Publicité et marketing

Which life matters ?

En avril 2017, le dernier spot publicitaire de Pepsi a très rapidement déclenché un « bad buzz » ou un « gros fail », pour reprendre les expressions utilisées par les titres de l’actualité à ce sujet. Le court-métrage de 2 minutes 40 mettait en scène l’instagrammeuse Kendall Jenner partageant une canette de Pepsi avec des policiers, au cœur d’une manifestation organisée par le mouvement afro-américain « Black Lives Matter » : militant contre la violence et le racisme systémique envers les Afro-Américains aux Etats-Unis. Il n’en a pas fallu pas davantage aux internautes pour déclencher une vague de critiques et pour faire comprendre à Pepsi que les suggestions de cette publicité ne sont pas acceptables.

Kendall Jenner versus une militante de BLM

La rétroaction des consommateurs face à certains contenus est de plus en plus importante

L’époque où une marque pouvait délivrer son contenu publicitaire à un consommateur passif, privé d’un esprit critique et, surtout, d’outils de réaction est finie. De nos jours, on ne compte plus les « bad buzz » qui ne sont rien d’autre que la cristallisation de commentaires critiques à l’égard d’un acte de communication jugé irrecevable, comme Shea Moisture de Nivea en avril 2017, ou encore celui de Dove il y a à peine quelques semaines.

 

Tweet du quotidien français « Les Echos »

Si les réseaux sociaux sont des caisses de résonance et des porte-paroles amplificateurs de certaines réactions virulentes, ils permettent également aux internautes de manifester leur soutien aux communautés se sentant attaquées et/ou moquées par ces publicités aux messages ambigus.

La question des origines raciales a toujours été d’une extrême sensibilité. Quelle ligne ne faut-il pas franchir pour transformer la taquinerie en remarque franchement raciste ? Comment instaurer une complicité avec une communauté qui n’est pas la sienne en n’étant ni intrusif ni distant, ni familier ni condescendant ?

 

La communauté afro-américaine, principale victime

Le mouvement afro-américain « Black Lives Matter », créé entre 2012 et 2013, émerge dans un contexte de non-pénalisation des agresseurs de la communauté afro-américaine. Il peut être considérée comme le climax d’un « bad buzz » permanent autour de cette minorité, principalement aux Etats-Unis.

Outre les spots publicitaires récusables que nous avons énumérés, les media américains cultivent une crainte, voire une haine, à l’encontre de la communauté afro-américaine. Les unes des journaux et les gros dossiers des journaux télévisés se concentrent souvent sur des faits divers où des Afro-américains sont inculpés. La chercheuse en géopolitique Charlotte Recoquillon parle ainsi d’un « racisme systémique aux Etats-Unis ». Les répercussions de ce racisme se font sentir de l’autre côté de l’Atlantique à travers les « bad buzz », qui apparaissent alors comme des sur-réactions visant à compenser cette situation critique.

Exemple d’étude anxiogène sur la figure de l’Afro-américain aux Etats-Unis

Début novembre, lors d’une conférence, l’universitaire et chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication Yves Citton expliquait d’ailleurs aux étudiants du CELSA l’inscription de notre société dans une « diarchie ». Dans Médiarchie, il affirme : « Car, plus que les peuples ou les individus, ce sont les publics formés par les médias qui sont les substrats de nos régimes politiques. Même lorsque nous dénonçons le « pouvoir des médias », nous n’entrevoyons qu’à peine à quel point ceux-ci conditionnent nos perceptions, nos pensées et nos actions, individuelles et collectives. » Durant l’un de ses séjours aux Etats-Unis, abreuvé des informations délivrées par les médias locaux, il confiait que conditionné, il vérifiait inconsciemment que son portefeuille était bien présent lorsqu’il croisait une personne afro-américaine dans la rue.

 

Le triste dialogue de sourds entre communautés

Toutefois, la contradiction fondamentale entre un racisme systémique, institutionnalisé, entretenu, et les réactions virulentes face à des campagnes de publicité controversées (qui deviennent des échecs le plus souvent à cause de maladresses ou de quiproquos) peut être lue comme une incohérence, ayant pour conséquence l’apparition d’un dialogue de sourds entre communautés.

De fait, aux réclamations des militants du mouvement « Black Lives Matter » se succèdent les réclamations de celui des « All Lives Matter » (avec de forts échos lors de la campagne présidentielle de 2016 aux Etats-Unis), face à celles encore des « Blue Lives Matter » lesquelles exigent une meilleure protection pour les policiers après la mort de deux officiers à Brooklyn en décembre 2014.

Ainsi, les levées de boucliers se succèdent et les revendications des uns et des autres entrent en opposition, parmi des publicitaires qui tentent de tirer leur épingle du jeu au sein de cette cacophonie. Apparaissent des conflits et luttes entre les opprimés, afin d’avoir le plus de visibilité et de reconnaissance de leur oppression. Ce sont autant de symptômes d’un dialogue bloqué, presque condamné à mort, au nom de différents droits qui deviennent progressivement des prisons, puisqu’en sortir revient à attaquer le « camp d’en face ».

Finalement, quelle vie et quel avis comptent dans cet immense « fail » de la communication ?

Sophie Regaud

Crédits photos

Chicago Tribune, « Kendall Jenner cries over Pepsi ad backlash in « Keeping Up With The Kardashian’s » Premiere, 2017

NBC News, « Hundred Arrested in Prostests Over Police Shootings in St Paul », 2016

Les Echos, « Dove, les leçons d’un « bad buzz » », 2017, capture d’écran Twitter

San Francisco, bureau des statistiques sur les crimes, enquête 2015

Sources: 

CITTON Yves, Médiarchie, essai, éditions du Seuil, septembre 2017.

CHRISTIAENS Joséphine, « Bad buzz : le gros fail du dernier spot publicitaire de Pepsi avec Kendall Jenner », Paris Match Belgique, publié le 06/04/2017, consulté le 07/11/2017

RECOQUILLON Charlotte, « Ce que « Ferguson » révèle du racisme systémique aux Etats-Unis », Géoconfluences, publié le 07/04/2015, consulté le 07/11/2017

Site web Black Lives Matter

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