Agora, Com & Société

Pitche-moi la Cité Rose

 
Intégrer le public dans sa communication et transformer les fans en ambassadeurs de marques, voici la stratégie choisie par Julien Abraham et Sadia Diawara pour le lancement de leur film La Cité Rose, sorti en salles le 27 mars 2013.
La Cité Rose : plus qu’un film, un concept
Comment se mettre le public dans la poche ? Sur Twitter, le community manager retweete tous les internautes qui parlent de La Cité Rose : « Allez voir le film, lourd ! », « @Laimyssgegen : La Cité Rose c’est une tuerie j’ai pleuré mdrrr » ou encore « @Ibrahim_wiz : Pour une fois on est fier de notre quartier comme quoi il n’y a pas que de mauvaise chose dans le hood LA CITE ROSE ». Sur Facebook, les membres de l’équipe du film « likent  » les commentaires et les publications des fans : « MOI JE DIS BRAVO CE FILM TIENT TOUTE C PROMESSE UN BIG UP A MES POTES D’ENFANCE… », « Super le film, bravo !!! J ». Toutes les manifestations des internautes sont relayées et encouragées. Ainsi, le fan se trouve considéré et se transforme en porte-parole du film.
Ce dernier s’est constitué une armée de fans qui communiquent tous dans leur environnement. Le cœur de cible reste les habitants de la Cité Rose, c’est-à-dire ceux d’Ile-de-France et par extension, les personnes ayant grandi dans un environnement similaire. Il y a eu Banlieue 13, fantasme de la banlieue dangereuse et marginale, il y a désormais La Cité Rose, peinture d’un quartier difficile à travers le prisme de l’enfance avec tous les rêves et désirs qu’elle suscite. C’est ce message que porte le film et qui se retrouve dans la campagne marketing.

En somme, les gens se reconnaissent dans le film, ils peuvent s’identifier aux personnages (enfants, adolescents et adultes) et ainsi donner de la légitimité à l’œuvre, se porter garants de la véracité du film et de la réalité qu’il dépeint. En parlant du film sur les réseaux sociaux, les ambassadeurs parlent en fait d’eux-mêmes en ce qu’ils décrivent leur réalité et leur expérience de vie. Le message que la campagne transmet au public est le suivant : si le film connait un succès, c’est aussi le vôtre car c’est votre histoire. Lorsque l’on parcourt la page Facebook , on a accès à des centaines de photos qui présentent les contenus, des acteurs aux réalisateurs, des cadreurs aux perchistes. Encore une fois, le message est clair : vous avez l’habitude de vous déplacer au cinéma, aujourd’hui, le cinéma vient vers vous, dans votre cité, dans votre quotidien.
L’objectif de la production est de récupérer ces témoignages et ces contenus d’utilisateurs pour les exploiter en créant du brand content. Lors de l’avant-première à Lille, le réalisateur Julien Abraham et le co-producteur Sadia Diawara, ont apporté une caméra qui leur a servi à récolter les impressions et les avis du public pour les partager sur Facebook. Une bonne campagne marketing doit raconter une histoire, non pas le scénario du film, mais le scénario de sa réalisation. Le public doit pouvoir identifier une chronologie qu’il viendra compléter par son propre visionnage du film en salles. Sur la page Facebook de la Cité Rose, la production multiplie les rendez-vous (avant-premières, projections spéciales et conférences de presse) et chacun de ses meetings est exploitable. Contrairement à d’autres pages marketing qui veulent rester « clean », la production n’efface aucun commentaire, ne supprime aucun post, même négatif : la page doit transpirer le vécu et l’émotion.
«  Pitche-moi la Cité Rose »

Innovation marketing, la production diffuse toutes les semaines des courts films intitulés « Pitche-moi la Cité Rose ». Ici aussi il est question de recueillir l’expérience du public mais cette fois-ci, ce sont des célébrités françaises qui décrivent le film : Mélissa Theuriau, Arié Elmaleh ou encore Thomas Ngijol. Le choix des personnalités n’est pas anodin : ce sont des acteurs, journalistes et comédiens qui touchent en général un public populaire avec le même cœur de cible que le film. La vidéo se sépare en deux temps distincts : d’abord, ils racontent le film, puis ils donnent des arguments pour inciter le public à se rendre en salles. Cette stratégie donne du crédit au film et contribue à l’élargissement de l’éventail des cibles susceptibles d’être touchées.
La CitéRose présente la vie de quartier de manière différente et le public ne s’y trompe pas. Que ce soit en salles ou sur Facebook, il communique sur la banlieue et la banlieue le lui rend bien.
 
Steven Clerima
Sources :
http://www.marketing20.fr/marketing-communautaire-marketing-social/comment-creer-et-animer-un-programme-dambassadeurs-de-marque/
http://www.themavision.fr/jcms/rw_259422/ambassadeurs-de-marque-une-nouvelle-generation-de-marketing-participatif-qui-prend-de-lampleur

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Archives

Jacques a dit : « Nan mais allo quoi » ?

 
Si vous êtes un être humain âgé de 3 à 133 ans, vous en avez forcément entendu parler. Pour les autres, voici la chose :

 C’est LA vidéo qui fait le buzz depuis plusieurs semaines, mettant en scène Nabila, personnage phare des Anges de la téléréalité, en pleine réflexion métaphysique. Ce n’est certes pas la première phrase aberrante et grammaticalement incorrecte lancée par un candidat du télécrochet. Ce qui est plus étonnant c’est la rapidité avec laquelle elle a été diffusée par un certain nombre de relais culturels, à la base assez éloignés les uns des autres, jusqu’à atterrir  dans la bouche de votre propre grand-père en plein déjeuner familial (véridique !). Genèse de la démocratisation d’une phrase culte.
 
