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Quand la Corée se fait dévorer du regard

Cènes Solitaires
Le 16 septembre 1999, Philippe Lançon se posait en Pythie des temps modernes dans un article pour Libération. Le journaliste s’était lancé ce soir là dans une analyse critique du Dîner de la star, court métrage dans lequel on peut voir Andy Warhol manger un hamburger face caméra : « Cette Cène solitaire de la consommation narcissique, on peut alors l’imaginer à l’infini: à toute heure, sur nos télés, des gens mangeraient, riraient, liraient, rêveraient, chieraient, changeraient bébé, de face et en plan fixe. On les regarderait plus ou moins, tout en mangeant, riant, lisant, rêvant, chiant, changeant bébé, etc. » À l’aube des années 2000, douce époque où nos écrans en tous genres n’étaient pas encore envahis par la télé-réalité, Lançon, prophète, envisageait la virtualisation de nos rapports sociaux. Sans le savoir il prédisait le confessionnal de Secret Story, mais aussi Norman fait des Vidéos, ou même Skype. Surtout, il prédisait déjà, non sans cynisme, le phénomène Muk Bang.

They see me eatin’, they hatin’
La France et le reste du monde occidental assument pleinement leur fétichisme pour la nourriture depuis que poster des photos de son hamburger dégoulinant – ou de sa pomme coupée en rondelles – sur les réseaux sociaux est devenu un sport international. Le Foodporn, délicate alliance d’exhibitionnisme et de voyeurisme destiné à faire saliver ses followers, aurait pu s’arrêter là. On avait déjà atteint l’apogée de ce que Barthes qualifiait de « cuisine ornementale » ou « cuisine de rêve, dont la consommation peut très bien être épuisée par le seul regard » dans ses Mythologies. C’était sans compter sur une tendance grandissante née en Corée du Sud : le muk bang (littéralement manger et diffuser). Reprenant le principe du Dîner de la star, avec trois fois plus de nourriture, le muk bang consiste à diffuser en live stream des images de soi en train de manger, parfois pendant plusieurs heures et devant des centaines de personnes. L’intérêt d’un tel divertissement peut sembler limité quand on n’est pas un adepte de la théorie de Warhol selon laquelle « plus on regarde exactement la même chose, plus elle perd tout son sens, et plus on se sent bien, avec la tête vide. »
Korea Now
Permettre aux spectateurs de se sentir bien est effectivement le but recherché. Mais le fait que le phénomène ait pris tant d’ampleur en Corée du Sud n’est pas anodin et est révélateur d’une réalité moins gaie. Un habitant sur quatre y vivrait seul selon The Independant, la communication virtuelle étant parfois l’unique alternative à la solitude. Le muk-bang est en effet avant tout une nouvelle forme de communication, d’interaction et de partage, et cela prend tout son sens en Corée où le terme « famille » signifie littéralement « ceux qui mangent ensembles ». En Corée peut-être plus qu’ailleurs, manger est une activité profondément sociale. Il s’agit alors pour les BJ’s (broadcast jockey), soit les acteurs de ces festins, d’établir une véritable relation avec leur public en discutant avec eux grâce à un live chat. Les conversations sont à l’image de la plupart des dîners en famille, ayant une dimension plus phatique, recherchant d’avantage le contact que la discussion philosophique. Il s’agit de manger dans la bonne humeur donc, et en communauté puisque commensalité rime avec convivialité. Le Muk Bang en tant que réinstauration d’un temps de sociabilité autour du repas pourrait alors être une réponse à l’individualisme triomphant et au vagabondage alimentaire solitaire qui en découle. Les BJ’s prennent en général le contre pied le principe du fast-food : ils prennent leur temps et vont parfois jusqu’à préparer méticuleusement leurs plats en direct.

Croquer la pomme
Malgré tous ces points positifs, il y a quelque chose d’assez dérangeant dans le fait que les utilisateurs payent pour voir leurs BJ préférés – qui sont généralement jeunes et bien faits – se lécher les doigts… Dans une interview accordée à Munchies, BJ Hanna, une star du muk-bang, explique qu’elle a fait face à plusieurs cas de fans obsessionnels, au point d’avoir à déménager. Ce versant moins ragoutant du Muk-Bang est cependant assez minoritaire et à relativiser, BJ Hanna ayant plus de 300 000 followers.

A connected meal is a happy meal
En 2015, la Corée du Sud est devenue le pays le plus connecté du monde devant le Danemark, comme le montre l’étude de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). En avance sur les outils technologiques – le pays a déjà investi plus d’un milliard d’euros dans l’établissement de la 5G -, la Corée pourrait aussi être en avance sur les pratiques et usages de ces outils. Selon une étude d’IPSOS datant de 2012, 61% des français de 15 à 25 ans mangent leurs repas au moins une fois sur deux devant un écran, le plus souvent pour pallier la solitude. Certains allaient même jusqu’à affirmer que le dit repas était « un moment de tristesse absolue ». Avec la digitalisation de nos rapports de sociabilité à travers les différents réseaux sociaux, il semblait difficile d’empêcher la virtualisation de ce rituel communicationnel qu’est le repas. Finalement, avec nos multiples émissions de cuisines à la télé nationale, nous n’en sommes nous-mêmes pas si loin.
Des mannequins qui mangent

Certaines grandes marques ont déjà mis à profit le développement de ces nouvelles pratiques, utilisant le phénomène comme levier communicationel. Récemment, Vogue Corée s’est approprié la tendance dans une vidéo montrant un mannequin se servir dans différents plats à la manière d’un BJ de Muk Bang. Rassurez-vous, la vidéo est suffisamment courte et intelligemment montée pour que le dit mannequin n’ait pas à réellement avaler quoi que ce soit : on ne voudrait pas que son régime pommes s’en trouve chamboulé.
Alix Leridon
Sources: 
http://www.liberation.fr/medias/1999/09/16/apres-coup-andy-burger_283805
http://www.independent.co.uk/life-style/gadgets-and-tech/gastronomic-voyeurism-the-south-korean-trend-that-means-youll-never-eat-alone-9090847.html
http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2012-10-11-habitudes-vie-jeunes-exposent-au-surpoids-et-l-obesite
http://www.ladn.eu/actualites/vogue-mode-pornfood,article,29820.html
http://www.ladn.eu/actualites/vogue-mode-pornfood,article,29820.html
Crédits images: 
YouTube 
Vogue Corée 
http://donggoom.tistory.com/77 

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Rohani: persona non grata ?

Il est des rencontres au sommet qui engendrent à la fois malaise généralisé et indignation transfrontalière. La visite officielle du Président iranien Hassan Rohani en Italie puis en France du 25 au 28 janvier aura marqué les esprits, tant l’opposition au régime des mollahs a été intense. Retour sur les principaux points de crispation et les débats soulevés par un voyage qui devait initialement profiter l’ouverture économique de l’Iran afin de signer de juteux contrats pour les industriels Européens.
Malaise dans la communication interculturelle
Le bal des couacs politiques et diplomatiques a été ouvert à Rome, lorsque les autorités italiennes ont décidé d’enfermer d’inestimables statues antiques féminines dénudées du Musée du Capitole dans des boîtes. Cette véritable « opération de com‘ » avait pour but de ne surtout pas bouleverser les habitudes visuelles et artistiques du Président iranien. Bien entendu, les réactions ont été immédiates et sans appel : des figures de l’opposition italienne au Ministre de la Culture Dario Franceschini, la mesure a été jugée « incompréhensible » et d’ « une totale idiotie et un sacrilège culturel », dixit Francesco Rutelli, ancien maire de Rome et ministre de la Culture. Plus dur encore, Luca Squeri, député du parti de droite Forza Italia, estime que « respecter les autres cultures, cela ne veut pas dire renier la nôtre ». Comme quoi, entre bienveillance diplomatique et raté interculturel, il n’y a qu’un pas.

