Une nouvelle polémique est venue irriguer, mardi 6 octobre 2015, le chapitre déjà controversé de l’accueil des réfugiés en Europe. Le hongrois Norbert Baksa, qui se définit lui-même comme « un photographe professionnel indépendant avec vingt ans d’expérience à son actif », est à l’origine de « Der migrant », clichés de mode sur le thème des réfugiés.
La réaction des internautes fût virulente et sans appel. Devant l’ardeur des condamnations de son travail, Norbert Baksa retira finalement les images de sa page internet et de son compte Twitter deux jours après leur publication.
De l’objet des médias à l’objet d’art
Depuis quelques mois, et a fortiori depuis le 24 août dernier, lorsqu’Angela Merkel a annoncé une souplesse sur l’ouverture des frontières de l’Allemagne concernant le cas des demandeurs d’asile syriens, les articles et reportages médiatiques au sujet des réfugiés prolifèrent.
Aussi le thème de l’immigration est-il omniprésent dans les médias, qu’on lise la presse, qu’on écoute la radio, qu’on regarde la télévision, et par conséquent il s’inscrit dans nos quotidiens.
Entendu en tant qu’objet investi par les médias, le thème des migrants soulève un paradoxe. S’il est légitime que les travaux de Norbert Baksa dérangent et offusquent les internautes, il reste compréhensible que la thématique des migrants soit source d’inspiration pour l’art, puisqu’au cœur des préoccupations actuelles (en admettant que les clichés en question soient de l’art). Comment comprendre cette tension ?
Art et politique, les amants maudits
En partant du postulat que le projet « Der migrant » appartienne bien au domaine de l’art, il est possible d’entendre les justifications que le photographe s’est donné la peine de publier sur son compte Twitter.
Norbert Baksa soutient que son travail met l’accent sur « la complexité de la situation et adopte un point de vue différent ».
Dans l’exemple de la photographie ci-dessous, on peut remarquer un décalage évident dans le choix des personnages. Le contraste est évident entre une délicate et fragile jeune femme, représentant une migrante, et un individu violent, symbole du l’ordre étatique.
La série de photos dérange surtout par ses contrastes manichéens entre le beau et le laid, le bien et le mal. Et ce sont précisément ces oxymores visuels qui permettraient de mettre en évidence « la complexité de la situation ».
« Ingrid, est-ce que tu buzz ? »
Le problème n’est pas le choix du thème des réfugiés, mais la manière discutable, et plutôt frivole, dont il est traité. La mise en scène d’une jeune femme, respirant la fraîcheur, en train de faire un selfie aguicheur, chemisier ouvert, devant une barrière barbelée à l’aide d’un téléphone portable qui porte le logo Chanel, n’a pu naître que d’un esprit conscient du tollé que cela engendrerait. Les situations sont si grotesques qu’elles transpirent la recherche du « buzz médiatique ».
Cinquante-deux millions d’immigrés*, et moi, et moi, et moi
On connaît la position radicale de la Hongrie à propos de l’accueil des réfugiés en Europe. Après qu’il ait construit un mur « anti-migrants » à sa frontière avec la Serbie, le premier ministre hongrois Viktor Orban a fait voter une loi autorisant les militaires à faire usage d’armes non létales sur les migrants.
Certes, les jolies ambitions que Norbert Baksa a affiché sur son compte Twitter, telles que « exposer la dualité des reportages des médias », « faire se rencontrer différentes opinions pour nous ouvrir l’esprit » semblent prôner un noble objectif de compréhension de la situation dans sa globalité. Mais dans ses clichés, on retrouve en fait le leitmotiv de la décadence et du repli national.
Il nous assure en effet que ses « photos sont la traduction des reportages qu’on peut voir dans les médias hongrois. Certains montrent bien des réfugiés qui s’enfuient pour une question de survie, tandis que d’autres exposent des migrants agressifs ou terroristes ».
La théorie du complot revisitée ?
Peut-être Norbert Baksa entend-il en fait dénoncer les abus de tous ces migrants calculateurs, qui se cachent sournoisement sous l’appellation « réfugiés », et s’infiltrent en Europe, uniquement dans le but de profiter de la prospérité économique européenne. Cette intention de dénonciation serait sous-jacente dans l’intitulé même de son projet. Alors qu’il prétendrait nous ouvrir les yeux sur une situation complexe, puisque les médias traditionnels n’auraient pas correctement rempli leur mission d’information à ce sujet, l’accusateur nomme naturellement son travail « Der Migrant ».
Mais l’emploi de l’article défini ne sous-entend-il pas précisément une généralisation, celle-là même qu’il ambitionne de combattre ?
Trancher entre hypocrisie ou recherche de buzz, voilà la « dualité » que semble suggérer Norbert Baksa à travers ses clichés, à prendre dans tous les sens du terme.
Aline Nippert
Linkedin
Sources :
* chiffre tiré d’un projet-événement d’Arte reportage, où « migrants » est pris dans son sens large de « nombre d’êtres humains qui sont contraints à vivre sur une terre qui n’est pas la leur » http://info.arte.tv/fr/refugies
https://twitter.com/NorbertBaksa?ref_src=twsrc%5Etfw
http://www.rtl.fr/actu/international/en-hongrie-les-militaires-sont-autorises-a-tirer-sur-les-migrants-7779808514
Crédit photos :
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/en-images-shooting-mode-refugies-fait-polemique/