Réflexivité de la culture beauf
Clarifions d’emblée la situation : les candidats de la téléréalité sont rarement des lumières, mais pas non plus bêtes à ce point. Dans Les Anges comme ailleurs, on force le trait des caractères, et notre Nabila se retrouve priée de faire des réflexions en adéquation avec son corps de bimbo. Vertigineuse mise en abyme où des gens un peu crétins doivent faire semblant de l’être encore plus pour satisfaire une audience qui veut se sentir intelligente. Ou l’application scrupuleuse de la théorie de la négativité mise au point par le pape de la téléréalité John de Mol : l’idée est de de montrer la lie de l’humanité pour flatter les bas instincts du spectateur.
Cependant si grâce à ce génial concept ces émissions sont massivement regardées elles restent taboues, la règle d’or étant de ne jamais en parler en société, du moins au premier degré. On se retrouve donc face à un phénomène assez paradoxal, à la fois très populaire et extrêmement confidentiel. Donc même si une grande partie de la France a été ravagée par la rupture de Samir et Aurélie, on évite quand même d’en parler dans le métro le matin.
Alors comment expliquer ce qui passe au travers du filtre social ? La « bogossitude » de Vendetta dans La Ferme Célébrités, le « ça va Senna ça va ! » d’Amélie dans Secret story, ou les ébats de Charles-Edouard et Loana dans la piscine du Loft pour les ancêtres sont désormais mythiques et font partie de l’imaginaire collectif. Ces références peuvent être évoquées ouvertement et comprises par énormément de personnes aux profils socioculturels pas forcément proches de celui du fan lambda. La téléréalité touche ainsi indirectement une nouvelle cible, et cette popularisation passe par un angle original : l’ironie. Elle permet d’instaurer une certaine distance avec ce qu’on regarde, autorise le divertissement sans passer par une adhésion, perçue comme humiliante. Ce qui explique que beaucoup y voient un moyen d’évoquer sans complexe les temps forts de certains épisodes dans l’espace public, notamment sur internet.
 
Le relais geek
La multiplication des références à la téléréalité sur le web et principalement dans les réseaux sociaux contribue à donner au genre ses lettres de noblesse. Le second degré, Saint Graal des communautés de l’internet, permet de revaloriser et de moderniser l’objet télévisuel. Dans le cas Nabila on a vu fleurir des parodies faisant référence à un certain nombre de codes culturels estampillés « geek » :
Version Hitler

Version Seigneur des anneaux

Nabila et Cloclo
 
Et pour finir, la parodie de parodie, ou la collision de deux cultures différentes : l’émission elle-même devient second degré en s’appropriant les codes de la contre-culture du net

Ces reprises et beaucoup d’autres se sont répandues de façon virale sur les réseaux sociaux, démocratisant massivement les aventures de Nabila et consorts, en y apposant le label « humour décalé ». Cette deuxième étape attire alors l’attention des médias de masse plus « traditionnels », et l’ « effet Nabila » se fait ressentir jusque dans des sphères très éloignées de la cible première de l’émission.
 
Passage au mainstream
Les médias de flux se mettent à parler eux aussi de cette histoire de shampoing. Mais de la même manière que la vidéo a été parodiée pour s’adapter aux valeurs du net,  elle est ici reformatée par le décryptage. Des émissions cataloguées plutôt bobo se proposent non pas (jamais ô grand jamais) de relayer telle quelle une émission populaire issue des limbes de la TNT, mais d’analyser un phénomène quasi-sociologique. L’honneur est sauf. C’est donc auréolés d’une crédibilité journalistique intacte qu’Audrey Pulvar, Alexandra Sublet, ou Yann Barthès se mettent eux aussi à utiliser leur main comme combiné pour tenter d’expliquer les raisons du buzz national.
La preuve en vidéo

C’est ainsi que la boucle est bouclée : le désormais célébrissime « Non mais allo quoi ? » repasse par la télévision qui l’a vu naitre, en empruntant cette fois les chaines les plus regardées, aux heures de grande écoute qui plus est. On n’est pas passé loin du JT de France 2. L’audience la moins connectée et donc généralement  la moins susceptible  d’être touchée par ces engouements éphémères est ici frappée de plein fouet.
Moralité : le dialogue entre les médias renforce le buzz. Chaque support s’approprie la vidéo en y injectant les valeurs qui lui sont propres, et mobilise ainsi sa communauté attitrée. On se retrouve donc face à une diversité des contenus médiatiques de plus en plus importante, où des évènements au départ condamnés à circuler au sein d’un cercle restreint d’initiés se retrouvent un bref moment sous le feu des projecteurs. Pour le meilleur et pour le pire.
 
Marine Siguier

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Environnement, Société

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr

Agora, Com & Société

Le denim-poubelle

 
Levi’s a lancé en janvier dernier, pour sa collection Printemps 2013,  une nouvelle gamme de jeans éco-friendly : Waste<Less. Conçus avec 20% de plastique recyclé (issu de bouteilles et d’emballages plastiques triés et traités), ces nouveaux jeans répondent aux exigences de la marque d’adopter une image saine et respectueuse de l’environnement auprès de ses consommateurs. Ce lancement poursuit ainsi les engagements de la marque depuis 2009, et fait écho à la précédente gamme Water<Less qui proposait une fabrication moins gourmande en eau.
Avec l’audacieux slogan « These jeans are made of garbage » (*Ces jeans sont fait de déchets), les jeans Waste<Less allient un discours éco-responsable au style reconnaissable de la marque californienne. Quels intérêts présentent alors le développement de gammes « green » pour les géants du prêt-à-porter ?
Avant tout, les marques cherchent à améliorer leur réputation auprès d’un public mieux informé et plus concerné. À l’image de la campagne « Detox » de Greenpeace qui a bénéficié d’une forte publicité, un réel besoin de connaître la qualité et l’origine des produits que nous consommons émerge.
Lancée en juin 2011, « Detox » engage les grandes marques de prêt à porter telles que Levi’s, Zara, C&A, Benetton et bien d’autres, à éliminer la présence de composés chimiques nuisibles pour la santé et l’environnement dans leurs produits. Après avoir dénoncé le gâchis et la pollution des eaux employées dans leurs chaînes de production aux quatre coins du monde, Greenpeace s’est attaqué aux ethoxylates de nonylphénol, des substances chimiques présentes dans les vêtements, qui perturbent l’environnement et peuvent causer des troubles du système endocrinien (*responsable de la production d’hormones).
Ainsi, le 12 décembre 2012, Levi’s a rejoint le mouvement et s’est engagé à réduire drastiquement la présence de substances toxiques dans ses jeans, tout en assurant dès juin 2013 une visibilité majeure sur les données de pollution provenant de ses fournisseurs.
Dans ce contexte, Waste<Less n’apparaît plus seulement comme un précurseur de tendances, mais plutôt comme le contre-pied d’une campagne nuisible. Mieux encore, Levi’s répond à une prise de conscience massive des risques écologiques et sanitaires que présente l’industrie textile. Cette tendance marketing très rentable permet donc de satisfaire les exigences des nouveaux consommateurs, tout en dissimulant sous le masque du recyclage et de l’éthique, les étapes cruciales de production et de distribution, qui demeurent la source majeure de pollution dans l’industrie. La bonne conscience étiquetée « green » se vend si bien qu’il devient alors difficile de faire le tri entre les marques qui érigent cette valeur comme outil de vente et celles qui se fondent réellement sur cette pensée.
Ceci étant dit, Levi’s n’aura pas manqué d’être dénoncé pour ses pratiques (communes) douteuses, et la volonté de la marque de s’associer au courant du recyclage en proposant des solutions originales, ne peut être blâmée. Au contraire, sa force d’influence peut justement participer à l’éducation des consommateurs et créer chez eux l’envie d’une mode détoxifiée.
 
