Société

Deuxième sexe et 7ème art, l’équation cannoise

A presque un mois du festival de Cannes, la croisette se prépare d’ores et déjà à recevoir le temps de sa quinzaine annuelle, l’attention insatiable du monde médiatique concentrée sur ses 24 marches, et sa cinquantaine de films présentés chaque année. Les spéculations vont bon train sur le futur réalisateur qui se verra attribuer la prestigieuse palme. Oui, mais plutôt « le » ou « la » diriez vous ? Pourtant, en optant pour l’article masculin, la probabilité de faire fausse route reste faible. Quasi nulle en fait, elle a été invérifiée une seule fois en 1993, par la cinéaste néo-zélandaise Jane Campion (présidente du jury 2014) et sa magistrale Leçon de Piano qui lui vaudra une palme d’or.

Face aux accusations sexistes, un nouveau programme, « Woman in Motion »
Pour rectifier le tir, le Festival de Cannes et la holding Kering (Saint-Laurent, Balenciaga, Stella McCartney…) inaugurent cette année le programme « Women in Motion » qui se donne pour objectif la revalorisation de la contribution des femmes dans le 7ème art. Par cette nouvelle approche, le Festival s’évertue à éteindre la polémique récurrente autour du choix d’attribution des récompenses. En effet, souvent la manifestation azuréenne a été accusée de sexisme par de multiples organismes engagés. En 2012, le collectif féminin « la Barbe » avait, dans une tribune du Monde, dénoncé la sélection « exclusivement masculine des films en compétition » (cette année là, le hasard si l’on puit dire, avait voulu que les vingt-deux films de la sélection officielle soient réalisés respectivement par vingt-deux hommes). « A Cannes, les femmes montrent leurs bobines, les hommes leurs films » résumaient-elles, témoignant ainsi du sentiment d’injustice de la gente féminine. Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes avait alors rétorqué « ce n’est pas à Cannes, ni au mois de mai, qu’il faut poser le problème, c’est toute l’année ». Le constat semble univoque: la place de la femme dans le cinéma doit être accrue, voir reconsidérée.

68ème édition : création de deux prix féminins
C’est donc à l’occasion de ce 68ème festival que nous verrons pointer sur la croisette une éclaircie à la faveur du cinéma au féminin. Du 13 au 23 mai se tiendront des rencontres, « Talks Woman in Motion », guidant la réflexion sur le thème de la question du statut de la femme, à sa représentation et à sa place dans le monde du grand écran. Pour cette première, François-Henri Pinault (fondateur de Kering) et Thierry Frémaux remettront un prix d’honneur à une personnalité féminine d’influence.
Il faudra cependant attendre 2016 pour que deux nouveaux prix soient institués. L’un récompensant une personnalité pour sa contribution à la cause féministe dans le cinéma, tandis que l’autre saluera une jeune cinéaste de talent. Nous ne manquerons pas de remarquer que Thierry Frémaux, trois ans plus tard, se décide, finalement, à poser cette problématique à Cannes en déclarant: « partie intégrante du programme officiel du Festival de Cannes, “Women in Motion” donnera une place supplémentaire aux femmes talentueuses du 7ème art et à leur regard sur le cinéma ».

