés.
Cette dimension commerciale est d’autant plus importante que Twitter vient d’ouvrir en décembre dernier des locaux à Paris. Face à l’indignation générale provoquée par les hashtags xénophobes, le gouvernement français a voulu faire preuve de fermeté. Ainsi, Fleur Pellerin,  Ministre en charge du numérique, Najat Vallaud Belkhacem, porte-parole du gouvernement ou encore Bertrand Delanoë se sont exprimés afin d’inviter la firme à prendre ses responsabilités. Entre les lignes, le message de ces personnalités politiques est clair : si Twitter souhaite s’installer durablement en France, ses dirigeants feraient mieux de reconsidérer leur politique de confidentialité des données.
Les affaires
Si le site ne change pas son mode opératoire pour des raisons éthiques ou morales, peut-être le fera-t-il pour des raisons commerciales. Hormis les incitations du gouvernement français qui ne pèsent probablement pas très lourd dans les prises de décision de l’entreprise, il se peut que l’oiseau bleu soit effrayé par ses partenaires commerciaux. Et s’il est nécessaire pour une marque d’être présent sur Internet, il y a fort à parier que nombre d’entreprises réfléchiront à deux fois avant d’associer leur image à un site dont les trending topics incitent à la haine raciale.
Tant qu’il existera des plateformes existant en marge du système, la libre expression perdurera sur Internet, avec ce que cela comporte de bonnes et de mauvaises surprises. Mais Twitter, Facebook et consorts ont souhaité donner un tournant commercial à leur activité. Et pour être considéré comme des interlocuteurs sérieux par les marques, il faut accepter de se comporter en adulte. Et cela commence par faire des choix.
 
Angélina Pineau
Sources :
Très bon article de Rue 89 résumant la complexité de la situation  actuelle
Recontextualisation du problème par Ecrans
Tribune de l’UEJF sur le site du Nouvel Obs

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Politique

Les discours de Newtown

 
La fusillade de Newtown du 14 décembre 2012 relance le débat autour des armes à feu aux Etats Unis et en fait l’une des préoccupations majeures de la politique d’Obama. La surmédiatisation de l’évènement entraîne de nombreuses analyses qui mettent en avant les chiffres effrayants des victimes d’armes à feu (selon demandaplan.org, 33 personnes meurent chaque jour sous le coup d’une arme à feu aux États-Unis).
Cependant il semble que le traitement médiatique en lui-même échappe aux réflexions, tant il s’insère dans la construction généralisée du fait divers. En tant qu’objet d’étude, celui-ci a été établi depuis longtemps comme la résultante d’un besoin primaire du public, agissant sur les foules comme un catalyseur d’angoisse et d’empathie. Pourtant une brève analyse du traitement médiatique de la tuerie de Newton et de ses effets sur le public nous conduit à penser les limites possibles de ce storytelling de l’information.
À l’instar des fusillades de Columbine, Virginia Tech ou Aurora, le traitement de la figure du tueur devient le centre névralgique du récit construit autour de la tragédie de Sandy Hook. Son identité et son passé sont longuement commentés et alimentent une fascination bien connue du public pour les figures transgressives. Cette prise de position des médias peut néanmoins s’avérer problématique : d’une part, elle reflète souvent l’ambition du tueur de sortir de l’ombre, et de l’autre elle peut entrainer des mouvements pervers. Ainsi dans le cas du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, la révélation de l’identité du meurtrier à entrainé la naissance de nombreux blogs de fans lui vouant un culte. Mieux encore, il a été nommé fin décembre “NewsMaker of the Year 2012” par The Canadian Press. Cette distinction a provoqué de vives réactions, obligeant les jurés à justifier leur choix par l’omniprésence du tueur dans les médias et le traitement médiatique dont il a bénéficié. Ce prix ne serait que l’illustration de choix éditoriaux qui, dans la course à l’audience, misent sur les ressorts passionnels du fait divers plutôt que sur l’analyse raisonnée, qui est alors relayée au second plan.
Face à ce triste constat, force est d’admettre la puissance marchande du fait divers et son impact émotionnel sur le public. Nécessaire donc, mais dans une certaine limite. Si elle n’est pas précisément encadrée, l’exposition des faits divers les plus violents comme la tuerie de Newton, présente un risque fort pour le public comme pour les médias. Il peut conduire à une désensibilisation des publics, mais aussi à un effet de défiance pour l’appareil médiatique.
Dans le cas de Sandy Hook, l’attention est détournée des problèmes sociaux au profit d’une lutte d’influence politique, menée de front par la NRA. En proposant de poster des policiers armés dans chaque école, Wayne LaPierre élude le problème des motivations psychologiques du tueur. L’inquiétante porosité des frontières entre fiction et réalité n’entre pas dans le combat politique. Ainsi, la fusillade et le discours d’Obama ont eu pour conséquence une hausse notable de la vente d’armes à feu et la prolifération des discours “pro-guns”. La vision ironique d’Art Spiegelman, représentant des enfants armés pour aller à l’école sur une couverture du New-Yorker en 1993, pourrait devenir réalité.