Clémentine Malgras
 
Sources :
Lancement Waste<Less: #!
Video Greenpeace « Detox Levi’s »: http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=x173k1cRSzE

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Société

Le Vendée Globe ou l’écriture épique du Grand large

 
Le 10 novembre dernier, les vingt skippeurs au départ de la course du Vendée Globe nous avaient embarqués dans une rêverie collective que l’exploit de François Gabart, le vainqueur, a transformée en fantasme national.
 
Ces héros qui communiquent : la fabrique de mythes
Le périple de ces Conquistadores contemporains, aux compétences techniques et informatiques incroyables, a fasciné un demi-million de passionnés rassemblés sur la course en ligne Virtual Regata, mobilisé plus de 900 000 personnes au Sables-d’Olonne  venues acclamer leurs champions, généré plus de 650 000 ouvertures de session de lecture sur le flux vidéo du site officiel de la course à l’arrivée du vainqueur le 27 janvier.
Pour cette nouvelle édition, chacun des bateaux avait embarqué une caméra, ce qui a profondément renforcé l’intérêt pour cette course, permettant un flux d’images ininterrompu.  « Probablement que l’image est la nouvelle écriture du large. »  explique Kito de Pavant (Groupe Bel, abandon quelques heures après le départ). Au travers de résumés quotidiens, on a assisté lors de cette édition du Vendée à une véritable sérialisation du temps  réel. « Il semble que la voile, ou du moins le Vendée Globe, soit définitivement rentrée dans un processus de « sportification ». Ce barbarisme désigne ces sports qui ne l’étaient pas complètement, mais le sont devenus et sont totalement intégrés à la culture de la webcam et des réseaux sociaux» avance Cardon, sociologue et spécialiste des images. Le récit du large nous est désormais livré bien avant que les marins reviennent à terre, un virement de bord à la fois progressif et  incroyable pour ceux qui, avant, attendaient au ponton le récit d’une épopée inédite délivrée par les navigateurs, seuls détenteurs des péripéties de leurs traversées.
 
La parole suspendue
« Le silence est la condition de la parole. » écrivait le philosophe JB Pontalis. L’image, comme la performance, parle d’elle-même sans que le marin ait besoin d’en évoquer les contours. Le récit du large serait voué au romanesque et à la rhétorique de la parole suspendue. Suspendre le temps du discours comme pour laisser vibrer les rafales de vent dans les voiles et les vagues sur la coque. L’indicible du large suggérait- il que la rationalité de la parole doive céder le pas à la poésie de l’image? Ou au contraire, l’image « prêt-à-consommer » dissout-elle le mythe et la dimension romanesque de l’écrit ? Peut-on faire confiance à ce récit imagé, livré et produit par le héros lui-même ? La construction du mythe, issue de la fabrique audiovisuelle, ne serait qu’une illusion, dans la mesure  où « le marin donne à voir ce qui peut nourrir la couverture de la course. Mais il peut aussi en cacher une partie », sourit Kito de Pavant. En effet, suivant de près la stratégie de son mentor Michel Desjoyeaux, Gabart a préféré ne pas révéler le problème technique qu’il a rencontré dès le début de la course avec la pompe à injection de son hydrogénérateur de secours, une turbine permettant de faire de l’électricité avec le déplacement de l’eau et du bateau.
 