Mises en scène macabres pour le respect des droits de l’Homme

Dès son arrivé à Paris, Hassan Rohani a du essuyer les plus vives critiques, tant de la société civile que de la classe politique. Principal sujet d’indignation en France : le non-respect des droits de l’Homme en Iran et la recrudescence des violations des libertés individuelles élémentaires. Pour protester contre la venue de Rohani et montrer leur dégoût, plusieurs centaines de personnes ont manifesté dans la capitale, place Denfert-Rochereau. Au delà des clivages partisans et des opinions individuelles, il convient de souligner l’ingéniosité et l’originalité des opposants à mettre en scène leur mécontentement. Dans une remorque spécialement conçue à cet effet, plusieurs personnes, toutes de jaune vêtues, paradaient la corde au cou, pour symboliser l’augmentation du nombre d’exécutions depuis l’arrivée au pouvoir de Hassan Rohani. A ce cortège pour le moins hétéroclite se sont joints plusieurs représentants charismatiques venus lutter contre la présence de Rohani dans le Pays des Droits de l’Homme : parmi eux, l’avocat Henri Leclerc, ex-président de la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du Citoyen, l’ancienne secrétaire d’Etat Rama Yade ou encore le député européen d’EELV, José Bové.

De leur côté, les Femen, fidèles à leur réputation sulfureuse, ont mis en scène la fausse pendaison d’une militante sous un pont près de la Tour Eiffel mercredi 27 janvier, à l’occasion du passage du convoi du Président iranien dans les rues de la capitale. Connu pour ses opérations provocantes, le groupe d’activistes féministes s’en est donné à cœur joie pour dénoncer ces pratiques d’exécution moyenâgeuses. Pour parfaire cette esthétisation de la mise à mort, les Femen ont ajouté à leur scène de théâtre éphémère une large banderole professant : « Bienvenue Rohani, bourreau de la liberté ». Enfin, Inna Schevchenko, la leader du mouvement, a publié sur son compte Twitter : « We just wanted #Rouhani to feel like home #paris #iran #femen #freedom » (« Nous souhaitions simplement que Rohani se sente comme chez lui »).

La colère de la classe politique
Au delà d’une contestation sociale internationale, l’objectif de ces mobilisations hétérogènes était d’inciter François Hollande à aborder avec son homologue iranien les épineuses questions des libertés individuelles, de culte, d’orientation sexuelle ou encore des libertés de la presse, afin d’infléchir une situation jugée calamiteuse par les organismes internationaux. Dans son rapport annuel sur la situation du pays, Amnesty International dénonce, entre autre, des cas de torture, des procès inéquitables ou encore des discriminations ethniques ou religieuses en constante augmentation dans le pays.

Et la classe politique n’est pas en reste de ces contestations publiques. 65 parlementaires se sont emparés de leur plume afin de dénoncer publiquement, dans une lettre ouverte à François Hollande, l’accueil en grande pompe de Hassan Rohani. Il est ironique de constater que le Président iranien a réussi à faire s’entendre des députés issus de la majorité et des rangs de l’opposition, bien malgré lui. La lettre commence par un flamboyant « La théocratie iranienne est l’un des régimes les plus liberticides de la planète ». De quoi interpeller à la fois le Président de la République Française, mais aussi (et surtout ?) les citoyens français dans leur ensemble. Dans le contexte de prolongation de l’état d’urgence et d’une défiance d’une partie de la population face à une diminution des libertés individuelles depuis les attentats de novembre, la venue de Rohani était l’occasion idéale pour ces parlementaires de défendre leur conception de l’état de droit.
Un mal pour un bien ?
Si la visite diplomatique en Europe de Hassan Rohani a provoqué un mouvement d’indignation repris à la fois par les associations internationales, les membres de la société civile et les politiques, il ne faut cependant pas oublier que celle-ci avait avant tout un but purement économique. Les plus grands groupes industriels français, Airbus, Bouygues et Total en tête, ont largement bénéficié de cette venue quasi providentielle. La France se retrouve donc une nouvelle fois dans l’impasse : favoriser son développement économique ralenti par la crise, ou rester fidèle à ses idéaux séculaires ?
La force de la mobilisation contestataire

Des manifestations militantes, des simulacres de pendaisons, des parlementaires et des associations en colère… et pourtant, on ne peut que constater un traitement médiatique relativement mesuré de cette visite historique. En effet, malgré quelques levées de boucliers sur Twitter et certains articles accusateurs, ce sont en premier lieu les expressions physiques de la dénonciation qui constituent le principal canal de communication de l’exaspération et du rejet. Cette communication concrète et manifeste se révèle finalement bien plus efficace, car elle n’a pas eu besoin des biais traditionnels de médiatisation pour démontrer sa force. Ceci nous rappelle que parfois, l’engagement citoyen à lui seul permet de faire entendre sa voix, dans un contexte de surproduction de l’information par les médias traditionnels ou en ligne.
Céline Viegas
LinkedIn
Sources:
France Info, Visite de Rohani: la question des droits de l’homme en Iran reste en filigrane, Anne Patinec, 28/01/16
L’obs, Hassan Rohani en visite en France: n’oublions pas la répression des chrétiens en Iran, Donya Jam, 24/01/16
Le Monde, Cachons ces statutes qu’Hassan Rohani ne saurait voir, Philippe Ridet, 27/01/16
Swiss Info, Haro sur Matteo Renzi pour les statutes antiques, 27/01/16
Le Figaro, Visite du président iranien Hassan Rohani: lettre de 50 députés à François Hollande, 27/01/16
Le Point, Rohani à Paris: la fausse pendaison des Femen, 28/01/16
Crédits images:
http://www.franceinfo.fr
 
http://www.citizenside.com
 
http://www.youtube.com
 
http://www.twitter.com
 
http://lemonde.fr
 
http://lefigaro.fr

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Salafistes, la puissance de l'image

Le mois de janvier a, comme toujours, connu de nombreuses publications ou sorties d’œuvres culturelles et politiques – et des polémiques qui les accompagnent. Les bruits autour d’un film sorti récemment sous un titre plutôt accrocheur et déstabilisant sont probablement parvenus à vos oreilles. Salafistes, un documentaire de François Margolin, nous plonge au cœur du djihadisme au Mali et a pour objectif principal de dévoiler la réalité d’une forme de terrorisme de beaucoup méconnue. 
 Pourquoi un tel tollé sur ce film qui a pour vocation d’être un documentaire sur un monde terroriste que trop peu connaissent ? 
 Un documentaire qui fait l’effet d’une bombe
Salafistes a été décemment sorti dans le contexte de tension politique que nous connaissons, à la suite des multiples attentats terroristes à l’échelle internationale depuis plus d’un an maintenant. Sa sortie était réfléchie et les réalisateurs étaient forcément conscients du débat que provoquerait la sortie du film. Et c’était bien là l’objectif affiché des réalisateurs, qui soulignent avant tout un acte citoyen, de salut public : parler des dessous du terrorisme, pour éveiller les consciences à des aspects méconnus du terrorisme et participer à l’enrichissement du débat autour du terrorisme en société. Mais en terme d’agenda médiatique, le film ne pouvait s’attendre à une semaine aussi chargée en terme de polémiques concernant le terrorisme.  En effet, il est révélé peut de temps avant l’intervention politique de Najat Vallaut Belkacem, ministre de l’Education nationale, dans le Supplément de Canal +, dans laquelle les propos d’Idriss Sihamedi, dirigeant de l’association humanitaire islamique Barakacity, font scandale.  
 La sortie de Salafistes s’inscrit donc dans un contexte tendu. Le documentaire retrace, du Sahel à la Syrie en passant par l’Irak et la Tunisie, la pensée de cette mouvance terroriste. Comme dans tout documentaire, François Margolin, assisté du journaliste mauritanien Lemine Ould M. Salem, affichent clairement leur volonté de révéler les dessous, même choquants, de cette organisme de terreur. Après visionnage, la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a déclaré déconseiller la diffusion du documentaire aux personnes de moins de 18 ans. Cette décision est-elle légitime de par la violence des scènes présentes dans le film ou cette censure est-elle une atteinte à la liberté de chacun d’être conscient des enjeux actuels ? 
 Un sujet clivant
 Le documentaire a essuyé de nombreuses réserves concernant la diffusion de la violence salafiste comme œuvre culturelle dans les salles de cinéma. Nombre de personnes ont dénoncé la présence de scènes trop choquantes, beaucoup d’autres ont aussi fait valoir que ce documentaire était en réalité une plate-forme de propagande gratuite pour Daesh. 
 Qu’en penser ? Si les avis divergent sur la question, la presse semble prendre parti à l’unanimité pour la défense la liberté d’expression. 
 Décrire ce film comme vecteur de la communication de Daech c’est faire le postulat que son public peut se laisser influencer par les propos tenus par les prédicateurs, s’insérer dans une vision tchakhotinienne avec un viol psychique du public et soustraire aux français leurs capacités réflexives. Les réalisateurs s’insurgent «  Dire que pour les adultes, cela va, mais pas pour les jeunes, c’est le principe même de la censure. Or, je pars du principe qu’il faut prendre les spectateurs pour des gens intelligents, quel que soit leur âge. » 
 Le langage des ministères oscille entre abérration devant la brutalité des images et dénonciation d’une présumée apologie du terrorisme…pour finalement aboutir à une exploitation dans un nombre restreint de salles réservé à un public majeur.  
 Si l’on condamne la violence du réalisme du documentaire de François Margolin, comment dès lors justifier du réalisme journalistique quotidien, parfois aussi choquant que le film Salafistes ? On pense notamment aux Unes récentes affichant la photo « choc » du petit Aylan sur les plages d’Egypte, ou encore de la récente campagne de Reporters Sans Frontières.

