Agora, Com & Société

Des paroles et des pactes

L’interdépendance entre langage et société relève aujourd’hui de l’évidence tant les liens entre ces deux notions paraissent intrinsèques. Néanmoins, on assiste à un vrai regain d’intérêt pour la parole sur le long terme, la parole qui s’étale et qui prend le temps de prendre le temps. À contre courant du mouvement actuel qui tend à l’hyper-rapidité et à la consommation à vitesse grand V de contenu, la société renoue avec le langage et devient à nouveau éprise de ses (beaux) parleurs.
Questions pour mon champion
Comme chaque année, le journal La Croix vient de publier son baromètre annuel visant à étudier la relation entre Français et médias. Le résultat est sans appel : le désamour est bien réel et le panel médiatique subit un véritable discrédit par la population. Une nécessité de renouvellement s’impose et par conséquent de nouveaux formats apparaissent. Ces derniers tendent à remettre au goût du jour cette importance de la parole, et la pertinence du discours. Effectivement ce processus n’est qu’un retour à la pratique originelle de l’interview à la télévision mais dans une époque marquée par l’instantanéité des messages, pourquoi s’entêter à vouloir permettre la pérennité de tel ou tel discours ?
Ces formats déclenchent l’adhésion puisqu’il nous font la promesse d’une expérience nouvelle face aux médias. Poussez la porte de n’importe quelle boîte de production et vous verrez que la notion de “promesse” est quasiment obsessionnelle : proposer un concept au public c’est promettre une forme de contenu particulière qui correspond ou qui va créer une attente chez le spectateur.
Ce nouveau type d’émission recoupe un large panel de programmes : de la baignoire de Jeremstar, au café avec Michel Denisot en passant par le canapé de Mouloud Achour, il y a une véritable plongée dans l’intimité de la personne interviewée ;  c’est la promesse. Le succès de ces émissions réside en une équation très simple : voir sans être voyeur ; vous êtes intégrés dans la confession sans ressentir de gêne puisque le programme vous y autorise implicitement. De surcroît, la parole est au centre de ces programmes, décor minimaliste, mise en scène simpliste, tout est fait pour que le langage devienne l’épicentre de l’émission à tel point que l’on se permet le format long : 37 minutes de discussion entre Omar Sy et Mouloud Achour, 42 minutes entre Christiane Taubira et Michel Denisot. Cela en dit long sur la mutation actuelle et sur la tribune accordée à ces influenceurs contemporains : (presque) sans filtres on laisse libre court à la parole sans couper court à la pensée.

Regarder par le trou de la serrure
En prenant de la hauteur de vue sur nos écrans, des hypothèses peuvent expliquer le succès de ce retour au “free speech”. Il semble pertinent de parler de panoptique inversé ; concept inventé par Bentham afin de décrire la structure architecturale d’un pénitencier qui permet au gardien – situé au centre – de surveiller sans être vu, de tout entendre sans rien faire (cf schéma ci-dessous). Ce concept est si subtilement pensé qu’il engendre la création d’un sentiment de surveillance encore plus fort que la surveillance elle-même. Dans Surveiller et punir, Michel Foucault ré-actualise cette théorie et l’étend à des champs autrement plus vastes en parlant notamment de captation de l’intime. Le parallèle peut alors être fait entre la télévision et ses programmes de TV-réalité dans lesquels le gardien est symbolisé par la caméra ; l’oeil panoptique peut alors être associé aux médias en général, qui nous observent, nous surveillent, nous captent.

Dans ces nouveaux formats qui visent à libérer la parole, le téléspectateur devient à son tour le gardien. Tout est surveillé, certainement analysé, commenté et c’est cette complicité avec la caméra qui permet le succès de tels programmes. Emmanuelle de Champs, maître de conférence à Paris VIII affirme alors que : “Le panoptique, c’est avant tout le regard, un dispositif qui permet de « tout voir », mais c’est aussi l’écoute : pour Bentham, il faudrait également s’assurer que le gardien puisse « tout entendre », tout écouter, sans être lui-même entendu”. Le téléspectateur peut tout voir, en toute tranquillité et jouit à son tour de ce sentiment de surveillance qu’il ressent traditionnellement à son détriment comme le confirme un peu plus le baromètre de La Croix évoqué ci-dessus. Le temps d’une émission, les bras croisés, on décortique la parole d’un personnage bien souvent présenté les bras ballants, dans son plus simple appareil : la vérité.
L’impact d’un pacte
La confession impose l’instauration d’un pacte qui fait écho à la promesse dont nous parlions plus tôt dans cet article. À l’image des récits autobiographiques la notion de vérité semble être le moteur de ce type de programmes, il y a donc nécessité de certifier l’authenticité de la parole prononcée. Rousseau lui-même dans ses Confessions prononçait ceci : “Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme, ce sera moi”, à l’heure où les hommes politiques sont pointés du doigt pour leur manque de transparence, intervenir dans ce genre d’émissions comme l’ont fait Manuel Valls ou encore Christiane Taubira, apparaît comme une occasion de paraître dénué de filtres. Toute la subtilité des programmes TV apparaît clairement au travers de cette mécanique : ce pacte, dont ni vous ni la TV ne parle, n’est pas formel ni officiel, et pourtant vous signez et vous l’acceptez au moment où vous regardez le programme : captation de votre intime.

Le succès de ces longs formats réside donc dans la création d’un pacte avec le spectateur. On se prend à adhérer à ces dévoilements psychologiques même si certaines séquences comme celle de Jean-François Copé sur le divan de “Marco” au bord des larmes frôlent le risible. Quoiqu’il en soit la parole reprend sa place dans le débat public et fort de son succès, ce nouveau type de format tend à se généraliser. Cela peut être considéré comme une façon intéressante de rebattre les cartes du jeu médiatique : certes ces interview peuvent être taxées d’opération communication mais elles ont le mérite de procurer le sentiment d’accessibilité à des personnages médiatiques justement caractérisées d’inaccessibles. Il est vrai que les présentateurs prennent parfois des allures de psychologues médiatiques mais en ces temps où la parole peine à être crédible, qui n’a pas besoin d’une bonne thérapie ? 
Jordan Moilim
Sources: 
TNS-Sofres/ La Croix; Baromètre 2016 de confiance des français dans les médias, 02/02/2016 
Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975
Jean-Jacques Rousseau, Confessions, 1782
Crédits images: 
CLIQUE TV
Canal + 
BESTIMAGE
 

Flops

Bad buzz bad buzz, watcha gonna do ?

« Je suis un produit, mais comme beaucoup d’autres artistes qui passent à la télé et à la radio et qui deviennent populaires. Je l’assume complètement, j’aime divertir les gens, je m’amuse dans ce que je fais ». Sur le plateau d’On n’est pas couché, la chanteuse Shy’m n’a pas hésité à assumer sa conception marchande du vedettariat. Son objectif est clair : vendre. Sa stratégie : se construire une identité de marque, créer une offre originale et innovante pour séduire le public le plus large possible. Si tout acteur, chanteur, ou comique ne se considère pas comme un objet de consommation, avoir une stratégie de communication élaborée, voire s’affubler d’une identité chimérique fait souvent partie du jeu.
« Haters make me famous »
De nos jours, face à l’élargissement considérable de l’offre autant musicale que théâtrale ou cinématographique, il faut savoir se démarquer pour être reconnu. Etre une célébrité est devenu un métier en soi, comme l’ont révélé les nombreuses émissions de télé-réalité à travers le monde. Du succès de Loana à celui de Nabilla, il apparaît clairement de nos jours qu’une des meilleures manières de se faire remarquer est d’user d’une stratégie du choc et de l’anormal.
Or, il n’est pas rare lorsque l’on cherche à choquer de rencontrer sur sa route bon nombre de « haters » et de devenir victime du dit « bad-buzz », qui tend à se généraliser. Loana a marqué toute une génération pour être « passée aux choses sérieuses » dans une piscine à la télévision nationale, et Nabilla est connue de tous pour sa bêtise et son inculture. Loin d’en être traumatisées, ou de considérer leur carrière comme un échec, ces dernières peuvent être fières d’avoir réussi à s’imposer dans notre société comme de véritables phénomènes culturels, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Mais jusqu’où est-on prêt à aller pour être sur le devant de la scène ? La tendance étant déjà fortement ancrée, le bad-buzz doit – malheureusement ? – aller de plus en plus loin pour conserver toute son efficacité. On se souviendra longtemps de Kris Jenner, mère de Kim Kardashian, qui n’a pas hésité à vendre la sextape de sa fille pour lancer sa carrière. De même, on peut s’interroger sur la signification du geste de Nabilla lorsqu’elle poignarde Thomas, son petit ami : excès de violence ou pure coup de com’ ? La question se pose quand on sait que leur popularité était à l’époque en perte de vitesse et que le couple semble toujours aussi soudé à l’heure actuelle.