La Paris-matchisation des vainqueurs : une rafale médiatique inédite
Cette édition du Vendée Globe aura été la plus rapide (78j 02h 16min) mais également la plus couverte par la presse qui s’est appliquée à construire cette admiration que suscitent les marins du Vendée Globe. Le philosophe Laurent de Sutter expliquait dans Libération : « L’admiration est une étrange émotion. Elle consiste à ressentir comme un bien le fait qu’il y ait  plus grand que soi. (…) Puisque nos héros, dans le cas des stars, nous semblent de plus en plus fabriqués, nous préférons nous tourner vers ceux qui restent, à nos yeux, porteur d’une aura d’authenticité. » Mais quand bien même nos derniers héros seraient ces marins à l’allure authentique, il semblerait que cette édition aurait également annoncé le processus irrémédiable de « peopolisation », ou de « paris-matchisation » de ces figures mythiques. En témoigne le numéro hebdomadaire de Paris-Match du 30 janvier, où figure en couverture la famille Gabart enfin réunie avec François, Henriette et Hugo (tel Ulysse, Pénélope et Télémaque) sous le titre «  Le Petit Prince des Océans ».
Pour poursuivre sur cette vague homérique, voici comment la présentatrice de France 2, Catherine Ceylac, accueillit Gabart et Le Cléac’h (dauphin du Vendée) sur le plateau de Thé ou Café le 9 février dernier :
« Nous avons deux invités, alors vraiment des invités, euh très performants. Ce sont des héros. Vous en avez entendu parler, nécessairement, vous les avez déjà peut-être vu, déjà entendu, mais je pense qu’ils vont nous dire des choses différentes. Ce sont nos héros du Vendée Globe : c’est François Gabart et Armel Le Cléac’h. (…) et je me suis dit en le voyant (Gabart) dans les coulisses, en fait, il est normal le garçon! On imaginait un surhomme, 2,20m, 100kg. »
 La présentatrice entendait peut-être par « dire des choses différentes » des révélations sur la libido des deux marins durant la course quand elle leur a posé sobrement la question « Pratiquez-vous l’onanisme en mer ? », qu’elle a dû traduire de façon plus explicite aux jeunes hommes qui ne comprenaient pas le terme biblique employé pour parler de masturbation. On peut se demander si cette question a véritablement sa place sur une chaîne du service public et plus encore dans un média généraliste de masse.
Cette médiatisation s’éloigne du personnage silencieux, rugueux, de la figure littéraire, comme avait pu l’incarner Tabarly et comme l’incarne toujours Francis Joyon (qui avait été victime d’un accident en mer suite à son refus d’accoster à Brest à son arrivée de la traversée de l’Atlantique pour éviter les journalistes et les fans). Ces jeunes navigateurs, charismatiques et hypercommuniquants, ont dû affronter des océans déchaînés et des tempêtes indomptables. Mais c’est en passant la ligne d’arrivée qu’ils se seront confrontés à la plus redoutable des intempéries : la rafale médiatique.
Pendant ce temps, les retombées médiatiques de cette Odyssée ont été évaluées à près de 145 millions d’euros. Double performance : sportive et médiatique ; qui devient ainsi mythique.
 
Margaux. Le Joubioux – envoyée très spéciale  du Celsa Voile aux Sables-d’Olonne.
                    
Le Celsa voile est l’association de voile du Celsa qui rassemble une quinzaine d’étudiants engagés dans la 45eme édition de la Course Croisière EDHEC. Cet évènement sportif étudiant se déroulera à Brest en Avril, et sera l’occasion de porter les couleurs et les valeurs de leur école sur l’eau, aux manœuvres d’un Dufour 34, ainsi qu’à terre lors de tournois sportifs. Si vous souhaitez soutenir le Celsa Voile, n’hésitez pas à rejoindre l’équipe sur Facebook et à nous contacter par mail celsa.voile@gmail.com
 
 
Sources :
-Libération- articles du journaliste sportif Jean Louis Le Touzet
– Emission du Thé ou Café sur France 2
– Le site officiel du Vendée Globe
 

Agora, Com & Société

Tarantino déchaîné

 
N.B. : Cet article risque de décevoir les cinéphiles. On parle communication ici.
On connaît tous Quentin Tarantino à l’aune de ses films déjantés, violents et colorés, que l’on a vus, revus, ou peut-être jamais vus (d’ailleurs, il serait peut-être temps d’aller y jeter un coup d’œil). Néanmoins, on méconnaît encore Tarantino le communicant, celui qui a su, tout au long de sa prolifique carrière (depuis ses  premiers scripts réalisés par d’autres jusqu’à la sortie de son tout dernier film, Django Unchained, le 16 janvier) jouer avec son propre personnage et le contenu de ses films pour faire parler de lui et promouvoir de facto ses œuvres. Un bel exemple de personal branding que nous allons essayer d’analyser ici.
 
Un acteur raté, un cinéaste né, un communicant doué
 Il faut le dire, Tarantino semble avoir un don pour se saisir des médias et faire parler de lui, ce qui sert évidemment la promotion de ses films. Acteur raté (en 1998 il monte sur les planches de Broadway pour jouer un gangster sadique, mais se fait doublement conspuer par la critique, pour sa prestation et pour le succès mitigé de son film Jackie Brown), il a néanmoins un certain talent pour jouer la comédie et mener les médias par le bout du nez. Pourtant, ce n’est pas un personnage réellement charismatique, quoique l’on puisse en dire, mais il fait preuve devant les caméras et les journalistes d’une impudeur et d’un narcissisme qui font de lui un bon client médiatique et un bon communicant. Il aura su se créer un personnage, en adéquation avec sa filmographie, et dont il est en fait le faire-valoir : un homme haut en couleurs, connu pour ses sautes d’humeur, une star de l’industrie du cinéma que l’on attend avec impatience de voir apparaître quelques minutes dans chacun de ses films. Réfléchissez-y quelques instants : quel autre réalisateur a ce statut de star cinématographique (et qui n’est pas lui-même un acteur) ? Bien sûr, on aime à dire que l’on va voir un film de Haneke, que l’on a vu tous les Leone ou les Godard, mais aucun de ceux-là n’ont réussi là où Tarantino a triomphé : créer une « marque » associée à leur nom.
 
Un as de la promo
Avant tout, Tarantino est un maître de l’auto-promotion, du personal branding. Pour se défendre auprès de ses détracteurs qui critiquent son amour pour le feu des projecteurs, il a choisi de les placer face à un simple constat : quand un acteur est amené à parler de son film (et qu’il en fait donc la promotion « cachée »), on ne lève pas les boucliers aussi promptement. Néanmoins, on peut affirmer de manière certaine qu’aucun cinéaste n’a son attitude sous les projecteurs : le personnage Tarantino aime communiquer sur ce qui ne semble pas en rapport avec ses films (sa vie privée, son amour pour la pop culture, son opinion sur le cinéma), mais qui au fond, n’est qu’une stratégie pour occuper l’espace public et médiatique. Quand les autres voient sur le court-terme, lui recherche l’occupation à long terme. Résultat, on ne voit que lui. Depuis le 7 juin, jour de la sortie du teaser de Django Unchained, et jusqu’à  aujourd’hui, la presse et les médias ont multiplié les dossiers, reportages, rétrospectives à son propos. Une campagne de communication comme les autres me direz-vous. Pas tant que ça. Ce serait oublier que Tarantino avait multiplié les déclarations au cours des deux dernières années, évoquant son rêve de réaliser un western spaghetti, sauce Sud esclavagiste, toujours en restant assez vague, mais en donnant assez d’éléments pour que nous en redemandions. Évidemment, cela a mis l’eau à la bouche de beaucoup, et laissé perplexes certains. Mais le stratagème avait marché, et nous étions dorénavant, au mieux, en attente de nouvelles informations, au pire, au courant d’une prochaine sortie du réalisateur du mythique de Pulp Fiction.
 
