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Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris: un événement hybride entre violence et communication

En une soirée, le 13 novembre dernier, les attaques de l’Etat islamique (EI) à Paris ont tué 130 personnes. Depuis 1980, 57 victimes d’attentats étaient à déplorer en France. Tout est dit. En janvier, la liberté d’expression, la laïcité, l’intégration, l’éducation avaient nourri les débats. Cette fois, la pensée s’est figée. Le mode opératoire a été sophistiqué. Il a synchronisé assassinats à bout portant et prise d’otage de plusieurs heures, ce dans des lieux différents et emblématiques de notre art de vivre. La mise en scène qui en a résulté rappelle à quel point le terrorisme se donne toujours en tant qu’hybride entre violence et communication. Elle souligne aussi, désormais, la propension de ce « spectacle » à s’inscrire dans notre système informationnel en continu. Outre la dimension communicationnelle dont elles sont donc porteuses, ces actions terroristes peuvent se concevoir comme le marqueur de deux mécanismes de redimensionnement simultanés et interdépendants : d’une part un décloisonnement géographique entre «  ici » et « là-bas », d’autre part une série de basculements politiques et psychologiques qui ne sont pas sans poser question.
En consacrant le continuum opérationnel entre « ici » et « là-bas », c’est-à-dire entre nos terrasses de café ou salles de concert et la géopolitique du Moyen-Orient, l’EI a exhibé sa marque de fabrique. Deux points sont ici essentiels. Premièrement, cette violence nomade, interne-externe aux Etats, située entre guerre de religions, d’intérêt et de civilisation, plonge ses racines dans tous les comptes non soldés des colonisations et prédations des empires qui se sont succédé et confrontés dans la région depuis l’Empire Ottoman. Deuxièmement, en pariant à la fois sur la radicalisation des populations d’origine arabo-musulmanes en Occident (et surtout en France) et sur un djihad de proximité contre tous les régimes « apostats » de la région, l’EI capitalise aussi sur la tendance répétée des grandes puissances à sous-estimer la capacité phénoménale du terrorisme islamiste à s’adapter à l’Histoire, à muter tel un virus (car l’EI n’est pas Al Qaida). D’autant qu’aucune des aventures militaires entreprises depuis 35 ans (de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 aux actuelles frappes aériennes en Syrie et en Irak) ne s’est jamais accompagnée du moindre projet politique crédible et constructif à l’attention des populations. Ensuite, la force d’attraction de l’EI conçu comme utopie, et son prestige auprès de ses cibles se nourrissent en permanence de deux processus : d’un côté une lutte militaire héroïque contre les aviations les plus puissantes du monde et de l’autre la « perte de sens » qui affecterait nos sociétés consuméristes et oublieuses de toute transcendance. En ce sens, l’irruption de la figure du kamikaze est porteuse un message : donner à sa propre mort un sens que sa vie n’aura jamais. C’est donc une combinatoire inédite qui confère au terrorisme de l’EI sa média génie macabre : un socle territorial irako-syrien à partir duquel une mystique de la conquête et une vision eschatologique de l’Histoire font que commettre des attentats à l’étranger signifie à la fois riposte militaire et propagande.
Pierre Nora a parlé récemment d’une « signification historique géante » dépassant la « péripétie ». Il est vrai que la profonde blessure collective infligée à notre démocratie induit une série de basculements politiques et psychologiques qui ne sont pas anodins au sein de notre société où le « nous » s’est fragilisé. La tension est inhérente à la rencontre entre Etat de droit et état d’urgence ; le lien est ténu entre désordre sécuritaire et désordre électoral. Alors que dire de la proclamation répétée d’un état de « guerre » par François Hollande ? D’ordinaire, toute crise appelle de la part des politiques des discours régulateurs qui oscillent entre logiques d’identification (émotion, pathos…) et stratégies de distanciation (rationalité, explication…). Si ces discours parviennent à construire une relation avec le public, ils vivifient l’image du politique. D’autant que les institutions de la Vème République y sont propices. L’embellie sondagière de l’Elysée le montre. Pourtant, la sociologie du terrorisme de l’EI évoquée plus haut ne peut que rendre très illusoire cette performance communicationnelle, car il est impossible de contrôler durablement l’interprétation qui sera faite (dans l’opinion, dans les médias) des tensions fatales qui sont à l’œuvre entre deuil et guerre, entre Etat de droit / état d’urgence. Surtout si d’autres actes se produisent.
Isabelle Le Breton
Maître de conférences au CELSA
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Manifestation anti-taxe Tampon
Agora, Com & Société