Comment expliquer qu’un documentaire, qui respecte une même déontologie journalistique que le journalisme de la presse écrite, connaisse davantage de censure que la presse écrite nationale ? La violence de l’image est-elle acceptée quand elle est seule, au dépit du reportage de terrain qui repose tout entier sur elle ?
L’image tue
En refusant la diffusion du documentaire et en déplorant la présence d’une voix-off encline aux commentaires qui contre-balanceraient la logohrrée islamique, serait-ce sous-entendre que chacun des français est en puissance un terroriste ? Cela reviendrait à faire de l’image un vecteur plus puissant qu’elle ne l’est en réalité.
Dans Imaginaire et Post-modernité  Michel Maffesoli parle de l’image comme un mésocosme entre le microcosme personnel et le macrocosme collectif, «  un monde du milieu qui fait un lien, établit une relance » Ainsi l’image n’aurait donc, selon M. Maffesoli, aucune proximité avec ces idéologies, il n’y aurait donc aucune raison d’émettre des réserves sur les finalités que peuvent avoir la vue de ce film sur un public lambda dont l’horizon d’attente serait critique !
Dans la classe politique aussi bien que chez les journalistes ou dans l’opinion publique, le sujet est brûlant et inévitablement clivant. Cependant, si le but était de masquer dans les méandres du silence ce documentaire pour en limiter l’impact, l’importante couverture médiatique autour de ce film contribuera sans doute à provoquer l’effet inverse.
Jérémy Figlia 
Sources: 
http://www.bvoltaire.fr/dominiquejamet/salafistes-nest-censurant-realite-quon-change,2350001
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1475025-salafistes-interdit-aux-de-18-ans-insense-notre-2 documentaire-est-un-acte-citoyen.html 
http://www.msn.com/fr-ca/actualites/photos/salafistes-on-a-risqué-notre-vie-pour-montrer-ce-que-3 pensent-ces-gens/vi-BBoJxnh?refvid=BBoDbEc
Serge Tchakhotine, Le viol des foules

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État d'urgence… atmosphérique

Que diriez-vous d’un monde où la conversation avec la voisine de palier ne porterait plus sur le temps qu’il fait, mais sur le taux de particules polluantes dans l’air prévu pour la journée ?
Ce scénario, qui semblerait post-apocalyptique pour un Français non-averti, est pourtant en train de se dérouler juste de l’autre côté du continent eurasiatique. Chaque matin, nombreux sont les Chinois qui consultent l’application « Air Quality China », indiquant le taux de PM 2,5 dans l’air, c’est-à-dire la quantité de particules polluantes mesurant moins de 2,5 micromètres de diamètres.
1, 2, 3…soleil ?
Cette habitude n’est pas qu’une nouvelle lubie originale et exotique, mais nécessaire à la survie des citadins chinois, quand on sait que des centaines de milliers de morts* sont, chaque année, imputées à la pollution en Chine. Ironie du calendrier, c’est pendant la COP 21 que Pékin a dû lancer, pour la première fois, une « alerte rouge » à la pollution atmosphérique. La densité de PM 2,5 avait atteint plus de 500 microgrammes par mètre cube, alors que l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) recommande un plafond moyen de 25 microgrammes par mètre cube pour 24 heures. En d’autres termes, la capitale chinoise avait un taux de ces petites particules particulièrement dangereuses pour la santé près de 20 fois supérieur à la quantité tolérée.

Même si l’urgence de la situation est bien visible dans une ville où le soleil n’apparaît plus, l’accoutumance au phénomène est un véritable danger. Comment faire prendre conscience à la population chinoise qu’il est temps de réagir ?
(Fausse) bonne idée n°1 : utiliser la variable « prix »

Soldes : pour tout masque de protection acheté, une bouteille d’oxygène offerte !
La théorie économique néoclassique repose sur une théorie de la « valeur-utilité »**. En d’autres termes, tous les biens qui subissent une utilité et une contrainte de rareté, possèdent une valeur, donc un prix. Aussi quantité et prix sont-ils fortement corrélés : grossièrement, plus un bien est rare, plus le prix est important.
Dans un pareil contexte où l’air, élément nécessaire à notre survie, vient à manquer, quelques acteurs ont pu flairer l’opportunité. C’est ainsi qu’un restaurant de la ville de Zhangjiagang (Chine) ajoute une taxe d’un yuan par consommateur (environ 15 cents) pour l’air pur respiré. Vitaly Air, quant à elle, est une entreprise canadienne qui met en vente des bouteilles d’oxygène sur le marché chinois. Ces bouteilles d’air pur et frais de montagne auraient pour vertu de « booster la vitalité » (Enhancing Vitality) de ses utilisateurs.

Si on suit la logique néoclassique, le fait même de taxer ou de mettre en vente l’oxygène devrait mettre la puce à l’oreille des Chinois sur la raréfaction de l’air. Bien que des doutes sur l’efficacité de la communication par le prix semblent légitimes.
Bonne idée n°2 : le docu qui s’indigne, classique mais efficace
« Crie-le bien fort, use tes cordes vocales ! »***
Chai Jing, connue en tant qu’animatrice et reporter d’investigation phare pour la télévision d’État chinoise, quitte son poste de journaliste en 2013 après qu’elle a appris que l’enfant qu’elle portait devait être opéré d’une tumeur dès sa naissance, en grande partie à cause de la pollution atmosphérique. Elle décide de réaliser et d’autofinancer un documentaire pour attirer le regard de millions d’internautes sur le problème.
Le 28 février 2015, elle met en ligne son documentaire « China’s Haze : Under the Dome » (« La Chine dans la brume, sous le dôme »), qui mêle discours scientifiques, preuves statistiques, et anecdotes personnelles.

En l’espace de 24h, la vidéo est visionnée plus de 30 millions de fois**** et donne lieu à une vive agitation sur les réseaux sociaux chinois (en particulier WeChat, le réseau social le plus populaire en Chine). Outre l’inquiétude due à la pollution atmosphérique, cet engouement pourrait bien être significatif de la perception des Chinois sur les médias traditionnels. La réception du documentaire semble montrer que les Chinois cherchent sur Internet des informations que les médias traditionnels traiteraient de façon tempérée.
Mais le documentaire n’aura échappé à la censure du gouvernement que pendant trois jours de diffusion. Faut-il déplorer cette prohibition étatique ? N’a-t-elle pas justement, paradoxalement, permis de toucher un plus large public en faisant réagir les hautes instances gouvernementales de manière si radicale ?
Bonne idée n°3 : la créativité pour communiquer
D’autres voix émergent, à travers une communication originale et surprenante, pour dénoncer les conditions environnementales du pays. Ainsi, non loin de Shanghai, un collectif d’artistes et de militants s’est insurgé contre une pratique agricole répandue et évitable, qui génère une grande quantité de fumées noires. Si la paille peut avoir de nombreuses utilités (nourriture, engrais, matériau de construction), les agriculteurs ont l’habitude de la brûler à la fin des moissons, ce que le groupe d’artistes déplore par des œuvres créées à partir de ces « déchets » de paille.

