exhibitB
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Zoo humain : le racisme pour l'art

 

Cette semaine, les travaux subversifs d’un artiste sud-africain se sont introduits entre les murs d’un grand centre culturel et artistique parisien. Du 7 au 14 décembre 2014, le Cent Quatre accueille l’exposition Exhibit B de Brett Bailey. L’exposition propose aux visiteurs la reproduction d’un zoo humain du 20ème siècle. A travers une douzaine de tableaux vivants, des noirs sont exhibés et mis en scène dans des situations de domination raciale historiques et contemporaines.
Ce spectacle déambulatoire fait l’objet de polémique, notamment en raison de son caractère potentiellement raciste. L’intention artistique de Brett Bailey est d’établir un parallèle entre l’histoire coloniale et la situation actuelle des immigrés noirs, de déclencher des réactions pour mieux dénoncer l’horreur.
En dépit de sa bonne volonté, l’exposition reste un zoo humain, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, notre société permet toujours de voir des individus exposés comme des animaux, des noirs qui se donnent à voir aux blancs. Sans distanciation, la violence symbolique est réelle, actualisée. Un zoo humain qui illustre l’atrocité de la domination blanche est mis en scène pour en faire une expérience. L’argument artistique est dégainé, mais aurait-il été tout aussi artistique, pertinent et tolérable de mettre en scène des camps nazi pour dénoncer les actes antisémites contemporains ?

La blancheur hégémonique
De plus, Exhibit B constitue un exemple plus de l’hégémonie du « mâle blanc cishétéro », la catégorie des individus socialement dominants de la société à l’heure actuelle, celle qui dispose du plus de « privilèges » au sein de la société moderne, dont fait partie Brett Bailey. Ainsi, quelle sorte de légitimité sociale peut-on lui attribuer pour exprimer la voix des noirs opprimés du 20ème siècle et d’aujourd’hui ? Exhibit B, c’est un homme blanc qui tient au nom des noirs et de leur souffrance un discours sur l’oppression et la servitude : l’illustration même du monopole de la parole blanche dans l’espace public et social, de l’appropriation culturelle.
Pourtant, l’artiste ne prend pas en compte sa propre couleur de peau (ce qui est demeure logique, puisqu’elle n’a jamais été objet de revendication) : « Je ne pense pas qu’elle soit importante. On m’a demandé pourquoi moi, un blanc, je racontais des histoires de personnes noires. Mais Exhibit B est une pièce sur l’espèce humaine. La déshumanisation concerne les deux parties. Je suis simplement un homme blanc qui parle. »
La couleur de peau, pas si importante que cela ? C’est une idée paradoxale lorsque ses travaux artistiques et réflexifs traitent des questions coloniales et raciales, qu’il a lui-même vécu dans le camp social des dominants, notamment à travers l’expérience de l’Apartheid. Son parti pris esthétique est de mettre en scène uniquement des noirs bâillonnés et muets. Quelque soit l’intention de Brett Bailey, il s’agit d’une reproduction, d’une duplication des objets racistes sans détournement ni démarquage.

Un dispositif performatif
Les partisans qui luttent en faveur du spectacle de Brett Bailey se refusent presque à parler « d’exposition » pour qualifier cet événement vivant, il s’agirait alors davantage d’une « performance », notamment en raison de la présence de comédiens noirs qui se tiennent immobiles durant une centaine minutes. Lors de ce spectacle, l’artiste insiste sur la partie prenante que constitue le public. En déambulant près de ces douze tableaux, les spectateurs sont contraints à choisir : voir ou ne pas voir ce qui se déroule sous leurs yeux.
Ce spectacle présente alors une certaine forme de performativité, mais ce dispositif est-il réellement nécessaire pour dénoncer ? En soi, la réalité historique, qu’il s’agisse de zoos humains ou d’autres abjections de l’histoire de l’humanité, et son archivage suffisent d’ores et déjà à dénoncer la cruauté humaine. Cependant, Brett Bailey a jugé nécessaire de la réactualiser dans une perspective d’art engagé. Cela dit, peut-on parler d’ « engagement » en considérant l’absence de vecteur émancipateur de ce dispositif ?
Depuis quelques semaines, le collectif Contre Exhibit B manifeste pour son interdiction. Pour ces manifestants, cette performance artistique demeure essentiellement une forme d’exploitation et chosification délibérée du corps noir. En réalité, la censure n’a pas lieu d’être mais la question de la légitimité doit se poser.
Thanh-Nhan Ly Cam
@ThanhLcm
Sources :
altermondes.org
104.fr
slate.fr
Crédits photos :
Franck Pennant / AFP
Jane Barlow

Archives

Le street, c'est pas automatique

 
S’il y a encore un mariage qui fait débat, c’est naturellement celui de la publicité et du street-art. La tendance à cette association contestée n’est, certes, pas inédite mais elle poursuit sa systématisation et sa normalisation. Loin d’être encore perçu comme une expérimentation originale et périlleuse de la marque, le recours aux codes du street-art est désormais tristement banal. L’underground acéré s’est fondu dans la masse, à grands coups d’édulcoration et de censure. Exit les contenus politiques et sociaux contestataires, bienvenue dans le joli monde marketé du street-art gentillet.
Un mariage arrangé contre-nature
« J’essaie de faire de belles peintures et je m’arrêterai le jour ou la publicité ne m’agressera plus dans les rues » , nous dit le street-artist Lenz. Que penser aujourd’hui quand le street-art prend part au mécanisme de « pollution visuelle » qu’il prétend combattre ?
Le street-art et la publicité entretiennent originellement une relation conflictuelle, aux limites de l’antagonisme. Les Pixadores, groupe de graffeurs de São Paulo, appuient cette idée en présentant le street-art comme « une forme de protestation, de révolte idéologique ! » . Précisons que, ironie du sort ou appât du gain, ces mêmes défenseurs de l’art sauvage finiront par collaborer avec Puma en 2012 (Puma x ASOS dans « OS PIXADORES »).
L’acte originel de la profanation de l’espace publicisé (ou simplement urbain) a aujourd’hui ouvert la voie à son contraire. Le contre-dispositif qui se met en place depuis quelques années investit la publicité non plus comme victime du street-art mais bel et bien comme instigatrice et mécène de celui-ci. Le mouvement audacieux et subversif est devenu un enjeu économique, tombé dans la production à la chaîne et instrumentalisé à des fins marchandes.
Le street-art pour tous ?
La question majeure qui se pose est celle de la légitimé et de la pertinence d’une marque à communiquer via les codes esthétiques et culturels qui sont ceux du street-art. Se dessinent alors plusieurs cas de figure, que l’on peut distinguer en fonction du degré de cohérence entre l’ADN de la marque et les valeurs portées par l’art de rue (la transgression, la contestation…).
Les « vrais » de la street

