#Metoo, #balancetonbar, à l’ère du féminisme des hashtags et des réseaux sociaux
En 2017, un hashtag prend de l’ampleur aux Etats-Unis, puis dans le monde entier, pour symboliser finalement le début d’une ère : #Metoo. Lancé suite aux scandales de harcèlements et d’agressions sexuelles par le producteur de cinéma américain Harvey Weinstein, il a ouvert, depuis sa création, la porte aux témoignages et lancements d’alerte au sein de la communauté féministe. Leur point commun ? Le moyen de diffusion, et surtout la forme. Les réseaux sociaux, et tout particulièrement la plateforme Twitter, sont devenus les vecteurs privilégiés d’une nouvelle parole, matérialisée par l’usage du #. Entre 2017 et 2018, #MeToo et #BalancetonPorc comptabilisent ainsi à eux seuls respectivement 17,2 millions et 930 000 tweets. Des chiffres vertigineux qui visibilisent une réalité jusqu’alors tue, et donnent, enfin, la parole aux victimes de violences sexuelles et sexistes.
Pour Michael Cohen dans The Washington Post, #MeToo est un phénomène de durée, et non de viralité pure. C’est un élément déclencheur d’un processus plus grand, plus généralisé, que nous appellerons ici le cyberféminisme, ou le féminisme du hashtag.
Twitter, Facebook ou encore Instagram, autant de plateformes que de moyens d’expression, réceptacles d’opinions et de violences exacerbées à l’égard de certaines minorités. L’affaire de la Ligue du LoL semble si loin, et pourtant si proche. Ce groupe privé Facebook constitué de journalistes et de communicants, de grands noms ou pas, a été accusée d’avoir mené pendant plusieurs années des campagnes d’harcèlement en ligne à l’égard de collègues féminines. Sexisme, racisme, le cyberharcèlement caractéristique de cette affaire questionne la possibilité d’un militantisme et d’un espace d’écoute bienveillant dans le nouvel espace public que constituent les réseaux sociaux. Comme le souligne dans un article du journal Le Monde, la cybermilitante antiraciste et féministe Mélusine (@Melusine_2 sur Twitter), « Quand on est une femme et qu’on exprime une opinion dans un espace public, on attire forcément la haine ».
Mais alors comment se réapproprier l’espace public à l’ère du féminisme moderne ?
Car le féminisme moderne, celui que l’on pourrait qualifier de féminisme des hashtags, à la lumière du phénomène #Metoo, est aussi celui des réseaux sociaux. C’est ce qu’affirme l’historienne spécialisée dans la question du féminisme, Bibia Pavard : « Twitter a servi de caisse de résonance aux concepts féministes et les a popularisés bien au-delà des cercles militants ». En effet, les comptes féministes abondent sur les réseaux sociaux, caractérisés pour certains par ce # qui les a popularisés en 2017. C’est notamment le cas pour le compte Twitter #Noustoutes qui établit un recensement des féminicides annuels en France et organise les principales manifestations féministes. Et Twitter n’est pas le seul réseau social à visibiliser la parole des femmes. Toute plateforme mainstream devient désormais un outil efficace pour transmettre, informer et condamner.
C’est ainsi que le compte Instagram @balance_ton_bar_paris a été lancé fin octobre 2021 pour donner voix à la vague de témoignages d’agressions au GHB dans les différents bars et boîtes de nuit de la capitale française. Après balance ton porc ou encore balance ton éditeur, balance ton bar vient répondre aux besoins actuels des victimes de violences et agressions sexuelles, droguées à leur insu, et permet de prévenir au sujet d’établissements suspects et des possibilités d’action judiciaires, médiatiques pour les victimes.
Le cyberféminisme, une bulle dans l’océan informationnel
Cette appropriation exacerbée des réseaux sociaux, nouvel espace social, répond fondamentalement à un besoin : celui de se reconnaître dans l’autre, partager les mêmes convictions, et évoluer au sein d’une même bulle. Par le biais du fonctionnement des algorithmes, nous pouvons analyser ce phénomène militantiste comme la création d’un espace de convergence des opinions. Lieu de convergence, mais également de démocratisation de concepts méconnus mis sur le devant de la scène grâce à leur dénonciation au sein d’un espace public largement partagé.