Taxe Tampon: quand l'Assemblée s'en tamponne

Le 14 octobre dernier, l’Assemblée Nationale a rejeté la demande des députés d’abaisser à 5,5% la taxe sur les produits d’hygiène féminine (tampons et serviettes), actuellement à 20%. Instaurée au Canada en 2013, cette taxe – jugée discriminatoire et sexiste – est depuis l’année dernière en débat dans de nombreux pays à travers le monde.
Contre toute attente, le Sénat a finalement voté le 21 Novembre dernier l’abaissement de la TVA, relançant le débat.
2014 : « Année des règles »
Souvent tabou, passé sous silence ou retrouvé dans des conversations exclusivement féminines, le sujet des règles émerge librement depuis quelques mois sur les différents réseaux sociaux, dans les médias ou les débats publics.
On ne parle pas ici uniquement de féminisme, mais d’une volonté de ne plus cacher inutilement un phénomène dont tout le monde a connaissance.
Avis mitigés, interrogations, l’unanimité n’est pas encore totalement adoptée, comme lorsque Instagram censure – puis remet en ligne sous la pression des internautes – la photo d’une bloggeuse où l’on aperçoit sur son pantalon et son drap des tâches de sang menstruel.
Des publicités qui mettent en scène un pudique liquide bleu jusqu’aux représentations péjoratives à la télévision et au cinéma – analysé dans Periods in Pop Culture, un essai de Lauren Rosewarne – une réelle spirale médiatique s’est enroulée autour de ce thème.
Si le sujet paraît anecdotique, il n’en demeure pas moins sérieux, car le sujet qui fait le plus parler de cet « événement » mensuel est la taxe sur les produits de première nécessité, autrement surnommée « taxe tampon ».
En France, tout produit ou service acheté est frappé par la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui est la principale source de revenu de l’Etat (193 milliards d’euros selon le projet de loi de finances pour 2016). Il existe trois taux : le taux réduit à 5,5%, le taux intermédiaire à 10% et le taux dit normal à 20%.
Les produits d’hygiène, et donc aussi ceux d’hygiène féminine, sont compris dans ce dernier taux et sont donc taxés à 20%.
Par comparaison, dans les produits dits « de première nécessité » qui sont taxés à 5,5%, on trouve des produits évidents tels que l’eau mais aussi… le foie gras, les sodas ou les bonbons. Se pose donc la question de ce que l’on entend par « première nécessité ».
Avec cette taxe, le collectif féministe Georgette Sand a estimé qu’une femme dépensait en moyenne au cours de sa vie 1500€ en protections hygiéniques.
En Suède, où le sujet est devenu tellement courant que les médias ont renommé l’année 2014 « année des règles », la bloggeuse Clara Henry aurait même demandé à la Sécurité Sociale de lui rembourser 5800€, soit le prix dépensé au cours de sa vie en protections (le coût de la vie étant plus cher en Suède).
Saigner, c’est payer

Il y a donc un réel enjeu économique, qui peut s’avérer rédhibitoire dans les pays défavorisés, quant à l’accès à ces produits.
En Inde, où seulement 12% des femmes y ont accès en raison de leur coût, ces produits sont d’ailleurs très peu commercialisés, entraînant ainsi des répercussions sur le mode de vie, et bien sûr sur la santé des femmes.
Mais plus proche de nous, le coût de ces produits pose aussi problème dans les milieux les plus précaires. Distribution gratuite en Angleterre pour les sans-abris, succès de la Coupe menstruelle (protection réutilisable), invention de sous-vêtements réutilisables et absorbants… les solutions alternatives sont de plus en nombreuses pour éviter ce diktat non écologique et coûteux.
Les médias au service d’un ras-le-bol généralisé
La taxe initiale qui avait été instaurée au Canada en 2013 – par la députée Irene Mathyssen, une femme donc – et qui s’élevait alors à 5%, a été supprimée depuis sous la pression médiatique et des suites d’un mécontentement général.
De nombreuses « opérations » ont été lancées dans divers pays, pour faire annuler cette taxe discriminatoire qui classe un tampon au même rang d’utilité que du caviar (rappelons qu’avoir ses règles ni un choix, ni un phénomène évitable).
En 2014, de nombreuses militantes britanniques ont envoyé des culottes ensanglantées en signe de protestation à David Cameron. Récemment, ce « Culotte Gate » s’est répété en France avec des centaines de sous-vêtements tachés envoyés à François Hollande, Manuel Valls ou encore Marisol Touraine, ministre de la santé.

Pour dénoncer le coût élevé des tampons et éveiller certaines consciences, un collectif britannique a revisité un spot publicitaire, sur le modèle des publicités pour parfum. Le tampon y est devenu presque luxueux : sensualité, désir pour l’objet, grand appartement sur un fond de musique envoutante, le tampon est présenté avec dérision comme un objet rare et précieux.
 

Après également de nombreux hashtag sur les réseaux sociaux tels que #TamponTax ou #NoTaxOnTampon et une pétition en ligne – adressée directement à Michel Sapin, ministre des finances – qui rassemble plus de 27 000 signatures, le combat pourrait enfin aboutir.
En effet, des sénatrices militantes ont déposé le 19 novembre des amendements au projet de budget 2016 pour réduire cette taxe sur ces produits, finalement voté le 21 novembre.
Mais si Pascale Boistard, secrétaire d’Etat chargée des droits des femmes, a déclaré « qu’il fallait prendre au sérieux cette demande », Christian Eckert, secrétaire d’Etat au Budget, a de son côté affirmé que « le gouvernement ne souhaite pas bouger sur les taux de TVA ».
Bien que passée au Sénat, contre l’avis de Christian Eckert, cet amendement doit passer le 10 décembre à l’Assemblée Nationale. Cette dernière étant composée à 75% de députés masculins, affaire à suivre…
Capucine Olinger
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Sources :
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1444587-video-du-soir-pour-que-cesse-la-taxe-rose-une-pub-imagine-le-tampon-en-produit-de-luxe.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/en-direct/a-chaud/11361-culottegate-centaine-culottes-tachees-envoyees-francois.html
http://www.lemonde.fr/sante/article/2015/11/11/comprendre-la-bataille-de-la-taxe-tampon_4807643_1651302.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_campaign=Echobox&utm_term=Autofeed#link_time=1447266823
http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/10/16/tva-sur-les-tampons-qu-est-ce-qu-un-produit-de-premiere-necessite_4791200_4355770.html
http://bfmbusiness.bfmtv.com/france/budget-2016-le-retour-de-la-taxe-tampon-931578.html
http://georgettesand.org
« La guerre des tampons », Glamour N°137, août 2015
Crédits photos :
Vice.com
20minutes.fr