 
Un bad-buzz est un buzz, le marketing n’a pas d’œil
Du côté des artistes, le bad-buzz apparaît de la même façon comme un élément difficilement contournable. Quand on réfléchit aux images les plus virales de la fin d’année 2015, on pense rapidement aux pas de danse ridicules de Drake, énormément détournés et moqués, ou à la chute solitaire de Shy’m en concert. Dommages collatéraux ? Crise communicationnelle ? Bien au contraire. Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler d’Hotline Blink, le dernier single de Drake ? Dans une interview accordée au webzine musical anglo-saxon Complex, Tanisha Scott, chorégraphe pour le clip d’Hotline Blink, affirme la chose suivante : « Tous ces memes et mashups, il savait que ça allait arriver ! Quand on regardait les playbacks, il m’a dit  “ça va forcément devenir un meme“ ». Quand on sait que l’objectif de Drake avec la sortie de ce single était d’arriver numéro 1 au Billboard Hot 100, comme il l’a lui même expliqué sur Instagram, on comprend aisément que les détournements de ses « haters » étaient souhaités et assumés.
 

 

Je voudrais tant que tu memes
Souvent plus viral que le buzz traditionnel parce qu’il permet à chaque internaute de faire sa petite blague, et donc son propre petit buzz, il n’y a souvent rien de tel que le meme pour faire parler de soi, et beaucoup l’ont compris. Certaines stars sont allées jusqu’à forger leur identité publique et donc leur carrière sur cette stratégie. On pense à Shia LaBoeouf, souvent qualifié de « meme humain », et élu « meme de la semaine » dans les Inrocks en juin dernier.

 
Comme expliqué dans l’article, tout dans cette vidéo semblait avoir été conçu pour servir de support à de futurs memes (fond vert, coupe de cheveux inqualifiable, postures étranges, etc.). Si l’autodérision n’a jamais fait de mal à personne, ce phénomène prend une importance toute particulière, brisant le stéréotype de la vedette tirée à quatre épingles, qui maîtrise compulsivement son comportement et son image. Au contraire, il semble qu’il n’y ait plus aucun tabou, aucune honte ou bizarrerie qu’une célébrité ne puisse dépasser, comme l’illustre parfaitement le cas de Miley Cirus, devenue l’opposée d’Hannah Montana (son rôle titre chez Disney), pour s’assurer une carrière mondiale.
Alors qu’il pouvait sembler au début du XXIème siècle que le bad buzz était un signe de fin de carrière – on se souvient de Britney se rasant le crâne avant de disparaître de la scène musicale pour revenir des années plus tard – il s’agit aujourd’hui probablement du meilleur moyen de gagner ou de retrouver la notoriété.
Alix Leridon
Sources :
http://uk.complex.com/music/2015/10/tanisha-scott-interview-on-choreographing-drake-hotline-bling-video


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Les Anges de la télé-réalité 
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Just do it on Youtube 

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Campagne Amesty International
Agora, Com & Société

Le cas-tharsis

Pour vivre peureux vivons choqués, tel est l’adage qui pourrait résumer cette année 2015 malheureusement riche en événements plus dramatiques les uns que les autres. Néanmoins, ne jetons pas la pierre et apportons la notre à l’édifice : le choc dispose également de certaines vertus aujourd’hui assimilées par les publicitaires mais qui tendent à se généraliser. Cette mise à nu à l’image apparaît désormais comme la garantie d’un ancrage psychologique fort, assez délicat mais néanmoins efficace La question semble alors s’imposer  : devons nous tendre ou s’attendre à davantage de brutalité à l’écran ?
Aristote 2.0
Bien qu’il doit certainement se garder d’avoir un avis sur l’émergence de cette propension à choquer, le philosophe grec est à l’origine de cette notion de catharsis. La fameuse “purgation des passions”, cette notion élémentaire que l’on nous rabâche depuis ces belles années collégiennes. Choquer pour extérioriser en somme, les dramaturges classiques pensaient effectivement que représenter une certaine forme de violence sur scène était le moyen idéal de la répudier pour le spectateur.
Même processus mais époque différente, cette violence à l’écran se fait de plus en plus courante et le même débat émerge à chaque campagne publicitaire : vont-ils trop loin ? Comme le présageait Aristote, la notion de représentation est l’épicentre du débat suscité par le choc. Les campagnes de Sécurité Routière se sont emparées de cette notion afin de choquer pour sensibiliser. La communication se veut volontairement violente et la représentation en dit long, pour reprendre (en détournant) le titre de l’ouvrage d’Austin dédié à la communication : ici Faire c’est dire ; on montre pour démontrer. L’image devient alors le message et par conséquent, l’objet même de la reflexion ce qui explique l’importance du média. Comment mettre en exergue ce message et dans quelle perspective doit-il être exploité ?

Quand la TV veut vous show-quer
Jusque là rien de bien révolutionnaire, cette tendance au choc est intimement liée à la quête du buzz, même si le but diffère, les moyens sont vraisemblablement similaires. Aux États-Unis, terre de buzz par excellence, un programme s’est peu à peu imposé comme la méthode forte afin de favoriser la repentance des jeunes délinquants. Scared Straight! était originellement un documentaire (primé par un oscar en 1979) mettant en scène des jeunes considérés comme “difficiles” – comme on aime à les appeler dans les reportages d’une finesse journalistique exemplaire – face à des condamnés à perpétuité. Le concept a été repris et c’est désormais sous la forme d’une émission hebdomadaire qu’il est décliné.
L’idée : plonger ces ados dans un univers savamment hostile afin de créer ce fameux effet de choc. Évidemment, il y a une orchestration télévisuelle et une dramaturgie bien pensée afin de réunir les éléments d’un bon show à l’américaine ; cependant cela en dit long sur la perception et l’utilisation de l’image à l’état brut. Yves Winkin, éminent spécialiste de la communication, évoque encore aujourd’hui la nécessité de réhabiliter la pédagogie par l’objet, et même si ce ne sont certainement pas les méthodes auxquelles fait référence cet auteur, nous pouvons considérer que cette confrontation psychologique doit être créditée d’un certain degré d’efficacité.

