Marques et greenwashing : quand la fast fashion verdit ses discours
L’industrie de la mode pollue plus que les vols internationaux et le transport de marchandises cumulés. C’est ce que conclue un rapport de la fondation Ellen MacArthur publié en 2017. Deux ans plus tard, 32 entreprises de mode signent le Fashion Pact : un engagement pour réduire leur impact environnemental. Fort enjeu de communication pour les marques que de « se mettre au vert ». Mais qu’en est-il vraiment derrière ces discours green des industries de mode ? Et si le Fashion Pact n’était qu’une vaste opération de greenwashing ?
Dans une infographie, Le Parisien analyse les cinq étapes du cycle de vie d’un maillot chinois vendu en France. Même s’il semble inoffensif et qu’il ne coûte presque rien, ce maillot aura engendré une pollution de l’eau avec des substances chimiques, une pollution de l’air à cause des pots d’échappement des camions de livraison, et une pollution des terres agricoles à cause des champs de coton, la culture la plus gourmande en pesticides.
Les vêtements ne sont d’ailleurs pas tous faits en coton. De nombreuses marques utilisent également du polyester, une fibre synthétique dérivée… du pétrole ! Enfin, après avoir traversé plusieurs continents, le maillot finit par être jeté. Quiconque a déjà acheté un tee-shirt H&M à 5€ savait bien que celui-ci ne durerait pas toute la vie. Après tout, ce ne sont que 5€ de perdus.
Le secteur de la mode est aujourd’hui le plus polluant au monde, juste derrière l’industrie du pétrole. Le rapport de la fondation Ellen MacArthur fait le bilan de ces pollutions. Parmi les partenaires principaux de la fondation, on retrouve notamment H&M et Nike. Il est donc cohérent que les solutions proposées par le rapport soient mises en place par ces entreprises. Elles sont maintenant signataires du Fashion Pact, au même titre que Zara, un autre géant du secteur de la fast fashion.
Fausses solutions, vrais mensonges ?
Le rapport propose notamment quatre pistes pour améliorer l’impact des entreprises de mode sur l’environnement : limiter la présence de micro-fibres dans les textiles, utiliser des matières renouvelables, augmenter l’utilisation des vêtements existants (en favorisant la revente) et recycler. C’est comme un référendum en faveur de l’environnement : comment ne pas être d’accord ?
Deux éléments importants de la fast fashion sont pourtant passés sous silence dans ce rapport : la qualité des produits et leurs lieux de fabrication. Un tee-shirt en coton biologique est peut-être moins mauvais pour l’environnement qu’un autre, mais s’il est expédié depuis l’Asie vers l’Europe et jeté après quelques utilisations, le problème environnemental est loin d’être résolu.
Les soldes et les évènements tels le Black Friday témoignent d’autre part que la fabrication des produits H&M et Zara est très peu coûteuse, sinon ils ne pourraient pas se permettre de telles réductions, de façon répétée. Et si le Fashion Pact n’était qu’un “coup de com” teinté de vert ?
La fast fashion en pointe… sur le greenwashing
Mais, en fait, qu’est ce que le greenwashing ? Dans son guide anti-greenwashing, l’Agence de la transition écologique (ADEME) définit cette technique de marketing comme visant à « donner une image écologique à des entreprises et à des produits qui ne le sont pas ». Il s’agit de produire un discours en faveur de l’environnement, mais sans mettre en place des mesures réellement efficaces. De nombreux secteurs sont concernés, et la mode n’y échappe pas.