nuit gay
Agora, Com & Société

Homosexualité, le pêché mignon de Canal +

Le 23 juin 1995, pour la première fois à la télévision française, une chaîne consacre 9 h d’antenne à la culture et la condition homosexuelle. «  En crypté, mais en toute clarté » précise Alain Burosse, le responsable des programmes de l’époque, qui affirme vouloir éviter le prosélytisme. La Nuit Gay explose le record d’audience de Canal+ détenu par la Nuit Hallyday d’où la phrase cultissime de Gilles Verlant : « Merde ! Les pédés ont enculé Johnny ! ». Aujourd’hui, l’émission est toujours d’actualité : le 20 octobre, Canal+ fêtait les 20 ans de son programme.
La Nuit Gay : The Pride Of Canal+
« 20 ans que Canal+ fait passer la télévision française à la couleur » voilà ce qu’on peut lire sur le site officiel de l’émission. Tout se passe comme si Canal+ essayait de ressusciter ses gloires passées.
Sur le site du programme, on peut trouver une chronologie qui a pour point de départ la première Nuit Gay. On observe une volonté de présenter le programme comme le déclencheur des événements majeurs qui suivront.
En effet, la Gay Pride de l’année 1995 marque un tournant puisqu’elle accueille 60 000 manifestants. La même année, Jean-Luc Delarue consacre une de ses émissions à la question «  Faut-il ou non déclarer publiquement son homosexualité ? ». D’autant plus que cette année voit la naissance du premier magazine gay et lesbien français, Têtu. En 1997, Jean-Philippe Olszowyn crée le site Média-G en vue de critiquer la manière dont la télévision, les livres, la musique ou encore le Net traitent de l’homosexualité.
 

La redondance de l’émission semble s’apparenter à une auto-congratulation annuelle. L’émission présente aujourd’hui sa soirée plus comme « l’anniversaire de l’émission » que la célébration de l’évolution des mentalités. Déjà en 2005, la chaîne fêtait les 10 ans de son émission. Toujours du bon côté, de l’histoire et de la force, la chaîne nous rappelle qu’elle est et qu’elle a toujours été en avance sur son temps.
Du tabou des urnes à l’« homopoliticus »
Ce jour-là, sur le plateau du Grand Journal, on pouvait voir parler ensemble Jack Lang et Frank Riester, connu pour être un des deux seuls député UMP ayant voté la loi du mariage homosexuel. Il est intéressant de voir que « le mariage pour tous » ou le PACS sont les rares sujets médiatisés où l’on voit apparaître une connivence aussi claire entre des partisans de la droite et de la gauche. Un documentaire comme Homopoliticus ( diffusé en janvier 2013 sur France 3 ) apparaît comme une dimension parallèle où il est possible de rapprocher Christiane Taubira et Roselyne Bachelot.
Le discours sur le PACS de Roselyne Bachelot, prononcé le 7 novembre 1998 à l’Assemblée nationale, est sans cesse invoqué dans des documentaires sur le sujet. Il précède historiquement les plaidoiries de l’actuelle garde des Sceaux qui soutenait l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
 

Ces discours donnent place à des vidéos politiques populaires car elles symbolisent un changement, une reconnaissance à travers une politique sensible et rebelle. D’ailleurs, dans le Grand Journal, Riester et Lang sont placés côte à côte pour bien montrer que leur combat est le même. L’opposition droite-gauche semble alors s’effacer pour donner lieu à une trêve qui met en avant le sujet dont il est question.

Au même moment, le retour à l’écran de Christine Boutin et Frigide Barjot était éclipsé par les déboires de France 2 avec l’émission DPDA.
En effet, dans la même semaine que la Nuit Gay, la présidente du parti chrétien-démocrate répondait des propos qu’elle avait tenu dans la revue Charles en avril 2014, déclarant que «  l’homosexualité est une abomination » et répondait pour sa défense qu’elle avait des amis homosexuels tout comme une certaine Nadine M. aurait pu le faire.
Dans le même temps, Jean-Marc Morandini recevait, pour le retour de l’émission « Face à France », Frigide Barjot affirmant sans concession : «  Je demande pardon aux homosexuels que j’ai blessés ».
Quel rapport peut-on établir entre médias, figures politiques et homosexualité ? Il semble que les médias créent des « personnages » emblématiques qui viennent représenter les opinions majoritaires à propos d’un sujet sensible. Ainsi, ceux qui prennent fermement parti et qui se rebellent disposent d’une certaine écoute, d’une certaine tribune tant ils ont un statut à part dû à leur engagement. En effet, que ce soit Roselyne Bachelot, Christine Boutin ou Bertrand Delanoë qui déclare son homosexualité dans une interview sur M6 en 1998, on connaît ces responsables en partie grâce à leur place dans un débat de droit. En 1982, l’homosexualité était dépénalisée, il semble donc normal que le débat sur les droits des homosexuels soit nouveau et aussi mouvementé : il mêle à la fois tradition, religion et frustration d’une minorité jusque-là mise de côté. C’est parce qu’il est si passionné que les médias préfèrent montrer des « représentants » qui canalisent, ou même peut-être « vulgarisent », des idées.
 Les médias sont-ils un bon moyen de rendre les gens plus gai ?
A priori, le programme a pour but de cerner l’évolution des mentalités comme le sous-entend le titre du documentaire diffusé en première partie «  1995-2015 : 20 ans de révolution gay ». Mais il est d’autant plus intéressant d’analyser le traitement du sujet. Ce serait un raccourci d’affirmer qu’il y a une acceptation, comme si l’homosexualité était désormais acceptée de manière univoque. Il faudrait parler d’une forme d’acceptation.
En 2013, le CSA belge publiait une enquête sur la représentation de l’homosexualité dans les médias. L’étude part du simple postulat que la télévision est un répertoire d’expériences permettant de compenser des phénomènes absents de notre environnement. Ainsi, les interactions humaines « médiatisées » auraient un impact similaire à celles que nous rencontrons dans la réalité : elles nous permettent d’approfondir nos connaissances et notre point de vue sur des sujets qui font défaut à notre environnement réel. Si les médias veulent influencer positivement leur spectateurs, il faut questionner le contact média-individu.
« Dans le sillage de cette représentation, quelques sociologues français contemporains observent que, même si les sociétés occidentales se montrent aujourd’hui plus ouvertes et tolérantes envers l’homosexualité, l’hétérosexualité continue d’être dominante et, partant, elle se passe de justification » affirme Laura Mellini, docteure en science sociale, en parlant de Bourdieu, François Delor ou encore Didier Eribon. L’hétérosexualité s’impose naturellement, autrement dit, elle ne donne pas lieu à des programmes qui l’analysent. Ce qui est naturel dans la mesure où elle est la norme. Au contraire, l’homosexualité a recours à des programmes qui semblent vouloir lui donner une légitimité. On a donc l’impression d’entendre une justification perpétuelle qui maintient l’homosexualité loin de la norme. Il est légitime de se demander si les médias confortent les mentalités, telles qu’elles soient, ou si elles les font vraiment évoluer ?
Si on interroge les programmes médiatiques, on peut voir qu’ils comportent une dualité qui oppose toujours une minorité homosexuelle et l’hétéronormativité. Ainsi, tacitement, on accepte tous un « nous » et un « eux » : il y a un isolement dans les termes. Si le but des documentaires est de faire évoluer les mentalités, ne faut-il pas remettre à jour cette conception communautariste ?
En 20 ans d’existence, la Nuit Gay mérite peut-être d’être repensée à la lumière d’une nouvelle ère, celle de l’après « mariage pour tous », autant pour la loi que pour la fureur du débat. D’ailleurs, l’émission insiste sur le passage de la stigmatisation à l’indifférence mais il faut prendre plus sérieusement en compte cette donnée. Certes, le contenu du programme change, toutefois, il faut encore changer la manière de penser l’homosexualité comme « en-dehors de la norme », comme quelque chose que l’on tient loin, enfermé dans un passé, dans une indifférence ou une « tolérance ».
Si les mentalités changent, elles ne le font pas de manière binaire. Autrement dit, les mentalités ne sont pas bonnes ou mauvaises, elles méritent toujours d’être cultivées par des programmes qui réalisent et présentent à l’écran la présente réalité avec ses évolutions, ses régressions et ses retards. La difficulté consiste à traiter consciemment un sujet mouvant et subjectif.