Droit au brut
Face à de telles positions au sujet de la violence à l’écran, nous pouvons nous demander s’il ne faut pas persister à aller dans ce sens afin de mettre un terme au flou artistique concernant tel ou tel sujet. Dans le cas du djihadisme, nous assistons à un véritable phénomène de mystification autour du sujet. Cela est justifié par la peur suscitée par cette idéologie qui est présentée comme à l’origine des attentats qui ont touché la France lors de la terrible soirée du 13 novembre. En cela réside le caractère délicat du choc évoqué précédemment et cela légitime une volonté d’apparaître comme plus brut, donc plus vrai. Force est de constater qu’un certain nombre d’interrogations ont émergé depuis ces attentats et qu’il réside en France un climat de questionnement dans lequel à peu près tout le monde y va de son avis, de la brève de comptoir à la longue de plateau TV.
Il apparaît donc nécessaire de montrer, de crever l’abcès psychologique face à ces ombres qui s’agitent au dessus de la conscience collective. L’image demeure un outil pédagogique comme le démontrent Lemine Ould M.Salem et François Margolin, les deux réalisateurs du film Salafistes. En salle en janvier 2016, ce film – d’une durée d’1h10 – apparaît comme une démarche à la fois claire et poignante ; les journalistes sont allés à la rencontre des acteurs majeurs de l’idéologie salafiste en essayant de comprendre et de remonter aux racines de l’extrémisme qui a frappé Paris. Les entretiens se font à visage découvert, la langue dénuée de filtres, la réalité est projetée dans sa pure vérité. Le film a nécessité trois années de tournage et il semble crucial de parvenir à abattre ces idées pré-conçues qui déconstruisent la réalité au profit d’une course à la peur.
La violence est indéniable mais ne doit-elle pas être reconsidérée comme catalyseur de vérité ? Si ce film permet à cette France qui a peur de ne plus soupçonner le barbu dans le métro et d’enfin pouvoir poser des mots sur ces obscurs mécanismes idéologiques, il semble que ce documentaire est un mal, pour un bien.
La multiplication de spécialistes qui viennent envahir le champ médiatique à coup de théories engendre un flou artistique conséquent et participe à la spéculation de la part du Grand Public. Le rapport à l’image évolue puisque la notion de choc connaît un ancrage de plus en plus fort dans nos sociétés modernes. Montrer pour démontrer, c’est peut-être ce qui était en déperdition à l’heure où l’instantanéité des messages est de rigueur. Avec des exemples allant des campagnes de la Sécurité Routière à la projection du film Salafistes, il transparaît peu à peu cette nécessité de reprendre le temps de regarder pour comprendre. Oui, il semble plus aisé de détourner le regard, mais puisque la peur nous sort par les yeux, il est temps de les ouvrir.
Jordan Moilim
Crédit photo : 
Amnesty International

FranceTV Sport
Publicité, Société

Quel sport pour la télévision publique ?

Enjeu pour France Télévisions depuis toujours, la retransmission du sport est devenue un casse-tête insoluble entre déséquilibre du marché et devoirs moraux. Mais France Télévisions adopte-t-il la meilleure stratégie possible ?
Le 19 octobre dernier, l’Assemblée Nationale a voté une augmentation de taxes au bénéfice de l’audiovisuel public. Mais cette hausse vient compenser la baisse des subventions directes de l’Etat à France Télévisions instaurée plus tôt. Pas suffisant pour concurrencer les gros acteurs de l’achat de droits TV sportifs. BeIn Sports a étendu son offre pour devenir une référence, quitte à délaisser des sports. Canal+ et TF1 ont concentré leurs offres sur le football (Ligue 1, Ligue des Champions pour l’un, Equipe de France pour l’autre) et les grands événements. La dernière Coupe du monde de Rugby en est un, France Télévisions n’y a pas pris part. Le groupe pourtant premier diffuseur de rugby (VI Nations, Equipe de France masculine et féminine, Coupe d’Europe) n’a pas surenchéri face à ses concurrents.
Est-ce un problème de budget ? En partie oui, il est difficile de dire le contraire. Mais le portefeuille sportif de France Télévisions est large, on peut donc s’interroger sur l’utilisation de ce budget. Les performances nationales dans des sports jusque-là peu médiatisés permettent une multitude de positionnements. Les victoires successives de l’Equipe de France de Handball ont toujours entraîné une hausse du nombre de licenciés, il en sera logiquement de même avec le Volley-Ball et la récente victoire de la « Team Yavbou » en Ligue Mondiale puis aux Championnats d’Europe.
Un autre gâteau plutôt que des miettes
Alors quel est le problème si des publics se créent par les résultats ? Le problème est qu’ils n’entraînent pas automatiquement un besoin. Il est difficile de nier qu’un sport, à partir du moment où il répond à un besoin, est source d’audiences hors-normes. Pour une rencontre de Ligue des Champions entre le Paris-Saint-Germain et un cador européen, Canal+ franchit régulièrement la barre des 2 Millions de téléspectateurs, soit plus de 10% de parts de marché et 30% de son audimat interne. Sur son offre historique (Roland-Garros, Tour de France), France Télévisions est encore capable de dynamiser ses audiences : 3,5 millions de téléspectateurs de moyenne pour le Tour de France 2015 sur des cases ne dépassant que rarement les 2 millions.
Mais les investissements récents dans les compétitions espoirs et féminines peinent à rentabiliser leur prix. Une partie du problème se trouve dans l’attitude de France Télévisions à l’égard des sports qu’il diffuse. Reprenons l’exemple du volley-ball : la « Team Yavbou » a remporté au printemps la Ligue Mondiale, premier titre majeur de son histoire. La presse écrite s’est vite emparée de cette performance pour capitaliser dessus, comme avec les « Barjots » en Handball 15 ans plus tôt. Les championnats d’Europe (à savoir que les meilleures équipes sont européennes) étaient donc un investissement plus que judicieux pour « France Télé » qui n’a pourtant diffusé que la finale sur France 4. Aucune possibilité de teasing et donc audience mitigée : 756 000 téléspectateurs et 2,7% de PdA. En face sur TF1, le quart de finale Australie – Ecosse a bien performé pour une rencontre sans le XV de France. Le face à face entre rugby et volley-ball était prévisible, les parcours des deux équipes françaises également. France 2 pouvait se mettre en concurrence frontale avec TF1 dès les demi-finales et ainsi créer un contre besoin, celui de résultats positifs face au naufrage du XV de France.
A chaque chaîne son positionnement
Dans cette course à l’audimat et à la rentabilité, France Télévisions possède un avantage indéniable mais parfois dangereux sur ses concurrents excepté Canal+ : la variété de ses chaînes. Les groupes TF1 et M6 utilisent leurs autres chaines comme une seconde main, BeIn Sports et Eurosport sont eux contraints d’augmenter leur volume de diffusion pour satisfaire le besoin primordial de direct pour ne pas devoir interrompre la diffusion d’une compétition. France Télévisions possède 5 chaines différenciées mais à trop avoir le choix, peut se tirer une balle dans le pied. Actuellement, le sport est réparti entre les grands événements sur France 2, les événements « mineurs » sur France 4, le sport « régional » sur France 3 et quelques compétitions d’athlétisme, sur France Ô.
Ces positionnements sont faillibles, notamment les rôles donnés à France 2 et France 4. La hiérarchisation évidente entre les deux chaines tire France 4 vers le bas. Tous les groupes médias utilisent cette méthode mais sur des chaînes à cible similaire. France 4 vise les jeunes, le public le plus exigeant. Quand ils diffusent du rugby féminin ou le Challenge Européen (la « petite » coupe d’Europe), le public n’est pas celui visé habituellement ce qui empêche la chaîne de réaliser de grosses audiences. 3,4M sur TMC pour du handball, 4,1M sur W9 pour du football féminin tandis que France 4 n’a jamais dépassé les 2,3M (Ski lors des JO de Sotchi). Problématique quand on sait que la quasi-totalité des meilleures audiences de la TNT est faite par le sport.
On ne pouvait pas traiter ce sujet sans évoquer le football, sport qui trust les meilleures audiences de l’histoire. France Télévisions a beaucoup réduit son offre à cause de l’explosion des droits mais certaines compétitions restent accessibles, encore faut-il qu’elles en valent la peine. France 2 et surtout France 3 sont seuls diffuseurs de la Coupe de la Ligue. La chaîne régionale diffuse donc la compétition française la moins authentique, et les audiences s’en suivent. Le système « à chaque région son match » n’a pas empêché France 3 de se retrouver quatrième chaine le 29/10 avec seulement 7% de PdA, face à une forte concurrence il faut l’avouer. Mais que « France Télé » se console, les beaux jours vont revenir et avec eux des audiences dopées par Roland-Garros, le Tour de France et les Jeux Olympiques.