Keith Haring pour Reebok (à gauche) – Modèle Toki de Nike (à droite)
Ces « vrais de vrais » sont à chercher parmi les marques qui, à l’instar de Reebok ou de Nike, ont fondé leur image même sur cette « culture de la rue ». Les collaborations avec des street-artists ou les featurings avec des rappeurs se justifient par le fait qu’ils coïncident avec la volonté de la marque de se positionner en tant que pseudo « sub-culture » revendicatrice.

Le street-artist Niark à l’œuvre dans le métro pour la campagne
« Shoes are boring, wear sneakers » de Converse
Dans cette même catégorie, on retrouve les marques qui exploitent le filon de la provocation et de l’anticonformisme. Converse, avec sa campagne « Shoes are boring, wear sneakers » , dont les affiches ont été « vandalisées » volontairement par des street-artists, ou avec l’aménagement de son pavillon (au bord du canal de l’Ourcq) par l’artiste Supakitch propose une véritable collaboration entre l’art de rue et la publicité.
Les surfeurs superficiels
Ce phénomène de « street-artification » a particulièrement le vent en poupe chez les marques de boissons : on ne compte plus le nombre de bouteilles collectors en édition limitée issues des collaborations Marque/Street-Artist (Hennessy, Perrier, Malibu, J&B, Kronenbourg…). Le mouvement a également trouvé un écho dans la fashion sphère, où les marques de vêtements de luxe et semi-luxe ont toutes plus ou moins exploité les codes graphiques du street-art (Kongo x Hermès, Honet x Lacoste…).

Le manquement fondamental de ces marques est d’envisager le recours à ces « arts décalés » comme une formule magique à même de satisfaire leur aspiration à s’inscrire dans l’air du temps et à toucher un public jeune et branché.
La directrice marketing France de Perrier souligne en effet, dans le cadre de la collaboration « Inspired by Street-art » , la volonté de « parler à des gens avec lesquels [la marque] ne parle pas d’habitude », entendons « les jeunes urbains ».
Or, dans le monde de la communication, les échecs retentissants provoqués par ce type de raccourcis maladroits sont légion. Si peindre un 4×4 en rose n’en fait pas pour autant une voiture destinée aux femmes, si parler verlan n’est pas la garantie de toucher un public jeune, « faire à la manière» du street-art ne suffit pas à transformer une marque en the brand to be.
Le risque encouru, via ce genre de raisonnement littéral, est de tomber dans la gratuité de l’esthétique et dans l’absence de discours de marque au-delà. Le rapport entre le street-art et la marque devient indéniablement superficiel au sens où cette dernière est davantage dans l’imitation de codes visuels que dans l’incarnation de valeurs fortes.
La journaliste Catherine Cochard le formule clairement : « L’art est soumis aux règles de la tendance et celle-ci est actuellement urbaine » . Les marques, dans leur désir d’actualité et d’attractivité, sont ainsi les premières à surfer sur cette vague.
Les opportunistes illégitimes

La Collection Street-art de Monoprix, lancée en cette rentrée 2014, symbolise la dénaturation et la négation la plus complète du mouvement artistique qu’est le street-art. La marque a banalisé au plus haut point la tendance et a destitué l’œuvre d’art pour en faire une pure marchandise. L’absence de signature d’un artiste en particulier, au profit d’un englobant « Collection Street-art », marque l’apparition de biens de consommation sérialisés et anonymes, dont seule l’esthétique désincarnée évoque vaguement les graffitis urbains. Dans ce lieu de distribution grand public qui propose la customisation de produits domestiques (torchon, gant de cuisine, culotte…), l’art a disparu, le street aussi.
Monoprix, qui s’est démarqué sur d’autres collaborations bien plus réussies, a malheureusement endossé le mauvais rôle cette fois-ci. Alors que le recours au street-art se limitait, jusque-là, à des campagnes publicitaires et des produits de niche, l’initiative malhabile de la marque fait jouer au mouvement artistique urbain son dernier acte : celui de sa néantisation.

Détournement des codes visuels des packagings Monoprix par Martin Parker, adepte
de urban hacking, pour dénoncer la « Collection Street Art »
Le divorce radical entre l’annonceur et l’urban-artist n’est pas nécessairement souhaitable. Il serait simplement bon que certaines marques osent fermer leur porte et laisser le street-art à la rue.
Tiphaine Baubinnec
http://www.linkedin.com/pub/tiphaine-baubinnec/75/76/995
Sources :
slate.fr
digitalhunter.fr
allcityblog.com
fabula.org
midilibre.fr
Crédits photos :
street-rules.com
buzzly.fr
fraisfrais.com
monoprix.fr

Publicité, Société

No Ad: l'art, un danger pour la publicité?

