Politique

Brigitte Macron au zoo de Beauval ou la diplomatie du panda

Le 4 août 2017, en plein été, la France s’émeut de la naissance d’un panda au zoo de Beauval. Cette naissance est on ne peut plus miraculeuse que cette espèce en voie de disparition a une période de libido très restreinte : 3 jours par an. Le 4 décembre 2017, nouvelle vague d’émotion : le petit panda a été baptisé par sa co-marraine, Brigitte Macron, lors d’une cérémonie officielle. La médiatisation et le caractère diplomatique de l’évènement questionnent le réel centre d’attention : est-ce le bébé panda ou est-ce la Première Dame ?

Politique

Quand l’ancien agent du KGB veut faire oublier le communisme

Il y a un peu plus de cent ans le 7 novembre, Lénine annonce que le gouvernement provisoire en place depuis février 1917 a été déposé. Cette annonce marque l’avènement au pouvoir des soviétiques et le début d’une guerre civile qui durera jusqu’en 1922, opposant les « rouges » et les « blancs ». Chaque année sous l’ère communiste cette date est célébrée par un jour férié et d’importants défilés civils et militaires. La propagande faisait de ce jour la naissance de la Russie communiste. Le 7 novembre dernier, les célébrations en grandes pompes n’étaient qu’un lointain souvenir, seuls quelques militants communistes ont défilé sur la Place. Cette mise à l’écart de l’histoire bolchévique découle d’une politique étatique de réécriture de l’histoire organisée depuis plusieurs années par Poutine afin d’effacer un événement encore source de tensions dans la société russe.

Politique

Mélenchon, le modèle de communication à suivre pour les syndicats ?

L’opposition à la loi travail a mis en lumière les dissensions existantes entre les Insoumis et leur leader, Jean-Luc Mélenchon, et les principaux syndicats représentatifs français.
  
 
Les ordonnances réformant le Code du Travail ont connu une opposition populaire bien faible, en comparaison avec les manifestations anti-loi El Khomri. Si plusieurs manifestations se sont succédées partout en France, elles n’ont pas réuni suffisamment de protestataires pour obtenir une résonnance médiatique. Cet échec de la contestation sociale s’explique entre autres par les dissensions qui règnent entre les principaux leaders de l’opposition. Les Insoumis de Jean-Luc Mélenchon et les principaux syndicats français n’ont fait preuve d’aucune unité, alors que leurs positions idéologiques restent proches pour ce sujet. Dans leur affrontement pour le leadership de cette protestation, leurs stratégies de communication jouent un rôle primordial.
 
Des syndicats dépassés…

 
Les syndicats français sont en crise, c’est un fait. Le taux de syndicalisation en France ne cesse de décroître, et frôle dangereusement la barre des 10% (11% en 2013, 8,7% dans le privé). Et la communication syndicale ne sort pas assez de l’ordinaire pour leur permettre de séduire à nouveau le salariat français. Leur présence médiatique est quasi inexistante, hors période de manifestations et de grève. En clair, ils n’existent que dans l’action de protestation classique : dans l’entreprise, ponctuellement dans la rue et les médias, mais leur présence n’est pas suffisamment variée tant en termes de forme et de fond. Sur la forme, leur absence quasi-totale des médias numériques leur empêche de toucher la nouvelle génération de travailleurs. Leurs sites internets respectifs, très classiques (voire imbuvables) tranchent avec la modernité et la clarté de la page d’accueil des Insoumis. Leur absence de résonnance sur les réseaux sociaux, pourtant un canal idéal pour toucher la jeunesse, prouve aussi que les syndicats peinent à se renouveler.
 

 
Les codes et symboles très utilisés ne varient que trop peu, depuis le poing levé jusqu’à la couleur rouge prédominante chez les trois principaux syndicats (CGT, CFDT, FO). Cette absence de renouvellement de la forme participe forcément au désamour des français pour les syndicats, pourtant des piliers essentiels de la démocratie sociale.
 
En contraste avec un Mélenchon moderne
A contrario, Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a parfaitement su gérer sa communication, et ne pas s’essouffler après une campagne présidentielle réussie. Il incarne l’ultra-modernité qui manque aux syndicats. Pendant sa campagne déjà, il a rompu avec les codes usés par le temps, avec notamment, l’abandon de la couleur rouge prédominante (bien que subtilement présente) sur son affiche de campagne (contrairement à 2012). Surtout, il a su réinventer de manière très efficace les vieux codes de la campagne politique. Il a redonné un coup de projecteur sur les meetings politiques grâce à l’utilisation de son hologramme. Un simple coup de communication sans énorme plus-value ? Surtout une belle vitrine de modernité pour un candidat de 66 ans engagé politiquement depuis 41 ans.
Le vrai coup de génie de Mélenchon et de son équipe de communication aura été sa présence sur YouTube. Ce média aura été d’une rare efficacité pour toucher les jeunes durant la campagne, mais aussi après. La « Revue de la semaine » de Mélenchon rassemble ainsi près de 110 000 vues hebdomadaires. L’utilisation de YouTube par Mélenchon, une vraie première de cette campagne présidentielle, a été une franche réussite. Il totalise ainsi presque 370 00 abonnés aujourd’hui. À titre de comparaison, la chaîne CGT (oui, oui, elle existe) en totalise 1274, celle de la CFDT 423, et celle de la Force Ouvrière 386.
Certes, Mélenchon vise un public plus large que les syndicats cités de par la différence entre politique et syndicalisme. Cependant, leur base idéologique est proche. Mélenchon a su rendre de nouveau attractif pour la jeunesse un message que les syndicats peinent à faire entendre. Il est plus que temps qu’ils se penchent sur la question, car la France a besoin de partenaires sociaux modernes et rassembleurs. Elle en manque cruellement aujourd’hui.
 