Pour s’opposer à cette spirale infernale 800 maires américains ont constitué l’association demandaplan.org, qui souhaite obtenir de l’administration Obama un contrôle plus règlementé de la vente d’armes à feu. Cette campagne bénéficie d’une large médiatisation, en partie due au soutien d’Hollywood. Dans un clip qui dépasse les 6 millions de vues, acteurs et entertainers nous invitent à rejoindre leur action contre la violence des armes. Dans cette lignée, comment ne pas proposer une réflexion « de l’intérieur » sur l’influence des produits culturels, qui font le succès d’Hollywood, auprès des jeunes générations. Une telle vidéo n’en serait que plus pertinente.
Cette question cruciale nous renvoie ainsi au rôle des médias dans notre manière d’appréhender les événements comme celui de Newton. Phénomène récent, le commentaire du fait divers s’émancipe de la sphère médiatique officielle et gagne les réseaux. Face à la prolifération de ces discours anonymes, la police d’État du Connecticut menace de poursuivre les utilisateurs qui répandraient volontairement de fausses informations concernant la tuerie. Le citoyen, par tous les biais, cherche à s’approprier ces récits.
L’intense médiatisation de la tuerie de Newton donne à cet évènement tragique un poids politique fort, susceptible d’influencer le vote citoyen. Ancré dans une société, le fait divers en révèle bien souvent les pires travers, et finit peut-être par l’incarner s’il occupe une place trop grande dans notre hiérarchie de l’information.
 
Clémentine Malgras
Sources
Sandy Hook Shooting: The Speculation About Adam Lanza Must Stop
http://www.demandaplan.org/
http://www.newyorker.com/online/blogs/hendrikhertzberg/2012/12/guns-in-banks-are-not-like-guns-in-schools.html
Howard Kurtz and Lauren Ashburn weigh in on the media's coverage of the Newtown shooting