 
 Deux mots, une idée:
NO AD c’est la nouvelle application smartphone pour iOs et Android lancée par deux américains, Jordan Seiler et Jowy Romano, artistes militants qui utilisent l’espace public comme nouveau lieu d’expression. La rencontre de deux esprits rebelles, passionnés d’art a donné naissance à cette application (en réalité augmentée) qui permet de remplacer les prints du métro new-yorkais par des œuvres d’art du Centre International de la Photographie en utilisant ces derniers comme des QR codes. Une initiative audacieuse puisqu’elle fait du métro de New-York un nouvel espace d’exposition pour les artistes partenaires, posant ainsi la problématique des champs d’expression possibles pour l’art et les marques. Néanmoins, une question subsiste : dans quel but?
3 000, c’est le nombre moyen de messages publicitaires auxquels nous sommes confrontés tous les jours! Les transports en commun, la radio, Internet : que l’on soit chez soi ou encore dans la rue, les marques sont omniprésentes voire « intrusives ». Il apparaît alors pertinent de se demander: et si trop de pub tuait la pub?
Assurément, les champs d’expression des marques n’ont plus aucune limite : si l’on peut tourner les pages d’un magazine ou zapper la chaîne de télévision qui diffuse notre série préférée pour la quatrième fois en une heure, il semble difficile de ne pas prêter attention aux panneaux publicitaires format 4×3 dans les rues ou dans les transports en commun, tout comme les pop-ups qui apparaissent sur tous les sites Internet que l’on visite. Et c’est précisément ce processus qui fait aujourd’hui l’objet d’une violente critique : cette communication envahissante, presque agressive, qui ne cesse de se perfectionner par le biais de stratégies de plus en plus ciblées et omniprésentes.
En effet, si le nom de cette application est si explicite, c’est qu’il y a aujourd’hui et depuis quelques temps déjà un rejet de la publicité, une indifférence face à tout ce « bruit publicitaire». On remarque ainsi, qu’un véritable courant anti-pub prend forme : contestataire et parfois violent, il s’exprime au travers du « brandalism » (le vandalisme des panneaux publicitaires), du boycott de certaines marques mais aussi des revendications moins agressives mais plus impactantes auprès des publics, comme le street-art. A la manière de Keith Haring dans les années 80 qui fit des rues de New-York sa toile XXL ou encore de Banksy, l’anonyme anti-système par excellence qui continue à faire des murs des plus grandes villes du monde de véritables œuvres dénonciatrices et provocantes, les partisans du « no-ad » s’emparent de l’espace public pour y exprimer leur message.

Ils entendent donc dénoncer « un système publicitaire agressif », palier à la « manipulation des esprits » et à « une pollution du paysage » qui poussent désormais une grande partie des consommateurs à ignorer ces nombreux messages. Voire, à y être complètement indifférent.
C’est donc dans l’optique d’une réappropriation des espaces publics, actuellement pris d’assaut par les marques, et de la collaboration de ces deux artistes, Jordan Seiler (un graffeur anti-pub) et Jowy Romano (le blogger/artiste du métro de la Big Apple), que No Ad est née.
Jordan Seiler parle, pour sa part, de « sensibilisation à l’environnement qui nous entoure, qui est à la fois un espace de vie et un espace d’expression ». Il réaffirme cependant, qu’en aucun cas ce projet ne veut « encourager quelque dégradation que ce soit ou n’importe quelle autre forme d’art illégal dans les espaces publics ».
Si l’application n’est pas totalement au point et ne sert aujourd’hui qu’à admirer les œuvres d’art au travers de l’écran de nos smartphones, elle est certainement l’une des plus prometteuses en la matière: No Ad ne pourra en effet pleinement montrer son efficacité qu’avec le système des Google Glass, par exemple. Pour les deux instigateurs du projet, il s’agit davantage d’une preuve de concept (POC) à développer en parallèle des nouvelles technologies à venir.
Enfin, en attendant l’arrivée de l’application dans les stations du métro parisien, la RATP ouvre, dès ce mois-ci, ses quais au photographe américain Garry Winogrand qui fait en ce moment l’objet d’une exposition au musée du Jeu de Paume. Vous pourrez admirer ses photographies dans seize stations et gares de la RATP jusqu’au 8 février prochain.
Prise de conscience ou simple initiative au profit de l’art de la rue? A suivre…
A tous les Curious, qui voudraient essayer l’application No Ad: malheureusement la démo du site ne fonctionne pas mais je vous invite à faire un essai sur la photo ci-dessous (qui se trouve déjà être une œuvre de l’artiste Poster Boy) pour vous donner un petit aperçu.

Et pour ceux qui veulent faire un petit tour sur le site de l’application, c’est par là !
En bonus, une petite vidéo qui lèvera le voile sur cette appli futuriste !
Alizé Grasset
Sources
Noad-app.com
Subwayartblog.com
Vimeo.com
Nytimes.com
Animalnewyork.com
Crédits photos:
noad-app.com
blogspot.com
lifeproof.fr