Robin Labouérie
Linkedin : Robin Labouérie
 
Sources :

Etude DARES pour le ministère du Travail n°025 Mai 2016 : La syndicalisation en France
Jean-Christophe Chanut, Le taux de syndicalisation se maintient à 11% en France, La Tribune.fr, le 17 mai 2016.
Jean-Luc Mélenchon, Les leçons d’une hyper communication digitale, French Web.fr, le 02 mai 2017.

 
Crédits Photos :

Capture d’écran du site La France Insoumise (responsive design)
Capture d’écran du site CGT (responsive design)
Affiche électorale Jean-Luc Mélenchon Front de Gauche – Présidentielle 2012
Affiche électorale Jean-Luc Mélenchon La France Insoumise – Présidentielle 2017

Politique

Communimacron : Enfermer les journalistes et jeter la clef par la fenêtre

Il l’a dit, il le fait. Emmanuel Macron a averti l’ensemble des journalistes : « un président préside et j’aurai cette distance avec la vie médiatique. La trop grande proximité avec les journalistes a été le problème des derniers quinquennats. Quand on préside, on n’est pas le copain des journalistes », en avril dernier dans l’Emission Politique sur France 2. Bim, prends ça François (et les autres). Après avoir été porté aux nues par les médias, Emmanuel Macron amorce un bras de fer inédit avec l’ensemble de la profession. Petit condensé d’une gueule de bois journalistique.
La « transparence organisée » des deux derniers quinquennats
Cette volonté de mise au ban de la presse française trouve ses fondements dans la gestion médiatique des deux derniers présidents. Nicolas Sarkozy maintenait une proximité certaine avec la meute des éditocrates : textos mielleux, visiteurs du soir et tutoiement : Sarkozy gambadait main dans la main avec les barons des médias. Exemple : cette séquence, relevée dans Les Nouveaux Chiens de Garde, elle illustre les relations incestueuses qu’entretiennent médias et politiques.

F. Hollande pour sa part, se délectait des petites accointances avec les journalistes, de ses ‘off’ et autres confidences. Dans les couloirs du Parti Socialiste, on le surnommait « le petit rédacteur en chef du Canard ». Mal lui en a pris puisque beaucoup considèrent que le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Un Président ne devrait pas dire ça, fut le dernier clou du cercueil du président sortant. Epanchements à la tête de l’Etat ? Seulement soixante-et-une rencontres, souvent chez les journalistes, pour plus d’une centaine d’heures d’entretiens, et ce pendant 5 ans. Une broutille.
La volonté d’Emmanuel Macron de rester le « Maître des horloges » à l’heure de l’information en continu puise sa source dans un autre quinquennat : celui de Jacques Chirac. Le Grand Jacques avait pour conseiller spécial en communication Jacques Pilhan, théoricien de la « parole rare ».
L’influence des influenceurs
L’entourage proche d’Emmanuel Macron peut ainsi justifier sa vision ascendante de la communication. Il est principalement composé d’anciens DSK-Boys (& Girl) avec entre autres Benjamin Griveaux, Ismaël Emelien et Sibeth N’Diaye. Après avoir sué sang et tripes pour positionner leur champion en vue de l’élection présidentielle de 2012, ils ont assisté à la mise en charpie médiatique du trublion du Sofitel. Qualifiée par les journalistes de « mormons » ou de « control freaks », cette dream-team partage avec Emmanuel Macron une méfiance incurable à l’égard de la presse.

Les premiers mois de ce quinquennat ont donc été marqués par une volonté de « mettre de la distance, être dans l’économie de la parole », selon Arnaud Benedetti, co-auteur avec Dominique Wolton de Communiquer c’est Vivre. Il y décèle un ardent désir « d’écrire le récit présidentiel et d’éviter la cacophonie gouvernementale ». Le tintamarre s’oppose donc à un unique émetteur de message, en vue de verrouiller la communication et éviter la prolifération. Barack Obama semble inspirer cette stratégie, le pape du cool, bénéficiait d’une communication cadenassée et léchée comme un blockbuster hollywoodien. Il n’est pas impossible que l’ombre du fils de pub Jacques Séguéla plane sur la start-up nation, celui pour qui le ‘off’ était un « poison mortel. » Celui qui a suivi plus de vingt campagnes internationales ajoute, d’humeur taquine :  « Le pouvoir est une œuvre solitaire. Un président normal, ça ne peut pas exister. »
Trigger Warning : La France est le 37ème pays du classement RSF sur la liberté de la presse
Cette distanciation médiatique a souvent pris la forme de méthodes dignes du bon vieux temps de l’ORTF. Un chapelet d’incidents sont venus renforcer l’image autoritaire de Jupiter, petit florilège. L’impétueuse Sibeth N’Diaye a ainsi contacté un redchef pour lui expliquer les règles du journalisme à la sauce macron : « c’est pas du journalisme, c’est du travail de sagouin », à propos d’un titre qu’elle jugeait peu flatteur. Yann Barthès s’est fait agonir de « gros connard » par l’attaché de presse de Macron Man. La raison ? Paul Larrouturou, journaliste à Quotidien, avait eu l’outrecuidance de géhenner Jupiter lors de l’entre-deux tours en lui demandant « La Rotonde, c’est votre Fouquet’s ? » Au premier Conseil des Ministres, les plumes et les caméras, qui captent traditionnellement les premiers pas du gouvernement ont été évacués manu militari de la Cour de l’Elysée. Le torchon (l’expression, pas Libé) brûle déjà entre les deux camps lorsqu’à la suite dudit Conseil, le Château annonce qu’à l’avenir les journalistes seront triés sur le volet pour suivre les déplacements du Président. C’est la goutte d’eau pour les canards qui se fendront d’une lettre ouverte intitulée « Monsieur le président, il n’appartient pas à l’Elysée de choisir les journalistes ». En fait si.

Agence France Elysée Presse
Stéphane Fouks, vice-président de Havas, livre son analyse : « ils ont compris que ce qui comptait, c’était l’offre, c’est-à-dire de prendre la main sur le contenu, les messages, l’image ». C’est ça la nouveauté : cette façon d’être à l’origine des images, en les fabriquant soi-même.

