Médias, Société

TikTok, la com’ à la mode

Quels enjeux pour cette jeune application de l’entreprise chinoise ByteDance ? En 2018, Le Monde nous parlait de la nouvelle « application pour les adolescents fans de play-back », alors que BFM TV décrivait un « Instagram musical » mêlant « karaoké et selfie », qui arrivait étonnamment à se placer comme l’application la plus téléchargée de l’année. Pourtant, en juillet 2020, c’est Emmanuel Macron qui fait son apparition sur l’application, félicitant nos bacheliers pour leur réussite dans ce contexte si particulier. Deux ans après son arrivée sur nos plateformes de téléchargement, TikTok est devenu bien plus qu’un réseau social pour partager une courte vidéo musicale : il représente une véritable opportunité pour les marques, les artistes, et les politiques, de se rendre visible sur la toile.
Politique, Société

Les citoyens qui écrivent l’information : réappropriation du discours politique

Avec l’augmentation très soudaine de la présence des politiques sur les réseaux sociaux, leurs discours sont devenus de plus en plus immédiats, de plus en plus directs, mais aussi de plus en plus relayés et commentés. Cette reprise de l’information politique ne se fait plus seulement par la presse et autres médias traditionnels mais aussi par les citoyens eux-mêmes.
Dans ce contexte, l’essor du journalisme citoyen est non seulement facilité par les nouvelles technologies, mais semble aussi plus naturel. En changeant le fond de la circulation de l’information, la dynamique de l’informateur et de l’informé est transformée à son tour, créant un nouveau challenge pour la communication politique.
     

« Manifeste pour un journalisme citoyen »
Par conséquent, quand François Serrano affirme via Mediapart que : « Absolument tout citoyen ayant une conscience sociale et la volonté de s’exprimer a toute légitimité pour assumer la responsabilité d’informer ses concitoyens, avec ses propres mots, sur des sujets qu’il connaît », cela peut paraître évident. Mais le lancement de son nouveau média citoyen numérique (L’impertinent), écrit par « des personnes comme vous et moi », se fait dans un milieu où des noms sont déjà très connus, tels qu’AgoraVox. Et c’est justement parce que ce secteur est déjà occupé par des formes de médias similaires que la survie de L’Impertinent (et sa capacité à réellement influencer) s’annonce difficile. Cette situation est très représentative du changement de paradigme de la communication politique, où les sources se multiplient et se diversifient, au coût de la fidélité des informés.
Un changement double dans la parole

Mais cet élargissement de la légitimité dans le discours politique se fait souvent au détriment du fact-checking. La diversité des sources d’information en politique signifie que les nouveaux médias doivent marquer leur différence, leur originalité ; d’autant plus qu’accéder à l’information est facile et rapide. Les nouveaux médias sont donc surtout des médias d’opinion, dont les sources ne sont pas toujours fiables et où la prétention à l’objectivité est abandonnée. Cela est vrai pour les fameux médias de l’alt-right américaine (Breitbart News par exemple) tout comme pour les sites de presse alternative de gauche radicale française (tels que Fakir). On peut remarquer que ces deux exemples sont dirigés par des personnalités politiques : le premier par Steve Bannon, ancien conseiller stratégique de Donald Trump, et le second par François Ruffin, député France Insoumise. Quoique tous deux issus de la société civile, ils ont maintenant des agendas propres, même s’ils prétendent aller contre la « vérité officielle » des médias traditionnels (Fakir se réclamant n’être d’« aucun parti politique, aucun syndicat, aucune institution » et « largement rédigé, illustré et géré par des bénévoles »).
Le problème de la nouvelle communication politique : la fin de la propagande ?
L’information et donc la communication politique se sont fortement complexifiées depuis le début de la Vème République. L’idée ancienne de la « piqûre hypodermique » de Lasswell, selon laquelle il est possible d’injecter un message dans l’esprit de la population par les médias, semble définitivement passée de mode.
Pourtant Sophia Chikirou, directrice de la communication de Jean-Luc Mélenchon pendant la campagne présidentielle, déclarait encore en septembre dans Quotidien : « Quand je conseille Jean-Luc Mélenchon (…) en communication, je pense propagande. »
Il s’agit d’une conception très classique de la communication politique, celle qu’il suffit de persuader pour propager ses idées. Pourtant, aujourd’hui plus que jamais, le récepteur sélectionne les messages qu’on lui envoie au lieu de rester passif, plus proche aussi des effets « limités et indirects » de la communication théorisés par Lazarsfeld.
Un nouveau paradigme de « marketing politique »
Aujourd’hui la communication politique doit donc se faire plus indirecte, travailler sur une image de marque du parti (et du candidat). Pour ce faire, elle s’appuie sur une mise en scène de la personnalité de l’homme politique et sur le « buzz », dont un bon exemple serait le discours par hologramme de Jean-Luc Mélenchon. Non seulement a-t-il été relayé et repris par les réseaux sociaux, qui à leur tour ont influencé les médias traditionnels, il a aussi propagé une image très humaine de Mélenchon chez ses partisans, presque « adorkable » – à la fois décalée et attendrissante.

Si cette personnalisation du politique peut dériver vers une « peopolisation » où les scandales personnels des politiques sont repris à outrance, elle marque avant tout une réappropriation du discours politique et un élargissement du public qui se sent concerné. Tout en étant un enjeu pour les communicants politiques au travail complexifié, elle marque un changement positif dans l’exercice démocratique.
Léa Andolfi
 
Sources :
François Serrano, « Le manifeste pour un journalisme citoyen », Mediapart, 14 octobre 2017, consulté le 18 /10/17 
Rémy Rieffel, Sociologie des médias, Ellipses, septembre 2015
L’interview de Sophia Chikirou par Yann Barthès, Le Quotidien, 29/09/17 
Harold Dwight Lasswell, « Structure et fonction de la communication en société », 1948
Crédits de l’image de couverture :
Digital Vidya, consulté le 22/10/17 