Diesel
Société

Tatouez-moi du naturel

 
Un teint « naturel », une poudre discrète, des BB Crèmes, des CC Crème (des DD Crèmes ?), des correcteurs, du vernis pastel, des produits bios, des couleurs nudes, des tatouages… Cherchez l’intrus !
 Avec l’intrusion du tatouage au musée du Quai Branly à Paris, le roi de l’art corporel fait son grand retour dans la presse : Marie-Claire et son alter-ego gratuit Stylist, Konbini, L’Express Style, et sûrement d’autres. « Tatoueurs Tatoués » c’est donc l’exposition du moment qui revendique « la dimension artistique et le poids dans l’histoire de l’art » de la « discipline ». Effet de mode ? Pas seulement. L’exposition met en effet l’accent sur l’évolution du tatouage, de sa naissance dans les sociétés qualifiées de « primitives » à sa démarginalisation, voire à sa banalisation actuelle. D’une pratique sociale, mystique et/ou religieuse, il est aujourd’hui tendance, branché, accepté. Un point perdure néanmoins : il s’agit d’un « ornement corporel » et « même d’un art à part entière. »
 On pourrait alors replacer cette exposition dans cette atmosphère généralisée du « retour en arrière ». Après tout « il s’agit à ce jour de la plus grande rétrospective jamais consacrée au tatouage en France » (Konbini), dans une logique de fond similaire à celle de l’exposition « Pixar, 25 ans d’animation » (novembre 2013, Art Ludique), à celle du Musée de la Mode de Paris intitulée « Un siècle de photographie de mode » ou encore à celle en mémoire de Kurt Coben à l’Addict Gallerie. Dans le même esprit également que la vague rétro, la tendance fripe et la mode récup’.
Coca-Cola retrouve ses ours, Benefit utilise la pin-up. Rien n’est nouveau, rien n’est révolutionnaire, tout est revenu, et tout est lié. Le passé revient, et avec lui la simplicité, le style épuré, sain, écolo, bio, naturel. Et voici comment de l’idée d’un art d’esthétiser son corps par l’artifice du dessin, aussi historiquement ancré soit-il, on passe à celle d’une tendance générale qui retourne au naturel champêtre, où du moins à son apparence.
 Corrélation ? L’artifice servant la tendance du naturel. Paradoxe ? Le tatouage s’affichant sur des peaux « nues ». Les millions de selfies publiés sur Instagram l’ont témoigné : une mode des visages dénués de maquillage en gros plans, ou le « no make-up selfie », en réaction peut être à la construction d’un monde social virtuel autour de l’image, est entrain de régner. « Demi Lovato pose sans maquillage sur Instagram » publie Cosmopolitan  il y a quelques jours sur son site. Aujourd’hui, il s’agit de s’afficher décoiffé, au saut du lit, voire même après le sport. Out le fond de teint pâteux et épais, les crèmes teintées envahissent nos salles de bain (et ne vous croyez pas épargnés messieurs, ça arrive…). Parce que le « no make-up » ne signifie « no artifice ». Comme pour tout, les progrès cosmétique d’aujourd’hui servent la tendance rétro/bio que pour mieux se développer et accroître la vente de produits. Les allures se veulent respirant le naturel, mais on n’a jamais autant consommé de crèmes de beauté, qu’elles soient de jour, de nuit, antirides, anti-sébum, achetées en pharmacie, en para, en supermarché, en magasins spécialisés. Selon le site de statistiques planetoscope, « les ventes de cosmétiques en France ont atteint 7 milliards d’euros en 2008 (et) les succès cosmétiques de 2012 ont été des nouveautés maquillage comme les BB crèmes ». De même, face au géant L’Oréal, des acteurs locaux plus petits, notamment le Laboratoire Nuxe et Caudalie, ont, en se positionnant sur le naturel, « pu convaincre les consommateurs de la valeur ajoutée de leurs produits, notamment pour tout ce qui concerne les soins de la peau. »
 
L’objectif initial: récolter de l’argent pour une association qui lutte contre le cancer. Une opération qui s’est transformée en véritable buzz grâce à une jeune fille de 18 ans, Fiona Cunningham.
Vous l’aurez compris, on ne plaisante pas avec notre peau : on la purifie, on la protège, on la nourrit, on la tatoue. L’artifice n’est alors plus au service d’un apparent naturel mais revendique et affirme son caractère superficiel et contre-nature. La tendance sociétale nous incite à s’assumer ou à en donner l’impression. On accepte nos petits défauts cutanés, on dissimule les grands, et on marque notre peau. Le tatouage avait toujours été un outil de revendication des marginaux, un moyen de plaider leurs différences et de les rendre visible aux yeux de tous, à la fois pour se distinguer et pour se reconnaître « entre eux ». Aujourd’hui, il apparaît clairement que le tatouage ne distingue plus. Alors à quoi sert cet artifice au milieu de cet engouement pour le naturel ? Marquer la peau, c’est pourtant créer une différence. Se maquiller change notre visage, le différencie d’un jour à l’autre, d’une soirée à une autre. Actuellement, cette différence semble moindre : on n’utilise moins le maquillage pour marquer que pour paraître « naturel » et dissimuler. Le tatouage ne différencie plus non plus. S’il conserve parfois un aspect communautaire avec l’idée d’une grande « famille des tatoués », avec l’idée du « ça y est, on l’a fait », seul sa dimension artistique semble réellement perdurer. C’est peut être en ce sens là que l’exposition du Quai Branly doit se comprendre : il s’agirait moins d’une rétrospective de l’histoire du tatouage que d’une justification de la valeur qu’il continuerait à renfermer, à la fois en terme de savoir-faire et d’art, malgré sa banalisation. Dans un présent où les outils de différenciation se font de plus en plus rare,  où les visage s’homogénéisent en même temps que les silhouettes, il s’agirait (peut-être) pour « Tatoueurs tatoués » de réintroduire, grâce à l’histoire, de la spécificité dans une pratique qui semble avoir perdu sa singularité.
Eugénie Mentré 
 
 

Société

Une affiche un peu gourde

 
En vous promenant récemment dans la rue vous aurez peut-être remarqué l’affiche du Ministère des droits des femmes. Cette affiche représente une gourde rouge, sur laquelle on peut d’ailleurs lire « gourde », accompagnée de la légende « Ceci n’est pas une femme ».
Référence directe à l’œuvre de Magritte intitulée « La Trahison des images », où l’on voit un dessin de pipe avec en dessous cette fameuse légende « Ceci n’est pas une pipe », cette affiche se révèle assez troublante, et ce pour une multitude de raisons.
Tout d’abord voici les deux œuvres :