Deux piliers soutiennent cette stratégie. Le premier, une équipe dévouée de stakhanovistes, qui enchaine les Facebook Live, bénéficiant d’accès que les médias n’ont pas. Lors de la visite des Invalides avec Donald Trump, BFM TV avait dû reprendre, déconfite, les images fabriquées par la team com. La systématisation de la pratique du pool, laquelle est habituellement utilisée pour des raisons pratiques, comme la visite d’un sous-marin. Avec Manu, c’est pool party. En aout, une visite présidentielle a fait grincer les dents des journalistes les plus chevronnés : « Là, sur une base de loisirs, le pool, c’est n’importe quoi, il y a de la place, ce n’est pas un lieu sensible, mais c’est comme ça, avec Macron. » L’avantage de court-circuiter les médias c’est que l’on réduit le bruit de Shannon et Weaver et on élude la nécessaire séduction des gatekeepers de Lewin. Le second pilier, plus insidieux, est le « contrat d’exclusivité moral » passé pendant la campagne avec Bestimage, l’agence photo de Mimi Marchand, la reine des paparazzis. Ses photographes sont omniprésents dans les pools constitués et suivent à la trace le couple présidentiel pour assurer le storytelling. De la sorte, l’avant dernier numéro de Paris Match n’a consacré que 18 pages (19 avec la Une) au couple présidentiel. La matière première photographique étant fournie par Bestimages. Le cadenassage se poursuit de jours en jours : le 15 novembre, c’est une équipe de C à Vous qui s’est vue blackbouler loin du président après avoir essayé de poser une question. La raison invoquée ? La veille, ils avaient couvert le rassemblement d’Insoumis qui accueillaient le Président avec des casseroles. On attend le retour sur Terre de Jupiter.
S’il n’applique pas les préconisations de Bourdieu, Emmanuel Macron en suit la pensée : « Le pouvoir symbolique exceptionnel confère aux grandes autorités de l’État la capacité de définir, par leurs actions, leurs décisions et leurs interventions dans le champ journalistique (interviews, conférences de presse, etc.), l’ordre du jour et la hiérarchie des événements qui s’imposent aux journaux. »
Anonyme
Sources : 

Balbastre Gilles, réal. Les Nouveaux Chiens de Garde. JEM Productions, 2012. DVD, 104 minutes
Bourdieu Pierre. L’emprise du journalisme. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 101-102, mars 1994. L’emprise du journalisme. pp. 3-9
Lewin, Kurt. « Forces behind food habits and methods of change ». Bulletin of the National Research Council. 108: 35–65
Claude E. Shannon,, « A Mathematical Theory of Communication », Bell System Technical Journal, vol. 27, no 3,‎ juillet 1948, p. 379-423
« Com’ verrouillée, médias critiqués… Macron force les journalistes « à avaler leur chapeau » », par Antoine Rondel, LCI, rubrique Elections, le 24 mai 2017
« Culture du secret et papier glacé : la communication selon Macron » par Par Zineb Dryef et Laurent Telo, M le Magazine du Monde, rubrique Reportage/Actu, le 18 mai 2017
« Emmanuel Macron et sa communication : « Il est passé d’une séduction intense à « Je traite les journalistes comme de la m*rde » » par Sasha Beckermann, Closer, rubrique Politique, le 20 août 2017
« Macron, l’emploi des mots, le toc des photos », par Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, Les Jours, rubrique In Bed With Macron, le 23 novembre 2017
« « Monsieur le président, il n’appartient pas à l’Elysée de choisir les journalistes » », par 15 rédactions françaises, Le Monde, rubrique Idées, le 18 mai 2017

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Politique

Le Brexit, un échec médiatique et communicationnel

Quel a été le rôle des médias dans le vote du Brexit ? La campagne de communication des pro-Bremain a-t-elle été défaillante ? Un an et demi après le référendum et alors que l’heure est encore aux négociations, le rôle des médias et les campagnes de communication des pro-Bremain comme des pro-Brexit sont toujours pointés du doigt.
 La plupart des journaux britanniques doivent leur existence à un petit groupe de « barons de la presse » – des hommes d’affaires tels que Lords Beaverbrook, Northcliffe et Rothermere – qui ont fondé des journaux à but lucratif et politique et exigé qu’ils reflètent leurs opinions sociales et politiques. Un mythe ? Que nenni. En effet, en Grande-Bretagne, les médias sont très engagés et ont souvent influencé le résultat des élections et des référendums : une tendance qui s’est une nouvelle fois vérifiée lors du Brexit.
Une presse divisée au sujet du Brexit
Le paysage médiatique anglais était partagé sur le sujet du Brexit. Les opinions divergentes étaient perceptibles à travers le traitement de l’actualité. La presse pro-Brexit jouait la carte de l’insécurité et celle de l’immigration massive, en pointant du doigt la libre circulation des personnes dans l’Union Européenne, tandis que les médias pro-Bremain mettaient en avant l’incertitude économique si la Grande-Bretagne venait à quitter l’Union Européenne. Ainsi, à la lecture des journaux, les électeurs ayant choisi de quitter l’Union Européenne associaient les problèmes sociétaux (crise migratoire, politique d’austérité, difficultés du marché du travail…) à la présence de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne. Influencés par la presse pro-Brexit, les citoyens pensaient faire disparaître ces problèmes en votant pour.