FOOTBALL
Thibaut CAILLET
@Caillet_Thb
Sources : 
– Ozap http://www.ozap.com/actu/audiences-les-profs-devance-asterix-bon-score-pour-arte-et-le-volley-ball/480313
– Le Figaro/TV Mag http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/article/television/87574/record-d-audience-historique-de-la-tnt-pour-w9-avec-le-foot-feminin.html
– Télé Loisirs http://www.programme-tv.net/news/tv/64295-france-4-comment-ligne-editoriale-chaine-evolue-10/
Crédits images : 
– N. Doychinov, AFP
– C. Gauberti, France Télévisions

Des paroles et des actes, Marine Lepen
Flops, Politique

De DPDA à Face à France: vers un renouveau du débat politique à la télévision

Marine Le Pen, la star. Marine Le Pen, la diva, « à qui on n’impose rien ». C’est en ces termes que la présidente du Front National a annulé à la dernière minute sa venue dans l’émission politique phare de France 2, Des Paroles et Des actes, obligeant la chaîne à supprimer l’émission de sa grille du soir. Cet épisode fait suite à une lettre envoyée par les présidents du PS et des Républicains au CSA, pour qui la visibilité accordée à la candidate dans la région Nord Pas de Calais-Picardie aux régionales est contraire à l’égalité politique Ces évènements remettent en question la légitimité du format de l’émission de France 2 face à de nouvelles formes mises en avant, jugées plus authentiques.
Une occasion manquée pour le FN
L’invitation de Marine Le Pen – une cinquième fois, un record pour l’émission – souligne l’incapacité du parti à mettre en avant médiatiquement des figures autres que celles de son leader. Cela ne peut que souligner, dans un parti où les mandats nationaux se font rares, l’échec de surexposition d’un Florian Philippot qui truste la part du lion médiatique de son parti et qui se voit critiqué par des ténors comme Louis Alliot, pour qui « c’est Marine qui décide »
La vraie question qui se pose pour le Front National, qui veut s’inscrire dans la logique des partis dits “de gouvernement” et s’institutionnaliser, c’est de se construire des personnalités plus visibles médiatiquement, qui peuvent être vues comme une alternative au leader, au risque de passer pour une entreprise familiale où, pour diriger, le bon patronyme est nécessaire.
La réalité du « système » ?
L’erreur la plus notoire vient sans doute de Jean Christophe Cambadélis et de Nicolas Sarkozy qui, soucieux de ne pas laisser une « tribune » de deux heures à Marine Le Pen, ont alerté le CSA , permettant ainsi à Marine Le Pen de dénoncer une fois de plus le fameux UMPS et de s’embourber dans sa stratégie du « seul contre tous » Elle met en avant une supposée collusion d’un système médiatico-politique – dont elle serait la victime. Les Républicains et le PS sont les meilleurs alliés de Marine Le Pen, qui se niche volontiers dans les draps de la démocratie et s’offusque dans un communiqué de presse de la volonté de l’émission d’organiser un débat « excluant d’ailleurs sans raison les autres candidats à cette élection ». Par leur erreur stratégique, les Républicains et le PS ne font que donner plus de force à l’argumentaire traditionnel du FN.
En annulant l’émission, France 2 ajoute de l’huile à la communication d’un FN qui s’affirme comme étant au centre de la vie politique française, en plaçant sa présidente dans une situation où elle peut se permettre de refuser une émission en prime time.
Une perte de crédibilité pour l’émission
Alors que France 2 avait réussi à s’imposer comme la chaîne des rendez-vous phares de la politique, avec ses émissions de débat comme Mots croisés et Des paroles et des actes (qui permettent d’interroger sur une volonté quasi-exhaustive des personnalités politiques), France 2 écorche son image de chaîne du service public en mettant clairement en avant une volonté d’audimat et un besoin de rentabilité, et donc une volonté de susciter de fortes audiences en invitant des personnalités médiatiques susceptibles de créer l’événement.
Comment la télévision – considérée comme le quatrième pouvoir – peut-elle répondre aux injonctions de présidents de partis politiques qui, conscients de la visibilité procurée par l’émission, se sont précipités pour fixer les modalités de son organisation ? Comment l’émission peut-elle continuer à prétendre être indépendante de la mêlée politique ?
Le face aux Français pour plus d’authenticité

Il semble que la formule en place depuis 2011 doit être repensée et actualisée, surtout dans le contexte d’élections régionales, que France 2 peine à couvrir. Est-ce pertinent d’inclure un débat avec seulement une partie des candidats à la présidence d’une région, dans une émission à portée nationale ?
L’imbroglio de Des paroles et des Actes souligne l’incapacité actuelle du service public français à assurer une bonne couverture médiatique des élections locales.
Bien que France télévisions déclare ne pas vouloir remettre en cause le format de l’émission de France 2, « seule émission du PAF sur une grande chaîne généraliste à une heure de grande écoute », jouissant d’un quasi-monopole sur le paysage audiovisuel français ; le retour de Face à France , sur NRJ 12 (une émission crée en 1987) remet au goût du jour une tendance qui s’inscrit dans les émissions politiques : celle d’un désir d’authenticité de la parole qu’une simple confrontation entre personnalités politiques ne pourrait remplir. L’objectif est clair : arracher le masque du pouvoir à ces hommes et à ces femmes pour les mettre face au quotidien. L’utilisation actuelle des réseaux sociaux dans ce type d’émissions à la manière de C dans l’air, avec sa séquence questions-réponses, s’inscrit dans cette lignée. Il faudrait ainsi voir la confrontation portée par les vrais français, ces gens lambdas qui sans détours sauront apporter un peu de spontanéité dans un débat, alors qu’ils en sont traditionnellement exclus, comme le souligne la visite récente de François Hollande chez Lucette.
Un rapport au parlement sur les orientations de la chaine paru en octobre prévoit la création d’une nouvelle chaine d’information, animée d’une volonté explicative qui se voudrait plus pédagogique. On pourrait penser à un nouveau format court en cohérence avec la ligne éditoriale de la chaîne, qui s’adapte au phénomène du buzz politique amplifié par les réseaux sociaux : le paysage audiovisuel français est peut-être en quête d’une émission politique de type débat accessible à l’ensemble des citoyens.
Jérémy Figlia 
Sources :

http://lelab.europe1.fr/louis-aliot-critique-lomnipresence-mediatique-de-florian-philippot-2540967
http://www.frontnational.com/2015/10/monsieur-pujadas-on-ne-mimpose-rien/
 
Crédits photos : 
http://www.rtl.fr/actu/politique/marine-le-pen-sur-france-2-exigences-contradictoires-colere-et-grande-confusion-avant-l-emission-des-paroles-et-des-actes-7780210304 
http://www.non-stop-people.com/actu/tv/face-france-christophe-beaugrand-cloue-le-bec-christine-boutin-89922

Agora, Com & Société

France 3 tire son irrévérence

Avant même d’avoir pu être diffusé sur les antennes, le dernier spot publicitaire conçu par France 3 a été censuré. Alors que le CSA s’est engagé à œuvrer pour la réduction des inégalités hommes/femmes dans la sphère médiatique, la chaîne télévisée produit une campagne publicitaire au contenu indéniablement irrévérencieux, jugé sexiste. Cette dernière nous donne à voir les images d’un foyer délaissé : four brûlant désespérément le repas du soir, chambre d’enfant désordonnée, scène de repassage cauchemardesque. C’est le fameux titre de Patrick Juvet qui nous révèle le nom du responsable de ce remue-ménage : la femme. Ce recourt au stéréotype du genre, qui n’a fait que décrédibiliser et transfigurer le message transmis, nous pousse à questionner la place du cliché dans la stratégie communicationnelle.
Jouer le cliché, un pari risqué

 

Sarcasme, facilité, résurgence de lieux communs et de topoï du genre exploités depuis des décennies : tous les éléments du cliché destinés à faire exploser une polémique virulente sont réunis. La campagne publicitaire lancée par France 3 aurait pu faire sourire. Mieux, elle aurait pu éveiller les consciences et attirer l’attention des téléspectateurs sur la réalité effective d’une avancée sociale majeure : la représentation des femmes au sein de l’enceinte médiatique de la chaîne. Mais la déprogrammation du spot signe son échec.
A quoi cet échec tient-il ? «Affirmer ses valeurs à travers cette nouvelle campagne qui met à l’honneur les présentatrices»: l’intention première de la chaîne était louable. Mais en s’attaquant à la destruction d’un cliché, cette campagne semble en avoir construit un autre. De plus, elle met en scène un schéma étroitement lié à des problématiques sociétales encore brûlantes. L’utilisation du cliché est rejetée, certainement parce qu’il est le reflet d’une réalité qui dérange et qui n’est pas encore dépassée. S’il avait été utilisé quelques années auparavant, peut-être aurait-il pu s’introduire dans l’espace médiatique sans faire de bruit, à la manière du spot lancé en 1995 par l’Équipe pour promouvoir un PSG-Barcelone.
 

