Rompre le silence : une histoire de podcast
De nombreux podcasts usent du support audio pour porter et accompagner les voix militantes : une dynamique qui permet de faire résonner les revendications féministes dans l’espace public.
Parfois accusée d’être vaine, souvent interrompue, mais pourtant toujours révélatrice, la parole renferme autant de grandes vérités intimes que de silences contenus. Cette parole, par la force d’incarnation qu’elle engage, se glisse quotidiennement dans nos oreilles à travers nos écouteurs, nos casques, ou nos enceintes. C’est parce que les podcasts ont choisi de la mettre au centre de leur création, que nous nous devions d’y prêter l’oreille.
L’éclosion de podcasts natifs illustre les évolutions communes entre médias et société, et nous rappelle qu’intime et politique sont profondément liés. Un podcast natif est un contenu audio développé, produit et diffusé exclusivement en ligne, et destiné à être uniquement diffusé sur les plateformes de streaming, telles que SoundCloud, Spotify, Apple Podcast, ou plus récemment la plateforme Audible (créée en 1997 et appartenant à Amazon), ou la française Sybel (créée en 2018 et appartenant en partie au groupe TF1).
La parole : un enjeu de pouvoir
Investir le média du podcast n’est pas un choix anodin : le podcast natif offre une certaine liberté éditoriale, à la fois dans le ton, mais également dans la temporalité adoptée. Le studio de production Louie Media notait que 98% de ses auditeurs restaient jusqu’à la fin du podcast : loin d’une logique de zapping, ce medium offre donc un temps long : une opportunité lorsque l’on sait qu’une femme a deux fois plus de risque d’être interrompue*.
Le choix du medium audio natif permet d’assurer une maîtrise sur la médiatisation des causes militantes et les discours qui en sont produits.
Ces podcasts natifs inscrivent donc leur empreinte dans l’espace public, et dévoilent une variété de problématiques, comme la diversité à la télévision (Kiff ta race), l’invisibilisation des femmes artistes (Vénus s’épilait-elle la chatte ?), le post-partum (Bliss), ou encore le féminisme post-colonial (Arabia Vox).
Une perspective féministe assumée qui, teintée tant de théories universitaires que de récits du quotidiens, permet de (re)conquérir la parole, et l’inscrire dans l’espace médiatique.
Ouvrir la voie à l’intime
Si les témoignages occupent une part si importante dans les mouvements féministes, c’est en partie car ils permettent de briser ce que la sociologue Elisabeth Noelle-Neumann théorise « la spirale du silence » : moins une opinion, ou un récit n’existe dans le débat public et l’espace médiatique, plus cela décourage les individus concernés à faire entendre leur parole.
Cette autocensure participe malgré elle à la silenciation des violences sexistes. À cette logique s’oppose l’image des dominos : l’expression d’un témoignage semble en « libérer » des centaines d’autres. Ce mécanisme est favorisé par le podcast : en plaçant la parole au centre du contenu, qu’elle paraisse « brute » ou romancée, cette dernière s’offre à nous pour en laisser entrevoir les problématiques sous-jacentes.
Le média audio rompt précisément avec cette spirale vicieuse en médiatisant l’intime : un choix militant qui donne sens aux récits intérieurs. Ces podcasts natifs occupent donc une place importante dans la circularité des récits féministes. La journaliste Charlotte Pudlowski confie dans son podcast Ou peut-être une nuit, qui aborde le difficile sujet de l’inceste : « Elle est tellement douloureuse cette parole de l’intime. Elle contient des révolutions. »
Un propos qui rappelle qu’au creux de nos oreilles se jouent des bribes de révolutions, mais encore faut-il y prêter l’oreille.
Une voie en plein essor
Dès 2017 déjà, le format audio fait parler de lui. Trois années plus tard, l’étude CSA-Havas Paris relève que 26% des 25-34 ans déclarent écouter au moins un podcast par semaine.
Les podcast natifs, par leur souplesse éditoriale, et leur conception autonome et indépendante « bricolent » leur style à la façon du sociologue Erving Goffman, disputés entre un engouement pour le genre, et un faible ancrage normatif.
Ces derniers sont ainsi un lieu hautement investi par les communautés militantes, mais le risque du format est de se conforter dans un microcosme militant, qui prêcherait seulement des convaincus.
Ces podcasts concentrent pourtant une grande part d’écoute, en arrivant dans le Top 50 des podcasts les plus écoutés en France, qu’il s’agisse d’interviews de grandes personnalités (InPower), ou de récits de vie de femmes du quotidien (Transfert).
Depuis 2018, les podcasts ont même leur festival : le Paris Podcast Festival, qui décerne plusieurs prix, dont Oxmo Puccino (auteur, rappeur) et Sonia Kronlund (productrice de Les pieds sur terre, France Culture) furent membres du jury pour cette quatrième édition.
C’est pourquoi pour cette rentrée des classes, FastNCurious et son pôle accessibilité s’attèlent au nouveau défi de vocaliser leurs articles. Un défi qui s’inscrit pleinement dans les enjeux contemporains médiatiques. FastNCurious s’ouvre ainsi à la douce mélodie des voix de Martin, Marie et Maë, dans le métro ou dans la rue, pour les oreilles de chacun. Une expérience auditive novatrice pour notre équipe de rédaction, que vous pouvez dès à présent retrouver sur notre site.
Alicia Marie
Sources :
Bitbol-Saba, N., & Aubert-Tarby, C. (2017, août 31). Politiquement incorrecte ? La pratique de « manterruption » décryptée.
AdR, A. A. (2021, 4 février). Le nombre de podcasts dans le monde a triplé en 2020.
* Bennett, J. (2015, 20 janvier). How Not to Be « Manterrupted ».
Étude CSA-Havas Paris octobre 2020 : Les français et les podcast.
Breton, P. (2007). Éloge de la parole. Paris : La Découverte.
Elisabeth Noelle-Neumann, « The spiral of silence: a theory of public opinion », Journal of Communication, 24 : 43-54, 1974.
Podcast « Ou peut être une nuit ».
Illustration : © Mona Poulain