Dans le même sens et bien qu’elle s’inscrive peu ou prou dans la tendance du greenwashing, la campagne de communication Breathe Again (Respirez à nouveau) lancée par une entreprise de systèmes de purification d’air, vise également à dénoncer la pollution en Chine. Les fumées d’usine qu’elle dénonce servent de support pour projeter des visages d’enfants, suffocants ou en pleurs.

Certes ces dénonciations sont prenantes et décalées, mais c’est une fois encore le relais des réseaux sociaux qui permet de rendre ces communications efficaces en touchant un large public.
Bonne idée n°4 : on n’demande qu’à en rire !
Juste pour le plaisir, la publicité pour les chauffe-eau écologiques de la marque Sakura, pointe le problème de pollution…de manière légère et décalée !

Sakura Musle 0514 from J. Walter Thompson Asia Pacific on Vimeo.

 
Aline Nippert
@AlineNimere
* D’après Les Echos
** Théorie subjective de la valeur chez les marginalistes (Walras, Jevons, Menger)
*** Issue de « L’hymne de nos campagnes », de Tryo
****D’après  Rue 89
Sources: 
– Mr Mondialisation

Des chinois utilisent la fumée des usines comme écran géant pour dénoncer la pollution


– Konbini
http://www.konbini.com/fr/tendances-2/chine-oxygene-luxe-commercialise/
– L’ADN
http://www.ladn.eu/actualites/pour-reduire-emissions-co2-prenez-vos-douches-2,article,27801.html
Crédit images: 
 
Vitalyair.com 
Mr Mondialisation 
France TV Info 

Enjoy Phoenix
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Et si les youtubeuses beauté ne savaient pas tout ?

Salut les filles ! Je suis super contente de vous retrouver aujourd’hui pour parler de l’influence de vos youtubeuses préférées et des dangers qui en découlent. Ne vous inquiétez pas, j’ai mis toutes les références en barres d’infos. N’hésitez pas à me laisser des commentaires, à liker si le sujet vous intéresse et à vous abonner à ma chaîne bien sûr !
Il est aujourd’hui difficile de passer outre les tutos beauté sur YouTube et leurs créatrices, ces nouveaux gourous du net que sont les youtubeuses beauté. Véritables influenceuses, elles partagent des conseils beauté avec leurs nombreux abonnés. Il semble néanmoins que leur champ de compétence ait aujourd’hui bien évolué. Mais où s’arrête la légitimité des youtubeuses beauté ? Quelles peuvent être les conséquences d’un amateurisme qui s’impose comme une référence ?
De la bonne copine à la professionnelle, il n’y a qu’un pas (et quelques milliers d’abonnés)
Rappelons tout d’abord que ce qui fait le succès d’une youtubeuse, c’est en partie sa proximité avec son public. Après tout, c’est une fille comme vous, comme nous, un peu comme la grande soeur qu’on n’a jamais eu. Une véritable relation se tisse et vidéo après vidéo, conseil après conseil, la confiance s’installe. Plus leur notoriété augmente, plus la part de confiance qui leur est accordée est importante.
Nous avons pu remarquer ces dernières années que ces youtubeuses tendent à se présenter comme des « professionnelles » de la beauté. La qualité visuelle de leurs vidéos, les partenariats avec des marques ou encore la participation à des émissions de télévision pour certaines (la célèbre EnjoyPhoenix est une habituée des plateaux et a même participé à Danse avec les stars récemment), véhiculent cette image professionnelle, alors qu’en réalité elles ne possèdent aucune formation en esthétique ou en coiffure pour la grande majorité. Autodidactes, elles s’en sortent souvent très bien. Et même dans les cas où leurs conseils seraient mauvais, un maquillage raté n’est pas un drame : on l’essaie devant son miroir et si ça n’est pas réussi, on se démaquille. Or, si leur non-expertise ne les empêche pas d’être très douées, voire même meilleures que certains experts, il semblerait que cela puisse devenir problématique quand elles tentent d’étendre leurs compétences à des domaines plus spécialisés et plus complexes.

Les youtubeuses beauté sont-elles mauvaises pour la santé ?
Pour continuer à séduire leurs fans et pour ajouter du contenu à leur chaîne, les youtubeuses beauté donnent maintenant de nombreux autres conseils : lifestyle, santé, cuisine, vie privée… Tout y passe. Certaines donnent par exemple des conseils sur les problèmes de peau. N’étant pas diplômées en dermatologie, il semble naturel de remettre en question la légitimité de leur parole. Elles ne font, en effet, référence qu’à leur propre expérience, à d’autres vidéos qu’elles ont pu voir ou encore à des informations qu’elles ont elles-mêmes trouvé sur Internet. La fiabilité de leurs trucs et astuces peut donc être mise en doute.

 
En outre, le public des chaînes YouTube étant extrêmement large, leurs conseils ne peuvent s’appliquer à tous. Et ce n’est pas certaines abonnées d’EnjoyPhoenix qui diront le contraire. La youtubeuse star, dans une vidéo de masques DIY (“do it yourself”), conseille d’essayer un masque à base de cannelle et de miel qui donne une peau « toute belle, légèrement rosée parce qu’elle a pris des couleurs ». Comme l’explique un article publié sur marieclaire.fr le 20 octobre dernier à ce sujet, la cannelle est « une plante dermocaustique (qui entraîne des brûlures) et très allergisante ». Ainsi, certaines abonnées ont eu la sympathique surprise de retrouver leur visage brûlé après l’utilisation du masque. Bien sûr, l’erreur est humaine, mais lorsque l’on se porte garant devant des millions de personnes des vertus d’une recette, et que l’on a autant d’impact sur des millions de jeunes filles qu’EnjoyPhoenix, l’erreur prend une toute autre dimension. Si les youtubeuses se veulent professionnelles, elles doivent prendre les responsabilités qui accompagnent ce changement de statut.
Tous les conseils sont-ils bons à prendre ?
L’exemple est encore plus frappant dans le cas de Kelly Angelini, alias KayEhHey. Dans une vidéo sortie début décembre 2015, elle donnait des conseils concernant la première fois. Elle insistait sur l’importance de la tenue vestimentaire et du maquillage, ainsi que sur la nécessité de s’épiler pour « ne pas dégoûter son partenaire » et de se laver le sexe plusieurs fois « par respect». Une fois passés ces conseils misogynes, qui véhiculent une conception arriérée de la femme, la youtubeuse renchérit. Elle explique, en effet, qu’il faut parfois se faire violence et se forcer un peu pour sa première fois, car après tout, « tout le monde est passé par là ».

La vidéo a rapidement été supprimée par son auteure . Néanmoins, ces propos ne sont pas passés inaperçus auprès des internautes. Clarence Edgard-Rosa, blogueuse et journaliste féministe, conclut ainsi un article à propos de cette vidéo sur son blog pouletrotique.com: « Son ignorance crasse n’empêche en rien Kelly de se sentir légitime à distiller ses conseils à ses près de 250.000 abonnés, et grâce à YouTube, elle sera rémunérée pour ça. Récompensée financièrement pour avoir expliqué à des jeunes filles que le plus important dans une première relation sexuelle avec un garçon, c’est de se forcer un peu, de ne pas porter un décolleté trop plongeant et de se récurer l’entre-jambes par respect pour les garçons. J’oscille entre honte et colère. Je vais prendre les deux. » Comme le précise une rédactrice du site blastingnews.com, le public de ces youtubeuses est généralement un public jeune, manquant de confiance en soi et de repères. Ces jeunes accordent donc un grand intérêt au discours de leur youtubeuse favorite et dès lors, ces paroles deviennent un réel enjeu. Les propos de Kelly Angelini peuvent être nuisibles, en particulier pour les jeunes âmes qui parcourent YouTube à la recherche de conseils et de réconfort.