Comment peut-on expliquer, au-delà de la nécessité de délivrer une parole jusqu’alors tue, l’importance du phénomène de féminisme en ligne ? Peut-être pourrions-nous l’envisager au regard du concept de biais de confirmation. Le biais de confirmation est la tendance instinctive de tout esprit humain de chercher en priorité des informations qui confirment sa manière de penser. Le biais de confirmation est constamment mis en relation avec ce que Gérald Bronner qualifie, dans La démocratie des crédules, de marché cognitif. Le marché cognitif, c’est l’image qui permet la représentation de l’espace fictif dans lequel se diffusent les produits, et qui informe notre vision du monde. Or, le marché cognitif, avec l’avènement des réseaux sociaux et la généralisation de l’accès à Internet, s’est massifié. Face à cette masse informationnelle, chacun a désormais la possibilité de choisir les informations qui correspondent à sa manière de penser, et surtout à ses convictions, et ce, dans un souci de commodité mentale. C’est ce qui conduit à l’amplification du biais de confirmation. Et c’est de ce phénomène que dépendent les multiples comptes, blogs et publications féministes qui trouvent non seulement une voix, mais également l’oreille attendue pour permettre une telle émancipation de la parole. Cela aboutit principalement, comme l’écrit David Bertrand dans L’essor du féminisme en ligne, à une « sur-représentation des argumentaires militants en ligne, concernant les sujets qui les intéressent ». En effet, l’argumentation en faveur de ces convictions devient si abondante qu’elle dépasse les contre-arguments, et permet un effet de visibilisation majeur des différentes strates du mouvement féministe.
La quatrième vague du féminisme
L’engouement renouvelé par le biais des réseaux sociaux à l’égard du féminisme, quelles que soient la forme et les revendications éparses soulevées, nous permettrait ainsi de parler d’une « quatrième vague du féminisme », pour reprendre le terme employé par David Bertrand dans son ouvrage L’essor du féminisme en ligne. En réalité, celui-ci serait né en 2011, avant même l’ère #MeToo, qui vient généraliser le phénomène. David Bertrand le souligne, mais l’ouverture médiatique et communicationnelle apportée par les réseaux sociaux facilite « l’organisation de pratiques de « public shaming », extrêmement réactives et coordonnées (…) et une « call out culture » qui se développe en parallèle de la promotion d’une lecture intersectionnaliste des rapports sociaux de domination ».
En globalisant et en généralisant la parole de toute personne souhaitant s’exprimer, le cyberféminisme devient un enjeu social visibilisé et davantage reconnu, que décrit Bibia Pavard : « Une question sociale prend de l’importance, et est reconnue comme telle à partir du moment où elle concerne beaucoup de monde. Twitter permet de faire nombre, quand il est précisément reproché aux féministes de parler au nom d’une petite minorité de femmes ». Cette reconnaissance de la globalité du mouvement, des enjeux quotidiens qu’il soulève, et des dénonciations qu’il apporte, permet dès lors une démocratisation du féminisme, un esprit de sororité et de cohésion réaffirmé constamment. Le nouveau féminisme donne ainsi la voix aux minorités jusqu’alors exclues des mouvements visibilisés, et permet l’émergence d’un féminisme intersectionnel.
Désormais, le féminisme s’est donc ouvert à une nouvelle voix : celle des hasthags, des retweets et du buzz. Jamais la connaissance des enjeux féministes n’a été aussi accessible à un public large et non-informé. Le cyberharcèlement reste une réalité massive, mais jamais la sororité numérique n’a elle été aussi forte. Pour l’essayiste féministe française Valérie Rey-Robert (@valerieCG sur Twitter) les limites des réseaux sociaux ne sauraient masquer une réalité : le progrès du féminisme ces 20 dernières années, et ce, en partie à travers l’oiseau bleu et ses amis.
Maë Veltz
Sources :
Le Monde. “#Metoo, du phénomène viral au “mouvement social féminin du XXIe siècle” – 14/10/2018
Le Monde. “Twitter, un outil aussi utile qu’opprimant pour les femmes” – 06/03/2019
Olivier Cousin, Julie Landour, Pauline Delage, Sabine Fortino et Marion Paoletti. “#MeToo, #Travail ?”. La Nouvelle revue du travail.
David Bertrand. “Symptôme de l’émergence d’une quatrième vague du féminisme ?”. L’Essor du féminisme en ligne. (2018).
Gérald Bronner. La démocratie des crédules. (2013).
Illustration : © Mona Poulain