« Pour une esthétique de la réception »
L’ambiguïté de la vidéo a provoqué des réactions violentes sur les réseaux sociaux, notamment de la part de la  secrétaire d’État chargée des Droits des femmes, Pascale Boistard. La stratégie communicationnelle de la chaîne s’est enlisée, sans doute du fait de la sous-évaluation du potentiel polémique du cliché exploité. Ce flop médiatique pointe du doigt la problématique de la réception qui se pose à chaque fois qu’il y a tentative de communication. Ici, le message transmis n’est plus le même que le message reçu. Le premier a été transfiguré par ceux qui en on fait une interprétation nouvelle. Mais comment croire que l’équipe de France 3 ait pu être naïve à ce point ? Comment croire que ce bad buzz ne soit pas intentionnel ? Après visionnage de la vidéo, le scepticisme est à son comble.

Pourtant, des réactions bien différentes ont émergé sur la toile. Certains déplorent l’explosion de la polémique et auraient volontiers choisi d’ironiser. Finalement, pourquoi ne pas se permettre de rire de ces représentations grotesques ? Pourquoi ne pas considérer que railler le cliché lui-même pourrait contribuer à amoindrir son ancrage réel dans la société ?
La fausse bonne idée ?
Le message véhiculé par France 3 s’impose dans un contexte où acteurs sociaux et société civile ont les moyens de se manifester et de se réunir contre toute forme d’abus de pouvoir, symbolique ou non. Grâce à la démocratisation de la parole publique étendue à l’échelle citoyenne, et suite au développement de supports médiatiques participatifs, chacun peut se rendre capable d’agir sur la déconstruction de représentations, idées reçues et clichés. Mais au-delà de son caractère polémique, le cliché semble pouvoir être un puissant moyen de se contrer lui-même. C’est par exemple avec ce regard cynique et critique que Ségolène Royal fait du stéréotype sexiste un instrument de communication politique impactant lors de sa campagne pour les primaires socialistes de 2011.

 
De part l’exercice de leur profession et leur présence active dans les coulisses de France TV, Delphine Ernotte Cunci (patronne de France TV) ou encore Dana Hastier (patronne de France 3) tendent à prouver que les femmes sont véritablement mieux représentées dans l’espace médiatique. Malgré tout, une forme de malaise demeure. Le 7 septembre dernier, l’invitation au départ de Claire Chazal ouvre une nouvelle fois le débat. La présentatrice a été conviée à « savoir passer la main ». 58 ans, il est vrai, ce n’est plus tout jeune!L’ironie nous tient quand on pense à Jean-Pierre Pernault, 65 ans, qui rayonne bucoliquement dans le 13h depuis 27 ans.
« Je pense qu’en télévision, on tolère plus les cheveux blancs des hommes que les rides des femmes », Léa Salamé a joliment résumé la situation, qui attend d’être résolue. Il est temps : révolutionnons l’usage des clichés pour les mettre au service de leur propre dénonciation, car comme l’énonce Roy Lichtenstein, ils sont « des modèles simples frappants, mémorables et faciles à communiquer. Ils peuvent signifier l’essentiel d’une idée. Ils ont la possibilité de devenir monumentaux. »
Émilie Beraud
Sources : 
INA
L’ADN
Madmoizelle
Le Monde
Crédits Photos :
Le Huffington Post

Bolloré Canal +
Société

Bollo', les pieds dans le plat

Rififi à la rédac’… Canal + se cherche et peine à renouer avec le fameux esprit éponyme sur lequel reposait toute la singularité du groupe. En effet, « l’esprit canal » a toujours résonné comme un appel à la liberté, à la pluralité des contenus et comme une possibilité de parler de tout, en disant tout enfin toujours… du moins jusqu’à l’avènement de l’ère Bolloré.
Vincent Bolloré, 63 ans -homme d’affaire et main de fer- est aujourd’hui pointé du doigt après qu’il ait saisi les ciseaux d’Anastasie afin d’effacer l’identité Canal pour imposer la sienne. Dès juillet 2015, son entrée en matière s’est faite sans manières puisque dès lors, les fameux Guignols étaient désignés comme irrévérents faisant ainsi de la moquerie un produit soumis à la prohibition à défaut d’être un plaisir de télévision.
De manière récurrente, journalistes et chroniqueurs réduisent l’art de communiquer sous le nom de « com », néanmoins, ces derniers ont fait preuve d’agilité afin de répondre à la censure de manière subtile -en usant de cet art. Yann Barthes annonçait la couleur dès les premières émissions de la rentrée 2015 en réduisant, durant l’émission, la chaîne Canal + au statut de simple “diffuseur” du Petit Journal.

Quand Bolloré interdit la diffusion d’un documentaire « Evasion fiscale, une affaire française » dans le cadre de l’émission Spéciale Investigation, le bras de fer se veut avant tout communicationnel et le Zapping de Canal + prend des allures de résistance ; effectivement l’intervention du milliardaire à la défaveur du documentaire a eu pour effet direct le rachat et la diffusion du doc par France 3. Le Zapping s’empare alors de l’occasion et diffuse de longs extraits de ce sujet sur l’évasion en plein milieu de la traditionnelle séquence du Zapping, un vrai pied de nez envers l’homme au bras long.
L’actuelle situation se veut assez cocasse, alors que Bolloré est taxé d’un cruel manque d’humour, c’est bien l’arme principale des rédacteurs de Canal : en rire. Quel plaisir de voir Catherine et Liliane (Alex Lutz et Bruno Sanches) tourner en dérision le côté « Big Brother » de leur nouveau PDG en mettant en avant la peur de se faire éjecter du groupe : « Fallait pas voler ce stylo bic, ça creuse le budget d’une chaîne, lui il fait ses calculs… il pense qu’à ça » … Le poids du stylo, de la plume face à la montagne financière : classique et toujours aussi efficace.
Confortablement assis, le spectateur de Canal assiste au triste spectacle consistant à voir Vincent Bolloré s’asseoir sur l’esprit de la chaîne. Étrangement, une horde de communicants entoure la classe politique, mais cette dernière ne se distingue dans cette affaire que par un cruel manque de communication. Timidement, Fleur Pellerin – Ministre de la Culture – murmure la nécessité de garantir l’indépendance… Inaudible.
« Ce n’est qu’un au revoir » disait ce semblant d’adage, mais finalement, va-t-on revoir cet esprit Canal ? Difficile d’y croire tant la chaîne a perdu de sa fougue, des Guignols en passant par les interventions un peu barrées de la miss météo, on ne s’y sent plus à l’aise : la décoration a été refaite au profit de plus de sobriété et cela résulte davantage à plus d’ennui.
On aurait pu s’attendre à une forme de solidarité des médias mais malheureusement ces derniers montent davantage au créneau pour parler d’une affaire de « chantage à la sextape » que pour déclamer le cruel manque de libertés, incompréhensible dans la France de 2015. Interviewé par RTL, Vincent Bolloré n’a subi que quelques égratignures gentilles et le débat est resté stérile. Ah si, il y a eu une annonce : le retour de l’ancien cryptage de Canal +, oui oui nous parlons bien du bruit atroce et de ces grosses bandes grisâtres qui ornaient nos écrans lorsque la chaîne était à l’heure cryptée … Quand Canal + figure avant-gardiste du new school, se retrouve enterrée par son « boss » dans … le old school.
Jordan MOILIM
Crédits images : 
– Canal +
– Claude Prigent