Politique

La NRA versus Chasse et Pêche

 
C’est un autre monde que l’on découvre si l’on s’intéresse de plus près au débat qui fait rage aux États-Unis concernant la vente libre des armes à feu. C’est aussi une histoire complexe et des entrelacements entre les différentes sphères qui régissent cette société, car c’est un débat politique, économique et financier, mais aussi sociétal. Le  but n’étant pas ici de le résumer, de l’expliquer, ou de prendre parti, il est tout de même intéressant de constater les différences culturelles et communicationnelles entre la France et les États-Unis concernant l’univers des armes à feu.
Le 14 décembre dernier, la fusillade de Newtown a relancé le très vieux débat sur la vente libre et le port  des armes à feu aux USA. Ou plutôt, ce tragique événement (le 25e en cinq ans) a multiplié sa visibilité à l’international, comme on peut le voir notamment dans les médias français. Des pétitions de part et d’autres du conflit fusent pour ou contre le « Ban guns », et le président Obama se voit obligé d’intervenir.
Mais si le puissant lobby américain des armes, la NRA (National Riffle Association) reste plutôt silencieux après la tuerie de Newtown, malgré une proposition de poster un policier armé devant chaque école, ce sont les partisans du second amendement qui font entendre leur voix. Les dernières vidéos sur la chaîne Youtube de la NRA datent en effet de la dernière élection présidentielle américaine ou de plus de huit mois . C’est en fait sur les réseaux sociaux que tout se passe. Des associations « pro guns » postent quotidiennement des vidéos et images qui parlent d’elles-mêmes. Ainsi pour exhorter les américains à les rejoindre, ces dernières proposent, comme National Association for Gun Rights (640 000 likes), de gagner 600 dollars d’ « Ammo » (munitions) en s’inscrivant (non gratuitement) à NAGR, ou de recevoir des cadeaux tels que des autocollants d’armes, des « flashlights » à insérer sur une arme et autres gadgets spécifiques. C’est une communication que nous n’avons pas l’occasion de voir en France. Et cette communication porte ses fruits puisqu’une autre association, I love my Gun Rights, créée le 28 décembre dernier, compte aujourd’hui plus de 165 000 fans et partisans de la pétition en faveur du second amendement de la constitution américaine. On y trouve des publications telles que « Click « like » if you love your gun! » ou encore « We don’t blame cars for drunk drivers, why do we blame guns for violent criminals? ».
Les militants ne se cantonnent pas à Facebook ou Twitter, mais, et c’est encore plus parlant, on peut voir sur le site américain The Atlantic Wire une compilation de clichés pour la plupart d’Instagram, prises pendant les fêtes de Noël, du cadeau reçu sous le sapin, avec des commentaires tel que  « N’essayez pas d’entrer dans cette maison ». Des jeunes et moins jeunes Américains ont posé avec leur nouvelle arme devant le sapin de Noël. Ces photos ont fait l’objet de nombreux articles sur la toile commentés par des internautes français « choqués ». Ces photos révèlent en effet à quel point les armes à feu sont banalisées aux États-Unis, et font partie d’un quotidien loin du nôtre.
Si l’on devient curieux et qu’on visite le site officiel de la NRA, on est servi. Sans être naïf, le dépaysement est quand même conséquent. Les services proposés balayent tous les besoins d’un « porteur d’arme ». Un projet concernant une école intégrée à la NRA est en cours  The National School Shield proposant un « Education And Training Emergency Response Program » (un programme d’éducation et d’entraînement en réponse à une urgence). Mais la NRA organise aussi des compétitions, des événements, des réunions de clubs, des packs séjours dans des hôtels dédiés au tir, des interventions de la mascotte NRA dans les écoles…
Et si l’on ne fait plus tout à fait attention aux bandes de publicités défilantes sur Internet, celles que l’on peut voir sur les sites américains, ou dans les journaux, sautent aux yeux d’un Français. C’est en effet assez atypique de voir un Père-Noël offrant des réductions sur toute arme achetée dans un magasin (notons que cette publicité en question se trouvait sur la page traitant de la fusillade de Newtown dans le journal Rock Hill Herald, qui a présenté ses excuses par la suite).

C’est aussi étonnant de voir, sur le côté de notre page internet, des publicités pour bouchons d’oreilles préservant l’audition de tout tireur.

Les lois françaises sur le port d’armes sont tellement réglementées et restrictives qu’elles ne sont pas connues de tous. Divisées en huit catégories d’armes, seules quelques unes sont autorisées à la vente, et encore, sous contrôles psychologique, judiciaire et pour une durée de détention déterminée. Mais les lois françaises sur la publicité pour les armes à feu sont encore plus restrictives que cela. Car les armes à feux de catégorie autorisée, « ne peuvent être proposées à la vente ou faire l’objet de publicité sur des catalogues, prospectus, publications périodiques ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image que lorsque l’objet, le titre et l’essentiel du contenu de ces supports ont trait à la chasse, à la pêche ou au tir sportif » selon la Loi n° 85-706 du 12 juillet 1985 relative à la publicité en faveur des armes à feu et de leurs munitions. Mais en plus de cela, ces publicités ne peuvent être envoyées ou distribuées qu’aux personnes qui en font la demande.
Voilà un secteur économique très profitable pour les États-Unis, et presque absent sur le sol français. Comme il est difficile pour les Américains de se départir de cet amendement datant de 1787, il serait tout autant ardu pour les Français de voir leur paysage publicitaire devenir un champ de bataille. L’arme fait peur, mais son image grand public presque plus. Enfin, pas à tous.
Pour en savoir plus sur la surmédiatisation de la tuerie de Newtown, rendez-vous demain avec Clémentine Malgras pour Irrévérences.
 