Ma première réaction fut un froncement de sourcil.
Malgré son esthétique et le logo du Ministère du droit des femmes, l’affiche m’a agacée et, quelque part, agressée. Probablement parce qu’il m’a semblé qu’un tel message avait quelque chose de dégradant en soi. Comme si cette affiche obligeait la société à revenir de nombreuses années en arrière et que la lutte féministe recommençait tout depuis le début? comme si en 2014 pour un défenseur du droit des femmes l’objectif majeur était encore de contrecarrer un préjugé qu’on pourrait croire totalement dépassé, celui que « la femme est une gourde ».
Ce retour en arrière semble nier tous les progrès sociétaux qu’a connus la femme – et l’image de la femme – depuis plus de soixante-dix ans. Si l’affiche tente de démontrer qu’une femme n’est pas une « gourde » cela revient à partir du principe que c’est la doxa. plutôt : cela revient à partir du principe que, pour la doxa, la femme reste une gourde.
Une caricature qui génère plus de pessimisme que d’optimisme donc, tout en rabaissant insidieusement la femme.
Mais revenons plutôt à la référence à Magritte. En effet, il est troublant de remarquer à quel point la première impression de malaise se conforte après une analyse plus poussée du sens de l’affiche.
L’œuvre de Magritte tend à mettre en exergue la différence entre l’objet matériel – l’objet réel pour l’artiste – et la représentation de cet objet. Ainsi la pipe de son œuvre n’est pas une vraie pipe, mais seulement une représentation d’une pipe. Une œuvre qui, sous ses airs faussement naïfs, invoque de grands questionnements philosophiques. Elle invite à réfléchir afin de saisir la subtilité et le bon sens qui naît du dépassement d’une double contradiction-opposition : celle entre signifié et signifiant ; entre une image et sa légende.
Or l’affiche du Ministère des droits de femmes reprend exactement les mêmes codes visuels et langagiers que l’œuvre de Magritte. La personne qui la regarde se retrouve donc implicitement invitée à appliquer la même gymnastique intellectuelle que requiert l’œuvre de référence.
Si « ceci n’est pas une femme », c’est parce que c’est seulement une représentation de femme… La femme est donc une gourde. L’opposition entre texte et image invite à réfléchir, mais elle n’atteint pas le résultat espéré. L’affiche se révèle alors contre-productive et dessert sa cause.
En pleine période de débat autour sur la théorie du genre et sur l’existence même d’un tel ministère cette affiche ressemble finalement a une opération… Qui tombe légèrement à côté. L’affiche avait pourtant tout pour elle : une esthétique irréprochable et un clin d’œil intéressant. Trop de maladresses annihilent la portée du message que le Ministère du droit des femmes cherche à véhiculer à travers cette affiche, qui avait pourtant le mérite d’être originale.
Retrouvez ici une gourde pas si gourde… ou un exemple de campagne particulièrement réussie.

Si le sujet vous intéresse, FastNCurious a creusé la question du ridicule comme arme pour communiquer contre le sexisme
Maud Espie

Vermibus
Publicité

Passage sous acide : quand Vermibus dissout les affiches de pubs

 
Le projet « Dissolving Europe », la mise à mal des affiches publicitaires de l’adbuster Vermibus
Dissolving Europe est le nouveau projet d’art public du street artiste berlinois, Vermibus. Dans un road trip de 18 jours, il s’est muni de ses pinceaux et de dissolvant afin de s’attaquer aux affiches des panneaux publicitaires et de les modifier à sa guise. Comme il l’explique sur son site web, le cœur de son projet a pour objectif de « détourner physiquement et temporellement le monde occidental des affiches publicitaires au nom des beaux-arts ».
Ainsi, il est intervenu dans 6 pays européens différents et a réalisé une centaine d’œuvres.

Dissolving Europe : au cœur d’un processus « anti-pub »

On pourrait dire que le projet du street artiste Vermibus se présente sous la forme d’une chronologie d’actions permettant, ainsi, une réelle immersion dans sa campagne de sensibilisation sur la pollution publicitaire.
Dans un premier temps, Vermibus choisit soigneusement l’espace urbain dans lequel il souhaite opérer, s’attaquant le plus souvent à des panneaux publicitaires proches de grands magasins de luxe.
Il récupère et rassemble les affiches publicitaires laissant, en apparence, vide de sens ces grands panneaux d’affichage lumineux. La première phase de son projet est enclenchée : un souffle d’air frais est créé et notre environnement urbain devient, le temps d’une journée, plus lisse, plus épuré.
En même temps, il retravaille dans son atelier les affiches récupérées à coup de pinceaux et de dissolvant. Les modèles, beautés plastiques et imaginaires de la perfection, sont alors déformés, voire même déshumanisés, se transformant tels des spectres aux silhouettes effrayantes.
Une fois satisfait de son œuvre, les publicités sont replacées dans leurs environnements initiaux et ainsi dévoilées au consommateur.
A travers son œuvre, notre espace urbain, excessivement rempli d’affiches publicitaires similaires et fades, retrouve un second souffle où le regard du consommateur est hypnotisé par cette dénaturalisation, parfois extrême, des modèles. Les photographies originales prennent un tout autre sens et deviennent de réelles œuvres d’art.
Un acte anti-consumériste et bien plus !
Dans un environnement où le matraquage publicitaire est devenu monnaie courante, Vermibus s’attaque à cette pollution visuelle et s’engage dans un processus créatif anti-consumériste. Télévision, Internet, mur, métro, building, etc., tout est devenu bon pour pousser le citoyen à dépenser et à consommer.
En plus d’être omniprésente, la publicité est construite de manière insidieuse, elle s’ancre en nous et reste bien présente dans nos esprits.
A travers les différentes techniques de marketing, elle joue sur nos affects et surtout nous transmet des représentations sociales, des normes et des critères physiques qui cadrent nos vies ; présentés comme le seul protocole valide de mode de vie.
Ainsi, l’œuvre de Vermibus va bien au-delà de la simple critique consumériste, elle nous transporte et dénonce publiquement notre aliénation à ce protocole.
Ce street artiste rompt avec les traits d’une génération hautaine et sans vie en effaçant la froideur macabre des mannequins.
Avec ses solvants, il s’improvise chirurgien et éclate les représentations sociales et physiques qu’on souhaite nous faire intérioriser, en remodelant à sa guise les corps et les expressions des modèles.
La plupart des logos sont effacés incitant directement à démanteler la suprématie des marques. La chair semble dissoute, les visages sont défigurés, marqués par des regards à la fois perçants et vitreux, créant une sensation de malaise, sans pour autant que le consommateur ne puisse détacher son attention de l’affiche.
Ces spectres sombres et torturés nous envoûtent, nous fascinent mais surtout nous permettent de nous interroger et de nous mettre face à notre propre aliénation afin de nous faire réagir et de nous faire prendre conscience de la prééminence purement capitaliste qui régit nos sociétés.
Les spots publicitaires fades des marques de vêtements ou de parfums, qui s’accumulent et s’amoncellent indéfiniment au sein de notre société, sont alors manipulés, détournés et acquièrent pleinement leur caractère dénonciateur et engagé.
En s’improvisant poseur d’affiches, Vermibus crée un vrai chef d’œuvre et nous transporte pleinement au sein de sa campagne de sensibilisation.
Chapeau bas l’artiste !
 