Des polémiques à l’image de sa filmographie : presque ridicules, toujours alléchantes
Avant même la sortie de Django Unchained sur nos écrans, la polémique faisait rage dans les médias. Ce bon vieux Spike Lee, revenu à la charge contre Tarantino (il l’avait déjà vivement critiqué pour l’utilisation trop prolifique du mot « nigger » dans son film Jackie Brown en 1997), clamait sur Twitter et dans la presse son indignation au vu du traitement de la question noire, qu’il qualifie d’holocauste, dans Django.
 
Certes, on ne peut lui reprocher sa sensibilité sur la question, mais il a ainsi nourri le moulin à eau de Tarantino ; celui-ci, un peu excédé d’avoir à se répéter à chaque nouvelle sortie, a perdu son sang froid face au présentateur britannique Krishnan Guru-Murthy après que celui-ci lui ait demandé s’il n’y avait aucun lien entre aimer la violence à l’écran et l’aimer dans la vie réelle. Ce qui a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la commercialisation de figurines à l’effigie des personnages principaux du film, et qui prouve de façon plus ou moins grossière que Django est aussi un prétexte au marketing pur et dur, ou du moins que le marketing pénètre de plus en plus la sphère artistique.
 
Une fiction pas si pulp
Cependant, le système de la « marque » Tarantino a aussi ses limites, comme le dit si bien Vincy dans son article sur le site ecrannoir.fr : « À force de tout régenter en faisant de chaque sortie une machinerie marketing, centrée autour de lui-même, le réalisateur, qui n’est pas Orson Welles, risque de devenir davantage un Godard caricatural ».
C’est vrai, Tarantino, dès 1997, a rapidement saturé les médias. Et Vincy de renchérir : « À force de multiplier les casquettes et de diluer la qualité dans la quantité, le phénomène dont il était l’épicentre est devenu une tornade à hauts risques. » Mais avec Kill Bill en 2003, Tarantino revient au centre de l’attention, et malgré quelques baisses d’affection (période Inglorious Bastards), la marque Tarantino n’est pas prête de quitter les esprits. Jusqu’à ce que Tarantino se retire lui-même du circuit ? Il l’a en tout cas annoncé : il ne fera que dix films. On a donc encore de beaux jours devant nous pour observer cet énergumène médiatique, génie du cinéma et héraut de la culture moderne.
 
Laura Garnier
Sources :
Le portrait de Tarantino sur Écran Noir
Quentin Tarantino préparerait un western spaghetti sur Slate
Quentin Tarantino, le Luc Besson américain ? Sur Films Actu
Polémique : Django Unchained, le dernier Tarantino, est-il raciste ? sur Slate
 

Société

MSN allons voir si la rose…

 
MSN est mort, vive Twitter : petit panorama de l’évolution de la communication sur Internet
 
Que vous puissiez « aimer » (ou pas) cet article à la fin de la lecture n’a rien d’anodin. La décision de Microsoft de mettre fin à son célèbre service de messagerie en ligne, MSN, service qui a bercé notre tendre adolescence non plus. Qui ne se souvient pas, avec une pointe de nostalgie (et d’embarras ?), des « pseudos », « wizz », et conversations plus phatiques qu’autre chose, où l’on se retrouvait sans mot après un fascinant échange de « coucou, ça va ? » ? Et pourtant, qui d’entre nous n’a jamais pensé revenir sur ce programme, qui nous paraît maintenant (alors que nous l’utilisions il n’y a que 5 ans), un dinosaure de l’Internet aussi obsolète que la télévision en noir et blanc ? L’on serait tenté d’objecter que cette pratique de la discussion instantanée a tout simplement été déplacée, sur Facebook majoritairement. Certes, mais elle est loin d’être le noyau de Facebook, qui fonctionnait bien avant l’introduction du « chat », et peu de monde je crois, l’utilise de la même façon qu’il utilisait MSN : dans le seul but de parler. C’est aussi qu’à l’époque de MSN, la parole était le seul moyen d’exister, tandis que l’évolution de l’Internet s’est fait de telle manière que les moyens se sont bien diversifiés depuis.
C’est à ces transformations que j’aimerais m’intéresser aujourd’hui, pour essayer de comprendre comment l’on a pu passer, en quelques années, de MSN aux « réseaux sociaux », et quelles en sont les conséquences.
 
Au commencement était le Verbe (et la connexion à 56ko/s)
Dans les débuts de l’Internet, tels qu’on peut encore se les rappeler, l’image était tout sauf une priorité dans la mise en page. À cause de la technique, certes, qui ne permettait pas de les charger assez rapidement, mais peut-être n’est-ce pas la seule raison. La série populaire Buffy contre les vampires, diffusée entre 1997 et 2003, cristallise deux mythologies très en vogue autour d’Internet à une époque décisive, en confrontant les points de vue de deux personnages principaux : Giles, un bibliothécaire, et Willow, une étudiante. Le premier oscille entre l’idée qu’Internet ne sert à rien ou tuera le livre, et l’autre fait preuve d’un enthousiasme exacerbé à son égard,le considérant comme un outil presque intelligent en soi qui aurait réponse à tout.
L’avènement de l’Internet, pour une importante partie du public adulte, était loin de paraître nécessaire. Aussi cela peut-il expliquer le manque d’images et la mise en page des premiers sites : la publicité s’en désintéressait totalement. Il faut aussi noter qu’il y a deux textes sur l’Internet : celui que tout le monde voit, et un autre, bien plus voilé, et pourtant sur quoi tout repose… le code. Aux débuts d’Internet, impossible de produire du contenu sans une petite connaissance du html au moins. C’était alors un monde de l’écrit.