H&M et Zara, avec leurs collections « Conscious » et « Join Life » vantent une mode plus responsable. H&M ambitionne même d’avoir un impact « positif » sur la planète, notamment par le biais de puits de carbone artificiels. En gros, il s’agit de mettre la pollution sous le tapis. H&M est d’ailleurs une entreprise qui brûle ses invendus afin de faire de la place aux nouvelles collections…
L’enseigne joue également sur les mots, car la collection « Conscious » induit en erreur les acheteurs. L’autorité norvégienne de la consommation a en effet jugé en août 2019 que les publicités de la collection d’H&M étaient trompeuses, offrant trop peu d’informations précises sur les matériaux durables et le pourcentage de ceux-ci dans les vêtements de la collection. Un jeans peut se voir estampillé « Conscious » sans contenir de fibres biologiques, et sans préciser quel pourcentage du pantalon est en matière recyclée. Un peu facile, non ?
Ne pas jeter toute la mode avec l’eau du bain
Heureusement, il n’y a pas que H&M ou Zara dans la mode. On peut choisir d’acheter des vêtements déjà portés, en allant dans des friperies. On peut aussi acheter des vêtements français, fabriqués avec des matériaux durables, ou upcyclés, c’est-à-dire à partir de tissus ou de matériaux non utilisés (à l’instar des Récupérables ou des Mécaniques douces). Certaines marques misent également sur une forme de compensation, mais il y a alors un risque de greenwashing.
La marque de vêtements française Faguo plante des arbres pour compenser la fabrication de ses produits. L’idée séduit de nombreuses entreprises dans le monde, même le site Pornhub a décidé de planter des arbres. Le géographe Benjamin Neimark estime cependant que la plantation d’arbres peut causer davantage de mal que de bien, et que les dommages environnementaux causés à un endroit ne sont pas annulés par des réparations menées à l’autre bout du monde. Planter des arbres est donc une idée intéressante, si elle est menée correctement.
L’arbre ne cache pas toujours la forêt
La marque canadienne Tentree plante dix arbres pour chaque pièce confectionnée. Mais rien n’est spécifié sur les espèces plantées, à part qu’elles le sont en Indonésie. Si ce ne sont pas des essences locales, leur impact pourrait être nul, voire dommageable pour l’environnement. Sur la version américaine de son site, Tentree communique sur le C02, l’eau et les déchets économisés en fabriquant ses produits. Les données fournies par l’entreprise concluent que c’est la plantation d’arbres qui permet de produire moins de C02 qu’un vêtement traditionnel. Tentree fabrique ses vêtements en Chine, mais compense son impact par une plus-value environnementale qui n’en est pas vraiment une.
La marque propose même des réductions allant jusqu’à -30 %, pour célébrer le « Green Friday ». Produire de nouvelles collections à la chaîne, les fabriquer en Chine et proposer des soldes pour inciter à la consommation, ce n’est pourtant ni éthique ni écologique. Renommer le Black Friday en Green Friday pour attirer des consommateurs, c’est même l’exemple parfait du greenwashing.
Consommer mieux et consommer moins
Heureusement, il existe des marques qui ne pratiquent pas le greenwashing. On peut citer la marque espagnole Two-thirds (en référence aux deux tiers de la planète recouverts d’eau). Ses produits sont fabriqués en Europe avec des matériaux recyclés, et le plastique est banni des emballages. Ou encore Veja, qui fabrique ses chaussures au Brésil avec des matériaux durables, et rémunère trois fois plus ses travailleurs que ceux des usines chinoises.
Pour aligner leurs pratiques sur leurs discours, les grandes entreprises de mode devraient donc chercher à produire des vêtements de meilleure qualité et en moins grande quantité, en favorisant les matériaux durables et recyclés. Le tee-shirt H&M risquerait alors de coûter plus que 5€. La planète ou le consommateur, l’un des deux finira par payer le prix cher.
Jean Cittone
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Sources:
-«A New Textiles Economy: Redesigning fashion’s future ». Rapport de la fondation Ellen MacArthur, 28/11/2017, 150 pages (source)
– Source infographie Le Parisien : https://www.leparisien.fr/environnement/pollution-le-grand-gachis-des-vetements-usages-24-01-2020-8243220.php
-Le guide anti-greenwashing de l’ADEME à télécharger ici : http://antigreenwashing.ademe.fr/