Marie-Hortense Vincent 
Sources :
Didoune.fr
Le site de la NRA
Legifrance.gouv.fr
Bloomberg
Meltybuzz
La page Facebook de la NRA…
… et celle de la pétition anti-Ban Gun
Bigbrowser
 

Politique

Le discours des vœux présidentiels ou la communication républicaine normalisée

 
Depuis sa naissance, la Ve République est rythmée par un rituel républicain, mais surtout médiatique, hautement symbolique, auquel se prête chaque président de la République le 31 décembre au soir. Le discours des vœux présidentiels reste un rendez-vous télévisé annuel majeur, retranscris pendant les journaux de quatre chaînes historiques : TF1, France 2, France 3, et M6. Ce mélange public/privé témoigne d’ailleurs de l’engouement autour de cet événement politico-médiatique.
Ce rendez-vous constitue pour le chef de l’État un moment privilégié lors duquel il s’adresse aux Français en toute légitimité. Nul besoin en effet de quelque événement particulier, le 31 décembre est le rendez-vous traditionnel du président et de ses concitoyens. Valéry Giscard d’Estaing le rappelle dans son intervention du 31 décembre 1980 en ces termes :
« C’est (…) un de ces instants – bien rares en vérité – où je peux m’adresser à vous sans être tenu par un sujet particulier. »
Ce lundi 31 décembre, François Hollande a, à son tour, dû s’acquitter de cette tâche traditionnelle. Porté par une mise en scène télévisuelle très solennelle, debout dans la salle des fêtes de l’Elysée, le Président de la République a franchi une nouvelle étape de l’appropriation  d’une rhétorique présidentielle normalisée (plus que normale).
 
Le changement, pas maintenant
« Se plier à une tradition n’interdit pas d’y introduire un brin d’innovation » écrit le journaliste T. Wieder dans le Monde. Hollande ne semble pas en effet avoir eu l’intention de révolutionner le discours des vœux cette année. Il aura préféré suivre l’exemple de ses prédécesseurs, et notamment celui de Jacques Chirac, lors de son premier discours de vœux en 1995. Quand Hollande prévoit de résorber le chômage « coûte que coûte », ça n’est pas sans rappeler les paroles de Chirac : « Notre priorité depuis sept mois, c’est l’emploi ». Ils évoquent tous les deux la « responsabilité » des syndicats, les angoisses quant à la crise, et la nécessité de la « mobilisation de tous » pour garantir un avenir meilleur.
 
Le jeu présidentiel
Ces discours, malgré la stabilité apparente de la forme, peuvent révéler des ethos singulièrement contrastés et des conceptions souvent différentes de la fonction présidentielle.  Il s’agissait pour Hollande d’établir sa propre crédibilité par la mise en scène de qualités morales comme la bienveillance et la sincérité.
Lors de son discours, le Président de la République aura beaucoup employé la première personne du singulier, moins fréquemment la première personne du pluriel, rarement la seconde. Cette prédominance du « je présidentiel » suggèrerait deux choses. La première est l’affirmation dans ce discours de la tendance présidentialiste du régime. La seconde, néanmoins paradoxale, serait le sentiment que notre actuel Président rechercherait encore une légitimité face au Français.
A travers l’exposition et la justification des réformes accomplies lors de ce discours, on croirait voir s’exprimer un candidat qui défendrait son programme. Hollande évoque ainsi la « belle tradition »,  référence qui légitime sa prise de parole. Dans l’exorde toujours, il rappelle que son élection de Président de la République s’est effectuée au moment où s’épanouissent« une crise historique, un chômage qui progresse (…) et une dette record. ». Cet argument justifierait la difficulté de sa fonction et de ses pouvoirs. A l’heure où les sondages continuent de jouer en sa défaveur, cet exercice républicain semble être une belle occasion de redorer son image d’un peu de crédibilité et de légitimité. Légitimité par exemple, de son orientation sociale-libérale : « Voilà, le cap est fixé : tout pour l’emploi, la compétitivité et la croissance. »
 