téléréalité crimes fastncurious
Médias

Un crime parfait pour la télé

Ce soir, découvrez l’histoire de la petite Marguerite, enterrée par ses parents dans un bloc de béton, celle de la veuve noire de Floride qui tue ses maris en mettant des sangsues dans leur bain ou bien celle de l’employé de fast-food fou empoisonnant ses clients avec leurs hamburgers. Programme alléchant : 100% vraies, 100% glauques, les émissions d’enquêtes et de crime ont la côte !
Si “Faites entrer l’accusé” – avec ses 15 ans d’existence – fait partie des vieux meubles télévisuels du crime, l’émission a depuis été massivement déclinée : “Enquêtes criminelles” sur W9, “Crimes” sur NRJ12 ou encore “Les enquêtes impossibles” sur NT1.
Et appelons un chat, un chat. Malgré quelques variations, de la plus métaphorique – “Faites entrer à l’accusé” – à la plus littérale – “Crimes”, les titres restent évocateurs : de l’hémoglobine, des empreintes digitales compromettantes, des alibis douteux et des rebondissements judiciaires, voilà ce qui nous attend, on le sait et c’est pour cela que l’on regarde.

Du point de vue de la construction du programme, rien de bien extraordinaire : il s’agit de retracer une enquête du début à la fin, soit du crime à sa résolution. Un peu comme un épisode des Experts en somme : qui a tué et pourquoi ? Le récit de l’enquête policière et de l’instruction judiciaire est généralement étayé par des archives télévisuelles ou photographiques, des entretiens avec des experts-psychiatres, des journalistes, des enquêteurs, des avocats ou des témoins mais aussi par des prises de paroles des proches de la ou des victime(s) et, parfois même, par les suspects et les coupables de l’affaire en question.
A mi-chemin entre la série policière américaine (ou française d’ailleurs) et l’émission d’information judiciaire et policière, ces émissions attirent indéniablement les publics. Enquête express sur ce mystère non-résolu.
Tutoriel pour une enquête réussie ou délectation morbide ?
Si les séries télévisées policières foisonnent sur toutes les chaines télé, elles ne sont pas parvenues à endiguer l’apparition de ces programmes hybrides que sont les émissions d’enquêtes criminelles : quelle est la clé de ce succès ?
La réponse semble évidente : la réalité. De vrais meurtres, de vraies victimes, de vrais tueurs, de vrais lieux, de vrais policiers, de vraies enquêtes, un florilège de réalité-vraie-qui-a-réellement-eu-lieu.

Dans un contexte de généralisation de la défiance du public où le soupçon du “fake” est une menace, ces programmes télé détournent une potentielle polémique en garantissant la “réalité” de leur contenu. Exit les “ce n’est pas crédible”, “c’est tiré par les cheveux”, “c’est tellement tordu que ça ne pourrait jamais arriver en vrai” : puisque cela s’est veritablement passé, le jugement du public quant à la validité et la vraisemblance des faits exposés n’a pas lieu d’être. Cette véracité des faits ouvre la porte à une plus forte compassion du public et au frisson de savoir que cela peut arriver. Les interventions de la famille et des proches qui parlent de la victime et de son passé ou la localisation précise du drame dans une zone géographique particulière (une ville, une région, une maison…) sont autant d’éléments qui ancrent les faits dans cette réalité inquiètante dont se délecte le téléspectateur.
Ces émissions s’inscrivent dans une tendance générale de l’amenuisement progressif de la frontière entre fiction et réalité, dont témoigne la multiplication de programmes hybrides dans le paysage télévisuel contemporain. Le néologisme “téléralité” illustre à lui seul cette extraordinaire ambiguité des contenus : comment faire cohabiter la télé – soit la fiction, le créé et le construit à destination d’un public – et la réalité – soit le fortuit, l’aléatoire et l’imprévisible ?
Et de cette grande question découle le problème posé par ces émissions d’enquètes criminelles : celui de parvenir à les qualifier. Si elles semblent chercher à nous faire découvrir les dessous du système judiciaire et policier, peut-on pour autant les rapprocher de programmes documentaires ? Certaines émissions qui insistent davantage sur les méthodes d’investigation et de résolution d’enquètes, à l’instar des “Enquêtes impossibles”, pourraient y trouver la justification de leur existence mais, dans la majorité des cas, le caractère instructif des programmes paraît largement surpassé par le sensationnel. Entre instruction et divertissement pervers, quelle finalité trouver à ces contenus médiatiques ?
De l’art de brouiller les pistes
Au terme d’une micro-investigation sur le fond et la forme des ces émissions d’enquètes criminelles, il apparait rapidement que la “réalité” ne joue que comme argument dans la construction d’un contenu médiatique aux fins davantage divertissantes qu’instructives.
Si le modèle fonctionne indéniablement du point de vue de l’audimat, c’est également un modèle efficace du point de vue économique. De la réalité donc peu de frais ! On oublie les acteurs et les scénaristes : l’enquète est servie sur un plateau avec tous les protagonistes et les rebondissements qu’il faut, pour peu qu’on la choississe avec soin. Compte tenu du nombre de faits divers des dernières décennies, la matière télévisuelle potentielle est considérable. La quantité d’histoires incroyablement sordides et originales est importante au point d’autoriser le luxe du choix. Car si le public veut de la réalité, il veut la crème de la réalité. De même qu’une maison de téléréalité se doit de fournir son lot de coucheries et de disputes pour échapper à la fadeur la plus totale, une enquète criminelle se doit de s’en tenir à certains critères. De l’inhumanité, de la trahison, des mobiles atroces…pourvu que ce ne soit pas banal. Il va sans dire qu’un simple homicide involontaire, un désaccord basique qui aurait mal tourné ou un réglement de comptes de voisinage ne sauraient trouver grâce aux yeux des téléspectateurs. L’”histoire” qui fonctionne est celle qui brise les règles établies et acceptées tacitement par la majorité du corps social, celle qui déplace les limites de l’humanité, celle qui pousse à essayer de comprendre l’incompréhensible : les cas d’infanticides, d’incestes ou de meurtres en série sont ainsi des perles télégéniques, par la charge émotionelle, terrifiante et révoltante qu’ils portent en eux.

Au delà de ce choix editorial du “meilleur crime” à raconter, le tiraillement entre fiction et réalité auquel sont confrontées les émissions d’enquètes criminelles se manifeste dans les choix, imposés par le média qu’est la télévision, de mise en scène, de cadrage et de narration.
Les titres des enquètes présentées – “Meurtre sur ordonnance”, “L’assassin habite au numéro 1”, “Cauchemar au fast-food” ou “Massacre en chambre froide” – donnent le ton et renvoient immédiatement à  l’imaginaire du polar de gare un peu “cheap”. Les mélodies à suspens sont de mise, les coupures publicitaires sont travaillées de manière à maintenir en éveil l’attention du téléspectateur, une musique bouleversante accompagne les temoignages larmoyants des proches éffondrés, les fondus au noir accentuent le caractère mystérieux de l’enquète tandis qu’une voix off semble nous narrer un roman d’Agatha Christie – entre reprises de souffle et silences angoissants. Autant d’éléments qui achèvent de faire basculer ces “histoires vraies” dans une pure logique narrative.
Ce recours massif à des mécanismes intimement liés au contenu de divertissement témoigne bel et bien de l’inscription de ce type de programmes dans la “romance télévisuelle” et en aucun cas dans le genre du “documentaire”. L’émission est travaillée afin d’être vendable aux chaines auxquelles elle se destine et consommable par son public. NRJ12, W9 ou encore NT1, chaines de la TNT, ont fait du divertissement leur crédo et des hybrides à mi-chemin entre la fiction et la réalité, leurs spécialités : il n’est donc pas étonnant que ces émissions d’enquètes criminelles s’inscrivent dans cette ligne éditoriale.
Proposé sous une forme proche de celle d’émissions comme “Tellement vrai” ou “Confessions intimes”, le fond du contenu médiatique reste cependant tragique : dans quelle mesure est-il convenable de proposer une expérience de divertissement autour de faits réels si dramatiques ?
C’est grave docteur ?
Si ces émissions fonctionnent, c’est qu’elles ont su trouver leur public : comment situer le téléspectateur au sein de ce phénomène ?