Kering : récupération ou philanthropie ?
Face à cette initiative, on peut, d’abord, s’interroger sur l’implication du groupe de luxe Kering qui se pare de bienveillance pour se faire mécène de la cause féminine au cinéma. Une première ? Il en résulte que non, la fondation d’entreprise Kering participe de longue date au financement et à la production de films engagés (Fleur du Désert de Sherry Hormann, 2009, Home de Yann-Arthus Bertrand, 2009…) mais aussi de festivals (Tribeca Film Institute, New York ; Britdoc, Londres ; Festival Lumière, Lyon), ainsi qu’à la restauration d’œuvres. Quant à la sensibilité au droit des femmes dont se targue Kering quand est-il? Là aussi depuis sa création en 2009 (anciennement
Pinault-Printemps-Redoute), la fondation a collaboré avec des ONG et des entrepreneurs sociaux dans la lutte contre les violences faites aux femmes et pour son autonomisation (Chime for Change).
L’initiative est donc sincère et l’objectif noble. Cependant, en réservant deux nouveaux prix exclusivement à la cause féminine ne bouleverse-t-on pas irrémédiablement, l’équilibre fragile, et certes imparfait entre les deux genres ? En récompensant, non plus seulement au mérite mais par volonté d’égalitarisme absolu, ne retire-t-on pas l’essence même de la parité ? Ces questions demeurent ouvertes, et il nous apparait pertinent de suivre avec attention les réflexions qui accompagneront ce renouvellement lors de cette cérémonie éblouissante, aux allures de rêve, éphémère et impalpable.
Thelma Cherpin
Sources :
http://lexpress.fr
http://kering.com
http://lesinrocks.com
http://rtl.fr http://lefigaro.fr
Crédit photo :

20minutes.fr
rtl.fr

Société

Où ça des égéries seniors ?

« On assume de montrer les stigmates de la vieillesse, qui ne sont pas dénués de charme. En fait, l’excentricité est devenue la jeunesse de la vieillesse », tels sont les propos de Gianni Haver, sociologue de l’image à l’UNIL.
De plus en plus de marques utilisent des égéries seniors pour les représenter. Pourquoi le choix de cette esthétique, au-delà d’une aspiration globale pour le rétro : différenciation, nouvelle cible ? D’un point de vue marketing, comment faire rêver le consommateur en lui montrant ce qu’il redoute de devenir ?
L’évolution réside principalement dans le fait que les produits promus correspondent peu aux produits type destinés à ces cibles (soins, médicaments). Cela permet de cibler une tranche de la population souvent oubliée des publicités actuelles.

Plus marquée que dans les campagnes intergénérationnelles des clans Dolce & Gabbana ou Tommy Hilfiger, la tendance du mannequin senior permet aux marques de se différencier, de répondre à un besoin d’authenticité, de lien social, de valeurs ancestrales en écho avec l’expérience vécue et la transmission. L’âge devient davantage synonyme de sagesse et de relai entre plusieurs générations, que de vieillesse.
Des seniors inconnus aux mannequins vedettes
En 2014, American Apparel choisit comme égérie Jacky O’Shaughnessy, remarquée dans un restaurant. Cette dernière alimente la polémique via des postures provocantes relatives à l’esprit American Apparel, mais les clientes s’identifient au mannequin : « Je veux être Jacky quand je serai vieille (@KellyMarie) ».

Les ambassadrices présentées sont admirées pour leurs looks excentriques, fascinants. Elles incarnent des icônes inspirantes, opposées à l’image traditionnelle de la vieillesse. Dans cette optique, des agences de mannequins seniors, comme Masters lancée par l’Agence Contrebande, apparaissent.
La marque peut également choisir de s’associer à une artiste afin de faire fusionner leurs œuvres et éclipser l’aspect physique au profit de l’intellect. Céline a ainsi choisi l’écrivain Joan Didion (80 ans, The Last Thing He Wanted (1996), Democracy (1984), The Year of Magical Thinking (2005)). De même, les campagnes Saint Laurent affichent le visage de Joni Mitchell (71 ans, musicienne et peintre canadienne), et l’ancienne danseuse Jacqueline Murdoch (82 ans) pose pour Lanvin (2013).