Alors pourquoi ne pas changer radicalement cette façon de faire ? Il faut sans doute voir cela comme un choix, celui de ne pas brusquer ou diviser. Au-delà de la question des mentalités, la présence et la forme de l’homosexualité dans les médias est sans nul doute à la croisée d’un choix marketing d’adaptation à une nouvelle audience, et d’une volonté de garder une audience traditionnelle boudant le changement. En aucun cas, il ne faudrait résumer la présence homosexuelle dans l’audiovisuel comme un baromètre qui traduirait un consentement croissant sur le sujet.
Bouzid Ameziane
Sources :
Simonnet Dominique. La Nuit Gay. L’Express. 15-06-1995  http://www.lexpress.fr/informations/la-nuit-gay-de-canal_608298.html
Sabri Derinoz. La représentation de l’homosexualité dans les médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mai 2013 http://csa.be/breves/784
Laura Mellini. Déviance et Société. Entre normalisation et hétéronormativité : la construction de l’identité homosexuelle. Médecine et Hygiène. ISSN : 0378-7931 https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2009-1-page-3.htm
Clotilde Gaillard. Yagg, Têtu … Les médias LGBT en grande difficulté. L’Express. 16/06/2015 : http://www.lexpress.fr/actualite/medias/yagg-tetu-les-medias-lgbt-en-grande-difficulte_1690148.html
« 1995-2015 : 20 ans de révolution Gay ! », un documentaire réalisé par Michel Royer pour les 20 ans de la Nuit Gay, le 20/10 à 20h50 sur Canal+. CAPA.16/10/2015 : http://www.capatv.com/2015/10/1995-2015-20-ans-de-revolution-gay-un-documentaire-realise-par-michel-royer-pour-les-20-ans-de-la-nuit-gay-le-2010-a-20h50-sur-canal/
Canal+, site officiel. Présentation de la Nuit Gay : http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid8302-c-les-20-ans-de-la-nuit-gay.html
Crédits images :
– Canal +
– Entertainement