Ces exemples de dérapage made in YouTube nous montrent bien que ce média social soulève de nouveaux débats, notamment en ce qui concerne l’amateurisme sur Internet. L’importance accordée aux youtubeuses beauté, à la fois sur Internet et dans les médias dits traditionnels, ainsi que la professionnalisation entraînée par cette médiatisation nécessitent donc une réelle remise en question. Néanmoins, il semble clair que les youtubeuses beauté ont désormais une place prépondérante dans la consommation médiatique des jeunes publics, interrogeant également le futur des sacrosaints magazines féminins.
Clémence de Lampugnani
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Sources: 
Marie-Claire, « POURQUOI ENJOYPHOENIX FAIT-ELLE LE BAD BUZZ SUR LA TOILE ? » de Lola Talik 
L’obs, « Première fois: une YouTubeuse conseille aux filles de se forcer. Une honte » de Audrey Kucinskas 
Blasting news, « YOUTUBEUSE BEAUTÉ: RÉEL MÉTIER, EFFET DE MODE OU VÉRITABLE STAR MODERNE? » par Lilylaura Devillers 
« Le pouvoir des Youtubeuses beauté » par Magali Heberard 
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Joel Saget / AFP
Capture d’écran Youtube d’une vidéo de Michelle Phan
capture d’écran YouTube d’une vidéo d’EnjoyPhoenix
apture d’écran YouTube vidéo de KayEhHey alias Kelly Angelini
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Flops

DSK – 20 kilos

Nous sommes en mai 2011, la France et le monde sont secoués par une affaire qui aura des répercussions au sein des plus hautes institutions et auprès d’hommes politique haut placés : vous l’aurez deviné, c’est l’affaire DSK.
Les médias s’en saisissent à l’aide d’image de surveillance, d’images de “reconstitutions” (souvent floues, couleur sépia comme dans un épisode d’Enquêtes Impossibles sur NT1). Mais un média s’est fait connaître à ce moment-là pour avoir entièrement recrée la scène en animation, j’ai nommé le média taïwanais Next Media Animation.
Next Media Animation : le futur de l’info ?
La première fois que NMA s’est fait connaître à l’international, c’était effectivement avec l’affaire DSK en 2011. Malgré la gravité de l’affaire, la reconstitution réalisée par ce média est extrêmement comique. Le premier détail étonnant que nous pouvons relever a trait à la femme de chambre, censée représenter Nafissatou Diallo : son avatar a la peau blanche. Il est peu probable que NMA veuille faire preuve de racisme. Ils ont surement juste des avatars pré-établis qu’ils réutilisent pour chaque animation. Ou peut-être n’ont-ils pas considéré ce détail come important. Autre détail, DSK semble étrangement bien plus mince que d’ordinaire. C’est amusant mais cela montre encore une fois un manque flagrant de réalisme.

Mais ces animations révèlent quand même un fait nouveau : les reconstitutions de la sorte sont un nouveau média. D’ailleurs le nom “Next Media Animation” met en avant d’un point de vue sémiotique annonce l’aspect futuriste du studio par le mot “next”. NMA serait une nouvelle source d’information.
“C’est une autre culture”
Prenons un évènement, plus récent, aussi reconstitué par NMA : l’attentat évité de justesse dans le Thalys, le 21 août 2015. À en croire la vidéo, le tireur était torse nu, Mark Moogalian se serait pris (et aurait survécu à) une balle dans la tête et le tireur aurait fini ligoté comme une paupiette. En somme, l’animation simplifie et fausse considérablement les faits.
Les faits sont d’autant plus échenillés qu’ils sont accompagnés de textes colorés avec des effets “pop”, voire même cinématographiques à vocation de parodie de blockbuster. Par exemple, Spencer Stone, un des soldats ayant désarmé le terroriste est renommé en toute simplicité “GI Joe” avec un effet chromé.

Mais cette abondance de typographies ne nous est pas étrangère. Elle est en effet très fréquente dans tout type d’émissions de télévision au Japon, à Taïwan, en Chine ou encore en Corée du Sud. Ces pays ont une forte culture de l’image accompagnée d’idéogrammes colorés et animés. À l’inverse, les Européens prennent le parti de la sobriété. Nous pouvons prendre l’exemple de BFMTV dont le code couleur est relativement sobre et ne change pas : des lettres blanches sur une bannière bleue située en bas de l’écran. La culture occidentale sous-tend donc une autre sémiologie de l’information et de l’image. Mais dans le cas de NMA, il ne s’agit plus uniquement de sémiologie, il s’agit d’une toute nouvelle façon d’informer.
Divertir vs. Informer
Dans le cas de Next Media Animation, il s’agirait donc peut-être d’une nouvelle forme d’information, le studio taïwanais a passé des accords avec TomoNews, une chaîne Youtube qui se présente comme étant la chaîne réunissant “les nouvelles les plus divertissantes d’internet”. Ils accolent donc des micro-faits d’information avec des évènements qui changent la face du monde. De plus, l’idée de “nouvelle divertissante” semble peu adéquat, surtout quand cela traite de sujet très sensibles, tels les attentats de Paris, le 13 novembre.
TomoNews US relaie dorénavant toutes les vidéos d’informations de NMA et les attentats de Paris n’y échappent pas. Ils ont donc publié “Paris terror attacks : woman played dead over an hour survive Bataclan theater shootout” (Les attentats de paris : femme joue la morte plus d’une heure survivre fusillade du théâtre Bataclan). La reconstitution est plus que sortie et tout aussi erronée. Selon la reconstitution, deux des terroristes seraient arrivés par la scène : une information complètement fausse. Ensuite les images donnent une tournure presque mélodramatique à l’évènement. La musique, un morceau de piano digne de scènes de tromperies dans un soap opera, aspire la dernière once de réalisme.
L’horreur est mise à distance, voire supprimée, nous passons à une reconstitution 3D digne du jeu vidéo Desperate Housewives. Pourtant, la notion de “news” y est affichée. La frontière entre l’information et le divertissement est effacée : ils ont bel et bien la vocation d’informer. Néanmoins, il dénaturent l’information, notamment à cause de la scène de fin.

Cette image est pour le moins extravagante, la Mort tient une glace à la fraise et prend un selfie avec un obèse en chemise léopard, pendant qu’une sorte de géant vert tape la pose, allongé sur le logo de TomoNews.) De quoi retirer toute crédibilité aux faits que le média prétend reconstituer.
Colombe Courau
Sources :
Chaine Youtube TomoNews US
Crédits images :
Captures d’écrans de vidéos de Next Media Animation

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Bad buzz bad buzz, watcha gonna do ?

« Je suis un produit, mais comme beaucoup d’autres artistes qui passent à la télé et à la radio et qui deviennent populaires. Je l’assume complètement, j’aime divertir les gens, je m’amuse dans ce que je fais ». Sur le plateau d’On n’est pas couché, la chanteuse Shy’m n’a pas hésité à assumer sa conception marchande du vedettariat. Son objectif est clair : vendre. Sa stratégie : se construire une identité de marque, créer une offre originale et innovante pour séduire le public le plus large possible. Si tout acteur, chanteur, ou comique ne se considère pas comme un objet de consommation, avoir une stratégie de communication élaborée, voire s’affubler d’une identité chimérique fait souvent partie du jeu.
« Haters make me famous »
De nos jours, face à l’élargissement considérable de l’offre autant musicale que théâtrale ou cinématographique, il faut savoir se démarquer pour être reconnu. Etre une célébrité est devenu un métier en soi, comme l’ont révélé les nombreuses émissions de télé-réalité à travers le monde. Du succès de Loana à celui de Nabilla, il apparaît clairement de nos jours qu’une des meilleures manières de se faire remarquer est d’user d’une stratégie du choc et de l’anormal.
Or, il n’est pas rare lorsque l’on cherche à choquer de rencontrer sur sa route bon nombre de « haters » et de devenir victime du dit « bad-buzz », qui tend à se généraliser. Loana a marqué toute une génération pour être « passée aux choses sérieuses » dans une piscine à la télévision nationale, et Nabilla est connue de tous pour sa bêtise et son inculture. Loin d’en être traumatisées, ou de considérer leur carrière comme un échec, ces dernières peuvent être fières d’avoir réussi à s’imposer dans notre société comme de véritables phénomènes culturels, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Mais jusqu’où est-on prêt à aller pour être sur le devant de la scène ? La tendance étant déjà fortement ancrée, le bad-buzz doit – malheureusement ? – aller de plus en plus loin pour conserver toute son efficacité. On se souviendra longtemps de Kris Jenner, mère de Kim Kardashian, qui n’a pas hésité à vendre la sextape de sa fille pour lancer sa carrière. De même, on peut s’interroger sur la signification du geste de Nabilla lorsqu’elle poignarde Thomas, son petit ami : excès de violence ou pure coup de com’ ? La question se pose quand on sait que leur popularité était à l’époque en perte de vitesse et que le couple semble toujours aussi soudé à l’heure actuelle.