 
La formidable révolution du Web 2.0
Lorsque la fabuleuse, voire magique expression de « Web 2.0 » a commencé d’apparaître, l’Internet s’est refait une beauté aux yeux du grand public. Ce terme, relevant d’abord du marketing, fut employé à tort et à travers pour refléter un changement qui, s’il ne relève pas exactement d’une « révolution », est tout de même réel : l’Internet s’est « socialisé ». Il est désormais question d’engager des « interactions », d’abord manifestées par des entreprises de mise en commun des connaissances ou travail collaboratif (avec les wiki par exemples), puis, par des blogs favorisant la discussion grâce aux commentaires. En parallèle, les chats prennent de l’importance, comme IRC et MSN, pour citer les principaux. Toutes ces interactions étant facilitées par un « domptage » du code tel qu’il est désormais possible d’avoir son blog, de s’exprimer sur la toile sans en avoir aucune connaissance. Mais ce modèle n’est toujours pas assez rentable financièrement. Et c’est la qu’intervient un tournant clef de l’Internet et de l’idée que nous nous en faisons : sa structure, et donc, la manière dont nous communiquons, va être modifiée par la publicité.
 
De MSN à Twitter : la disparition élocutoire du destinataire
Lorsque nous parlions sur MSN, nous nous adressions à une personne en particulier, et attendions une réponse pour rebondir. Il en était de même pour les forums, même si le destinataire était moins identifié, l’on s’adressait à une certaine communauté, avec l’idée d’instaurer un échange. Comment, dès lors, un message publicitaire pouvait-il éviter de tomber dans la conversation comme un cheveu sur la soupe ? S’imagine-t-on, lorsque que l’on parle à un ami de vive voix, être coupé par un slogan entre deux phrases ? Il fallait alors qu’une autre façon de communiquer émerge.
Prenons maintenant l’exemple de Twitter. Qu’est-ce que « tweeter » ? C’est envoyer un message de 140 caractères à un public qu’on ne connaît ni ne maitrise, la plupart du temps. Pour que ce message ait une bonne visibilité, et soit repartagé, il doit être drôle, spirituel, ou provocateur ; bref, il faut qu’il soit suffisamment marquant pour interpeler le lecteur. Or, qu’est-ce qu’un slogan publicitaire, si ce n’est un message court et percutant ?

 
Que devient alors la communication sur Internet ? Il est rare d’attendre une réponse à un tweet, la conversation étant rendue difficile par la limite des 140 caractères. Facebook n’est pas en reste : ce sont les « likes » qui dominent, c’est-à-dire une petite image sur laquelle on clique pour signaler qu’on a vaguement ressenti quelque chose en voyant ce post, mais on commente bien moins souvent, et d’ailleurs, nos commentaires étant visibles par tous, il est moins question d’engager une réelle discussion que d’obtenir des « likes » à son tour pour flatter son image.
Tout, dans ces pratiques, rappelle la publicité. La frontière entre celle-ci et les messages personnels devient de plus en plus floue (cf les questions des « influenceurs » et du « personnal-branding »).
La publicité avait donc tout intérêt à favoriser ce changement de paradigme, qui lui permettait de s’intégrer plus naturellement et sans choquer. Bien sur, il existe des exceptions, et la pratique du « chat » ne s’est pas totalement éteinte. De même, je ne tente pas d’imputer ces changements à la seule volonté de la publicité d’investir la toile, changements que je ne juge d’ailleurs pas. Néanmoins, force est de remarquer que notre usage quotidien d’Internet a été profondément modifié, et qu’aujourd’hui, la fermeture de MSN ne trouble ni notre navigation ni notre esprit, ce qui n’aurait surement pas été le cas s’il avait été question de Facebook.
 
Virginie Béjot
 
Sources :
La fermeture de MSN :
Comportements liés aux réseaux sociaux : http://www.guardian.co.uk/technology/2012/mar/17/facebook-dark-side-study-aggressive-narcissism
http://www.internetactu.net/2012/03/29/pourquoi-avons-nous-peur-des-medias-sociaux/
La bibliothèque dans Buffy contre les Vampires : http://cm.revues.org/84

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Société

Voir la communication et mourir

Du 11 octobre au 31 décembre 2012, se tient à la Gaîté Lyrique l’exposition HELLO™, par le collectif H5. Le principe en est simple, et pourtant déroutant : une marque créée de toute pièce, HELLO™, avec pour but d’explorer les outils et les stratégies marketing des marques et surtout d’interroger sur leur influence.
Il ne s’agit pas de dénoncer la société de consommation, comme l’a déjà fait le collectif dans un court-métrage d’animation anxiogène et déroutant, mais bien de recréer un acteur fictif du système et d’observer son influence.

Tout commence avec un nom, « HELLO™ », et un logo : un aigle inoffensif, simpliste et coloré. Vient s’ajouter une musique, « Hello inc. » composée par le producteur français Alex Gopher et agrémentée de plusieurs remixes.
L’image de la marque en devient presque infantilisante, comprendre plus insinuante.
Dans les locaux de la Gaîté Lyrique, pourtant, le malaise s’accroît. Tout commence par une voix féminine qui susurre à l’oreille des visiteurs des slogans publicitaires, dans une salle bleuté, sombre, aux murs recouverts de plumes stylisées en feutrine.

Plus loin, étalée sur un pan de mur, la figure d’un aigle en gros plan, un prédateur celui-là, dont les yeux se meuvent et laissent, à dessein, la désagréable sensation d’être surveillé.

Une longue table dans le plus pur style « conseil d’administration » avec de hauts sièges, des blocs-notes, des bouteilles d’eau, le tout parfaitement blanc, sans identité, désincarné. Et au fond, projetée sur le mur, une présentation façon PowerPoint, plus vraie que nature, plus convaincante que jamais. C’est ça la magie du PowerPoint.