Société

Passer outre les clichés sur l'Outre-Mer

Le petit écran est, comme tous les lieux de représentation, régulièrement accusé de véhiculer des stéréotypes. Des clichés de tout types (de la femme bimbo aux jeunes en passant par la banlieue) sont confortés par le « quatrième pouvoir » qu’est la télévision en rendant visible un imaginaire collectif stéréotypé. Cependant, combattre les clichés plutôt que d’y contribuer peut être un choix de ligne éditoriale. C’est en tout cas le pari que se sont lancés Sébastien Folin et toute son équipe avec l’émission C’est pas le bout du monde diffusée sur France O depuis le 7 mars 2017, et qui a pour ambition de lutter contre les clichés sur les DOM-TOM.
L’émission, C’est pas le bout du monde
Il y a comme un air de déjà vu pour le téléspectateur qui a allumé son poste de télévision le 7 mars au soir. En effet, le plateau de C’est pas le bout du monde ressemble à ceux des grands talk-shows avec sa table en triangle faite de bois et de verre, autour de laquelle on retrouve le présentateur entouré de son équipe et de ses invités. Le logo de l’émission rappelle également ceux des talk-shows de Canal+ avec un effet graphique et le rappel des initiales. Ainsi le média fait appel au familier pour déconstruire les images communes.
Programmée jusqu’en juillet à raison d’une émission par mois, C’est pas le bout du Monde entend mettre en valeur la diversité et la richesse des cultures de l’Outre-mer en allant au-delà des idées préconçues. Pour ce faire, Sébastien Folin a à ses côtés trois experts qui ont trois regards différents sur la diversité culturelle qu’offre l’Outre-Mer. On retrouve Elliot Chemlekh pour l’humour, Erika Govinda Rajen pour le sérieux et l’expertise journalistique et Fabrice d’Almeida pour le regard de l’historien.
Il s’agit de découvrir des lieux et des traditions inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, d’en savoir plus sur des chanteurs ultramarins ou encore d’aller dans les coulisses des musées des DOM-TOM, pour que les métropolitains comme les ultra-marins en sachent plus sur les diversités et les richesses des territoires d’Outre-mer.
Les invités sont choisis pour donner l’image la plus sincère possible de l’Outre-Mer. Pour la première émission, c’est Rachid Badouri qui fut invité. L’humoriste québécois aime à souligner les différences culturelles entre le Québec et la France, celles entre le Maroc, pays dont est originaire son père, et le Québec. Bref, Rachid Badouri était l’invité idéal pour aborder les différences culturelles dans le cadre détendu du talk-show puisque son approche humoristique des différences culturelles appliquée à l’Outre-Mer donne d’emblée le ton de l’émission de Sébastien Folin.
Les stéréotypes sur les DOM-TOM ont toujours le vent en poupe
L’Outre-Mer semble être l’oubliée des médias français. Lors des dernières élections régionales, aucun média n’avait diffusé les résultats des DOM-TOM. Le directeur du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) s’était emporté face à cet oubli et avait déclaré: « Nous en avons assez que L’Outre-mer compte pour du beurre » et avait ajouté « Ce mépris régulier constitue à la fois un déni de démocratie et une forme de racisme par omission ». A la suite de quoi, le CRAN avait saisi le CSA qui doit garantir le traitement médiatique des outremers au même titre que les territoires de l’hexagone lors de résultats d’élections. L’association « OriZon Réunion » s’en est quant à elle remise à l’Etat en lui demandant de communiquer davantage sur ces territoires. L’objectif est que les ultramarins soient des membres de la République reconnus à part entière, différents mais pas indifférenciés en tant que citoyens français et donc qu’ils soient comptabilisés dans les calculs et les statistiques électorales comme toutes les autres régions et collectivités.
Cette absence dans les médias ne se résume pas aux résultats électoraux. En effet, en 2011, Claudy Siar, délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer, avait déjà dénoncé les « injustices concrètes » dont étaient victimes les territoires et départements d’outre-mer. A commencer par l’absence de bulletins météo dédiés à ces territoires.

En outre, lorsque les médias font référence à l’Outre-mer, ils mettent en avant les images collectives que l’on se fait de ces territoires. Zouk, plage et cocotiers viennent tout de suite à l’esprit quand on parle des DOM-TOM. Les cadres paradisiaques des clips de Francky Vincent ou de la Compagnie créole diffusés sur le petit écran dans les années 80 et des séries françaises comme Meurtres au paradis font désormais partie de l’imaginaire collectif, et ont construit l’image que les téléspectateurs se font de ces lieux et participent à conforter les clichés associés aux DOM-TOM.
Branle-bas de combat chez France Ô
L’ambition première de France Ô était de répondre à ce déficit de traitement médiatique des DOM TOM dans les médias français. Il s’agissait de créer une chaîne de télévision qui puisse offrir aux Français d’outre-mer vivant en métropole une fenêtre sur leurs régions. Cependant, la chaine d’information peine à trouver une ligne éditoriale clairement définie. France Ô est tiraillée entre ses racines ultramarines et l’injonction qui lui est faite de s’adresser à toute la diversité française. Ces difficultés se traduisent par des audiences très faibles (le 25 octobre 2014, la chaîne a même réalisé 0% de part d’audience). En ce sens, c’est un échec pour France Télévision qui tente d’accorder davantage de visibilité à l’Outre-mer mais qui n’est pas suivi par l’audimat dans sa démarche d’ouverture, ce qui a amené le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à se poser la question du maintien de la chaîne au sein du groupe public. Finalement, France O fut maintenue au sein de France Télévision avec pour mission de concentrer sa programmation sur l’ultramarin dès la rentrée 2016 et depuis les audiences redécollent. Un jour en outre-mer, ou encore Génération What ? Outre-mer sont des émissions aux lignes éditoriales plus proches du terrain ultramarin. Ainsi, elles ont participé à la hausse de part d’audience ainsi qu’à rendre France O plus visible médiatiquement.

C’est pas le bout du monde vient donc compléter cette grille de programmes en ajoutant au combat pour la visibilité de l’outre-mer celui de la lutte contre les clichés que les médias font circuler à son propos et arrivera sûrement à convaincre les autres médias d’intégrer l’Outre-Mer à leur contenu.
Judith Grandcoing
Twitter
Sources:
Fabien Piliu, La métropole s’intéresse-t-elle enfin à l’Outre-Mer? La Tribune, le 12.12.2016, consulté le 16.03.2017
Les invités de Mediapart, L’absence de l’Outre-Mer, un déni d’identité? Mediapart le 21.09.2011, consulté le 17.03.2017
AFP, Le CSA saisi sur l’absence des Outre-mer dans les médias, L’expansion, le 14.12.2015, consulté le 16.03.2017
Anne Sogno, C’est pas le bout du monde, Sebastien Folin contre les clichés, Nouvel Obs, le 07.03.2017, consulté le 16.03.2017
Sebastien Folin, Haro sur les clichés de l’Outre-Mer, l’Instant M, le 06.03.2017, consulté le 06.03.2017
Crédits images:
. Pleine vie, Sebastien Folin nous parle de l’Outre-Mer pour sa nouvelle émission c’est pas le bout du monde, le 05/03/2017
. Telecaps, Anais Baydemir présente la météo sur France 2 le 29/08/2013
. L’observatoire Caledo, Génération What ? le 20/11/2016