 
Un bad-buzz est un buzz, le marketing n’a pas d’œil
Du côté des artistes, le bad-buzz apparaît de la même façon comme un élément difficilement contournable. Quand on réfléchit aux images les plus virales de la fin d’année 2015, on pense rapidement aux pas de danse ridicules de Drake, énormément détournés et moqués, ou à la chute solitaire de Shy’m en concert. Dommages collatéraux ? Crise communicationnelle ? Bien au contraire. Qui aujourd’hui n’a pas entendu parler d’Hotline Blink, le dernier single de Drake ? Dans une interview accordée au webzine musical anglo-saxon Complex, Tanisha Scott, chorégraphe pour le clip d’Hotline Blink, affirme la chose suivante : « Tous ces memes et mashups, il savait que ça allait arriver ! Quand on regardait les playbacks, il m’a dit  “ça va forcément devenir un meme“ ». Quand on sait que l’objectif de Drake avec la sortie de ce single était d’arriver numéro 1 au Billboard Hot 100, comme il l’a lui même expliqué sur Instagram, on comprend aisément que les détournements de ses « haters » étaient souhaités et assumés.
 

 

Je voudrais tant que tu memes
Souvent plus viral que le buzz traditionnel parce qu’il permet à chaque internaute de faire sa petite blague, et donc son propre petit buzz, il n’y a souvent rien de tel que le meme pour faire parler de soi, et beaucoup l’ont compris. Certaines stars sont allées jusqu’à forger leur identité publique et donc leur carrière sur cette stratégie. On pense à Shia LaBoeouf, souvent qualifié de « meme humain », et élu « meme de la semaine » dans les Inrocks en juin dernier.

 
Comme expliqué dans l’article, tout dans cette vidéo semblait avoir été conçu pour servir de support à de futurs memes (fond vert, coupe de cheveux inqualifiable, postures étranges, etc.). Si l’autodérision n’a jamais fait de mal à personne, ce phénomène prend une importance toute particulière, brisant le stéréotype de la vedette tirée à quatre épingles, qui maîtrise compulsivement son comportement et son image. Au contraire, il semble qu’il n’y ait plus aucun tabou, aucune honte ou bizarrerie qu’une célébrité ne puisse dépasser, comme l’illustre parfaitement le cas de Miley Cirus, devenue l’opposée d’Hannah Montana (son rôle titre chez Disney), pour s’assurer une carrière mondiale.
Alors qu’il pouvait sembler au début du XXIème siècle que le bad buzz était un signe de fin de carrière – on se souvient de Britney se rasant le crâne avant de disparaître de la scène musicale pour revenir des années plus tard – il s’agit aujourd’hui probablement du meilleur moyen de gagner ou de retrouver la notoriété.
Alix Leridon
Sources :
http://uk.complex.com/music/2015/10/tanisha-scott-interview-on-choreographing-drake-hotline-bling-video


Crédits photos :
Reddit 
Les Anges de la télé-réalité 
Dailymail
Just do it on Youtube 

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Libération.fr
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Libération.fr: la bombe éditoriale

Qui l’eût cru ? Le quotidien français Libération, taxé de racisme, de sexisme et d’islamophobie ! Le monde de la presse est une nouvelle fois ébranlé. Luc Le Vaillant, auteur de la chronique « La Femme voilée du métro », publiée le 7 décembre sur Libération.fr, a écorché l’aura de sa rédaction. Rien de mieux qu’une petite étincelle médiatique pour allumer un grand brasier sur les réseaux sociaux, dans un contexte social et politique particulièrement heurté.
Quand le fantasme rencontre la maladresse

Et le César de la gaffe éditoriale de l’année est décerné à … Luc Le Vaillant ! On peine à comprendre comment un journaliste expérimenté et reconnu par ses pairs a pu exprimer si maladroitement sa pensée. Dans sa chronique du 7 décembre, il raconte son anxiété délirante et contagieuse lorsqu’il croise dans une rame du métro parisien une jeune femme, vêtue d’une « abaya couleur corbeau ». Certaines phrases choquent et heurtent brutalement l’imaginaire du lecteur, quelques semaines après les attaques de Paris.
Même si Luc Le Vaillant a mentionné en tête d’article qu’il s’agit d’une « recension des craintes réelles et fantasmées comme des répulsions laïques déclenchées par une passagère en abaya, dans une rame d’après-attentats », le mal est fait : l’article provoque une polémique médiatique aussi soudaine que violente. Mais le premier problème n’est-il pas simplement rédactionnel ? En effet, force est de constater un certain manque de clarté de la part du journaliste, qui s’est défendu en expliquant qu’il ne faisait qu’inventorier des pulsions et appréhensions incontrôlables dont il se sentait lui même honteux.
Un article inapproprié dans un contexte socio-politique délétère
De cette bévue éditoriale découlent nécessairement des interprétations inattendues des propos de Le Vaillant. En parlant du voile de la jeune femme, il écrit : « Cette autre soutane monothéiste lui fait la cuisse évasive, la fesse envasée, les seins restreints. Les cheveux sont distraits à la concupiscence des abominables pervers de l’Occident décadent ». Comment ne pas dénoncer le caractère ostensiblement misogyne et sexiste d’une telle phrase ? Le Vaillant allégorise à merveille la perversité dont il voudrait pourtant se détacher. Plus loin, on peut lire « Si l’œil du voisin de strapontin se fait inquisiteur, ce n’est pas pour pincer le bourrelet charmeur mais pour palper la possibilité d’une ceinture de chasteté explosive ». De quoi en fait bondir plus d’un. Raciste, islamophobe … les qualificatifs ont abondamment circulé sur le net pour dépeindre à la fois le texte et l’auteur, de manière totalement confondue.
Pourquoi un tel débordement médiatique ? Tout d’abord, le contexte se prêtait assez peu à un article aussi subversif. Les attentats ont été, malgré eux,  la cause d’une crispation identitaire, réaffirmée à la veille des élections régionales. Les scores historiques du Front National au premier tour ont cristallisé  un sentiment d’inquiétude généralisée, que la chronique de Le Vaillant réactive à ses dépens. L’auteur mêle à ses angoisses les récentes révélations concernant la proportion de « fichés S » dans le  personnel de la RATP et de la SCNF : « [A Saint-Sulpice, le flip revient et] je me raconte que la femme voilée est en cheville avec le conducteur salafiste et que mon supplice en sous-sol est pour bientôt ».
Par ailleurs, un tel article s’oppose diamétralement à la ligne éditoriale de Libération. Quotidien social-démocrate par excellence, il n’a de cesse de prôner la tolérance et le respect mutuel, depuis sa fondation en 1973 par Jean-Paul Sartre. Chacun est en droit de se demander comment la rédaction a pu autoriser la publication de la chronique, tant elle s’éloigne de ses idéaux. Celle-ci n’a pas vocation, a priori, à réparer la fracture socio-identitaire qui pourrait s’installer dans notre pays. Bien au contraire, elle ne fait qu’alimenter une certaine forme de discours communautaire.
La colère sur les réseaux sociaux : amplification et distorsion des faits
 

 

 
L’esclandre semblait donc inévitable. Plus de 6000 réactions ont été recensées sur Twitter pour condamner la chronique. Celle-ci a été si sévèrement jugée qu’elle a bénéficié  de la création du mot-clé #LibéRacisme.
Cet impair pourrait bien coûter très cher au quotidien. Plusieurs lecteurs réguliers ont annoncé leur intention de se désabonner de Libération. Ceci pourrait, à terme, représenter un immense manque à gagner pour une rédaction qui peine à rester à flots. Pour preuve, la diffusion moyenne du quotidien a très fortement baissé depuis 2001, passant de 174000 exemplaires vendus par jour à 93000. Par ailleurs, les ventes en kiosque ont reculé de 26% au cours du mois de septembre 2015, illustrant par là un phénomène récurrent.
Penchons-nous maintenant sur l’effet boule de neige que les réseaux sociaux suscitent à chaque nouvelle polémique. Il faut rester mesuré face aux buzz à répétition qui peuvent conduire à des schémas de pensée trop simplistes. Par ailleurs, la déformation et l’exagération de certains propos ciblés font l’apanage de tels phénomènes. Aujourd’hui, les internautes se laissent parfois emporter par la logique du flux continu d’informations et de la publication instantanée de ses états d’âme. Twitter, par son format interactif, alimente quiproquos et controverses.
Pour pallier ce phénomène galopant, d’autres fidèles de Libération sont montés au créneau pour défendre l’intégrité du journal, rappelant qu’un journaliste isolé était loin d’être représentatif de l’ensemble de la rédaction :
 

 

Entre dissensions internes et excuses publiques
Au sein de la rédaction, la chronique divise. Certains journalistes, outrés par des propos qu’ils jugent déplacés et indignes de Libération, affirment se désolidariser de ce contenu.
 