Meilleurs aveux 2012 ?
François Hollande aura choisi pour ce discours de vœux un ton réaliste lorsqu’il avoue au début de son allocution : «  je n’entends pas vous dissimuler les difficultés qui nous attendent. Elles sont sérieuses. ». Quand le Président De Gaulle choisissait d’exulter la puissance économique et politique de la France, François Hollande a préféré la sincérité et l’argumentation technique. Quel étrange moment que le discours des vœux pour avouer les difficultés qui attendent la nation. Mais il contrebalance cette tonalité pessimiste par son optimisme (de nature plus que de circonstance) : « Ce soir je veux vous dire ma confiance en notre avenir. (…) Ma confiance, elle est surtout dans la France. » Ce flegme optimiste ainsi que l’appel républicain à la « mobilisation de tous » est solidaire du célèbre leitmotiv américain du Président Obama « Yes We Can ».
 
Je te vois, tu me vois
Enfin, ce rituel républicain suggère le jeu très symbolique du regard réciproque, qui relève de la représentation politique. Quand le Président déclare « Je n’ignore rien de vos inquiétudes. Elles sont légitimes. » ; il rappelle aux Français qu’il peut les « voir », les connaitre, les comprendre. Or, eux-mêmes ont l’occasion lors de ce discours télévisé de « voir » le président dans une certaine transparence. Ce 31 décembre, 11,580 millions de Français ont suivi le  premier discours des vœux du Président François Hollande. 11, 850 millions d’électeurs ?
Margaux Le Joubioux
Sources :
INA- discours des vœux présidentiels sous la Ve République
Le Monde – 2janvier 2013
Le Point.fr
Site officiel de l’Elysée
FinnissBoursin Françoise, Les Discours De Voeux Des Présidents De La République – La France Au Fond Des Yeux
Jean-Marc Leblanc, Les messages de vœux des présidents de la Cinquième République : L’ethos, la diachronie, deux facteurs de la variation lexicométrique

