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Quand les pathologies de l’information investissent notre société contemporaine

Astroturfing, théorie du complot, conspirationnisme, scepticisme… si ces termes peuvent sembler théoriques de prime abord, ils sont symptomatiques de la réalité de notre société actuelle. Ces phénomènes sont très présents, sans que l’on puisse pour autant les identifier comme tels.

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Comment savoir si l’on est en présence d’une théorie du complot, face à des conspirationnistes, des sceptiques ou au sein d’une campagne d’astroturfing ? La crise sanitaire que nous traversons depuis deux ans a mis en exergue les pathologies de l’information qui nous entourent, désormais de manière quotidienne.

Un étiquetage complexe

L’ensemble de ces pathologies de l’information ont comme caractéristiques communes d’être difficilement saisissables et difficilement étiquetées. Prenons le terme « astroturfing ». Si à sa première écoute, on peut – à tort – penser à l’astrologie, il s’agit en réalité d’une technique de manipulation de l’opinion publique. Les personnes ayant recours à des pratiques d’astroturfing, font croire à un mouvement citoyen spontané en masquant des logiques de lobbying cachées en creux, et manipulent ainsi l’opinion publique. Le premier emploi de ce terme date de 1986, lorsque le sénateur américain démocrate Lloyd Bentsen (1921-2006) est à l’origine d’une nouvelle législation qui viendrait augmenter la taxe sur les produits spiritueux. Lloyd Bentsen reçoit alors de nombreux courriers de citoyens s’opposant à cette réforme. Il s’agit en réalité d’une campagne de communication orchestrée par l’opposition républicaine, et menée indirectement par le Distilled Spirits Council of the United States. On a ici affaire à cette stratégie de communication qui laisse croire à un mouvement citoyen spontané, alors même que celui-ci est monté de toutes pièces. 

Conspiration Illuminati © Collective Evolution
Conspiration Illuminati © Collective Evolution

Le conspirationnisme, à différencier du terme complotisme, consiste en un accord secret entre plusieurs personnes contre l’ordre établi. Quant à la théorie du complot, il s’agit d’explications hypothétiques de phénomènes isolés.

Le scepticisme pourrait se définir comme une remise en question rationnelle du discours officiel, et comme la prétention à une certaine forme de rationalité, par opposition à ceux ne remettant pas en cause les discours. On parle davantage d’une posture plutôt que d’une réelle manière de penser. 

L’astroturfing, le conspirationnisme, les théories du complot et le scepticisme ne sont pas nouveaux. On peut déjà parler de théorie du complot lorsque les juifs sont jugés responsables de la peste noire en Allemagne au XIVème siècle et on peut aussi employer ce terme pour évoquer le scandale #FreeBritney. Finalement, quels éléments rapprochent ces pathologies de l’information entre elles ? Qu’est ce qui les rend d’autant plus actuelles aujourd’hui ?

Sur un sujet proche : Scepticisme scientifique : vers un monde de post-vérité ? – Bilal Berkat pour FastNCurious.

Un phénomène de masse… 

L’ensemble de ces pathologies de l’information joue sur l’idée d’une masse. La campagne d’astroturfing de 2018 opérée par Planned Parenthood, le Planning Familial américain, en est l’illustration. Un étudiant de la Weber State University avait été recruté par l’organisation pour que celui-ci crée son association pro-choix, au sein de sa faculté. L’association pro-choix ainsi créée laisse penser qu’elle répond à un réel besoin de la part de nombreux étudiants, alors qu’il s’agit en réalité de l’œuvre de Planned Parenthood. 

Pour que l’astroturfing, le conspirationnisme, le complotisme et le scepticisme puissent opérer, il est nécessaire qu’il y ait un phénomène de masse, ou du moins une volonté de faire croire à un phénomène de masse. Les réseaux sociaux, notamment Facebook, facilitent cet effet et permettent la formation d’une communauté, partageant les mêmes idées véhiculées.

… qui rassemble sa propre communauté

L’exemple le plus probant d’une communauté de fervents conspirationnistes était il y a plus d’un an, le 6 janvier 2021, lorsque des partisans de Donald Trump avaient envahi le Capitole. Cet évènement peut être assimilé au conspirationnisme en tant que mouvement basé sur la défiance, opposé à l’élite, et en l’occurrence opposé, ici au pouvoir désormais détenu par Joe Biden.

Invasion du Capitole par des militants pro-Trump, 6 janvier 2021 © Saul Loeb / AFP
Invasion du Capitole par des militants pro-Trump, 6 janvier 2021 © Saul Loeb / AFP

Plus localement, les multiples conférences de presse données par Olivier Véran et Jean Castex ont constitué des éléments de discours pour les complotistes et les sceptiques. Lors des lives, de nombreux commentaires ont été faits par ces communautés sceptiques à propos des discours tenus sur la pandémie. Les vaccinations surmédiatisées de ces ministres au printemps dernier ont parues fausses aux yeux des complotistes ; certains ont présumé que la dose injectée n’était pas dudit vaccin, d’autres qu’il s’agissait uniquement d’un coup de communication.  

Capture d’écran d’une publication Facebook du 10 février 2021 © AFP Factuel
Capture d’écran d’une publication Facebook du 10 février 2021 © AFP Factuel

En raison de leur utilisation de plus en plus fréquente, ces notions communicationnelles tendent à être révélées au grand jour dans les médias, notamment dans la perspective des élections présidentielles françaises à venir. Le 2 février dernier, à deux mois de celles-ci, une enquête Le Monde a dévoilé comment Eric Zemmour et son équipe ont donné l’illusion d’un large mouvement de ralliement sur Twitter. Dans cette enquête, l’utilisation de l’astroturfing a été démontrée et illustre les mécanismes employés dans les champs communicationnel et politique.

Découvrez l’enquête en question : Comment des militants d’Eric Zemmour gonflent artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter (lemonde.fr)

Face à cela, les institutions françaises prennent conscience de la menace représentée par ces phénomènes et par les problèmes engendrés par ceux-ci. C’est dans ce contexte que le Gouvernement a missionné une équipe de chercheurs pour y réfléchir. Le sociologue Gérald Bronner, dans son rapport Les Lumières à l’ère numérique, nous livre ainsi une grille de lecture pour mieux appréhender ces phénomènes. Entre contrôle de la prolifération des fake news, développement de l’esprit critique et éducation aux médias, son rapport apporte de l’espoir quant au futur de l’information et de sa transmission.

Constance Meillet

Un grand merci à Olivier Aïm, ainsi qu’aux étudiants de Licence 3 ayant soutenu leurs Travaux d’Initiation à la Recherche sur l’axe des pathologies de l’information.


Sources :

AIRAKSINEN Toni, “Planned Parenthood astroturfing at Utah College”, Campus Reform, 16 mai 2018, Campus Reform | Planned Parenthood astroturfing at Utah college

BOUCHERON Patrick, VAN WAEREBEKE Denis, “1347 : la peste noire, quand l’histoire fait dates”, Arte, 2017, [vidéo] 1347 : La peste noire | Quand l’histoire fait dates | ARTE

BRONNER Gérald, “Les Lumières à l’ère numérique”, Vie publique, janvier 2022, https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/283201.pdf 

CARPENTIER Arthur, BRETONNIER Marceau, SAHLI Adrien, BELLANGER Elisa, COSTARD Emile, “Comment des militants d’Eric Zemmour gonflent artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter”, Le Monde, 2 février 2022, Comment des militants d’Eric Zemmour gonflent artificiellement la présence de leur candidat sur Twitter (lemonde.fr)


Illustration : © Paola Firringeri

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