 

 
Et pour preuve, dans un communiqué de presse, la société des journalistes de Libération écrit : « Au sein de l’équipe, de très nombreux journalistes ont également fait part ce mardi de leur désapprobation sur un contenu qui ne reflète pas, à leurs yeux, les valeurs du journal et leurs convictions personnelles ». Certains se sentent trahis, d’autres ne comprennent pas un tel faux-pas éditorial, et pour cause. Willy Le Devin, journaliste à Libération et auteur de nombreux articles sur le terrorisme, a par exemple  affiché sa désapprobation et son désarroi sur les réseaux sociaux.
Pour remédier à cette faute journalistique, Laurent Joffrin, le directeur de Libération, a adopté la double stratégie de la défense et des excuses, un grand classique. S’appuyant sur la renommée de son chroniqueur et le sérieux de son journal, ce dernier remet en cause le bien-fondé de telles accusations dans un court billet : « L’accusation de racisme ou de sexisme qui court ici et là est évidemment ridicule quand on connaît un tant soit peu notre chroniqueur et notre journal (…). Si des lecteurs ont été blessés par ce texte, nous en sommes désolés. » 
Cette technique, à la fois simple et efficace, semble être la meilleure option que pouvait adopter le directeur de Libération dans un tel contexte. Espérons que Luc Le Vaillant  aura retenu la leçon et tournera sept fois sa plume dans l’encrier avant d’écrire et de publier à nouveau !
Céline Viegas
LinkedIn 
Sources:
Indigestion générale après une chronique de « Libération », 08/12/15, M blogs 
« Libération » accusé de racisme et de sexisme après une chronique sur une femme voilée, 08/12/15, Amandine Schmitt, L’Obs média 
« La femme voilée dans le métro » : taxé de racisme, Libération réagit, 08/12/15, Grégoire Martinez, Europe 1 
A propos d’une chronique de Luc Le Vaillant, 08/12/15, Laurent Joffrin, Libération 
Une chronique «raciste» et «sexiste» de Libération fait polémique, 08/12/15, Eugénie Bastié, Lefigaro.fr 
Crédits photo: 
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http://lepcd.fr
http://journaldumusulman.fr 
 

Flops

SNCF et ubérisation: un train d'avance ?

La digitalisation du voyage
Alors que la SNCF va appliquer une augmentation de 2,6% sur le prix des billets de train le lendemain de Noël – augmentation jugée “particulièrement importante” par la presse au vu de la faiblesse de l’inflation (0,3% de novembre 2013 à novembre 2014, elle va dans le même temps et de façon assez étonnante mettre en place plusieurs partenariats avec des sites comme Airbnb, Ouicar et KidyGo. Des partenariats destinés à atténuer l’image d’une entreprise qui semble ne pas beaucoup se soucier du porte-feuille de ses usagers.
La SNCF met également en place un nouveau concept après son très remarqué TGV POP l’été dernier : « Le voyage qui rapporte de l’argent » pour reprendre l’expression de Franck Gervais, directeur général de Voyages-Sncf.com, dans une interview qui fait suite à des fuites dans la presse avant la révélation officielle de l’opération, et qui devait présenter « un nouveau business model avec les acteurs de l’économie collaborative ». A qui incombe la responsabilité de cette fuite ? Un mail envoyé aux principaux intéressés, à savoir les clients, la SNCF ayant court-circuité sa propre communication, une erreur inexcusable pour une entreprise de cette envergure.
En effet, la SNCF assure ne recevoir aucune commission de la part de ses différents partenaires. Pour elle, l’intérêt réside dans le fait de faire voyager les gens par différents moyens: KidyGo permet par exemple à des jeunes de se faire payer leur billet de train par les parents en échange de baby-sitting, ou Ouicar de louer sa voiture. Faire fonctionner l’économie collaborative semble être devenu le leitmotiv dominant du groupe, après une alliance assez réussie avec LePotCommun, start-up qui permet à chacun de payer sa part lors de l’organisation d’un voyage. La SNCF serait donc impuissante face à la montée irrésistible des prix, mais en contrepartie, elle mettrait tout en oeuvre pour limiter la casse.
Les bémols ? Alors que les déclarations pieuses de la SNCF se multiplient, l’entreprise aurait-elle oublié de préciser qu’elle avait pris une part majoritaire dans Ouicar ? Aurait-elle oublié, dans sa volonté louable de vouloir redonner du pouvoir d’achat aux passagers, qu’elle était avant tout une entreprise publique et à ce titre, dépendante de l’état, et qu’elle devait par conséquent participer avant tout au fonctionnement de l’économie nationale ?
C’est en tout cas ce que pensent ces partenaires de la SNCF, les hôteliers, qui ont immédiatement procédé à une levée de boucliers suite à cette infidélité assumée. En effet, Synorca, le syndicat des hôteliers s’interroge légitimement sur la question et se demande si c’est bien aux français de “payer le développement d’une société qui ne déclare que 5% de son chiffre d’affaires en France ». La SNCF a fait défection : comment se fait-il alors qu’elle ait frôlé l’uberisation ? (d’après la terminologie de Maurice Lévy, c’est à dire en train de voir que son activité était en train de disparaître face à l’émergence de nouveaux concurrents comme Blablacar).

Entre public et privé, erreur d’aiguillage
Quand le gouvernement et les politiques se saisissent de l’affaire, les réponses se font plus mesurées et les couacs se succèdent. A l’image de Bruno Le Roux pour qui « il ne faut pas mettre à mal les équilibres économiques de nos territoires ». De son côté, La SNCF bat en retraite et estime que l’émulation produite profiterait à tous et qu’elle ne recommandait pas à ses clients de réserver sur Airbnb, mais seulement d’y référencer leurs appartements. Le tout en promettant dans le même temps de rencontrer les principaux acteurs du secteur, avant d’annuler tout bonnement sa conférence de presse. Curieuse justification alors que dans le même temps les publicités pour le site d’Airbnb changent de cible. Dans une volonté de se mettre au diapason de la SNCF, et ainsi se situer du côté des hôtes, avec des slogans comme « Mon appart m’aide à financer ma start-up », il ne s’agit alors plus d’insister sur l’imaginaire traditionnel de la création de lien social, mais de se concentrer sur quelque chose de plus pragmatique; celui de gagner de l’argent. En somme la SNCF et Airbnb ont adopté ensemble un virage à pleine vitesse et la collision était inévitable.
Les nouveaux modèles digitaux de type partage se multiplient et rencontrent un succès certain auprès de consommateurs soumis à une pression économique constante, et qui voient d’un bon oeil l’ubérisation de la société. Les réactions des professionnels du secteur sont jugées sans détour comme des archaïsmes résistant à l’élan de l’innovation. Le blog “le décodeur” qui analyse les discours de marques met bien en lumière la stratégie des acteurs victimes de ce mouvement : l’opprobre, le bûcher sur la place publique “parce qu’ils trichent”. Ces discours ont cependant fait leur temps, le consommateur impétueux ne prend en compte désormais que son bénéfice direct, à savoir ici les économies faites.
L’ubérisation soi-disant plébiscitée par le consommateur est aujourd’hui en recherche d’une acceptation par la puissance publique, qui oscille entre imposition dans une volonté de protection d’un modèle qui fait aujourd’hui office de musée économique, ou libéralisation.
Jérémy Figlia