Une prise de position engagée de la part des médias
Les convictions pro-Brexit de la presse britannique sont donc allées bien au-delà de la simple analyse, et de l’objectivité qui incombe à la presse. Ainsi, la couverture médiatique a en partie été biaisée par des préjugés et autres fake news… un processus déjà utilisé par le passé dans les journaux britanniques. Les journalistes auraient-ils délaissé la déontologie au profit de leurs opinions personnelles ? C’est en tout cas ce que laisse imaginer le traitement médiatique du Brexit. Les journaux anglais ont, par exemple, véhiculé des fake news au sujet du coût de l’adhésion britannique à l’UE et de l’adhésion de la Turquie à l’UE. Des informations inexactes rendues crédibles par leur médiatisation. Les médias pro-Brexit affirmaient, par exemple, que la Turquie rejoindrait l’UE d’ici 2020 tout en soulignant qu’il y aurait une migration illimitée provenant de ce pays et de ses voisins tels que l’Iran et la Syrie. De plus, les médias pro-Brexit ont accordé leurs unes à des fausses informations notamment en insistant sur les éventuels dangers qu’encourait la Grande Bretagne avec l’immigration : « Les migrants ne paient que 100 livres pour envahir la Grande-Bretagne », « 20 000 migrants prêts à envahir la Grande Bretagne », … The Mail a même été jusqu’à affirmer que les migrants étaient responsables de 700 meurtres par semaine, une information qu’il a été forcé de corriger tant elle était fausse. Il semble ainsi que les médias ont essayé de provoquer la peur des électeurs afin qu’ils la traduisent dans les urnes. Ce qui prouve que dans le discours politique « post-vérité », l’exactitude de ce que vous dites compte finalement moins que la force et la fréquence à laquelle vous le répétez.

 
Une méconnaissance globale de l’Union Européenne
Mais comment une institution aussi puissante que l’Union Européenne a-t-elle pu perdre l’un de ses membres les plus importants ? Comment une institution censée rassembler peut-elle aujourd’hui être aussi contestée et clivante ? Il semble que le manque de communication de l’Union Européenne sur son rôle justifie en partie le Brexit, les citoyens n’ayant pas été suffisamment informés sur l’Union Européenne et n’ayant pas véritablement saisis ses enjeux. Dominique Wolton dans son texte « Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe » constate que la part de l’information européenne dans les médias est dérisoire, que les citoyens européens méconnaissent l’histoire de l’Union Européenne ou encore qu’il y a une méfiance envers la diversité culturelle. Il propose ainsi d’accroître le volume et la diversité de l’information sur l’Europe, d’enseigner la vie politique européenne dans toutes les écoles, de populariser l’histoire de l’Europe, ou encore de faire de la question des réfugiés un symbole de la solidarité de l’Union Européenne. Des propositions pouvant mener à un nouveau plan de communication efficace de l’Union Européenne afin d’éviter des situations telles que le Brexit.

Une communication numérique réussie
À l’inverse des pro-Bremain, les pro-Brexit ont réussi leur campagne de communication en misant sur le digital et en donnant le ton au débat sur les réseaux sociaux. Les nombreux partisans actifs du Brexit leur ont permis de dominer Facebook, Twitter et Instagram, influençant des foules d’électeurs indécis. Selon l’étude « impact of social media on the outcome of the EU referendum », les partisans du Brexit sur Instagram étaient cinq fois plus actifs que les partisans du Remain. De plus, les 3 hashtags les plus utilisés provenaient du camp du Brexit : #Brexit, #Beleave et #VoteLeave. Le message du camp du Brexit était ainsi beaucoup plus intuitif, direct et émotionnel, ce qui a facilité la propagation virale des idées pro-Brexit. En effet, les messages émotionnels se propagent plus rapidement que les messages axés sur des arguments rationnels ou économiques. Ainsi, l’erreur communicationnelle des pro-UE a été de ne pas dominer les médias sociaux. Internet a changé la nature des campagnes politiques et continuera à jouer un rôle clé dans les futures élections politiques.
De nombreux électeurs du Brexit semblent maintenant souffrir de ce qu’on appelle « Bregret ». En effet, ils ont voté pour quitter l’Union Européenne, et maintenant, ils auraient aimé ne pas le faire. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas vraiment compris les implications des choix offerts. Ce qui est si inquiétant, c’est qu’avec une meilleure communication des différents camps et un traitement médiatique plus neutre, les électeurs auraient au moins pu prendre une décision éclairée, quelque soit le camp qu’ils avaient choisi.
Sandrine Roul
Sources :

Abott James, Brexit : les prises de position engagées des médias britanniques, RTL, 23/06/2016, consulté le 01/11/2017.
Lessons From Brexit: How Not To Communicate Your Cause, Entrepreneur Middle East, 10/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Polonski Vyacheslav, Impact of social media on the outcome of the EU referendum, EU Referendum Analysis 2016, consulté le 01/11/2017.
Malherbe Michael, Réflexions post-Brexit sur la communication de l’Union européenne, La Com Européenne, 13/07/2016, consulté le 01/11/2017.
Simon Hinde, Brexit and the media, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 80-86.
Dominique Wolton, Dix chantiers pour aider à penser l’incommunication en Europe, Hermès, La Revue 2017/1 (n° 77), p. 243-247.

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Photo à la une : L’Express
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Photo 2 : scoopnest
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Politique

Suppression de l'ISF: Petite ôde à l'impôt

La suppression de l’Impôt sur la Fortune (ISF) a été annoncée par Emmanuel Macron alors candidat pour l’élection présidentielle en février 2017. Cet impôt, auparavant nommé Impôt sur les Grandes Fortunes était apparu sous la présidence de François Mitterrand avant d’être abrogé puis réintroduit en 1988. Il est aujourd’hui question de l’instauration d’un Impôt sur les Fortunes Immobilières (IFI) prévue dans le projet de budget de 2018. L’instauration de ce nouvel impôt fait suite au constat de l’inefficacité de l’ISF : en 2016, il avait provoqué l’exil de deux familles par jour. Même si la rationalité économique souligne que cette taxe coûte plus à la collectivité qu’elle ne rapporte, la froideur de cet argument ne semble pas suffire à justifier sa suppression.

L’impôt a ses raisons que la raison ignore     
En effet, s’il existe une raison économique qui justifie le retrait de cet impôt, la façon de le suggérer n’a pas été des plus pertinentes. On peut identifier deux raisons expliquant l’échec de la communication autour de la suppression de l’ISF.