Adeline Reux
Sources :
Konbini.com
Brooklynstreetart.com
Opnminded.com
Crédits photos :
Thomas von Wittich

Les Fast

Le Google Lab, une nouvelle étape dans la domination du géant américain de la sphère culturelle ?

 
Plus de 32000 oeuvres dans 46 musées : c’est ce que propose le Google Art Project et son ambition de « démocratisation de la culture ». Tout un chacun peut désormais avoir accès numériquement aux collections du monde entier, se déplacer dans leurs salles et zoomer au plus près des pigments des peintures. Google a ouvert deux autres projets culturels dans le cadre de son Institut : le World Wonders permettant de visiter en Street View les sites du patrimoine international  et des vidéos et photos reconstituants des évènements historiques.
Une étape supplémentaire a été réalisée en décembre dernier : l’ouverture du Lab à Paris, où plus de 300m2 sont consacrés à la rencontre d’artistes et de directeurs d’institutions culturelles avec des ingénieurs du géant américain. Si ce Lab est aussi une résidence d’artistes, Google peut désormais trouver sa place dans la maîtrise de l’art contemporain, en offrant notamment aux résidents la possibilité de traiter avec les dernières technologies.
La marchandisation de la culture et du patrimoine mondial est-elle la visée à long terme de ce projet ? Ou est-ce la mise sous égide de l’art par Google, depuis l’époque médiévale jusqu’à l’art contemporain en train de se faire ou de s’inventer ? Cette « passion de l’art » selon le fondateur de l’Institut, Amit Sood, a un coût qui s’élève à 36,8 Millions d’euros. Si les questions restent ouvertes quant à la place désormais incontournable de Google dans le secteur culturel, pourquoi ne pas envisager une véritable collaboration de cette structure avec les musées, les galeries, les fondations, afin de leur donner l’occasion de trouver de nouveaux publics et des idées pour construire l’avenir du monde de l’art.
 
Joséphine Dupuy Chavanat

Agora, Com & Société

Banksy, ou l'art sur une frontière.

 

Banksy est certainement le street-artist contemporain le plus médiatisé de ces cinq dernières années. Bien que son identité soit entourée de mystère (il serait anglais et né en 1974 d’après Wikipedia), ses moindres faits et gestes artistiques disposent d’une couverture médiatique ahurissante, tel la Une du New-York Post la semaine passée. Bien peu d’artistes contemporains peuvent se targuer d’une si grande reconnaissance publique. Souvent adulé, parfois détesté, Banksy semble être le modèle de l’artiste d’aujourd’hui : people mais caché, underground mais pop, illégal mais moralisateur.
Cependant, ses derniers travaux new-yorkais n’ont-ils pas montré de façon définitive les limites du travail de cet homme évoluant toujours à la frontière de ce qu’il dénonce : le consumérisme et la bien-pensance ?
Depuis un mois, Banksy navigue dans New-York au gré de ses projets artistiques et dévoile quotidiennement une nouvelle « œuvre » sur un blog (http://www.banksy.co.uk/) ouvert à cette occasion. Le nom du projet ? « Better out than in », mettant ainsi en exergue de nouveaux travaux de rue. Un « happening » de cette résidence new-yorkaise m’a interpelé et a accaparé les médias la semaine dernière : près de Central Park, un homme d’un certain âge proposait sur son stand des toiles authentiques et signées de Banksy au prix dérisoire de 60 dollars. Le stand semblait tout à fait commun et aucune communication particulière n’était faite pour le promouvoir. Le consommateur ne savait plus si les œuvres vendues étaient vraies ou non, et s’en voyait décontenancé. L’artiste anglais publia sur son blog le lendemain de cette opération une vidéo dans laquelle il divulgua les dessous de cet évènement et reconnut être à l’origine des toiles.
Banksy a toujours souhaité dénoncer les affres du capitalisme, du communautarisme, de la guerre, de la marchandisation du monde. Il souhaite ici montrer du doigt toutes les stratégies de communication qui entoure les grands évènements artistiques récents et qui, selon lui, créent des buzz factices, détournant le public des véritables qualités artistiques des travaux qu’ils vont voir. Le peu d’œuvres vendues (malgré leur prix dérisoire) sur le stand de Central Park semble corroborer son analyse, montrant que l’absence de communication n’a pas permis une vente qui aurait pu être historique.
Il est vrai que le marché de l’art est un marché d’influence, de bulles spéculatives créées artificiellement par d’importantes galeries ou par d’importants acheteurs qui orientent et guident le marché au travers de grands évènements et de grandes campagnes de communication. Cependant, ce constat est vrai pour tout marché, et la nécessité de communiquer vaut pour tout produit, même culturel.
Banksy souhaite t-il alors dénoncer la marchandisation de l’art ? Il a lui-même profité de ce mouvement en vendant certains de ses travaux lors d’expositions au « buzz » parfait, dans lesquelles le « tout Los Angeles » s’est précipité. Officiellement, les fonds ainsi récoltés lui permettent de conserver sa liberté artistique. Banksy avance alors dans un flou certain, sur la ligne jaune entre dénonciation de la marchandisation et le « marchandising » du monde artistique dont il a profité. Les arts de rue sont désormais tombés dans la culture populaire, et dans un monde de marchandisation. Banksy a été l’un des chefs de file de ce mouvement, et a ouvert les portes des galeries d’art à toute une génération de street-artists.

Banksy déclare vouloir « Faire de l’art sans prix ». Il propose alors sur un stand new-yorkais ses œuvres à une somme misérable face à celle du marché, et ne communique pas dessus. Mais alors, pourquoi publier le lendemain une vidéo montrant le stratagème et faisant, de facto, augmenter le prix des œuvres ? Pourquoi ne pas taire cette information et laisser l’art pour l’art, lui qui souhaite sortir la culture du système marchand ? En le dénonçant, il l’encourage.
Banksy, vous ratez l’évident : l’art qui n’a pas de prix, c’est l’art de la rue, celui qui se trouve sur les murs des immeubles. Stoppez le travail que vous fournissez sur toiles. Ce sont vos tags qui ne disposent d’aucune valeur marchande. C’est ce travail qui rend unique vos pochoirs reproductibles puisqu’il se crée en situation, dans un lieu particulier, dans des conditions particulières. C’est cela l’art de rue : un art de l’éphémère mais de l’unique, qui parle sans stratégie de communication ni murs prestigieux de galeries ou d’institutions. Banksy, si vous souhaitez faire vivre l’art hors de la marchandisation, contentez-vous de faire de l’art sur les murs, et cessez d’utiliser votre talent sur des supports qui ne sont pas les vôtres.
Adrien Torres
Sources
Nouvelobs.com
Banksyny.com

mucem marseille
Société

Inauguration du MuCEM : une communication en béton ?