Ce n’est pas HELLO™ qui y est à l’honneur, sinon toutes les marques aujourd’hui tant la présentation PowerPoint est devenue universelle et partout identique.
Bref, tout ce qu’il faut pour du story-telling poussé à son comble et redoutablement efficace. Voilà bien le point névralgique : HELLO™ est incroyablement cohérente, efficace et ludique. C’est une marque dans toute la puissance de son image que l’on vous donne à voir, et que vous aurez envie d’aimer. Pourtant, que produit-elle, que fait-elle ? Nous n’en saurons rien.
L’aspect créatif et ludique se suffit à lui-même, et vous suffira. On ne peut s’empêcher de repenser au Meilleur des Mondes d’Huxley, à 1984 d’Orwell, à Nous Autres de Zamiatine, face à cette séduisante absurdité, exclusivement superficielle. Mais vous ne trouverez, en fait, aucune critique chez le collectif H5. Rien ne vous indiquera quoi penser, comment réagir. On ne vous donnera à voir que cette marque créative et sympathique. Une marque qui veut tellement se faire aimer qu’elle obtiendrait de vous n’importe quoi.
Un peu comme les sympathiques Angrys Birds qui servent d’égéries au mastodonte Google via son navigateur Chrome, comme l’inoffensif et graphique oiseau de Twitter, comme autant de mascottes auquel on se remet sans vraiment s’interroger.
C’est là qu’apparaît toute la perversité d’une image si alléchante, si bien travaillée, si cohérente, et pourtant si désincarnée.
Tout est magistralement résumé dans l’intitulé de l’exposition : « Le marketing est-il un jeu d’enfant ? »
Mais il est parfois tellement inquiétant de se l’imaginer comme un jeu dangereux. Comment se méfier de Coca-Cola quand ses campagnes de Noël parviennent brillamment à faire renaître chez nous un brin de magie, d’Apple quand on observe son image si léchée, si sobre, de Total quand on voit ses publicités pleines de vie et de sentiments, de Danone, si attachée à notre bien-être ?
Finalement, ce que H5 nous rappelle et qu’il est sain de garder à l’esprit pour le consommateur comme pour les marques, même s’il ne s’agit là que d’une évidence, c’est qu’on a trop souvent tendance à confondre ce qu’une marque donne à voir, et ce qu’est l’entreprise qui l’a construite.
Oscar Dassetto

Agora, Com & Société

En grève !

 
Perturbations du trafic, mouvements sociaux, revendications,  grève des contrôleurs, des conducteurs de TER, des salariés etc. Ces mots résonnent en chacun de nous aujourd’hui, on aurait presque tendance à les entendre avant même qu’ils ne viennent frapper à nos tympans.
C’est un sombre mois de décembre qui a commencé pour les usagers de la SNCF. On est pourtant rodés, en France la grève c’est presque comme la baguette et le camembert, bien frenchy ! Alors le savoureux mélange du mouvement de grève avec les cheminots c’est un peu la consécration de la tradition, un bout de camembert normand délicatement déposé sur un bout de pain tout juste sorti du four à bois. Seulement voilà, après plusieurs décennies de grèves, le pain commence à rassir… Les revendications sont nombreuses, les injustices et les problèmes de conditions ainsi que de droits du travail sont encore prégnants. Mais cette fois-ci le problème est ailleurs.
La SNCF maîtrise parfaitement son image, sa communication. Pour le coup, la communication de crise est inévitablement liée à la SNCF, une société des transports ne peut évidemment pas négliger la prévoyance des incidents et la réaction face à leurs conséquences. La SNCF choisit la transparence, la rapidité, la prise de parole. Malheureusement lorsque les causes des incidents proviennent de la société, la réaction se fait difficile. Les grèves sont difficiles à gérer, surtout sur le long terme, surtout lorsqu’il s’agit de crises récurrentes et sans réponses réelles, et surtout lorsque cette réponse oublie que les usagers risquent un jour de faire grève à leur tour… Ou bien de monter à bord d’un autre train, ce qui pourrait arriver prochainement avec l’ouverture du réseau à la concurrence.
Sur le net, c’est avec son site Voyages-SNCF.com qu’elle fait un véritable tabac et son directeur de la communication, Patrick Ropert n’est pas le dernier à le faire savoir, on le comprend bien. L’entreprise septuagénaire n’en est pas à son coup d’essai, sur internet elle gère. La plateforme Voyages-SNCF illustre bien la capacité d’adaptation dont elle peut faire preuve. Créée en 2000 elle devient rapidement le premier site de e-commerce en France, en 2011 elle représente environ 10% du volume d’affaires de l’e-commerce français ! Sur le plan digital la firme ne cesse de se développer depuis le début des années 2000. Plus récemment elle a pris le temps de refondre son site internet, repensé comme un « hub », afin de faciliter accès et navigation aux usagers. Mais il est aussi l’heure selon Patrick Ropert de passer à une nouvelle relation digitale via le « open data ». Le but : rendre publique certaines données et devenir ainsi une plate-forme dont la force serait l’ « open » pour être capable de répondre aux besoins des clients. Selon le directeur de la communication du groupe il s’agit d’une « information individualisable en temps réel, pour dix millions de passagers quotidiens dans le monde ». Cette approche nouvelle de la donnée devrait faciliter l’accès aux informations et aux services, un peu comme le faisait déjà l’application du Transilien. De plus, la SNCF est également présente sur tous nos écrans, smartphones, tablettes… Pas de problème pour acheter un e-billet, connaître les horaires et tarifs. En revanche il reste des zones d’ombres  qui ne sont toujours pas éclaircies par cette palette d’outils numériques.
Alors oui sur internet la navigation est fluide. Sur le réseau ferroviaire c’est une toute autre histoire. Et c’est précisément ce qui risque de poser problème à la société de transports française. Cette dimension digitale est selon Patrick Ropert un élément essentiel « de la mobilité et transforme simultanément le service, la production, les modèles économiques, l’information et, bien sûr la culture d’entreprise ». On peut s’interroger sur la validité de quelques uns de ces points : La culture d’entreprise et inévitablement le service, tous deux intimement liés. La cohérence qui existe entre l’image développée par la SNCF et sa maîtrise de l’espace digital, risque d’être mise à mal par les incessantes grèves qui ne suscitent plus du tout l’émoi ou la solidarité des usagers. Des prix trop élevés, des heures d’attentes, des retards, des dégradations et bien évidemment le problème cyclique des grèves, suscitent l’agacement. Les usagers ont le droit de se sentir biaisés, la fluidité du réseau ne semble que virtuelle, purement digitale.
 