D’une part, la fiscalité tient d’une matière extrêmement technique. Elle est sujette à l’instrumentalisation par l’ensemble du personnel politique, c’est ce que l’on a pu constater durant la campagne présidentielle de 2017.
Ici, le problème est pris à l’envers. Au lieu de faire revenir les riches, il s’agit de ne pas les faire partir : cela serait possible en mettant l’accent sur la dimension contributive de l’impôt pour l’ensemble de la société. Or, Emmanuel Macron s’adresse plus aux individualités qu’à la collectivité. En opposant ceux qui réussissent et « ceux qui ne sont rien » (29 juin 2017, Discours d’inauguration d’un incubateur de start-up) le président valorise l’individu dans son aboutissement personnel en le distinguant clairement du reste de la société.
D’autre part, la mauvaise perception de l’ISF est la conséquence directe d’une défaillance de l’Etat. L’appareil public ne parvient pas à présenter comme nécessaire la participation de l’ensemble des individus dans le financement de l’activité publique.
Il est avéré que de faire comprendre aux citoyens que leur participation à l’impôt sert la collectivité et permet un plus grand assentiment à ce dernier. L’impôt permet de financer par exemple un système éducatif de qualité, et une population plus qualifiée -et de la même façon plus productive- est plus à même à participer à la vie démocratique, ce qui constitue une externalité positive pour la société.
On retrouve ici une des contradictions fondamentales de la communication macronienne. S’affrontent une volonté de satisfaire les classes moyennes et la suppression des contrats aidés ou la réduction des Aides Personnalisées au Logement (APL). La « pensée complexe » qu’avait faite valoir l’Elysée pour justifier l’absence du président dans les médias sert finalement des intérêts simples.

Marqué du sceau « Ami des nantis » 

Si la réforme de l’ISF pose problème, c’est également du fait de l’importante valeur symbolique de cet impôt. En plus du modèle « jupitérien » de la présidence Macron qui implique une grande prise de distance médiatique, le fait que cette réforme prenne tant de place dans l’espace médiatique conforte le président dans une déconnexion par rapport à la classe moyenne qui est loin des réalités que connaissent ceux qui sont assujettis à cet impôt.
Par conséquent, cette suppression contribue à créer un imaginaire de la technicité et de la distance d’un président croulant sous ses propres contradictions, tiraillé entre des interventions millimétrées dans les médias et un goût pour les phrases volées à l’occasion de ses différentes interventions.
Cette réforme renforce l’inquiétude que les richesses se concentrent à l’extrême, la répartition de celles-ci redevenant très inégalitaire. Effectivement, selon Thomas Piketty dans son livre Le Capital au XXIème siècle, depuis la fin du XIXème la part de la richesse accaparée par le 1% des plus riches a doublé pour atteindre aujourd’hui 20%. L’acrimonie sociale est aujourd’hui particulièrement vive contre des objets qui rentrent dans l’imaginaire collectif de la richesse : avec ce nouvel impôt, les yachts, voitures de luxe et lingots d’or seront épargnés de taxe.
Le « président des riches » sacrifie sur l’autel de la rationalité économique la paix sociale : la haine contre cette richesse ostentatoire devient palpable.
La présidence des riches, par les riches et pour les riches
     

 La défense de cette réforme revêt dans le discours présidentiel un aspect purement dogmatique. La parole du président devrait permettre que la surpression de l’ISF donne la possibilité aux français les plus fortunés d’investir dans les entreprises pour servir la croissance. Bien que sa posture donne de l’importance à son discours, être président ne semble plus suffire pour donner un effet concret à cette volonté. Il peut exister en plus de cela un effet d’aubaine qui détournerait la réforme de son essence : les plus riches ne sont en rien contraints d’investir leur argent dans les entreprises.

Il n’en demeure pas moins qu’Emmanuel Macron se pose dans une position autoritaire, comme si sa stature présidentielle à elle seule suffisait à donner du corps à son discours. Or, la position présidentielle n’est plus aujourd’hui un facteur de légitimation du discours, d’autant plus à l’heure de la démystification de la fonction politique. Ce sentiment est conforté par l’alimentation d’une « pensée complexe », l’intellectualité de la pensée du président serait un facteur de légitimation de son discours. La verticalité de sa parole contraste franchement avec les qualificatifs de « fouteurs de bordel » adressés aux salariés de GMS au début du mois d’octobre 2017.
Et pendant que la suppression de l’ISF nourrit cette passion bien française de dégout envers la richesse, l’extrême droite arrive en Autriche avec un président plus jeune qu’Emmanuel Macron, conséquence directe d’une distance grandissante entre ceux qui font les politiques et ceux que cela concerne. Juste sanction ou mauvaise colère?
Corentin Loubet
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Sources: 

AFP.  La suppression de l’ISF, une réforme sans garantie de résultat, Le Dauphiné . Publié le 23/09/2017 . Consulté le 19/10/2017
« A peine présenté, le nouvel ISF de Macron menacé par le «syndrome des yachts» » ,  Le Parisien. Publié le 28/09/2017. Consulté le 19/10/2017.
Michel Ricard,  ISF : l’art délicat de la communication, Le Point. Publié le 04/10/2017. Consulté le 20/10/2017.

 Jérome Leroy; Macron : une pensée complexe au service d’intérêts simples,  Causeur. Publié le 16/10/2017 , Consulté le 19/10/2017.

Pierre Rosanvallon, Relégitimer l’impôt.  CAIRN . Publié en 2007 . Consulté le 20/10/2017.
Denis Jeambar;  Emmanuel Macron, ce président qui sait tout sur tout. Publié le 16/10/2017.  Consulté le 24/10/2017.
Ludovic Galtier.  Pourquoi la réforme de l’ISF pose problème.  RTL.  Publié le 19/10/2017 . Consulté le 23/10/2017 
Arnaud Benedetti, Emmanuel Macron s’adresse aux individus plutôt qu’à la nation . Le Figaro.  Publié le 16/10/2017. Consulté le 24/10/2017
Thomas Vampouille.  Nous pas comprendre le président Macron,  Marianne.  Publié le 29/06/2017.  Consulté le 28/10/2017 
Economie des Politiques Publiques, Antoine BOZIO et Julien GRENET, Collection Repères, Edition La Découverte, P. 71-71
Thomas PIKETTY, Le Capital au XXIème siècle, Stock, 2013
Crédit photo
Une : YVES VELTER / GAZ OF HESITATION / 2013
Photo 1 : GIANGIACOMO SPADARI / ELEMENTI MECCANICI / 1971
Photo 2 : FRANK FREED / HAVE AND HAVE NOT / 1970
Photo 3 : ANNE CHRISTINE POUJOLAT / AFP / 2017

Politique

¿ QUÉ TAL CATALUNYA ?