Désormais, les voyageurs qui arrivent par les flots à Marseille ne seront plus emprunts de tristesse provoquée involontairement par le Fort Saint-Jean, dévasté il y a un demi-siècle par les bombardements. A tribord, ils peuvent admirer le Fort entièrement rénové, à côté duquel se dresse sur l’esplanade du J4 le Musée des Civilisations d’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), habillé d’une fine dentelle de béton. Ce cube minéral, admirable geste architectural de Rudy Riccioti, fait face à la mer ainsi qu’au mistral et côtoie le Vieux-Port qui ne perd pas de son charme face à la modernité apparente du MuCEM. Révélé à la presse mardi dernier avec comme invité d’honneur le président de la République, puis ouvert officiellement au public le vendredi, le MuCEM ouvre la seconde saison du programme des festivités proposées dans le cadre de Marseille-Provence 2013.
Quel rôle peut jouer l’inauguration très médiatisée du MuCEM dans la promotion des manifestations culturelles qu’accueille Marseille, Capitale Européenne de la Culture 2013 et sa région ? Comment ce nouvel espace culturel a-t-il été promu au sein du territoire régional et national ?
Le MuCEM en campagne
« Les Marseillais sont enchantés par ce lieu qui masque une sensibilité territoriale, (qui) exprime un autre horizon plus marin. C’est un lieu qui est poreux à l’imaginaire » déclare Rudy Riccioti à propos du MuCEM. Reste à savoir si les responsables chargés de la campagne de communication pour l’inauguration du MuCEM ont été aussi sensibles à cet imaginaire que ne le prédit l’architecte.
« Vous aussi, rejoignez la campagne du MuCEM ! »
Le MuCEM était entré en campagne dès Décembre 2012, sous l’égide de l’agence Dream On. A cette période, les Marseillais ont pu voir les rues de leur ville envahies par des affiches sur lesquelles figuraient des portraits de Marseillais accompagnés d’un slogan qui résumait ce que le MuCEM représente pour eux. Ainsi, Paul, photographe de La Plaine, déclarait « En Juin 2013, on arrête de mettre les grands musées à Paris » ou Fabrice, poissonnier-restaurateur, annonçait qu’« En juin 2013, la Méditerranée sera un vrai bouillon de culture ».

Dream on a souhaité impliquer les marseillais dans ce projet culturel en mettant en scène leur propre parole délivrée dans l’espace public. Cette campagne s’est faite à l’issu d’un concours qui proposait aux Marseillais de personnaliser leur photo au moyen d’une application Facebook dédiée, pour ensuite proposer un slogan individuel qui traduisait la façon dont ils percevaient le MuCEM. Les dix photos qui ont obtenues le plus de like sur le réseau social ont été sélectionnées pour participer à la campagne.
Ainsi, les Marseillais se sont fait les portes paroles de leur cité. Une parole souvent irrévérencieuse, humoristique et même polémique, avec un accent toujours marseillais. “Nous avons fait ce choix car nous souhaitons que les Marseillais s’approprient le MuCEM” explique Julie Basquin, responsable du département Communication et du Mécénat du musée.
En souhaitant privilégier le marketing participatif, cette campagne a au moins eu le mérite d’investir les habitants de Marseille et de la Provence dans ce chantier phare de MP 2013, duquel ils avaient pu se sentir exclus lors des débats concernant sa construction. On peut également parler de crowdsourcing, c’est-à-dire de la mobilisation d’un grand nombre de personnes pour favoriser une certaine forme de créativité dans l’argumentation publicitaire. L’intérêt de cette campagne est qu’elle ait stimulé une parole, consensuelle ou non, autour de ce lieu. Dans un premier temps, il était nécessaire que le MuCEM soit l’occasion de « faire parler » avant de « faire agir », d’autant plus que son inauguration en juin laissait le temps à cette campagne de pouvoir fonctionner. Bien évidemment, la campagne empreinte également quelques caractéristiques au story-telling, avec l’idée majeure que le MuCEM délivrerait un récit mythique, social, historique sur les civilisations européennes et méditerranéennes. Cette parole est toujours fortement encrée dans un cadre spatio-temporel, en étant sans cesse accompagnée du leitmotiv « en juin 2013 ».
« Toute la Méditerranée se raconte au MuCEM »

En ce moment même et depuis quelques semaines, une seconde vague d’affichage est destinée à exposer le positionnement de l’institution, en mettant en scène des figures qui incarnent les peuples du bassin méditerranéen. Etendue au territoire national, la campagne montre tantôt une femme d’un certain âge coiffée d’un hijab, tantôt un enfant habillé d’une tunique. En arrière plan se distingue des paysages méditerranéens, et les portraits sont accompagnés de slogans comme « Toute la Méditerranée s’émerveille au MuCEM », « Toute la Méditerranée se raconte au MuCEM », ou encore « Toute la Méditerranée s’expose au MuCEM ». L’usage de verbes pronominaux, qui permettent de faire des peuples méditerranéens les acteurs de ce musée avant l’institution elle-même, reste pertinent. En revanche, on ne peut qu’être déçu face à la pauvreté esthétique des visuels, qui reposent essentiellement sur un imaginaire populaire archétype et ne délivre rien du véritable « imaginaire » dont parlait Riccioti à propos du MuCEM.
On ne peut également que regretter le fait que la campagne ne réinvestisse pas l’incroyable effet visuel qu’offre l’architecture du MuCEM (et celle de ses collections), notamment la résille de béton aux formes sensuelles et poétiques. En France, il y a quelques jours encore, le MuCEM ne bénéficiait pas d’une grande visibilité. Cette campagne n’aura certainement pas encouragé la population ni à s’y intéresser ni à venir découvrir ce lieu si incroyable, cet événement à ce point majeur pour la ville de Marseille et MP 2013 qu’est l’inauguration de cet espace culturel.
Mais quoi qu’on puisse penser de la campagne, l’ouverture du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, fortement relayée dans les médias, aura réactualisé les manifestations de Marseille-Provence 2013, et constitue à elle seule un levier médiatique et communicationnel incroyable pour Marseille et la Provence, qui n’ont pas fini de nous faire rêver.
Sources :
Site officiel du MuCEM
Site de la campagne de communication du MuCEM 
Site de l’Agence Dream on
Article sur le Monde.fr
Margaux le Joubioux
Annexe :
 