Agora, Com & Société

L’affaire Théo : symbole d’une société en rupture

L’affaire Théo est partout, dans le paysage politique, dans tous les médias, sur toutes les lèvres : des policiers, un jeune ordinaire, un quartier dit « sensible », un viol. Cet événement a éveillé de nombreuses polémiques sur la question de la banalisation de la violence policière, sur la chape de plomb qui pesait jusqu’alors sur ces pratiques, mais aussi sur la condition sociale de la jeunesse de ces quartiers. Cet événement a eu diverses résonances, mais a notamment suscité l’indignation générale, caractérisée par des manifestations et des heurts violents. Ainsi, la France s’engage à sa manière derrière ce qu’incarne désormais Théo : une rupture entre les citoyens et la police.
Les Français et la police : la connexion est rompue

Suite aux attentats de Charlie Hebdo et du 13 novembre qui ont profondément bouleversé la France, une réconciliation s’amorçait entre les Français et les forces de l’ordre. Certaines personnes allaient spontanément remercier policiers et gendarmes pour leur dévouement, preuve d’une société désormais unie. Mais alors, où est passée la France de #JesuisCharlie ? Quelques signes de désamour semblaient toutefois poindre à l’horizon, notamment au moment de la loi travail, lorsque de nombreux faits de violence policière ont été recensés à l’encontre des manifestants, et les tensions ont continué de se cristalliser, avec la mort d’Adama Traoré, décédé dans des circonstances troubles suite à son interpellation par les gendarmes. L’affaire Théo, c’est donc une volonté de justice qui marque une rupture franche.
La police et la communication de crise
En plus des faits graves qui se sont déroulés, entachant l’image de respectabilité des forces de l’ordre, la communication de la police et de ses représentants qui en a découlé, a été pour le moins désastreuse : au lieu de montrer le caractère isolé de cet usage injustifié de la violence, la police a tenté de minimiser les faits, notamment par l’intermédiaire de l’IGPN, dont les premières déclarations niaient le viol et lui privilégiaient la thèse de l’accident. Mais personne n’est dupe. Les faits qui sont reprochés sont graves, et les constatations médicales rendent peu probable la thèse avancée. D’ailleurs, la juge en charge de l’affaire a bien retenu le chef d’accusation de viol à l’encontre de l’un des quatre policiers.
À cela vient s’ajouter l’intervention de Luc Poignant, syndicaliste policier, dans C dans l’air le 9 février, où il déclare sans sourciller que « bamboula est à peu près convenable ». Suite à la polémique déclenchée, le policier s’excuse, prétextant « une erreur sémantique ». Rappelons que « bamboula » est un terme aussi méprisant que raciste, apparu au XXème siècle en France pour désigner les tirailleurs sénégalais, et dont l’étymologie vient du mot « ka-mombulon », soit « tambour » dans les langues sarar et bola parlées en Guinée portugaise — l’erreur sémantique semble donc difficile. C’est un mot lourd de sens, lourd d’histoire, mais surtout chargé de haine. Ainsi, les propos de Luc Poignant résonnent comme l’aveu d’une violence verbale devenue ordinaire.


Théo : un symbole social
C’est indéniable : l’affaire Théo rassemble. Elle fédère dans l’indignation, la défiance, mais aussi le rejet du système dont la police est le principal représentant. Ces derniers jours, des heurts ont éclaté à Aulnay-Sous-Bois – ville de résidence de Théo – mais aussi dans d’autres villes comme Argenteuil, les Ulis, Bobigny… Tous réclament la même chose : « justice pour Théo ». On peut voir en cela une forme de solidarité, pour le moins démonstrative et violente. Cela rappelle les évènements de 2005, les émeutes qui avaient agité la France suite à la mort de Zyed et Bouna dans un transformateur électrique, tentant d’échapper aux policiers.
Des faits qui se font écho — mais comment donc expliquer l’embrasement de ces quartiers ? Tout d’abord, y sont pratiqués des contrôles d’identité quotidiens, au cours desquels les débordements sont fréquents de part et d’autre. Ces contrôles sont souvent montrés du doigt car prétendument basés sur des critères discriminatoires. Et comme le dit Sébastian Roché, sociologue de la délinquance et auteur de De la police en démocratie, « ce sentiment d’être ciblé est constitutif d’une défiance vis-à-vis des autorités. Ces personnes systématiquement visées à cause de leur couleur de peau ou en raison de critères socio- économiques ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. »

Cette idée de stigmatisation semble donc être la clé pour comprendre ce qui se déroule aujourd’hui : les jeunes des quartiers s’identifient à Théo en tant que « jeunes de banlieues ». L’existence même de ce terme générique de « jeunesse de banlieue », ou de la version plus péjorative « banlieusards », constitue une forme de marginalisation et de stigmatisation sociale, mais aussi de délimitation géographico-sociale, dont la frontière semble être le périphérique. D’ailleurs, la localisation semble particulièrement importante, puisque dès la médiatisation de l’affaire, la ville d’origine de Théo faisait la une de tous les journaux. Ainsi, le fait d’habiter en banlieue, lieu infraordinairement associé à la violence quotidienne, « diminuerait »-t-il la gravité de tels actes ?
Dans le cas de Théo, « je ne pense pas que les choses se seraient déroulées de la même manière si on avait été avenue de l’Opéra », s’inquiète le député PS Daniel Goldberg, qui se demande si le maintien de l’ordre dans les quartiers est « toujours républicain ». Aussi, les méthodes employées par la police pour les contrôles seraient différentes selon les lieux et cela ne serait, toujours d’après l’interview de Luc Poignant, qu’une « juste réponse de la police envers une population hostile à leur égard ». C’est la loi du Talion.
En mesure d’apaisement, le Président lui-même se déplace pour rencontrer Théo, des propositions de lois sont faites, notamment pour la « caméra-piétonne », une Gopro portée par les policiers lors des contrôles. Cela semble bien maigre pour tenter d’apaiser la flamme qui s’est allumée dans le cœur de la jeunesse des quartiers, et qu’un slogan semble rassembler : « Tout le monde déteste la police ».
Ces slogans, ces heurts et ces manifestations semblent relever de la fonction expressive d’un langage verbal et non verbal, témoignant d’une émotion sincère à mi-chemin entre révolte et indignation, mais aussi symptôme d’une crise sociale, crise que Théo semble incarner, un peu malgré lui.
Lucille Gaudel
Sources :
• Julia PASCUAL, Le Monde, « Violences policières : un rapport dénonce un risque d’impunité des forces de l’ordre », 13/03/2016, consulté le 11/02/2017
• Blandine LE CAIN, Le Figaro, « Affaire Théo : la police des polices privilégie la thèse de l’accident plutôt que celle du viol », 9/02/2017, consulté le 12/02/2017
• Frantz VAILLANT, TV5 Monde, « Bougnoul, fatma, youpin, négro : l’ADN des mots racistes révélé », 8/01/2016, consulté le 11/02/2017
Crédits  :
• Régis Duvignau, Reuters
• Julien MATTIA, AFP
• Patrick Kovarik, AFP