Tout a commencé en 2006 quand la Catalogne s’est auto-proclamée « nation » après un référendum sur l’autonomie élargie dans cette région. Mais en 2010, les choses s’enveniment lorsque Madrid refuse d’approuver les réformes du statut d’autonomie catalane. Dès lors, les indépendantistes catalans considèrent que la voie de la négociation touche à sa fin et mettent en place leur communication politique et médiatique, se battant alors bec et ongles contre Madrid.
Le soft power catalan
À force d’une patience à toute épreuve et d’une stratégie de communication bien menée, les indépendantistes sont aujourd’hui omniprésents sur la scène médiatique. Depuis 2010, le mouvement indépendantiste ne cesse de répéter sa volonté de sortir de l’Espagne avec pour acmé l’engouement suscité par la manifestation du 11 septembre 2012 (1,5 million de manifestants aux côtés d’Artur Mas, l’ancien président de la Généralité, le Parlement espagnol). Le but de ces démonstrations de force ? Créer « une crise de telle ampleur qu’il n’y ait pas d’autre option que de parler de vous », explique Jorge Santiago Barnes, docteur en communication politique à l’Université Camilo José Cela de Madrid. À cela s’ajoute le fait que les indépendantistes s’appliquent à construire leurs actions politiques comme de véritables coups de théâtre : élections, déclaration unilatérale d’indépendance, nomination de dernière minute, etc.
Ce travail de sensibilisation à la cause catalane aurait-t-il été facilité par les images d’une police espagnole violente le premier octobre dernier lors du référendum ? On pourrait le penser en tout cas, car si l’on reprend Patrick Charaudeau dans Le discours politique, les masques du pouvoir : « L’opinion fonctionne davantage sur les images et les affects que sur la raison et les valeurs ».

Une bataille de l’image qui cache une pression sur les médias et les journalistes
« Des matraques contre les urnes » (Libération), « Le référendum torpillé par la police » (Le Parisien) … Les titres des grands quotidiens français le jour du référendum mettaient en avant la violence policière face à la relative passivité des catalans. Des images de la police dans les écoles catalanes aux camions blindés face aux manifestants mains nues, les dérapages du gouvernement espagnol ont fait le tour des médias internationaux et ont contribué à ternir son image, jouant de facto en faveur de l’indépendantisme catalan.
Cela dissimule une pression subie par les correspondants étrangers de la part des deux acteurs de cette guerre politico-médiatique. Reporter sans Frontières a publié le 18 octobre un rapport s’intitulant « La liberté de la presse sous pression en Catalogne » pour mettre en évidence l’influence des chefs des partis politiques sur les médias. Madrid a par exemple mis sous tutelle TV3, la chaîne de télévision publique catalane, tandis que le gouvernement catalan a mené des campagnes de cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux comme Twitter afin de favoriser la propagande pro-indépendance… Des comportements extrêmes qui portent atteinte à la pérennité de la démocratie espagnole.

Les stratégies pour atteindre l’international : le fossé se creuse
Si l’on s’écarte un peu de ce débat sur la liberté de la presse, on constate que cette couverture médiatique a permis une sensibilisation internationale. Carlos Puigdemont, président de la région et chef de file des indépendantistes, a fait le tour des plateaux étrangers jusqu’à la veille du référendum. Il était le 25 septembre au micro de Léa Salamé sur France Inter, et répondait à ses questions dans un français presque parfait.

Le problème se pose quand l’on regarde du côté de la capitale. Le gouvernement espagnol semble incapable d’expliquer aux citoyens ce que représente ce référendum pour le pays et est absent de la scène médiatique étrangère. Le manque de modernité de cette communication institutionnelle provoque un déséquilibre face à la clarté des porte-paroles catalans. Tous les responsables de la presse étrangère possèdent le numéro de portable de Raul Romeva (conseiller aux affaires extérieures de la Generalitat de Catalogne), qui répond à leurs questions et gère les nombreuses interviews. Le gouvernement madrilène s’évertue donc à appeler le soutien des pays voisins et à organiser un dispositif de police imposant, mais il lui est difficile de toucher l’opinion publique quand les indépendantistes ont pris possession de la rue et de la toile.
Titi, une mascotte au secours des indépendantistes sur les réseaux sociaux 
La lutte s’est également jouée sur les réseaux sociaux avec Titi, le canari des studios Warner Bros. Peint sur l’un des navires hébergeant les officiers de la Guardia Civil (police espagnole) dans le port de Barcelone, il a beaucoup amusé les internautes indépendantistes qui s’en sont servi sur Twitter à travers les mots clés #FreeTweety ou #Freepiolin (Liberté pour Titi), qui ont connu un vif succès.

Ce personnage est rapidement devenu la mascotte des séparatistes au point d’embarrasser les autorités espagnoles qui n’ont eu d’autre choix que de couvrir le bateau à l’aide de bâches.