Le MuCEM en quelques chiffes :
167 millions d’euros pour construire ce monstre architectural
44000 m2 pour partager la Méditerranée
250000 œuvres exposées
300000 curieux et passionnés attendus pour l’année 2013
12 ans de discussions, débats, polémiques pour arriver à l’ouverture de cette incroyable bâtisse.
4 années de construction, travaux, études de terrain pour parvenir à ce cube minéral.
3 sites : le Fort Saint-Jean rénové, le Centre de Conservation et de Ressources dans le quartier La Belle de Mai et l’espace construit sur le J4, dessiné par Rudy Riccioti
1 ville : la Cité Phocéenne pour accueillir ce fabuleux espace culturel

Damien Hirst Requin
Com & Société

Damien Hirst, star des jeux olympiques ?

 
Le Tate Modern, l’emblématique musée d’art moderne de Londres, se prépare à accueillir Damien Hirst pour une rétrospective dans le cadre du London Festival 2012, l’olympiade culturelle qui est le pendant des JO. C’est donc l’enfant terrible de l’art contemporain, comme on aime à l’appeler, qui représentera la créativité façon british. Un choix qui ne fait pas l’unanimité outre-Manche, où l’artiste est souvent critiqué pour son style excessif et son habilité à amasser de grosses sommes d’argent. La presse britannique s’interroge donc. Était-il judicieux de proposer, aux hordes de touristes qui vont envahir la capitale cet été, Damien Hirst, ses crânes de diamants et ses animaux nageant dans le formol ?
Damien Who ?
La légende veut que l’artiste le mieux payé du monde, ait passé sa plus tendre enfance dans un quartier populaire de Leeds. Attiré par l’art, il entre avec difficulté à l’université de Leeds, puis intègre le Goldsmiths College. Au cours de sa deuxième année, il organise une exposition dans un entrepôt, Freeze, qui est restée dans les annales comme l’élément fondateur des Young British Artists, symbolisant le renouveau de l’art moderne en Grande Bretagne. Damien Hirst est alors remarqué par Charles Saatchi, le collectionneur et marchand d’art britannique, qui le soutient financièrement sur ses premiers projets. Naît ainsi « The Physical Impossiblity of Death in The Mind of Someone Living » son œuvre la plus connue qui consiste en un énorme requin plongé dans du formol à l’intérieur d’une cage en verre. L’installation devient le symbole du style Hirst et de l’art moderne anglais en général. Sa carrière est alors lancée.
Le business Hirst
Aujourd’hui il est devenu l’artiste le plus rentable au monde. Selon le Sunday Times, Hirst pèserait plus de 330 millions de dollars. Il est passé du statut d’artiste à celui d’homme d’affaires et n’a besoin de personne pour gérer sa fortune comme il l’a prouvé lors d’une vente aux enchères en 2008 où il a vendu plus de 200 œuvres sans passer par les galeries et les marchands d’art. Une opération qui lui a permis d’empocher plus de 140 millions d’euros. Par ailleurs, l’artiste est aussi adepte des coups marketing et des stratégies de communication bien huilées. Pour son dernier projet Spot Paintings, une série de 300 peintures représentant des rangs de points de couleurs différentes, il investit les onze galeries Gargosian situées un peu partout dans le monde. Damien Hirst va même jusqu’à organiser un jeu concours. Il propose à ceux qui auront visité les onze galeries Gargosian de gagner une de ses œuvres signées à la manière d’une popstar ou d’un Warhol.
C’est donc tout cela qui semble gêner chez Hirst. En effet, il est souvent critiqué pour son côté excessif et ostentatoire, pour sa manière d’occuper sans cesse l’espace médiatique en laissant peu de place à ses camarades. Même son mentor des premières années, Charles Saatchi regrette qu’il préfère faire « du divertissement plutôt que de l’art ». Une critique reprise depuis longtemps par le mouvement Stuckism né en réaction au groupe des Young British Artists avec comme slogan « a dead shark isn’t art » (en référence à l’œuvre de Hirst). De plus, on lui reproche également d’avoir fait appel à des assistants sur Spot Paintings, car cela « l’embêtait profondément » de peindre plus de 3000 points à la main. Tout cela quand il n’est pas tout simplement accusé de plagiat bien sûr.
Mettre à l’honneur Hirst pendant la période des Jeux Olympiques est donc assez discuté. Si on s’accorde pour dire que l’appréciation de son œuvre est plutôt une histoire de goûts et de couleurs, en revanche la presse britannique craint que, du fait de sa renommée mondiale, il éclipse toutes les autres expositions prévues pendant la période des Jeux Olympiques. En effet l’olympiade culturelle a été pensée comme une démonstration de la créativité britannique, profitant de la forte affluence de visiteurs pour proposer des activités culturelles et montrer ce qui se fait de mieux au royaume de sa Majesté. Le fait que le Tate Modern choisisse ce moment pour lancer sa rétrospective sur Damien Hirst peut être vu comme une volonté de faire de l’artiste le symbole de l’art moderne britannique.
Une chose est sûre cependant, que l’on aime ou pas, son exposition s’annonce déjà comme un temps fort de cette olympiade culturelle. Ainsi, laissons donc aux visiteurs le soin de juger par eux-mêmes de la valeur de son art. Les déçus pourront toujours se consoler autre part, pourquoi pas dans le sport après tout.
 
Pauline Legrand