Com & Société

Erdogan ou la mort programmée du kémalisme

Les législatives du 2 novembre dernier en Turquie semblaient être jouées d’avance. Alors que, pour la première fois depuis 13 ans, l’AKP (parti islamiste modéré d’Erdogan) avait perdu sa majorité absolue, tout semblait indiquer une disgrâce de l’ancien président turc. Pourtant, déjouant tous les pronostics fatalistes, l’AKP obtint une immense victoire électorale, et retrouva sa place de premier parti politique dans le pays. Cela s’explique avant tout par la popularité sans précédent d’Erdogan, et sa maîtrise totale de son image.
Le triomphe d’Erdogan, renouveau religieux
L’actuel premier ministre bénéficie depuis son élection comme maire d’Istanbul d’une immense popularité.
L’année 1994 signe le début de la carrière politique de cet homme issu d’Anatolie, et qui n’était jusque-là reconnu que pour ses talents de footballeur professionnel. Cette année marque donc le début de sa gloire, à travers le poste de maire d’une des villes les plus puissantes du pays.
Pourtant, Erdogan se présente alors comme représentant d’un parti islamiste modéré, alors que sous la République, aucun parti religieux n’avait triomphé lors d’élections d’une telle ampleur. La raison de ce succès électoral ? La stratégie d’Erdogan, qui se présente comme un champion de la lutte contre la corruption qui gangrène toute la classe politique de la ville. Son respect profond de l’islam devient dès lors un outil de communication : un homme aussi vertueux que lui ne saurait pécher et par là trahir et décevoir ses électeurs. Sa foi devient un instrument politique.
Mais la victoire d’Erdogan et de sa religiosité assumée a également une signification bien plus profonde que cela. D’autre part, sa popularité n’a jamais été aussi haute que lorsqu’il a publiquement dénoncé l’Etat d’Israël, le qualifiant d’ «enfant gâté » en 2011 et prenant parti pour la cause palestinienne publiquement en 2013.
Un certain retour à la religion semble se produire en Turquie, et Erdogan en est le symbole. Il s’agit de l’émergence d’un islamisme conservateur au sein d’une république laïque, présentée comme un modèle de modernité au Moyen-Orient. Recep Tayyip Erdogan est celui qui vient, à travers les décennies, défier l’autorité du grand Atatürk, père de la République et artisan de la sécularisation de la société turque.
MusKemal, figure historique incontournable
Mustapha Kemal eut de nombreux noms, et parmi ceux-ci le plus célèbre est sans aucun doute celui d’Atatürk traditionnellement traduit comme « Père des Turcs ». Ce surnom, est synonyme dans l’imaginaire collectif turc d’un grand homme qui a su faire entrer la Turquie dans l’ère moderne, et a jeté les fondations de l’état turc actuel. Mustapha Kemal représente le mythe l’homme providentiel par excellence, figure politique dont le destin individuel a transformé l’histoire de son pays. Il est vu comme l’homme qui a su marquer l’histoire, et qui malgré toutes les controverses, continue de forcer l’admiration à travers les siècles.
Kemal est le symbole d’une Turquie nouvelle, délivrée du califat mais aussi et surtout d’un renouveau laïque que l’on présente souvent comme un phénomène inédit dans le monde musulman.
En effet, une fois arrivé au pouvoir, Kemal proclame la République et sépare la justice et l’enseignement de la religion islamique : le voile est notamment interdit dans les universités d’Etat en 2014
« Enfin, legs durables de Mustafa Kemal, l’existence même de la nation turque aujourd’hui, le fait qu’elle se place cette année à la dix-septième place mondiale en termes de puissance économique […] et la position internationale d’Ankara» conclut Adel Taamalli sur le blog collectif et indépendant tunisien Nawaat.
C’est dire l’importance de l’héritage du dirigeant, qui fondé à lui seul un courant politique, le kémalisme, dont beaucoup ont tenté de s’inspirer sans le même succès. Sa figure est particulièrement respectée en Turquie, où un immense mausolée a été construit pour lui rendre hommage. Mustapha Kemal est une figure révérée par les Turcs, comme le prouve la controverse autour de son biopic en 2008 de Can Dündar, qui était considéré comme insultant envers la mémoire de leader.

Ainsi, malgré sa popularité, l’image d’Erdogan est très différente de celle des hommes au pouvoir traditionnellement diffusée en Turquie.
Les médias au service du pouvoir
Rien que l’adjectif « sultan » que s’accordent à lui accoler à la fois Libération et Le Nouvel Observateur sont déjà un indice révélateur de la fracture profonde qui sépare le kémalisme de la politique de l’actuel Premier ministre turc.

S’il a souvent été reproché à Kemal un trop grand autoritarisme, il reste indéniablement aux yeux de tous le père de la démocratie turque. Au contraire, Erdogan semble renouer avec cette tendance à un pouvoir plus autoritaire, tout en remettant en cause certains principes les plus fondamentaux de la démocratie.
L’exemple le plus parlant est le contrôle qu’Erdogan entend exercer sur la presse nationale. C’est ainsi que suite à la relative défaite de l’AKP au début de l’année et à l’organisation de nouvelles élections en novembre, Erdogan a cherché à faire taire la presse d’opposition. Le 28 octobre à l’aube, la police turque intervient dans les locaux des chaînes Kanaltürk and Bugün TV à Istanbul pour interrompre toute transmission. « La situation des journalistes est la pire depuis les années 1980, période de coups d’État militaires » affirm Can Dündar, le rédacteur en chef du journal Cumhuriyet selon L’Humanité. Un des faits les plus marquants de cette censure officielle est l’interdiction qui a été faite à la presse de couvrir les attentats meurtriers d’Ankara du 10 novembre dernier.
La lutte contre la laïcité
Mais ce qui caractérise sans doute l’opposition farouche d’Erdogan au kémalisme est son combat contre la sécularisation de la société turque.
La carrière politique d’Erdogan commence par la défense des intérêts de la minorité musulmane en Anatolie, profondément croyante et ignorée jusque-là par le pouvoir en place. Il est même condamné quelques années plus tard à une peine de prison pour avoir lu en public un poème du nationaliste Ziya Gökalp incitant les croyants à combattre les infidèles. Mais il parvient à faire de cette traversée du désert une véritable force, puisqu’il fonde à sa sortie de prison l’AKP, qui devient immédiatement la première force politique du pays. L’image qu’Erdogan veut se construire et diffuser largement est celle d’un homme de foi suivant scrupuleusement les enseignement de l’islam.
C’est ainsi qu’alors que Mustapha Kemal avait interdit le port du voile dans les universités, Erdogan l’autorise à nouveau dès 2008. L’interdiction a également été levée pour toutes les fonctionnaires en 2012.
 