Le dialogue de sourds : crise politique, crise communicationnelle

Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a déclaré le jour du référendum que ce qui avait eu lieu n’était ni un référendum, ni une consultation et n’aurait à ce titre aucun effet. Mais Rajoy et Puigdemont doivent se rendre à l’évidence : la polémique est telle que cette logique de surenchère mutuelle dénuée de tout dialogue ne peut aboutir à une sortie de crise. Le dernier épisode résume bien la situation : le 28 octobre, Carles Puigdemont, destitué par Madrid de la présidence de la Catalogne, a appelé à s’opposer « démocratiquement » à la mise sous tutelle de la région déclenchée par le gouvernement espagnol après la déclaration d’indépendance votée par le parlement catalan.
Un enchainement de faits qui montre bien que le dialogue n’est pas prêt d’être rétabli et que l’issue de cette crise reste encore inconnue.
Elise Decoster
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Sources :
Allemandou Ségolène, « Bataille de communication sur le référendum : Catalogne 1- Madrid 0 », France 24, consulté le 30/10/2017
Breteau Pierre et Pouchard Alexandre, « Indépendance de la Catalogne : l’escalade entre Madrid et Barcelone résumée en SMS », Le Monde, consulté le 13/10/2017
Charaudeau Patrick, Le discours politique, les masques du pouvoir, Vuibert, 2005
Devillers Sonia, Catalogne : la pression contre les journalistes monte d’un cran, consulté le 24/10/2017 sur France Inter
Guien Laura, « Apprends à squatter la politique avec les indépendantistes catalans », Slate, consulté le 26/01/2017
Guien Laura et Palem Fabien, « Ce que la crise catalane dit de la démocratie espagnole », Slate, consulté le 28/09/2017
Salamé Léa, « Carles Puigdemont : « La violence n’est pas une option pour la Catalogne » », France Inter, consulté le 25/09/2017
Reporter sans frontières, « La liberté de la presse sous pression en Catalogne », consulté le 18/10/2017

Crédits photos :
Image de Une : « On se parle? » écrit en catalan sur une pancarte pendant la manifestation du 7 septembre à Barcelone.  REUTERS/Eric Gaillard
Image 1 : AFP Pau Barrena
Image 2 : @jordiborras
Image 3 : photo AFP

Politique

Raquel Garrido se défend sur le Snapchat de Jeremstar : vers une télé-réalité du politique ?

Début octobre, Le Canard Enchaîné fait de nouveau des siennes : il accuse la porte-parole de Jean-Luc Mélenchon, Raquel Garrido, de n’avoir pas payé ses cotisations retraites depuis 6 ans. Cette dernière a défendu son honneur sur une plateforme on ne peut plus surprenante… le Snapchat de Jeremstar, personnage public adulé des jeunes et spécialiste de téléréalité, avec qui elle travaille chez Ardisson depuis septembre. C’est donc à l’adresse de ses « vermines » et des « jeremstarlettes » que l’avocate de La France Insoumise remet en cause ces accusations. Un procédé qui a bien évidemment fait parler de lui : pourquoi ce besoin de fuir les médias traditionnels ? Raquel Garrido gagne-t-elle en crédibilité au sein de la sphère politique en répondant aux questions de celui qui a pour habitude d’interviewer Nabilla et autres candidates de télé-réalité ?
La nouvelle logique d’audience en politique
Force est de constater la visibilité qu’apporte Jeremstar : il est aujourd’hui un des personnages publics français les plus suivis sur les réseaux sociaux avec 1,1 million d’abonnés sur YouTube, 1,7 million sur Twitter, 1,8 million sur Instagram et est le snapchatteur le plus suivi en France. Exploiter la plateforme de ses réseaux sociaux permet donc aux arguments de Raquel Garrido d’être reçus par une audience inégalable. De plus, le ton de Jeremstar est décalé et humoristique : d’emblée, l’interview tourne au divertissement et le cadre énonciatif posé par l’influenceur rend la personne interrogée sympathique. Une mine d’or pour la défense de Raquel Garrido qui s’adresse à un public qui lui construit un ethos de sympathie et de sincérité au même niveau que n’importe quelle autre figure publique paraissant dans les snaps du bloggeur. Quand il est question de se défendre auprès du plus grand nombre, de nombreux politiques se tournent vers les supports de divertissement plutôt que de répondre à l’appel des médias traditionnels : Jean Luc Mélenchon, en avril 2017, a préféré se rendre sur le plateau d’On n’est pas couché plutôt que de rejoindre un meeting à Dijon. Le nouvel d’objectif est d’élargir la portée des discours, de capter l’attention du plus grand nombre. Il devient alors logique de participer à une émission comme celle de Laurent Ruquier, qui avait réuni 1,37 millions de téléspectateurs.

Être public avant d’être politique ?
Depuis l’affirmation des médias audiovisuels, notamment l’apogée de la télévision dès les années 1960, les règles de l’énonciation du politique ont été changées. Valéry Giscard d’Estaing est un de premiers à avoir médiatisé sa vie familiale et à jouer sur ce que pouvait apporter le média audiovisuel dans la construction de son ethos politique, en dévoilant par exemple ses talents d’accordéoniste. En avril 1985, François Mitterrand dialogue sur TF1 avec Yves Mourousi pendant près de 100 minutes. Cette émission, à laquelle il participe pour se construire une nouvelle image, dépasse largement le contenu politique. Par exemple, il coupe l’herbe sous le pied du journaliste qui pensait le mettre à l’épreuve : on ne dit plus « ché-bran » mais « câblé » selon le Président de la République. Ici, la logique de se construire une image publique jeune, personnelle et plus humaine, découle d’une volonté de se rapprocher des citoyens. Finalement, c’est presque la même idée que le jeu de question réponse entre Jeremstar et Garrido (mais le support a changé) : le politique côtoie des sujets plus triviaux. En effet, Raquel Garrido passe de ses cotisations retraites à sa collection de maillot de bain sans aucune disruption. Cependant, cette tendance à la médiatisation du personnage politique s’est emballée avec l’arrivée d’Internet et c’est sans surprise que lors des campagnes présidentielles, tout le monde a pu observer les talents de Macron au bottle flip challenge et découvrir le filtre préféré des candidats, le tout via Snapchat.