Société

VR et digital detox : les témoins d'une boulimie 2.0

Le temps, ce nouvel eldorado du XXIe siècle, semble recherché par tous. Je ne vous parle pas du temps qu’il faut transformer en argent, mais plutôt de celui à accorder à soi et à la réflexion. Face à la déferlante des informations, à la sur-sollicitation des médias et des réseaux sociaux, nous disons « stop ».
Néanmoins, une question demeure : comment analyser l’engouement pour la réalité virtuelle* parallèlement à l’envie de déconnexion ?
Infobésité et hyper-connexion : le nouveau mal du siècle
L’infobésité ne date pas d’aujourd’hui mais l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication accroît le phénomène pour créer une véritable saturation. David Shenk, auteur de Data Smog, ajoute même qu’« au milieu du XXe siècle, on a commencé à produire de l’information plus rapidement qu’on ne peut la digérer. Jamais cela ne s’était produit auparavant. »
Ce terme d’infobésité sous-entend qu’à force d’être confronté à trop d’informations nous nous dirigeons vers l’ignorance. Face à une masse d’information toujours plus grande, il faut sans cesse choisir quel journal lire, quelle radio écouter ou quel JT regarder. Mais paradoxalement, il faut être au courant de tout, alors nous lisons sans vraiment lire jusqu’à nous désinformer. On est ici face à un cas typique de FOMO, l’acronyme de « Fear Of Missing Out » c’est-à-dire la peur de rater quelque chose, une information ou une soirée meilleure que la nôtre par exemple. Alors on se doit de mettre sa vie en scène sur les réseaux sociaux et d’être au courant des dernières news pour paraître « in* ». Ce trouble compulsif de l’époque 2.0 est donc une conséquence directe de l’addiction aux réseaux sociaux et à Internet.
« Le monde est devenu invivable ; on n’a même plus le droit de ne pas être informé ! » Joseph Bonenfant

C’est à peine si nous survolons les grands titres des journaux, histoire « d’être au courant », mais sans connaitre le fond de l’article. Certains diront que faire illusion en société c’est déjà pas mal. D’après Edgar Morin, nous sommes dans « un nuage informationnel » qui nous rend aveugles. Face à la rapidité de la circulation des informations, nous n’avons plus le temps de prendre du recul sur les évènements et les informations délivrées par les médias.
Mais il y a une prise de conscience progressive de cette pression informationnelle dans la société. En effet, le droit à la déconnexion fait parler de lui dans les entreprises tandis que de plus en plus de services se créent autour de la notion de « digital detox » ou de désintoxication numérique, un concept né aux Etats-Unis où l’on se déconnecte de ses écrans pour mieux se reconnecter à soi-même.
Joël de Rosnay, « le grand luxe de demain ce sera d’être débranché… pour prendre simplement le temps de réfléchir. »
Une société de tous les paradoxes : digital detox VS réalité virtuelle
Le temps pour soi et pour la réflexion semble être devenu le véritable enjeu du XXIe siècle dans nos sociétés occidentales où il doit être rentabilisé. Paradoxalement, cette envie de déconnexion se confronte à la curiosité pour le progrès et les nouvelles technologies. Les annonceurs s’emparent du phénomène et quand certains proposent des digital detox, d’autres misent sur la réalité virtuelle (VR) pour satisfaire le consommateur, cet être de contradictions.
Côté déconnexion, les annonceurs rivalisent d’imagination pour réduire cette envie irrationnelle de consulter nos réseaux sociaux toutes les cinq minutes. Dans le secteur du tourisme, des gîtes proposent aux personnes « hyper-connectées » des « séjours digital detox » et même des cures thermales à Vichy. Tout cela bien sûr sans WIFI avec des séances de sophrologie et des coachings personnalisés. C’est un véritable coup marketing pour le secteur qui connaît des difficultés depuis quelques années.
D’autres encore développent des solutions plus radicales pour combattre cette addiction. Le dernier en date se nomme Deseat.me. Ce site internet créé en 2016 par deux suédois permet de disparaître d’Internet. Plus précisément, les utilisateurs peuvent se désinscrire de la plupart des sites et des services associés à leur compte Gmail. Un lien est proposé pour chaque service associé au compte pour permettre de se désabonner, voire de supprimer son compte.
Par ailleurs, les marques s’engagent aussi pour la déconnexion à travers leurs campagnes publicitaires et surfent sur un insight* fort qui parlent à une grande majorité d’individus. En ces périodes de fêtes, Nike rappelle qu’il ne faut pas gâcher son temps sur Internet car il est précieux. Prenez l’air, chaussez vos baskets et sortez courir, le bonheur commence par là.

Les annonceurs semblent avoir trouvé un véritable filon autour de l’envie de déconnexion sur lequel ils peuvent appuyer leurs discours et apparaitre crédibles : volonté sincère ou opportunisme ?
Mais parallèlement, l’engouement pour la VR ne cesse de croître et semble être la solution à l’ennui des consommateurs face à la publicité. Car on l’entend sans cesse, elle est scandée comme la voie à suivre : l’expérience utilisateur mais aussi cliente est posée comme le saint Graal. Quoi de mieux que la réalité virtuelle pour sortir les individus de leur quotidien et lever les freins à l’achat par le test ?
Samsung l’a bien compris en créant le Samsung Life Changer Park avec Magic Garden et Cheil France, un parc d’attraction en VR. Les millennials* sont invités à découvrir le Galaxy S7 et son écosystème du 16 décembre au 2 janvier 2017 sous la nef du Grand Palais. Samsung démontre encore une fois sa capacité à innover entre grand huit, descente en kayak et attaque de zombie à vivre en réalité virtuelle.