Deux frères ennemis
Erdogan s’impose comme le symbole d’une certaine lassitude du peuple turc envers le kémalisme jusque-là tout puissant. La multiplication du port du voile le prouve : quatre députées se sont présentées voilées à l’assemblée pour la première fois de son histoire en 2013, et près des deux tiers des turques le portent aujourd’hui.
De fait, Erdogan et Atatürk, par leur popularité et leur immense pouvoir politique, représentent les deux faces d’une même pièce, celle du mythe de l’homme providentiel. Chaque époque appelle son propre héros ; le rapprochement entre ces deux figures antagonistes est en réalité révélateur des courants d’opinion profonds qui traversent la société turque et fondent son identité.
Aussi, deux images antagonistes se dégagent de cette confrontation : si Kemal a laissé un héritage à la fois glorieux et lourd, puisqu’il n’est que très peu contesté, Erdogan est plus contrasté. Toutefois, cette image plus nuancée se développe hors de Turquie, car dans le pays, c’est-à-dire là où se trouve son électorat, Erdogan accorde un soin tout particulier à son image qu’il contrôle afin de servir ses ambitions politiques.
Myriam Mariotte
Sources :
http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Mustafa_Kemal_Atat%C3%BCrk/134505
http://www.herodote.net/Moustafa_Kemal_1881_1938_-synthese-180.php

Mustafa Kemal, un grand homme de l’Histoire ?


http://global.britannica.com/biography/Recep-Tayyip-Erdogan
http://www.liberation.fr/planete/2011/06/13/erdogan-le-nouveau-sultan-turc_742371
http://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-d-ankara-le-bilan-s-aggrave-a-97-morts-erdogan-critique-12-10-2015-5177731.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.google.fr%2F
http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Le-gouvernement-turc-autorise-le-port-du-voile-dans-les-lycees-2014-09-24-1211236
http://www.courrierinternational.com/article/2014/11/25/les-dix-declarations-les-plus-ridicules-du-president-erdogan
http://www.france24.com/fr/20081110-le-biopic-atatuerk-provoque-controverse-turquie-cinema
http://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/201109/06/01-4431860-turquie-erdogan-accuse-israel-detre-un-enfant-gate.php
http://www.telerama.fr/medias/comment-erdogan-musele-les-medias-turcs-avant-les-legislatives,133490.php
http://www.humanite.fr/turquie-erdogan-veut-etouffer-la-liberte-de-la-presse-587808
Crédits photos:
Huffington Post
Blogspot
Ibtimes

Des paroles et des actes, Marine Lepen
Flops, Politique

De DPDA à Face à France: vers un renouveau du débat politique à la télévision

Marine Le Pen, la star. Marine Le Pen, la diva, « à qui on n’impose rien ». C’est en ces termes que la présidente du Front National a annulé à la dernière minute sa venue dans l’émission politique phare de France 2, Des Paroles et Des actes, obligeant la chaîne à supprimer l’émission de sa grille du soir. Cet épisode fait suite à une lettre envoyée par les présidents du PS et des Républicains au CSA, pour qui la visibilité accordée à la candidate dans la région Nord Pas de Calais-Picardie aux régionales est contraire à l’égalité politique Ces évènements remettent en question la légitimité du format de l’émission de France 2 face à de nouvelles formes mises en avant, jugées plus authentiques.
Une occasion manquée pour le FN
L’invitation de Marine Le Pen – une cinquième fois, un record pour l’émission – souligne l’incapacité du parti à mettre en avant médiatiquement des figures autres que celles de son leader. Cela ne peut que souligner, dans un parti où les mandats nationaux se font rares, l’échec de surexposition d’un Florian Philippot qui truste la part du lion médiatique de son parti et qui se voit critiqué par des ténors comme Louis Alliot, pour qui « c’est Marine qui décide »
La vraie question qui se pose pour le Front National, qui veut s’inscrire dans la logique des partis dits “de gouvernement” et s’institutionnaliser, c’est de se construire des personnalités plus visibles médiatiquement, qui peuvent être vues comme une alternative au leader, au risque de passer pour une entreprise familiale où, pour diriger, le bon patronyme est nécessaire.
La réalité du « système » ?
L’erreur la plus notoire vient sans doute de Jean Christophe Cambadélis et de Nicolas Sarkozy qui, soucieux de ne pas laisser une « tribune » de deux heures à Marine Le Pen, ont alerté le CSA , permettant ainsi à Marine Le Pen de dénoncer une fois de plus le fameux UMPS et de s’embourber dans sa stratégie du « seul contre tous » Elle met en avant une supposée collusion d’un système médiatico-politique – dont elle serait la victime. Les Républicains et le PS sont les meilleurs alliés de Marine Le Pen, qui se niche volontiers dans les draps de la démocratie et s’offusque dans un communiqué de presse de la volonté de l’émission d’organiser un débat « excluant d’ailleurs sans raison les autres candidats à cette élection ». Par leur erreur stratégique, les Républicains et le PS ne font que donner plus de force à l’argumentaire traditionnel du FN.
En annulant l’émission, France 2 ajoute de l’huile à la communication d’un FN qui s’affirme comme étant au centre de la vie politique française, en plaçant sa présidente dans une situation où elle peut se permettre de refuser une émission en prime time.
Une perte de crédibilité pour l’émission
Alors que France 2 avait réussi à s’imposer comme la chaîne des rendez-vous phares de la politique, avec ses émissions de débat comme Mots croisés et Des paroles et des actes (qui permettent d’interroger sur une volonté quasi-exhaustive des personnalités politiques), France 2 écorche son image de chaîne du service public en mettant clairement en avant une volonté d’audimat et un besoin de rentabilité, et donc une volonté de susciter de fortes audiences en invitant des personnalités médiatiques susceptibles de créer l’événement.
Comment la télévision – considérée comme le quatrième pouvoir – peut-elle répondre aux injonctions de présidents de partis politiques qui, conscients de la visibilité procurée par l’émission, se sont précipités pour fixer les modalités de son organisation ? Comment l’émission peut-elle continuer à prétendre être indépendante de la mêlée politique ?
Le face aux Français pour plus d’authenticité