Margot Franquet
Sources :
Stratégies N° 1701 p. 16 « Open Data : la relation digitale »
Le Monde.fr
 

Société

Les TED et la victoire du storytelling

 
Elles arrivent petit à petit en France, et commencent doucement à se faire reconnaître du grand public : les conférences TED n’ont pas fini de fasciner, en témoigne la littérature prolixe qui fleurit sur le web à leur sujet. Fondées d’abord aux Etats-Unis en 1984, les TED (Technology, Entertainment, Design) avaient un objectif simple et loin d’être révolutionnaire : partager des points de vue nouveaux (leur slogan est “ideas worth spreading”) en faisant intervenir des spécialistes dans des conférences ouvertes au grand public. L’avènement et la démocratisation d’Internet a évidemment dopé leur développement puisque toutes les conférences (1400 à ce jour) sont publiées sur leur site, parfois même sous titrées par des volontaires, le tout gratuitement. Le succès fut sans précédent. TED a réussi à créer une véritable communauté sans être taxé d’élitisme, à intéresser un public qui dépasse celui des seuls habitués aux conférences. Communauté qui  d’ailleurs ne cesse de s’agrandir, TED se disséminant peu à peu dans d’autres pays ; son arrivée en France date de 2009, et depuis septembre 2012, ce ne sont pas moins de trois TEDx (nom donné aux évènements TED) qui ont occupé de grands lieux de Paris, tels que la Gaîté Lyrique ou le Panthéon de la Sorbonne.
 
Comment expliquer cet engouement ?
Les TED ont parfaitement su s’adapter au nouveau régime de la consommation du savoir mis en place par l’arrivée d’Internet. Lorsqu’un internaute navigue sur le web, chacune de ses fenêtres affiche un contenu  différent, il peut, en un clic, passer d’un diaporama sur des photos édifiantes à un article scientifique surprenant, en passant par une chronique amusante ou touchante. C’est un peu ce que proposent ces conférences. En « live », une dizaine d’intervenants se relaient, en ne dépassant que rarement les vingt minutes de parole. Il en va de même lorsque l’on se rend sur le site où l’on nous dit « browse by subject, length, or rating (inspiring, jaw-dropping, funny…) » : tout est à la demande, et si l’on ne créé pas la vidéo qu’on veut voir, on n’en a jamais été aussi près, puisque nous sommes les seuls décideurs de sa durée, son sujet, son ambiance, sa qualité. Les TED sont en quelque sorte le microcosme d’Internet, ou du moins de l’image idéalisée que l’on peut s’en faire : un lieu où l’éclectisme, comme le savoir, est à portée de main.
Mais proposer du contenu intelligent ne suffit pas à soulever l’enthousiasme, et il serait quelque peu ingénu de croire qu’il a alimenté à lui seul la gloire de TED.

En effet l’autre clef de la réussite de TED, la différenciant des traditionnelles conférences, est l’utilisation du fameux concept de  storytelling. Regardez ne serait-ce que trois vidéos et vous verrez que le commencement est toujours le même : des applaudissements, les saluts de l’invité, puis une brève narration de sa vie et de l’élément qui l’a bouleversée et explique sa présence ce soir. Tous ces gens ont une histoire à raconter, bien spécifique, dont ils ont tiré des conséquences, un certain savoir ainsi que des règles qui désormais dictent leur vie et qu’ils se doivent de nous transmettre. Rien n’est plus efficace que ce procédé. Raconter un fait personnel et parvenir à le lier à un propos abstrait le rend palpable et humain, ainsi qu’intéressant, car il mobilise nos émotions voire crée un processus d’identification. Tout le monde aime les gens qui « ont une histoire ».
C’est ainsi que TED a institutionnalisé ce moyen de communication qui se retrouve désormais dans tous les discours de marques : on se souvient de ceux de Steve Jobs, on écoute encore ceux de Marc Zuckerberg. Les TED sont cet intermédiaire entre la conférence scolaire et la communication d’une marque : ses intervenants sont souvent des entrepreneurs, les conférences sont parrainées par de grandes marques (Canal + et Orange sponsorisent la prochaine). Le storytelling devient même une pratique à part entière ; à la dernière TEDxSorbonne, un des intervenants a parlé pendant 20 minutes de rencontres qu’il avait faites au cours de sa vie, et je dois avouer que j’étais très perplexe sur le fond de sa pensée, jusqu’à ce que je voie un tweet disant qu’il faisait une superbe démonstration de storytelling.
Le storytelling, pilier de TED et de la communication désormais, est donc à double tranchant. Il a l’avantage de pouvoir nous intéresser à presque tout et n’importe quoi, mais ne risque-t-il pas de réduire le discours a un simple exercice rhétorique, que, finalement, nous oublions dès que l’émotion qu’il a nous a procurée est passée ? (Ne finit-il pas par desservir le partage du savoir ?)  C’est en tout cas ce qu’illustrent les flops de l’opération Kony 2012 ou de la publicité pour Facebook, les deux vidéos commençant presque par les mêmes images et le même texte, leur message étant pourtant totalement différent.
Virginie Béjot
Sources :
TED : http://www.ted.com/pages/about
TEDxParis : http://tedxparis.com/
Retrouvez également le live tweet de la dernière conférence TED à la Sorbonne sur le fil twitter de @FastNCurious_