Rien ne change, l’individu demeure un être de paradoxes. Fasciné par cette nouvelle technologie tout droit sortie de Matrix, elle effraie aussi par son pouvoir de déconnexion à la réalité. Et si finalement les steaks virtuels étaient meilleurs que les vrais ?
Flore Voiry
Glossaire :
• Réalité virtuelle
La réalité virtuelle (en anglais, virtual reality ou VR) est une technologie qui permet de plonger une personne dans un monde artificiel créé numériquement. Elle ne doit pas être confondue avec la réalité augmentée
• Être « in »
Etre à la mode, vivre avec son temps.
• Millennials
Ils sont 16 millions en France et représentent un tiers de la population active. Nés entre 1980 et 1994, ils ont entre 15 à 34 ans et sont scrutés par les marques comme des consommateurs hétérogènes à toucher à tout prix.
• Insight
Opinion ou attente dominante présente et détectée chez les consommateurs d’un produit qui sert à orienter les discours publicitaires et la politique de commercialisation.
Sources :
• Caroline Sauvajol-Rialland, Infobésité, comprendre et maîtriser la déferlante d’informations, Vuibert, mai 2013
• Sylvie Le Roy « Quittez internet », ladn.eu ; 29/11/2016
• Agnès Rogelet « Suivre une cure de « digital detox » » Psychologies.com; avril 2014
• Cyrille Gandolfo « Vous perdez votre temps sur internet et Nike vous le rappelle », cdusport.com; 13/12/2016
• Marine Couturier « La digital detox, le nouvel attrape-touriste 2.0 ? » Rue89.nouvelobs.com; 30/07/2015
Crédits photo :
1 : digitaldetox.org
2 : VR headset shipments ‘to boom’ in 2016 , Reuters bbc.co.uk,  22 avril 2016
3 : FOMO: Fear of Missing Out, Ria Bakshi; Baysidejournal.com
4 : Gagnez votre Pass VIP pour le Samsung Life Changer Park au Grand Palais; Golem13.fr

Société

Taxe Youtube: ces rapports de force qui font changer la loi

« ACTA », « TAXE YOUTUBE », ces derniers temps, on parle beaucoup d’une harmonisation des règles nationales et européennes autour de la question de la monétisation des contenus sur Internet. En jeu : la détermination juridique du média Internet, carrefour des communications.  C’est un peu comme si on mettait un gardien et des clôtures autour du terrain vague ou l’on jouait tous, en toute liberté. Pas cool, mais c’est vrai qu’avant, après 18H, il ne fallait pas trop s’y aventurer, sur le terrain vague.
La « taxe YouTube » quant à elle, n’est qu’un premier piquet de la clôture.

Un piquet voté dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR), mardi 6 Décembre, après un premier rejet en séance publique le 27 octobre dernier. Cette « taxe YouTube » tend à apporter une réponse au problème de la monétisation des contenus sur internet. Car lorsqu’une vidéo est mise en ligne sur Youtube, c’est Youtube qui en tire les bénéfices publicitaires. Ce n’est qu’après que l’hébergeur reverse, selon son bon vouloir, une rétribution au vidéaste/artiste/ayant droit.
La solution proposée par les députés : une taxe de 2% sur les revenus publicitaires des plateformes, avec un abattement prévu pour prendre en compte le caractère amateur de certains contenus publiés. Cette taxe s’élèvera à 10% pour les sites mettant à disposition du contenu pornographique ou ayant trait à « l’incitation à la violence ». De quoi retrouver le sourire lorsque qu’une vidéo d’origine inconnue viendra troubler le visionnage de votre websérie préférée EN PLEIN MILIEU. Une petite part des bénéfices générés par votre attention sollicitée ira à l’Etat.
Mais au-delà de cette seule taxe, la question est de savoir comment le territoire Internet va être réaménagé. Et en quoi cela va-t-il changer la donne pour ses acteurs, du simple utilisateur au professionnel de la communication par Internet ? Un bref survol des forces qui pèsent sur ce dossier s’impose.
L’Etat : à la recherche des ressources qui lui échappent
Le premier acteur est l’Etat, ou plutôt la dette qui enjoint les pouvoir publics à une fiscalité plus efficace. Mais à peine récoltée, déjà allouée : C’est le Centre National du cinéma et de l’image animée (CNC) qui sera bénéficiaire de la taxe, afin, pour l’établissement public, de remplir ses fonctions de promotion de la culture et d’aide à la création.
Surprenant, quand on sait qu’en 2012, un rapport du Sénat pointait la nécessaire « mise sous tension » du CNC. Il était requis dans ce rapport « un ajustement du niveau de dépenses [publiques] – et donc de recettes du CNC – compatible avec la situation actuelle des finances publiques ». Comprendre par là une réduction de budget sans réduire les missions du CNC, tout simplement.
Mais en fait on peut bel et bien voir dans la « taxe YouTube » l’effet de cette mise sous tension : on substitue l’aide directe d’Etat par une taxe directement allouée au CNC.  Ainsi, le CNC n’obtient pas un budget de la part de l’Etat pour une certaine mission, mais il tire ses revenus directement du marché dans lequel il réinvestit. Avec à la clef tout de même, une modification de taille : la publicité sur Internet va devenir plus chère. Soit pour les hébergeurs qui vont voir leur marge amputée de 2 à 10%, soit pour les annonceurs si la taxe leur est répercutée.
 
 Les hébergeurs : le cercle vertueux du développement
Le deuxième acteur, c’est l’ensemble des hébergeurs qui sont sous le régime du safe harbor : un principe juridique qui vise les plateformes qui n’interviennent pas activement dans la publication des contenus. Elles ne sont pas considérées comme responsables de ce que les utilisateurs mettent en ligne. Seule obligation, retirer les contenus si on le lui demande (ayants droit ou texte d’appel à la haine, etc…). Ainsi, absolument tout peut être uploadé sur YouTube et rester en ligne quelques jours, quelques semaines avant d’être retiré s’il y a une quelconque relation au droit d’auteur ou trop de réclamations.
Ces hébergeurs fonctionnent. Leur business est florissant. Ils sont, peut-on lire dans Les Echos, « devenus un véritable écosystème en ligne, au sein duquel la diversité, l’inventivité, l’innovation se développent, se nourrissent, s’auto entretiennent d’une manière inédite et singulière ». La crainte de leur côté est de voir l’interventionnisme de l’Etat casser leur modèle économique, avec à terme, des effets négatifs sur les utilisateurs : tant au niveau de l’accessibilité des contenus que dans la rétribution des vidéastes.
 