Au delà du risque encouru (et mérité) de passer pour le fana de morbide de la bande, se pose véritablement la question de la distinction entre la production médiatique consommée et la réalité à laquelle elle renvoit. Regarder, à l’aune du divertissement, les témoignages de familles en deuil et les images de vraies scènes de crimes témoigne d’une insensibilité croissante du téléspectateur. L’étalonnage de tous les programmes télévisuels autour d’une considération indifférenciée – “c’est de la télé” – n’est pas sans risques. En effet, l’exposition répétée à des images violentes peut engendrer un phénomène d’acculturation – soit d’accoutumance du regard – mais aussi un potentiel manque de retour critique sur les contenus donnés à voir. Un autre effet néfaste à prendre en considération est que la surconsommmation télévisuelle d’émissions d’enquètes criminelles participerait d’une vaste tendance à la surrévalutation de la dangerosité du monde. Par leur contenu violent et anxiogène, ces programmes tendent à altérer la perception de l’environnement dans lequel on évolue, à surestimer sensiblement les risques réels et à accroitre la paranoia. Le fameux théoricien de la télévision et ses effets, Georges Gerbner, le montrait déjà il y a plusieurs d’années : la consommation d’images violentes et la crainte d’être victime de cette même violence dans la réalité sont corrélées. Une expérience menée avec des volontaires a ainsi permis de constater que les téléspectateurs les plus assidus surestimaient très largement la dangerosité de leur environnement, à partir de l’image faussée que leur en donne la télévision.
Alors, pour échapper aux insomnies chroniques, s’éviter des pics de stress en rentrant chez soi le soir et ne pas entretenir ce penchant naturel pour le morbide, le meilleur remède consiste encore à zapper sur un épisode des Chtits dans la brousse ou sur les confessions d’un drag-queen effrayé par les paillettes : autant de réalité, moins de lugubre.
Tiphaine Baubinnec
@: Tiphaine Baubinnec
Sources :
programme-tv.net
puretrend.com
Crédits photos :
blog.plaine-images.fr
“Enquêtes criminelles” – W9
“ Crimes” – NRJ12
“Les enquètes impossibles” – NT1

adam recherche eve fastncurious
Flops

"Des nouvelles merdes, ça reste des merdes"

Le mardi 3 mars dernier, l’adaptation française de l’émission néerlandaise « Adam looking for Eve » a fait son entrée sur la chaîne D8. Le concept ? Trouver l’amour sur une île déserte, le tout entièrement nu. Après « L’amour est dans le pré » et « L’Ile de la tentation », la chaîne a franchi un nouveau cap. Repoussant toujours plus loin les frontières du « politiquement correct », le nouveau bébé de D8 a-t-il autant séduit en France qu’à l’étranger ? Lumière sur cette nouvelle émission, toujours plus voyeuriste et hypocrite.

« Une expérience romantique extrême »
La filiale de Canal + n’y est pas allée de main morte sur la communication autour de ce nouveau programme, en tentant une approche sociologique du concept, à coups d’ « Expérience de retour à la nature », d’ « expérience romantique extrême », de « vérité nue, sans tricherie », ou encore de « renouvellement du genre du jeu de séduction »… Xavier Gandon, directeur des flux et divertissements de D8 a défendu la reprise de cette émission – qui fait un carton en Espagne, aux Etats-Unis et en Allemagne – en nous assurant qu’il s’agit d’un « truc mignon, joli, l’ultime expérience romantique de deux personnes revisitant le mythe du jardin d’Eden […] Il n’y a pas d’argent à la clé : une manière de s’assurer que les gens sont dans une démarche amoureuse ». Ah oui, vraiment ?
« Des gens normaux »
« On a pris des gens normaux », proclamait la chaine dans son communiqué. Alors oui, les participants sélectionnés (sur environ 300 candidatures) ne sont ni maquillés, ni coiffés, ni habillés, et ne font plus du 34-36 mais du 38-40 ; mais ce n’est pas pour autant que leurs corps sont ceux de monsieur et madame Tout-le-monde. Le casting, réservé aux 25-37 ans, privilégie en effet les anatomies plutôt avantageuses, qui ne laissent paraître aucun réel défaut à l’écran. De plus, Marie-Hélène Soenen, rédactrice pour Télérama, nous indique que la production aurait déclaré avoir tout fait pour « éviter les gens en quête absolue de notoriété ». Pourtant, la journaliste nous explique que l’on y retrouve des « Adam et Eve » ayant déjà participé à des émissions comme « Séduis-moi si tu peux », ou encore un ancien « Mister National » qui aurait été candidat au titre de Mister World. Des gens normaux, donc, qui ne sont là que pour trouver l’amour pur et « naturel ».

D’ailleurs, en parlant de naturel, la chaîne proclamait d’être « loin de la bimbo ». Or Lina, 27 ans, première candidate, aurait pris cette émission comme le défi de s’assumer naturelle, elle qui ne sort jamais sans maquillage. Blonde, un brin superficielle et avec une poitrine généreuse, il est difficile de dire que l’on est vraiment loin de la bimbo des autres émissions du genre. A ce propos, nous pouvons noter la réaction « spontanée » d’Anthony, participant à la même émission, qui aurait dit « Pour moi, Lina c’est pas une bimbo, je pense pas en tout cas. Non, je pense que c’est une fille simple ». Serait-ce pour démentir la réflexion d’un journaliste hors champ ? Le mystère reste à élucider.
 
 
« Des nouvelles merdes, ça reste des merdes »
 
Quoi qu’il en soit, l’hypocrisie de la chaîne ne s’arrête pas là. En effet, contrairement à l’émission néerlandaise, la version floute les sexes des participants (ce qui était pourtant la seule chose que les gens attendaient !), ne laissant apparaître « que » leurs seins et leurs fesses. Un programme que D8 ne semble assumer qu’à moitié, donc. « On leur a dit que cela allait être soft, mignon, plein de bons sentiments » précise Caroline Ithurbide, la présentatrice de l’émission, qui espérait surement que le CSA l’entende. Même notre chère Enora Malagré, qui a honte de sa propre chaîne, s’est révoltée sur le plateau de Touche Pas à Mon Poste : « C’est d’une hypocrisie. Moi je suis horrifiée ! Ça y est, pour moi, on a touché le fond ! Pardonnez-moi, mais j’ai honte ! J’ai honte vraiment qu’on diffuse ce programme ! ». C’est vrai quoi, quitte à vouloir faire de l’audience, autant y aller à fond la caisse ! Elle a même rétorqué face à la présentatrice que « des nouvelles merdes, ça reste des merdes ».
 

 
En résumé, on assiste donc à un réel décalage entre les dits de la production et la réalité. Ce nouveau programme qui selon la chaîne devait « renouveler profondément le genre du jeu de séduction », s’apparente clairement aux autres émissions de la sorte – comme si il n’y en avait pas assez – en bien plus mou. En effet, passé la découverte des corps nus, des seins et des fesses, absolument rien ne se passe, l’émission ne voulant pas entrer dans le vulgaire. Qu’est-ce qu’on se marre. Pourtant, le programme est diffusé assez tôt dans la soirée pour permettre à des adolescents de tomber dessus, ce qui a bien évidemment déplu à de nombreux parents.
 