 

La victoire du politainment ?
Faut-il divertir pour être politique ? Ce qui était retenu des débats lors des dernières élections, c’était les bons mots, les répliques, la répartie, donc les « punchlines » et les « clashs », qui étaient repris par les téléspectateurs pour être détournés de façon humoristique. Il faut donc faire rire ou porter dans son discours, sa gestuelle, un potentiel humoristique. Le divertissement aurait pris le pas sur le contenu réel du débat. Il faut capter son audience par les formes du discours plus que par les idées. Il semblerait alors que les fonctions de l’énonciation politique se résument de nos jours à l’unique fonction phatique de Jakobson, fonction de mise en contact qui établit la relation, relation assurée indépendamment du message. Ce que cherche le politique désormais, c’est entrer en relation avec sa communauté. Et il semble que le lien créé par le divertissement soit de nos jours le plus efficace pour rassembler le plus d’audience.

Clémence Duval
Sources
Valeurs actuelles, consulté le 25 octobre.
RTL, consulté le 25 octobre.
Ina.fr, consulté le 24 octobre
Huffingtonpost.fr, consulté le 24 octobre
Huffingtonpost.fr, consulté le 25 octobre

Politique

Les citoyens qui écrivent l’information : réappropriation du discours politique

Avec l’augmentation très soudaine de la présence des politiques sur les réseaux sociaux, leurs discours sont devenus de plus en plus immédiats, de plus en plus directs, mais aussi de plus en plus relayés et commentés. Cette reprise de l’information politique ne se fait plus seulement par la presse et autres médias traditionnels mais aussi par les citoyens eux-mêmes.
Dans ce contexte, l’essor du journalisme citoyen est non seulement facilité par les nouvelles technologies, mais semble aussi plus naturel. En changeant le fond de la circulation de l’information, la dynamique de l’informateur et de l’informé est transformée à son tour, créant un nouveau challenge pour la communication politique.
     

« Manifeste pour un journalisme citoyen »
Par conséquent, quand François Serrano affirme via Mediapart que : « Absolument tout citoyen ayant une conscience sociale et la volonté de s’exprimer a toute légitimité pour assumer la responsabilité d’informer ses concitoyens, avec ses propres mots, sur des sujets qu’il connaît », cela peut paraître évident. Mais le lancement de son nouveau média citoyen numérique (L’impertinent), écrit par « des personnes comme vous et moi », se fait dans un milieu où des noms sont déjà très connus, tels qu’AgoraVox. Et c’est justement parce que ce secteur est déjà occupé par des formes de médias similaires que la survie de L’Impertinent (et sa capacité à réellement influencer) s’annonce difficile. Cette situation est très représentative du changement de paradigme de la communication politique, où les sources se multiplient et se diversifient, au coût de la fidélité des informés.
Un changement double dans la parole

Mais cet élargissement de la légitimité dans le discours politique se fait souvent au détriment du fact-checking. La diversité des sources d’information en politique signifie que les nouveaux médias doivent marquer leur différence, leur originalité ; d’autant plus qu’accéder à l’information est facile et rapide. Les nouveaux médias sont donc surtout des médias d’opinion, dont les sources ne sont pas toujours fiables et où la prétention à l’objectivité est abandonnée. Cela est vrai pour les fameux médias de l’alt-right américaine (Breitbart News par exemple) tout comme pour les sites de presse alternative de gauche radicale française (tels que Fakir). On peut remarquer que ces deux exemples sont dirigés par des personnalités politiques : le premier par Steve Bannon, ancien conseiller stratégique de Donald Trump, et le second par François Ruffin, député France Insoumise. Quoique tous deux issus de la société civile, ils ont maintenant des agendas propres, même s’ils prétendent aller contre la « vérité officielle » des médias traditionnels (Fakir se réclamant n’être d’« aucun parti politique, aucun syndicat, aucune institution » et « largement rédigé, illustré et géré par des bénévoles »).
Le problème de la nouvelle communication politique : la fin de la propagande ?
L’information et donc la communication politique se sont fortement complexifiées depuis le début de la Vème République. L’idée ancienne de la « piqûre hypodermique » de Lasswell, selon laquelle il est possible d’injecter un message dans l’esprit de la population par les médias, semble définitivement passée de mode.
Pourtant Sophia Chikirou, directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle, déclarait encore en septembre dans Quotidien : « Quand je conseille Jean-Luc Mélenchon (…) en communication, je pense propagande. »
Il s’agit d’une conception très classique de la communication politique, celle qu’il suffit de persuader pour propager ses idées. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, le récepteur sélectionne les messages qu’on lui envoie au lieu de rester passif, plus proche aussi des effets « limités et indirects » de la communication théorisés par Lazarsfeld.
Un nouveau paradigme de « marketing politique »
Aujourd’hui la communication politique doit donc se faire plus indirecte, travailler sur une image de marque du parti (et du candidat). Pour ce faire, elle s’appuie sur une mise en scène de la personnalité de l’homme politique et sur le « buzz », dont un bon exemple serait le discours par hologramme de Jean-Luc Mélenchon. Non seulement a-t-il été relayé et repris par les réseaux sociaux, qui à leur tour ont influencé les médias traditionnels, il a aussi propagé une image très humaine de Mélenchon chez ses partisans, presque « adorkable » – à la fois décalée et attendrissante.

Si cette personnalisation du politique peut dériver vers une « peopolisation » où les scandales personnels des politiques sont repris à outrance, elle marque avant tout une réappropriation du discours politique et un élargissement du public qui se sent concerné. Tout en étant un enjeu pour les communicants politiques au travail complexifié, elle marque un changement positif dans l’exercice démocratique.
Léa Andolfi
 
Sources :
François Serrano, « Le manifeste pour un journalisme citoyen », Mediapart, 14 octobre 2017, consulté le 18 /10/17 
Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Ellipses, septembre 2015
L’interview de Sophia Chikirou par Yann Barthès, Le Quotidien, 29/09/17 
Harold Dwight Lasswell, « Structure et fonction de la communication en société », 1948
Crédits de l’image de couverture :
Digital Vidya, consulté le 22/10/17