Il semble que la formule en place depuis 2011 doit être repensée et actualisée, surtout dans le contexte d’élections régionales, que France 2 peine à couvrir. Est-ce pertinent d’inclure un débat avec seulement une partie des candidats à la présidence d’une région, dans une émission à portée nationale ?
L’imbroglio de Des paroles et des Actes souligne l’incapacité actuelle du service public français à assurer une bonne couverture médiatique des élections locales.
Bien que France télévisions déclare ne pas vouloir remettre en cause le format de l’émission de France 2, « seule émission du PAF sur une grande chaîne généraliste à une heure de grande écoute », jouissant d’un quasi-monopole sur le paysage audiovisuel français ; le retour de Face à France , sur NRJ 12 (une émission crée en 1987) remet au goût du jour une tendance qui s’inscrit dans les émissions politiques : celle d’un désir d’authenticité de la parole qu’une simple confrontation entre personnalités politiques ne pourrait remplir. L’objectif est clair : arracher le masque du pouvoir à ces hommes et à ces femmes pour les mettre face au quotidien. L’utilisation actuelle des réseaux sociaux dans ce type d’émissions à la manière de C dans l’air, avec sa séquence questions-réponses, s’inscrit dans cette lignée. Il faudrait ainsi voir la confrontation portée par les vrais français, ces gens lambdas qui sans détours sauront apporter un peu de spontanéité dans un débat, alors qu’ils en sont traditionnellement exclus, comme le souligne la visite récente de François Hollande chez Lucette.
Un rapport au parlement sur les orientations de la chaine paru en octobre prévoit la création d’une nouvelle chaine d’information, animée d’une volonté explicative qui se voudrait plus pédagogique. On pourrait penser à un nouveau format court en cohérence avec la ligne éditoriale de la chaîne, qui s’adapte au phénomène du buzz politique amplifié par les réseaux sociaux : le paysage audiovisuel français est peut-être en quête d’une émission politique de type débat accessible à l’ensemble des citoyens.
Jérémy Figlia 
Sources :

http://lelab.europe1.fr/louis-aliot-critique-lomnipresence-mediatique-de-florian-philippot-2540967
http://www.frontnational.com/2015/10/monsieur-pujadas-on-ne-mimpose-rien/
 
Crédits photos : 
http://www.rtl.fr/actu/politique/marine-le-pen-sur-france-2-exigences-contradictoires-colere-et-grande-confusion-avant-l-emission-des-paroles-et-des-actes-7780210304 
http://www.non-stop-people.com/actu/tv/face-france-christophe-beaugrand-cloue-le-bec-christine-boutin-89922

Banlieue
Agora, Com & Société

Banlieues et médias : jusqu'ici tout va bien

« Cette semaine, il y avait le procès de Zyed et Bouna qui est hautement symbolique en ce qu’il est symptomatique de l’impunité policière particulièrement dans les quartiers. Il faut savoir que c’est la mort de ces deux enfants dans un transformateur qui avait embrasé les banlieues en 2005 » affirme le youtubeur Bonjour Tristesse dans sa vidéo du 23 mars 2015. Et en effet, l’accident tragique du 27 octobre 2005 eut à l’époque des répercussions nationales, forçant le Président d’alors, Jacques Chirac, à déclarer l’état d’urgence, une mesure qui n’avait pas été prise depuis l’époque de la guerre d’Algérie.
Les images de ces émeutes violentes restent encore aujourd’hui dans de nombreux esprits : les chaînes internationales comme CNN ou la BBC montraient une France à feu et à sang, dans un déluge de commentaires alarmants qui laissaient présager un futur désastreux pour le pays. Si dix ans plus tard, les émeutes ont bel et bien fini par s’éteindre, l’angoisse née à cette période, celle d’une banlieue dangereuse, mère de tous les crimes et de tous les vices, reste bien ancrée dans l’inconscient collectif.
https://www.youtube.com/watch?v=28cA-L7mB4o
L’accident de trop
Les faits : Clichy-sous-Bois, banlieue de Seine-Saint-Denis, aux alentours de 17 heures. Un employé de funérarium voit deux adolescents, Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) et leurs amis traîner autour d’un chantier de logements sociaux. Il s’inquiète : ces jeunes pourraient venir voler quelque chose. Suite à son appel, des agents de la brigade anticriminalité (BAC) arrivent dix minutes plus tard. Les deux jeunes garçons, effrayés, s’enfuient aussitôt, poursuivis par les policiers. Leur course les amène devant l’enceinte de la centrale EDF, où ils se réfugient. Les trois garçons : Muhittin, Zyed et Bouna, reçoivent une décharge de 20 000 volts. Si le premier, miraculeusement, survit, ce n’est pas le cas des deux autres. S’ensuivent, dès le 30 octobre, deux semaines d’émeutes dans la banlieue qui rapidement, se propagent à travers toute la France. Le 17 novembre, la France redevient calme.
Les derniers soubresauts de l’opinion sont pour le procès des policiers qui ont poursuivi les deux adolescents, accusés de « non-assistance à personne en danger ». Le 18 mai 2015, ils seront définitivement relaxés.
La France divisée : « Ils en ont parlé ! »
L’affaire Zyed et Bouna a divisé l’opinion publique en deux camps bien distincts. D’un côté, ceux qui affirment que les émeutes sont dues à un dysfonctionnement de la justice et qui croient que les deux adolescents sont les victimes d’une société inégalitaire. De l’autre, ceux qui pensent que cet accident est anodin et ne montre pas de faille policière. Partisans de l’une et de l’autre thèse s’affrontent particulièrement violemment sur les raisons de leur mort : les uns prétendent que les jeunes hommes devaient bien avoir quelque chose à se reprocher pour fuir ainsi devant la police ; les autres affirment que bien qu’innocents, la terreur policière est si forte en banlieue qu’ils voulaient fuir les représentants de l’ordre.