 
Les ayants droits : préserver la création à l’époque du dématérialisé
Le troisième acteur, ce sont les ayants droits : producteurs, artistes, lobbies du cinéma et de la musique. Le système du safe harbor est un vrai problème pour eux, puisque la publication et la monétisation de ces œuvres (ou de leurs fragments comme pour les vidéos avec bande-son) leur échappe. Les hébergeurs leur reversent une rétribution par divers moyens. Pour l’industrie musicale par exemple, la somme reversée par Youtube s’élève à 634 millions de dollars en 2015 selon les chiffres de la Fédération Internationale de l’Industrie Musicale. Un montant dérisoire par rapport aux 5,6 milliards de revenus publicitaires estimés en 2013 pour Youtube. Les ayants droits réclament plus, un argument en leur faveur: dans les 50 vidéos les plus visionnées sur Youtube, seules trois ne sont pas des vidéos musicales postées par les artistes.
Avec la disparition des supports physiques, les ayants droits ont vu leurs revenus s’écrouler et ont été les grands perdants de la révolution numérique.
Les défenseurs des libertés sur Internet : pour qu’Internet reste un espace de liberté profitable au citoyen avant tout 
Enfin, poussés à l’extérieur du ring, on trouve les défenseurs des libertés sur Internet qui, eux aussi, ont leurs lobbies politiques et leurs organisations (citons la quadrature du net par exemple). Ils voient dans le durcissement des positions de chacun une menace. Il est par exemple de plus en plus difficile aux utilisateurs de passer outre l’agressivité du robot de YouTube lorsqu’ils publient des vidéos avec de la musique. Au-delà de YouTube se pose aussi la question de la propriété et de l’utilisation faites des données personnelles des internautes.

Parmi les défenseurs des libertés sur Internet, il y a aussi des forces politiques. Le parti pirate, d’origine Suédoise et présent dans plus de 30 pays, se place clairement du côté de l’extension des libertés sur le net. En 2015, l’eurodéputée du parti pirate allemand Julia Reda avait adressé un rapport de projet sur le droit d’auteur: un projet d’assouplissement du droit d’auteur en accord avec la ligne du Parti Pirate, jugé irrecevable par les ayants droits et sabordé, entre autres, par la France.
Communicant, ton média va changer
La bataille est lancée, en France comme en Europe. Du côté de quels intérêts va pencher la législation? L’ACTA (accord commercial anti-contrefaçon), en 2012, avait été jugé liberticide par un bon nombre d’acteurs du net. Après cette « taxe Youtube », une nouvelle proposition d’harmonisation du « droit d’auteur dans le marché unique numérique » sera discutée au Parlement Européen en 2017. Une proposition, qui, selon Sophian Fanen, en charge du dossier pour Les Jours, a été introduite « au pied de biche » par les lobbyistes de l’industrie musicale. Ça promet. 
Gaël Flaugère
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Sources : 
• Begeek.fr, youtube et revenus publicitaires, Décembre 2013
• Numerama, La France flingue le rapport de l’eurodéputée pirate Julia Reda, février 2015
• Les Jours, La fête du Stream S2E1, Décembre 2016
• Les Echos, Idées & Débats, Pourquoi une « taxe YouTube » est inepte, mercredi 14 décembre 2016  
• Le Monde, Économie et Entreprise, La « taxe YouTube » retente sa chance à l’Assemblée nationale, mercredi 7 décembre 2016
• Rapport du Senat, 3 octobre 2012, Le CNC : une « exception » budgétaire ? Disponible au format PDF
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Gaël Flaugère

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Com & Société

BLACK ALBUMS MATTER, l'album comme format de protestation.

« Like books and black lives, albums still matter » a dit Prince lors de la 57ème cérémonie des Grammy Awards en Février 2015. Cela faisait alors plus d’un an et demi que le mouvement Black Lives Matter prenait forme et position dans les rues comme dans la musique. Prince rendait hommage non seulement à la communauté noire mais aussi au format album, que certains pensaient voir s’éteindre plus tôt que prévu. En effet, l’album ne correspond plus à l’idéal économique qu’il produisait à l’époque des 33 tours, mais il est peut-être en passe aujourd’hui d’être le support de manifestation des mouvements sociaux aux Etats-Unis, pour la cause noire.

Depuis le début du des années 2000, on questionne le format album : est-il le meilleur format d’écoute à l’ère du numérique? Plusieurs enquêtes ont été publiées à ce propos, notamment Les Inrocks et Rue89 qui posaient en 2009 la question suivante : L’album serait-il en train de doucement se dissoudre dans un univers de buzz et de single ? Loin de nous l’idée de produire ici un article échafaudant les théories économiques prédisant la mort prochaine du format long, mais plutôt de comprendre en quoi le regain d’intérêt vers celui-ci est peut-être significatif d’un engagement dans l’art. L’album, objet musical faisant ‘œuvre artistique’, capable de rejoindre l’artiste et son époque, serait en train de retrouver des couleurs grâce aux prises de position des artistes blacks aux Etats-Unis.
La musique engagée dans l’histoire
Les liens entre musique et engagement pour la cause noire ne sont plus à démontrer, tellement la culture a été la première ambassadrice pour combattre le racisme et la ségrégation. Du free jazz de l’Art Ensemble de Chicago, qui proposait avec l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians) l’idée d’une « Great Black Music » déconstruisant les formes du jazz pour le jouer, l’improviser et améliorer sa condition….au gospel des chants d’esclaves, et sa fonction sociale d’union, de rassemblement pour lutter et croire en une meilleure réalité. Billie Holiday, Curtis Mayfield, Nina Simone ou encore James Brown ont été les figures d’une soul qui réactualise les valeurs de liberté et de fierté exprimées par les premiers défenseurs de la condition noire dans une Amérique post-esclavagiste.