Dans la même optique, les mannequins du défilé Jean-Paul Gaultier automne-hiver 2011-2012 portaient des chignons poudrés de gris. Deux ans plus tard, la marque mettait en scène une image de la diversité : des enfants, des albinos et des femmes aux chevelures blanches.
Advanced Style, le blog à l’origine de la nouvelle esthétique du senior
L’origine de cette tendance peut être liée à l’œuvre d’Ari Seth Cohen, créateur en 2009 du blog Advanced Style. Arrivé à New-York en 2008, il raconte « J’ai vu toutes ces dames incroyablement lookées dans la rue et j’ai instinctivement eu envie de les photographier, de les faire parler. »

« À des années lumières des jeunes mannequins qui changent de look au rythme des campagnes pour lesquelles elles travaillent, les femmes que je photographie cultivent leur style, et l’expriment de manière très créative. (…) Ces femmes sont magnifiques. (…) Le plus incroyable, c’est d’entendre des trentenaires se dire impatientes de vieillir quand elles regardent mon blog. »
S’en suit la publication en 2012 d’un livre de portraits, ainsi que d’un documentaire. L’image qui s’en dégage est celle de femmes décomplexées, suivant leurs envies en opposition aux dress-codes et diktats de la mode en vigueur.
On peut également citer le documentaire Fabulous Fashionistas concentré sur des « vieilles dames stylées » (2013) ou la marque MAC qui choisit en 2011 comme égérie Iris Apfel (90 ans), décrite comme « L’oiseau rare de la mode » ou « la nonagénaire la plus branchée de la planète ».

Une explication plus rationnelle : le vieillissement de la population
Au-delà de ces précurseurs, différents facteurs expliquent cette tendance. Elle répond à des critères démographiques non négligeables, à savoir un vieillissement de la population, une hausse de l’espérance de vie (3 mois par an) et de la qualité de la santé. Les marques souhaitent donc capter le pouvoir d’achat des baby-boomers, mais également celui des personnes s’identifiant à ces égéries, lassées du jeunisme.
En 2010, un quart de la population était âgé de 60 ans et plus (source : INSEE). 800 000 personnes fêtent leurs 50 ans chaque année. Les plus de 50 ans représentent une cible riche, disposant de 35 à 55% du pouvoir d’achat disponible. Ils représentent 48% des dépenses de consommation (source :TNS Sofres). Ce pouvoir d’achat se retrouve sous l’appellation « silver economy » (« domaine ou ancien et neuf sont associés dans une optique de simplification, de mieux-être au quotidien. »).
Il y a donc pour les marques un intérêt grandissant à s’adapter à cette évolution sociétale et démographique. Cette transition représente cependant un risque pour les marques : le risque de vieillir leur image, de perdre une partie de leur cible initiale en voulant l’élargir aux personnes âgées.
A long terme, quel avenir pour les mannequins seniors ?
Cette tendance initie un renversement des canons de beauté et une nouvelle définition des codes de la publicité. Cela favorise une évolution des critères de beauté traditionnels, en écho avec la campagne Dove, pour toutes les beautés (2005).

A long terme, quel avenir pour les mannequins seniors ?
Cette tendance initie un renversement des canons de beauté et une nouvelle définition des codes de la publicité. Cela favorise une évolution des critères de beauté traditionnels, en écho avec la campagne Dove, pour toutes les beautés (2005).
Il faut notamment souligner que les marques ont peu d’expérience dans le marketing des seniors, leurs cibles sont souvent vues comme plus jeunes et plus actives, en concordance avec le jeunisme ambiant. Le sujet demeure donc frileux pour de nombreuses entreprises.
Cela demeure paradoxal car cette utilisation de la vieillesse devient résolument moderne. Naturel et décomplexé, le senior fait vendre.
Si les seniors sont présents dans une campagne, on remarque que très rapidement les jeunes mannequins répondant aux canons de beauté traditionnels reprennent le dessus. Finalement, ce passage du jeune au senior sous les lumières n’est-il qu’éphémère ? Que penser de cette temporalité limitée, de cet instant de célébrité accordé à l’esthétique de la vieillesse ?
Clarisse de Petiville
Sources
mastersmodels.com
cleirppa.fr 1, 2, 3, 4
Crédits photos
shopwithelisabeth.com
vogue.it
style.com
advancedstyle.blogspot.fr
lifeofamodernhousewife.com
culturebox.francetvinfo.fr