Mais ne nous faisons pas trop de souci, l’émission est actuellement au stade de l’agonie, passant de 1,3 millions de curieux le 3 mars, à 647 000 le 7 avril dernier. Avec une crédibilité zéro, un scénario plus creux qu’un porno amateur et une absence totale de rebondissement, le programme est voué à l’échec. Mais jusqu’où ira la télé-réalité pour faire de l’audience ? La question se pose…
 
Pour les curieux, voici la première émission :

 
Louise Bédouet
@: Louise Bedouet
 
Sources :

 
television.telerama.fr (1) et (2)
teleobs.nouvelobs.com (1) et (2)
leplus.nouvelobs.com (1), (2), (3) et (4)
Crédits photos :

 
images.telerama.fr
referentiel.nouvelobs.com
mcetv.fr
media.melty.fr

Société

Rendez-nous la zappette

Défenseurs et récriminateurs du “zapping” s’affrontent depuis l’apparition de la télécommande, la pratique – qui consiste à changer de chaînes TV à son gré – étant tantôt perçue comme le symptôme d’une génération paresseuse victime d’inattention perpétuelle, tantôt comme la manifestation active et éveillée d’un spectateur qui compose avec le contenu médiatique qui lui est soumis.
Quelques soient les raisons invoquées – la volonté de suivre plusieurs programmes en même temps, le refus de subir le matraquage publicitaire ou encore l’auto-valorisation provoquée par le contrôle des contenus  – le zapping est, et demeure, une pratique individuelle dont use sans vergogne les téléspectateurs.
Quand la télé confisque la zappette

Mais voilà que la télévision s’empare de notre pouvoir de compulsif fou et se met à zapper pour nous : quelle idée ! Dès 1989, Canal+ inaugure son “Zapping”, résumé condensé de la vie sociale, politique et médiatique des jours passés. Et depuis, les chaînes télé et web lui emboîtent le pas dans une véritable course à la surenchère, intensifiée ces dernières années : D17 instaure un “Zap” de deux heures sur sa plage horaire phare du samedi soir, Spi0n cartonne sur le web avec son zap humoristique, le Petit et Grand Journal balaient l’actualité à grands coups de zappings…
Vaincre le mal par le mal – soit passer d’un zapping subi par la chaîne à un zapping imposé par celle-ci – est-ce là l’explication de l’émergence de ce nouveau genre télévisuel ? Ou faut-il l’envisager comme l’évolution logique d’un média face à des pratiques médiatiques chamboulées ?

Le zapping, institutionnalisé en type d’émission, consiste à monter en séquences courtes des extraits marquants d’une production télévisuelle antérieure. Ces fragments sont généralement regroupés autour d’une caractéristique commune – qu’elle soit temporelle (Le zapping de Canal+ condense la télévision de la veille), spatiale (Certains zappings se concentrent sur un seul pays ou zone géographique) ou thématique (L’humour dans le “Zap de Spi0n”, l’extrême dans le “Zap Choc” de D17…).
 
Ces nouvelles émissions hybrides peinent à rentrer dans des cases et se posent comme ovnis médiatiques totalement paradoxaux. Si le zapping originel est une pratique aléatoire, guidée par des pulsions et des envies personnelles qui évoluent au gré du visionnage, le zapping en tant que émission est soumis à des choix éditoriaux, des agencements réfléchis et une chronologie établie d’emblée. Ces caractéristiques entrent ainsi en dissonance avec notre habituel jeu de zappette puisqu’elles imposent un programme qui, théoriquement, n’est composé que par et pour une individualité. Autoriser une instance extérieure à perturber nos tribulations télévisuelles et à nous dicter un schéma : comment en est-on arrivés là ?
La promesse d’un panoptisme télévisuel
Comment un téléspectateur qui se respecte accepte-t-il de se laisser déposséder de son activité libertaire favorite par une émission qui zappe pour lui ? Paroxysme de la paresse ou contrat de communication avantageux ?
Un rapide tour d’horizon des promesses de ces émissions permet d’envisager une certaine uniformité de celles-ci : “Le zapping percutant de la génération ultime du zap : les vidéos les plus fun des chaînes hertziennes, de la TNT et du câble” prône le Zap D17, “Le zapping reflète la télévision” clame Canal+, “Le meilleur de la semaine” nous assure “Touche pas à mon poste”…
A grands coups coups de superlatifs et d’hyperboles, on cherche à nous convaincre que l’on va voir le meilleur de tout, grâce à la sélection pointue d’une rédaction qui s’est chargée de faire le choix le plus adéquat possible, au regard de nos attentes. Ces émissions télé semblent ainsi vivre sur le fantasme de l’omniscience parfaite et d’un téléspectateur qui serait au fait de tout ce qu’il se passe autour de lui. Et s’il y a la surface, tant pis pour le fond !
Voilà ce qu’il fallait retenir de l’information cette semaine, voici les vidéos plus drôles du moment, ici les instants qu’il ne fallait pas rater, là les choses dont tout le monde parle. Via un scrupuleux travail de recherche et de restitution, la télévision propose ainsi une véritable expérience “pré-mâchée” au téléspectateur. Celui-ci n’a désormais plus besoin d’être aussi attentif, critique et polyvalent puisque les émissions de zapping se chargent de l’être pour lui. De l’efficacité et de l’exhaustivité à la clé, la promesse est ambitieuse !
Si c’est bel et bien cette volonté de “tout savoir” du téléspectateur qui semble avoir été la porte ouverte à l’apparition de ces “meta-programmes”, une sélection de bribes hautement subjective et nécessairement incomplète est-elle à même de combler l’obsession d’une vue à 360° ?
Le zapping pas pour tous
Le propre du zapping en tant que émission, nous l’avons vu, est d’être constitué de fragments de flux, montés à la suite les uns des autres pour créer un nouvel enchaînement. Dès lors que l’on parle d’unités fractionnées et reconstituées, on s’inscrit dans la récupération de contenus et non pas dans la création de ceux-ci. L’idée est donc de relayer l’information, à l’image d’un retweet, sans la modifier en elle-même mais en la contextualisant différemment. Recomposer avec des produits déjà existants, le zapping se présente ainsi comme le merchandising de la télévision : de l’agencement de contenus, ni plus ni moins. Si le modèle économique est efficace – car peu coûteux – qu’en est-il de sa viabilité en termes qualitatifs ?
L’esthétique du zapping, un ensemble rythmé qui alterne des plans séquences courts, nous enjoint à envisager les informations qui nous sont données comme un spectacle fluide qui laisse peu de place à l’évaluation critique. La destruction de la trame originelle des programmes, le bouleversement du dispositif chronologique, la faible durée des séquences et le rapprochement entre des fragments aléatoires d’émissions extrêmement variées (des chaînes, des pays, des idéologies, des genres…différents) risquent d’engendrer une approche des contenus très superficielle et une perte de la qualité des informations.
Pour les programmes d’actualité dits “sérieux”, le danger est de basculer dans un infotainement gentillet, où l’information se résumerait à des extraits décousus et hors-contexte. Pour les programmes davantage axés sur l’humoristique et l’insolite, le modèle s’avère plus approprié et correspond bien à la mission récréative de la télévision, média populaire par excellence. En somme : le “zapping” comme “forme” pourquoi pas, mais tout dépend pour quel “fond”.

Finalement, la part des choses reste relativement difficile à faire. Faut-il voir dans l’avènement de ce type d’émission (auquel fait écho l’explosion des “tops” sur le net) la simple reconnaissance d’une forme médiatique courte, adaptée à notre besoin de divertissement, d’une part, et à l’exigence d’une connaissance minimale de l’actualité, d’autre part ? Ou faut-il l’envisager comme le témoin d’une crise généralisée de l’attention télévisuelle et d’une modification de notre rapport à la consommation et au temps ? La question reste entière et en attendant de trancher, continuons de zapper en paix.
Tiphaine Baubinnec
Sources
latetedansleposte.com
persee.fr
books.google.fr