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Politique

Le président est une rock star

 
Dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 décembre, Enrique Peña Nieto, élu président du Mexique en juillet dernier, s’est vu remettre les pouvoirs par l’ancien président Felipe Calderón. Cette investigation marque les débuts à la tête de l’État d’un pur produit de la communication politique.
La stratégie de l’image
Tout a commencé lorsque le PRI, le Partido Revolucionario Institucional, a défini sa stratégie : dépoussiérer l’image du parti, dont les membres sont qualifiés de « dinosaures » par les Mexicains, en présentant un candidat jeune, glamour, beau et sexy. L’image fait campagne. Enrique Peña Nieto, ancien gouverneur de l’État de Mexico, est vite apparu au sein du PRI comme le candidat idéal, après les défaites du parti en 2000 et 2006. Issu d’une famille où la politique est une tradition, il a cultivé depuis des années son image de présidentiable.
L’écrivain mexicain Carlos Tello Diaz l’a d’ailleurs surnommé non sans ironie « la rock star », clin d’œil à sa coiffure ondulée toujours impeccable. Une rock star qui n’hésite pas à commencer son dernier meeting de campagne en juin 2012 par un si peu présidentiel « Je salue toutes les jolies filles du District fédéral ». Pas besoin de beaucoup plus pour cerner le personnage …
Jeune, sexy, dynamique, proche du peuple,… dans un pays où l’image est reine, ces facteurs comptent plus que des contenus politiques.
Un personnage de « telenovela »
Et « Enrique » n’a pas seulement le physique d’un acteur : sa vie privée s’apparente largement à un scénario de série télévisée. Veuf en 2007, il confesse son infidélité deux ans plus tard lors d’une interview télévisée, où il reconnaît en direct avoir eu deux enfants hors mariage, de deux femmes différentes. Mais le show ne s’arrête pas là. En 2010, il se remarie avec Angelica Rivera, une actrice de telenovela. Ils sont devenus, depuis, le couple glamour de la politique mexicaine, faisant régulièrement la une des journaux people.
Un phénomène médiatique
La politique et la télévision ne forment pas un couple nouveau ; cette alliance est forgée depuis longtemps, et reste bien souvent le ressort d’une puissance accrue. Enrique Peña Nieto l’a bien compris. Sa connivence de longue date avec Televisa, la principale chaîne de télévision mexicaine, a été un des chevaux de bataille du mouvement étudiant « YoSoy132 [1] » , apparu pendant la campagne électorale contre le retour du PRI au pouvoir. Cette chaîne de télévision, qui détient 80% de part d’audience nationale, n’a eu de cesse de promouvoir l’image de cet homme politique. Un accord financier secret le lierait depuis 2005 à la chaîne. C’est cette très forte médiatisation qui a permis à Peña Nieto de cultiver sa popularité politique depuis la fin de son mandat de gouverneur en 2005.
Le costume ne fait pas le président …
Pourtant, sous ses airs de jeune premier, le nouveau président traîne aussi l’image d’un homme médiocre intellectuellement, incapable d’improvisation, dépendant des discours écrits par son équipe… Bref, l’image d’un simple produit médiatique. Des attaques virulentes des étudiants et des milieux intellectuels lui reprochent toujours d’occulter son manque d’idées derrière un physique travaillé et un verbiage ampoulé. Une réputation renforcée par un échec mémorable en décembre 2011, lorsque, interrogé par des journalistes sur ses trois livres préférés, il n’avait pu citer que la Bible et un livre sur le Mexique en se trompant sur le nom de l’auteur. Cette scène a semé la jubilation parmi les détracteurs du PRI, et provoqué de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux et notamment sur Twitter.
Plusieurs l’ont qualifié de « Justin Bieber du PRI », en référence aux difficultés de ce dernier à nommer les sept continents lors d’une émission le mois précédent.
L’image ne fait donc pas consensus : pour ses détracteurs, cette marionnette ne serait que la face médiatique et superficielle d’un retour de l’autoritarisme et de la corruption incarnés par le PRI.
Que tirer de tout ça ? L’image n’a bien sûr pas tout fait dans l’élection de Peña Nieto. La campagne a mis l’accent sur la sécurité, problème majeur du Mexique, et sur la lutte contre les cartels de la drogue, fléau du pays. Mais il ne faut pas oublier que l’image du PRI est entachée par son passé ; clientélisme, corruption, autoritarisme. Durant 72 ans, il a dirigé le Mexique d’une main de fer. Ce que la contestation anti-Peña Nieto n’a pas oublié. Pourtant, il semble avoir redoré avec succès le blason du parti ; cette stratégie de l’image a bien porté ses fruits puisque l’homme est officiellement à la tête du pays depuis trois jours.
La passation de pouvoir, marquée par le retour des contestations, relance un certain nombre de questions. Une en particulier attire toutes les attentions ces derniers jours : le Mexique a-t-il mis au pouvoir un people médiocre, manipulé par les anciens cadres du PRI, ou un président qui n’attend qu’à se révéler, prêt à appliquer une politique plus humble comme il l’a assuré durant sa campagne ?
 
Bénédicte Mano
Sources :
Mediapart
L’Express
Les Echos
The New York Times

[1] Voir ici

Politique

Twitter : arme de communication massive ?

 
En novembre dernier, une nouvelle étape a été franchie dans la communication de guerre. Pour la première fois depuis l’invention d’Internet, un Etat a utilisé ce médium pour annoncer publiquement son entrée en guerre.
La guerre version 2.0
Le 14 novembre dernier, le porte-parole de l’armée Israélienne – le Tsahal- a en effet publié sur Twitter ce message : « The IDF has begun a widespread campaign on terror sites & operatives in the #Gaza Strip, chief among them #Hamas & Islamic Jihad targets » afin d’annoncer le début des opérations militaires dans la bande de Gaza.