Sources: 
Libération, la hausse des tarifs SNCF est un « très mauvais signal » selon Royal, 4/01/2015 

Journal du net, Pourquoi voyagessncf.com s’allie avec Air BNB, et Kidygo, 14/12/2015 

Ecommerce mag, Voyages-sncf.com prend (vraiment) le train du collaboratif, 14/12/2015 

Le Parisien, la SNCF partenaire de d’AirBnB, Ouigo et Kidygo pour voyager moins cher, 15/12/2015 

Rue 89, la SNCF suspens son opération avec AirBnb, 15/12/2015
Le décodeur, l’uberisation se ressent-elle dans la communication des acteurs « traditionnels » ?, 10/09/2015

Crédits photos :

Uber

SNCF  

Flops

Souvenez-vous d'oublier

Qui n’a jamais été tenté d’improviser une séance de spiritisme « juste pour voir » ? La tentative de s’affranchir de la contrainte ontologique n’est pas nouvelle. N’en déplaise aux amateurs de science-fiction, certains scientifiques vont même plus loin encore : ils réfléchissent à communiquer non pas avec le passé, mais avec le futur.
La construction d’Onkalo (« caverne » en finnois), projet validé jeudi 12 novembre 2015 par le gouvernement finlandais, s’inscrit pleinement dans cette problématique inédite. Il s’agira du premier site d’enfouissement permanent de déchets nucléaires radioactifs, une véritable petite ville souterraine composée de cinq kilomètres de galeries plongeant jusqu’à 500 mètres sous terre.
Sous nos pieds, le sanctuaire, protégé de l’instabilité de la surface (guerres, crises économiques, catastrophes naturelles, etc), a pour objectif d’assurer la destruction naturelle de la radioactivité des déchets. En d’autres termes, la durée de vie du site d’Onkalo doit être d’au moins 100 000 ans. Un véritable défi quand on sait que l’homme n’a jamais rien construit qui ait duré plus d’un dixième de ce temps.
Si ce projet pose effectivement de nombreuses questions purement techniques, il interroge également la communication à travers le prisme d’une temporalité à peine saisissable pour l’esprit humain. Comment faire comprendre aux êtres humains d’un lointain futur (compris entre 100 et 100 000 ans) que leur intrusion dans le site d’Onkalo n’est pas souhaitable puisqu’elle peut potentiellement être apocalyptique ? Comment expliquer le problème des déchets nucléaires radioactifs à une civilisation qui ne parlera pas la même langue, ne partagera pas les mêmes valeurs, ni les mêmes savoirs ?

Une photo pas très sexy, pour un projet pas très sexy..
On marche sur des œufs (t’aimes bien les omelettes ?)
L’environnement est si complexe, les comportements si imprévisibles, que les tentatives d’anticiper les évolutions des sociétés humaines sont, sinon vaines, en tout cas très fragiles (sauf pour Madame Irma). On ne peut même pas prédire dans quelle direction évoluera l’humanité : le progrès technique va-t-il se poursuivre indéfiniment ou au contraire va-t-on retomber dans un nouvel « âge de pierre » ?
Face à tant d’incertitudes, les scientifiques qui se sont penchés sur la question de savoir comment informer les générations (et civilisations) suivantes de ce lourd héritage qu’est Onkalo, se divisent en deux écoles.
Il y a, d’une part, ceux qui pensent qu’après avoir définitivement fermé Onkalo d’ici 2100, le site doit sombrer dans l’oubli. Ils partent du principe que la probabilité qu’une « intrusion humaine » se produise est finalement très faible et que tout indice sur l’existence du sanctuaire serait contre-productif puisqu’il ne ferait qu’augmenter cette probabilité.
A contrario, il y a ceux qui croient en un devoir d’informer les futurs humains en laissant ce qu’ils appellent des « marqueurs ».
Cher Papa Noël, je voudrais…un média inter-temporel
Dans ce cas pratique, c’est finalement la question du média qui est posée par les scientifiques qui se prononcent pour la mise en place de « marqueurs », en considérant le média comme un dispositif matériel qui configure une modalité d’échange. La problématique entourant le média semble s’être déplacée de la volonté de transcender l’Espace, c’est-à-dire d’abolir les frontières, vers l’ambition de dépasser l’indépassable : le Temps.
Certes, l’écriture est le premier média qui a permis à l’homme de s’affranchir des contraintes spatiale et, dans une certaine mesure, temporelle. Mais ce dépassement reste en pratique cantonné à des échelles de temps appréhendables. Or, il est ici question d’un temps plus géologique qu’humain. L’axe ci-dessous, inspiré par le très intéressant film-documentaire Into Eternity réalisé par Michael Madsen, permet de mieux cerner l’ampleur du projet.

Le pouvoir des archives contre la force obscure radioactive ?
Tenir informées les générations suivantes par l’archivage, par une externalisation de la mémoire en un sens, serait en fait un retour à la case départ. Le site d’Onkalo a été construit avec pour idée qu’après sa fermeture définitive prévue en 2100, il sera rendu totalement indépendant et ne requerra donc plus aucune intervention. C’est bien cette passivité absolue du site qui en fait une solution séduisante. Or, de la même façon que les entreposages provisoires actuels, les archives demandent une mise à jour régulière des informations mais aussi de la langue. Selon une étude de l’UNESCO (1997-2002), pas moins de 5500 langues sur les 6000 existantes disparaîtront d’ici un siècle, et se rangeront aux côtés desdites « langues mortes »*. Peut-on ainsi raisonnablement espérer une continuité de ce travail sur des milliers de générations à venir ?
La communication sauvera le monde !
Un des problèmes principaux dans la volonté d’informer sur l’existence du site par des « marqueurs », serait le temps nécessaire au décodage. Le cas des pyramides égyptiennes, dont l’énigme n’a toujours pas été entièrement résolue, l’illustre bien. Déchiffrer le langage d’une civilisation ancienne demande patience et acharnement, même pour des civilisations marquées par le progrès scientifique. Or, la découverte d’une poubelle radioactive offre très difficilement ce temps de réflexion.
Cette limite inhérente à la théorie des marqueurs peut être dépassée en pensant la dichotomie entre information et communication. L’idée serait moins d’informer par des explications, scripturales ou picturales, sur les risques liés à la radioactivité et sur la cause de l’érection d’un tel site, mais d’essayer de créer un sentiment de crainte, de faire ressentir à l’aventurier malheureux qu’il s’agit d’un lieu inhospitalier et qu’il vaudrait mieux rebrousser chemin. Se pose ici la question de l’existence ou de la possibilité de mettre en place des formes de communication qui convoquent l’affect de manière universelle.

On enterre nos déchets… mais pas nos centrales
Puisque nos générations ont exploité l’énergie nucléaire, il nous incombe de trouver une solution pour mettre les déchets à la poubelle. L’idée du tombeau nucléaire est séduisante, notamment parce qu’il ne demande plus aucune intervention humaine. Nombreux sont les pays nucléarisés qui se penchent sérieusement sur la question. La France réfléchit notamment à la mise en place d’un tel stockage souterrain à Bure.
On peut tenter de croire qu’aucune « intrusion humaine » n’aura lieu pour ces 100 000 prochaines années sur le site d’Onkalo, mais ce pari reste-t-il statistiquement raisonnable si de tels sites d’enfouissement se propagent ?
De quoi remettre en perspective les théories qui prétendent pallier au réchauffement climatique à travers l’exploitation de l’énergie nucléaire.

Aline Nippert
@AlineNippert
Sources :
* LECLERC, Jacques. « La mort des langues » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 10 mai 2012, [http://www.axl.cefan.ulaval.ca/Langues/2vital_mortdeslangues.htm], (16 décembre 2015).
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2015/11/12/97002-20151112FILWWW00263-nucleairedechets-1er-site-de-stockage-eternel.php
– Industrie et Technologies : http://www.industrie-techno.com/l-enfouissement-des-dechets-nucleaires-le-choix-de-tous-les-pays-nuclearises.40944
Crédits images :
– Into Eternity, Michael Madsen (2010)
– http://sanjindumisic.com/onkalo-spent-nuclear-fuel-repository-future-of-monuments/ 
– http://www.toonpool.com/cartoons/nuclear%20is%20good%20for%20you_44117