A chaque décennie d’injustices, la musique noire est un refuge : le hip-hop pour exprimer la violence et les difficultés de la vie urbaine, la house comme un moyen pour les minorités noires et gays de libérer leur corps dans des clubs où elles sont enfin acceptées. Aujourd’hui aussi, dans la désillusion des années Obama et la violence raciale qui ne s’est pas éteinte, les artistes comme Beyoncé, D’Angelo, Kendrick Lamar ou encore Blood Orange prennent position. Leurs œuvres prennent le parti de la longueur, de l’expression d’une parole réfléchie sur le racisme d’aujourd’hui et dévoilent un discours de plus de cinquante minutes, à l’ère du numérique et du fichier mp3…

L’album comme média d’engagement
Ces albums, avec peu de promotion en amont, paraissent souvent sans lead single, et certains artistes, comme par exemple Blood Orange, choisissent de sortir l’album avant la date officielle pour créer un effet de surprise. Cela relève aussi d’une volonté de préserver l’unité de l’album et de produire un effet de sincérité : pas d’intermédiaire entre l’expression de l’artiste et la réception du public. Une phrase accompagne la promotion de l’album de Blood Orange dans tous les médias : « This album is for everyone told they’re not BLACK enough, Too BLACK, Too QUEER, not QUEER the right way, the underappreciated. ». En s’adressant à un groupe de personnes en particulier, les minorités, les laissés pour compte, Dev Hynes s’adresse à tout le monde et renvoie une image de communauté forte et fière, dans le son soul et R&B, comme dans l’esthétique visuelle.

Ces œuvres artistiques cherchent aussi à démontrer que l’album mainstream n’est pas l’œuvre d’algorithmes pour trouver le tube, pas de recettes toutes faites suivant un plan commercial préétabli avec seulement quelques ghostproducers tapis dans l’ombre. À l’image de l’album de Black Messiah de D’Angelo ou de Solange A Seat At The Table, dont la durée de composition est respectivement de 12 ans et 7 ans, le temps de la conception témoigne de la réflexion approfondie sur ce que c’est qu’être noir au XXIème siècle. L’album est devenu un média à part entière, une plateforme à multiples voix dont la structure a évolué. Saint Héron de Solange par exemple, regroupe plusieurs grands artistes tels que Raphael Saadiq, Pharell Williams, Dr. Dre, James Blake ou encore George Clinton pour laisser apparaître la subjectivité de chacun.
L’interlude

À l’image du dernier album d’Alicia Keys, sorti il y a deux semaines, ou de Velvet Rope de Janet  Jackson vingt ans plus tôt, Blood Orange, Solange et Kendrick Lamar utilisent l’interlude pour marquer une pause, laisser s’exprimer un discours parlé sur un fond sonore, ou un sample en référence à un morceau cher à l’artiste… L’interlude est exploité dans ces albums pour faire passer de façon explicite le message engagé. Il donne au disque une cohérence sonore et une continuité de sens qui rappelle à l’auditeur l’histoire qui lui est racontée dans le creux de l’oreille.

Dans A Seat At The Table, Solange insère pas moins de sept interludes dans lesquels ses proches parlent de leur expérience du racisme et de leur appartenance à la communauté noire aux Etats-Unis. Ce type de structure, presque cinématographique, qui place des « scènes » au milieu d’une longue pièce musicale, donne aux disques une dimension contemporaine et vise à marquer l’histoire et croire en un monde meilleur. À une époque où le modèle du fragment (le mp3) et donc de la playlist prime, ces artistes ne cherchent pas à communiquer leur message avec un assemblage de bons morceaux et de singles, mais bien à proposer une œuvre entière cohérente.
Une nouvelle structure, donc un changement dans la réception pour l’auditeur.
Depuis quelques temps, le constat est fait de l’absence d’un nouveau genre dominant après l’avènement de la musique électronique dans les années 90. Plus de révolution dans la musique, mais les genres se mêlent, les contenus ont de moins en moins d’étiquettes. C’est le cas de Kendrick Lamar qui cherche dans son album à mêler cinquante ans d’histoire de black music en un seul album, ou de Solange qui mêle des beats parfois presque industriels, avec des guitares indie rock accompagnées de voix soul… Cette hybridation sur le fond s’accompagne d’une recherche d’évolution sur la forme.

On ne pense plus le format album comme à l’époque du 33 tours avec ses deux faces, mais plutôt comme un long morceau à l’image des mixtapes de rap. Le modèle de l’album n’est plus physique mais numérique et le changement sur la forme influe sur le fond : il n’y a pas une face A joyeuse et une face B triste, mais des styles et des genres qui s’entremêlent, pour créer une évolution avec des hauts et des bas jusqu’à la conclusion finale. Le projet d’album se prolonge aussi par la proposition d’albums photos numériques et de démos de morceaux téléchargeables qui prolongent l’expérience de récit. La génération de l’iPod et de Spotify redécouvre grâce à ces albums l’expérience du récit en longueur. À l’image des livres, des articles longs (comme celui-ci), peu à peu délaissés par les jeunes générations, Solange D’Angelo, Blood Orange et beaucoup d’autres invitent à se replonger dans l’écoute, la compréhension et la patience pour saisir le message.

L’idée n’est pas de dire ici, que cette forme d’album serait révolutionnaire, mais plutôt de montrer qu’elle amorce une proposition de format différente, propice à dénoncer, s’indigner, s’émouvoir pour une cause personnelle, ou sociale. Le disque, de par sa longueur, est une matrice nécessaire pour laisser s’exprimer un discours. Tous ces albums coïncident en l’espace de deux ans avec une ère du temps qui oublierait peut-être de s’attarder. Ils se rejoignent aussi dans une façon d’être composés, puis distribués.

A l’heure où l’on parle de la difficulté de la musique à trouver des ressorts économiques, l’engagement politique ou social du contenu est peut-être ce qui lui redonnera de la vigueur.
Quoi qu’il en soit, dans une Amérique où Trump est élu Président des États-Unis, A Seat At The Table de Solange, un album concept invoquant le respect et la fierté d’être noir, parvient à se hisser numéro 1 des ventes au classement Billboard. De quoi redonner confiance dans le format album ?