« Fast and Curious » n’ayant aucune vocation politique, le but de cet article n’est pas de prendre parti dans le conflit israélo-palestinien mais bien d’analyser un phénomène de communication sans précédent.
Avec une moyenne de 50 tweets émis par jour, l’IDF (Israel Defense Forces) est entré dans une véritable phase de communication massive pour expliquer au World Wild Web et donc à l’opinion publique mondiale les tenants et aboutissants de cette guerre. Une telle initiative ne peut être le fruit du hasard et relève donc de toute évidence d’une véritable stratégie de la part de l’Etat Israélien.
Au cours des derniers conflits, le gouvernement de Benjamin Netanyahou s’était en effet vu reprocher par la scène internationale son manque de transparence sur le conflit. Cette nouvelle stratégie prend le contrepied des critiques précédentes. Israël rend quasi compte en temps réel du nombre de rockets qui sont envoyés sur Gaza. De plus, en alertant les autorités palestiniennes plusieurs heures avant les attaques qu’ils s’apprêtaient à mener, l’Etat Israélien met en évidence sa volonté d’éviter les pertes civiles.
Cette stratégie de communication numérique ne se limite pas à envoyer des messages sur la plate-forme de microblogging. Un site internet complète les informations relayées sur Twitter. Et le Tsahal va même jusqu’à publier sur Youtube les vidéos des bombardements visant des hauts responsables du Hamas, empêchant ainsi le mouvement islamiste de nier les faits.
Comprenant l’utilisation qu’il était possible de faire des réseaux sociaux, le Hamas s’est lui aussi emparé de la toile afin de répondre sur Twitter aux messages postés par l’IDF. Chacune des parties prenantes invective ses followers à faire entendre leur voix, notamment en retweetant les posts sur leurs propres comptes.
Depuis le 14 novembre, la guerre des tweets a bien lieu.
#cleanwar
On peut s’interroger sur légitimité d’un Etat à utiliser un réseau social pour effectuer ce genre d’annonces. Peut-être est-il nécessaire de rappeler que sur Twitter, les comptes les plus suivis sont ceux de Lady Gaga et de Justin Bieber (avec respectivement 21 millions et 18 millions de followers). Certes, des politiques s’invitent en haut du classement avec notamment la présence de Barack Obama dans le top 10. Mais, n’aurait-il pas paru déplacé que le président des Etats-Unis annonce, en juin 2011, la mort d’Oussama Ben Laden en 140 caractères ?
Certes, l’éthique n’est jamais l’enjeu prioritaire en temps de guerre. Mais la guerre, à l’image de toute autre situation critique, n’implique- t-elle pas une dose de retenue? Le danger avec Internet est de considérer la guerre, et donc les morts que celle-ci entraîne inévitablement, comme faisant partie d’une réalité virtuelle. Et donc, de rendre les pertes humaines et matérielles plus acceptables. Signe de ces dérives, des images du conflit circulent déjà sur Instagram, la célèbre application permettant le partage et le traitement des photos. Regarder un village se faire bombarder en couleur sépia ne semble pas le moyen le plus approprié de prendre conscience de pertes humaines.
Et pourtant, avant ces évènements, des photos de guerre étaient déjà exposées en une des magazines et les militaires détaillaient en conférence de presse l’avancée des opérations. De toute évidence, la communication de guerre n’est pas une idée nouvelle. Alors pourquoi une telle défiance médiatique face à la stratégie mise en place par le Tsahal?
Certains n’hésitent pas à affirmer que c’est parce qu’elle prive les journalistes du « scoop » qui fait vendre. En réalité, la plus grande perte du journalisme est ici d’être privé de son rôle d’intermédiaire. A une époque où la communication est omniprésente, la médiation entre discours officiel et réception individuelle est plus que jamais nécessaire. En supprimant la fonction d’intermédiaire, on autorise des forces politiques à ne diffuser qu’une seule vision de la guerre : la leur.
Il y a 40 ans, Internet était créé à des fins militaires. Le dernier conflit israélo-palestinien nous rappelle qu’en 2012, le web est plus que jamais une arme efficace pour qui sait l’utiliser.
 
Angélina Pineau
Sources :
Slate
Rue89
France24