César Wogue
Twitter

Sources :

Marc-Aurèle Baly et Adrien Durand, Solange et son nombril, ou comment faire de la pop politisée en 2016, 07.11.2016, consulté le 13/11/2016
Daphne A Brooks, How #BlackLivesMatter started a musical revolution, 13.03.16 , consulté le 13/11/2016
Corey Smith-West,The Sounds of Black Lives Matter, 17.10.16, consulté le 12/11/2016
Justin Charity, Disco Politics, 29.06.16, consulté le 13/11/2016
Britney Cooper, America’s “Prince” problem: How Black people — and art — became “devalued”  21.04.16, consulté le 15/11/2016
Taylor Gordon, Artists, Musicians Are Using Their Work and Creativity to Show That Black Art Matters, Too, 14.02.15, consulté le 14/11/16
Kate Groetzinger, Concept albums by Beyonce, Frank Ocean, and Solange are changing the way millennials listen to music, 18.10.15, consulté le 14/11/16
Elian Jougla, Freedom songs et back music, la révolte noire, 04.12 , consulté le 14/11/16
Salamishah Tillet, The Return of the Protest Song, 20.01.15, consulté le 12/11/16
Ashley Elizabeth, ‘A Seat at the Table’ is a Perfect Album for the Black Lives Matter Generation
Hua Hsu, BLOOD ORANGE AND THE SOUND OF IDENTITY 4.07.16, consulté le 15/11/16
Alexandre Pierrepont, Le spectre culturel et politique des couleurs musicales : la « Great Black Music » selon les membres de l’AACM, 8.11.16, consulté le 16/11/16
Alex Franck, Blood Orange’s Freetown Sound Is The Album For Fraught Times, 1.07.16
Arnaud Robert, D’Angelo, ne plus attendre le messie, 17.12.14, consulté le 14/11/16

Crédits photos :

Grammy Awards
Exposure America
Deana Lawson

Agora, Com & Société

Quand la parole des femmes se fait oublier

Le 7 novembre dernier avait lieu un rassemblement dans plusieurs grandes villes de France pour lutter contre l’inégalité salariale. En effet, depuis le 7 novembre, à partir de 16h34 les femmes travailleraient bénévolement. Ces dernières sont payées en moyenne 16% de moins que les hommes (calcul réalisé par Eurostat, organisme des statistiques de L’Union Européenne). Pour lutter contre l’une des plus grandes inégalités qui demeurent en France, des groupes féministes sont apparus sur Internet. Entre blogs et événements Facebook, quelle est la portée de ces nouveaux collectifs ?
Paye ton Tumblr

A l’origine, il était Paye ta shnek. Crée par Anaïs Bourdet en août 2012, ce tumblr rassemble les témoignages de victimes de harcèlement de rue. Simples, ces affiches présentent en citation, un propos retenu par une victime. Efficace, le contenu choque par son contraste avec le choix des couleurs plutôt ludiques.
L’idée lui est venue après avoir visionné une vidéo en caméra cachée de Sofie Peeters dénonçant le harcèlement de rue. En l’espace de quelques semaines c’est plus de 150 messages par jour qu’elle reçoit. Le modèle a été repris par d’autres et nous voyons fleurir aujourd’hui sur la toile de nombreux tumblr pour dénoncer les discriminations contre les femmes : Paye ta robe, Lesbeton, Projet crocodile par exemple.
Le concept se développe parce que ces blogs viennent parer un gouffre médiatique. En effet les femmes sont sous-représentées dans les médias : elles sont 37,6% à détenir la carte de presse en presse régionale et 41,7% en presse nationale. Le taux de présence des expertes quant à lui est de 23% à la radio, 15% dans la presse, 18% à la télévision. Même à la télévision, les présentatrices sont souvent reléguées au rang de potiches, à l’image de Karine Ferri dans The Voice dont le rôle est bien effacé face à Nikos Aliagas. La diversité féminine ne caractérise pas non plus le PAF : la femme télévisuelle est – trop souvent ? – belle, blanche, grande et mince.
Il est donc impossible de parler des problèmes rencontrés par les femmes car elles ne sont ni écoutées ni même représentées dans les médias traditionnels. Les blogs deviennent alors une forme d’expression privilégiée par celles-ci. Internet est l’espace de discussion et de dénonciation des inégalités homme/femme. Il permet de créer une masse militante anonyme beaucoup plus forte qui étend ainsi son réseau beaucoup plus facilement. Il crée une communauté non plus basée sur les centres d’intérêt mais sur les discriminations partagées.
Le mouvement du 7 novembre : « une affaire de bonne femme » ?
 
Les groupes féministes qui naissent sur Internet sont également très actifs dans le monde réel. A l’origine de nombreuses campagnes de sensibilisation, ces collectifs créent également des événements et des rassemblements pour appeler le grand public à réagir. Ces événements font parfois le « buzz » comme le mouvement du 7 novembre, organisé par le collectif féministe Les Glorieuses, relayé par la suite sur les réseaux sociaux telle que la page Facebook Paye ta shnek.
Il est intéressant de constater qu’ici les médias se sont faits une fois de plus observateurs des agissements d’Internet. L’Obs, Le Monde et bien d’autres ont appelé à rejoindre le mouvement. Les femmes journalistes ont manifesté, parfois même au sein des rédactions. Mais ont-ils proposé autre chose que ce rassemblement ? Une action ? Une pétition ? En ont-ils parlé le reste de l’année ?
Il aura donc fallu attendre un mouvement venu des réseaux sociaux pour que les grands journaux nationaux parlent à nouveau, et en dehors de la journée mondiale pour les femmes, d’inégalité salariale. Malheureusement, le mouvement s’est essoufflé aussi vite qu’il est apparu : aucun suivi dans les médias le lendemain, aucune déclaration de politiques (mise à part celles de deux ministres femmes du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine) ni aucune proposition voire même de début de débat. Le traitement médiatique s’est arrêté sur les jours précédents et la journée de l’événement. Et pourtant, les inégalités, quant à elles, perdurent.
Aux armes, citoyennes ET citoyens !
Loin d’être négligeable, la portée de ces blogs est réelle mais limitée si les médias et les politiques ne s’engagent pas, eux aussi. Nous pouvons observer un clivage manifeste entre la masse populaire présente sur Internet et les représentations médiatiques. Pour obtenir un véritable changement des mentalités, sans doute faudrait-il déjà que les médias deviennent eux-mêmes un exemple d’égalité hommes/femmes et se fassent les véritables relais des combats d’Internet. Les luttes pour les droits des femmes nécessitent un traitement médiatique beaucoup plus global. En attendant, les femmes devront une fois de plus travailler autant et gagner moins que leurs collègues hommes jusqu’à ce qu’on en parle à nouveau…l’année prochaine ?
Laura Sébert
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Sources :

L’image des femmes dans les médias, HCE
Les femmes, toujours en minorité dans les médias, Le Monde, le 09/ 03/ 2015
Interview Anaïs Bourdet alias Paye Ta Shnek, MadmoiZelle, youtube, le 06/ 06/ 2016
Paye Ta Shnek, le tumblr

Crédits :
-Paye ta shnek (Facebook)
-Les glorieuses (Facebook)