 
 

« À la fin tu es las de ce monde ancien »
Le 27 octobre signe les dix ans de la disparition de Zyed et Bouna. Les médias relaient alors de nombreux articles, séries de photos, portraits pour l’occasion, tous marqués par la même interrogation lancinante : « Qu’est-ce qui a changé en 10 ans ? ». Dr Jekyll et Mr Hyde, la banlieue a cette double facette : zone oubliée de la République, coupable de laxisme pour les uns – la popularité de Nicolas Sarkozy s’explique en partie à l’époque par son célèbre : « On va nettoyer au Karcher la cité », de déroger à son principe d’égalité et de fraternité pour les autres. Les médias ont tour à tour relayé ces deux visions antagonistes d’une même affaire, hésitant à décrire un espace qui reste pour beaucoup une terra incognita. Des images-catastrophe de 2005, avec voitures en feu et affrontements multiples aux rétrospectives d’aujourd’hui, comment parler de la banlieue ? Mais a-t-elle vraiment changé, cette banlieue tant fantasmée ? Le constat après tant d’années est largement amer dans la presse aujourd’hui : « Une explosion de colère pour rien ? » titre Libération le 25 octobre.
La nécessité du témoignage : le Bondy Blog
Mardi 27 octobre, je rencontrais Patrick Apel-Müller, directeur de rédaction de L’Humanité, qui au cours de l’interview affirma qu’un projet avait été mis en place avec les étudiants de l’université de Marne-la-Vallée pour qu’ils parlent de leur expérience et de leur vision de la banlieue qu’ils connaissent tant au sein des pages du journal. Le projet n’a pas encore pu aboutir, suite au manque de moyens du journal lui-même, mais cela prouve bien que plus de 10 ans après la mort des deux adolescents, le sujet reste encore présent dans les médias, à travers des initiatives sur le temps long. Le cas le plus célèbre est celui du Bondy Blog, créé par Serge Michel, journaliste au magazine suisse L’Hebdo en 2005 pour couvrir les émeutes. Au fil des années, le blog, véritable pieuvre, s’est diversifié, et aujourd’hui on le retrouve à la fois sur les chaînes de la TNT France Ô et LCP, et sur le site du journal Libération. Le projet est donc au devant de la scène médiatique, et la simple survie du blog semble être déjà un hommage rendu aux victimes du 27 octobre.

 
« Morts pour rien »
Pourtant, loin de se féliciter de leur rôle de porte-parole essentiels pour la survie d’une véritable démocratie, les contributeurs du Bondy Blog sont moroses. Leur réussite personnelle – bien des anciens blogueurs se retrouvent dans des grands médias- n’éclipse pas la réalité bien plus grise de l’environnement dont ils sont issus. Dans « En 10 ans, qu’est-ce qui a vraiment changé ? » Claire Diao affirme: « Si vous me parlez de ces jeunes qui, en 2005, brûlaient des voitures pour rappeler qu’ils existaient, je vous répondrai sans doute qu’en dix ans, la République, elle leur a bien ri au nez ». De même, le 27 octobre, le Figaro publiait un article dans lequel le rappeur Youssoupha revenait sur les évènements de 2005 et leurs répercussions: « Malheureusement les leçons de ces drames n’ont pas été tirées ». Quant au Huffington Post, il titrait dans un article du 16 mai dernier « Dix ans après les émeutes de 2005, où est passée la colère des banlieues ? » La répétition monotone des médias – qui adoptent tous le même titre au mot près – montre que le changement n’a rien d’évident.
Le constat n’est pas seulement présent dans la presse écrite et web. La télévision partage également ces impressions mitigées. C’est ainsi que France 3 réalise un documentaire intitulé « Sous la capuche » qui évoque différents habitants de Clichy-sous-bois et de Villepinte en 2015. Le documentaire conclut « il est toujours aussi difficile de trouver sa place quand on est jeune, enfant d’immigrés, et que l’on vit dans ces territoires ». Quant à la radio, elle se fait l’écho de ces mêmes préoccupations: Europe 1 publie pour l’occasion un reportage signé Salomé Legrand et Cécile Bouanchaud qui conclut: « Car la seule chose qui n’a pas vraiment changé à Clichy-sous-Bois, c’est le sentiment d’injustice, toujours vivace ».
Des médias sans mémoire
Aussi, pour une fois, les voix qui s’élèvent sont harmonieuses: la banlieue est désespérément identique à elle-même. Mais à quoi cela est-il dû ? Pourquoi les médias qui retournent sur le terrain cinq, dix ans après les faits retrouvent la même situation, la même réalité peu glorieuse et s’en étonnent ? Peut-être que la réponse se trouve dans une déclaration de Renaud Epstein, sociologue. Il explique pourquoi il a lancé sur Twitter un « rétro-live-tweet » (rediffusion des tweets de l’AFP pendant les émeutes): « Publier ces dépêches était une manière de sortir de ce que je voyais se dessiner : un gros moment de mobilisation politique et médiatique … pour mieux oublier ensuite ».
Une explication au phénomène d’immobilisme affirmé jusque-là se dessine alors: peut-être que si la banlieue n’a pas changé, c’est que rapidement elle s’est retrouvée loin des feux des projecteurs. Les médias, et ainsi l’opinion publique, ne sont pas restés dans les banlieues après les évènements de 2005. Une actualité en chasse une autre. Certes, des initiatives comme celles du Bondy Blog et toute une culture de la banlieue s’est développée dans le monde de la musique à travers le rap, mais l’actualité ne s’est faite que sporadiquement, au gré des évènements qui pouvaient interpeller l’opinion. C’est ainsi que la plupart des reportages télévisuels ou écrits ont livré au fil des années une image négative de la banlieue, montrant les habitants sous l’angle de la délinquance et plus récemment de la montée de l’intégrisme religieux.
https://www.youtube.com/watch?v=kPNWLSfTY88
Si bien sûr il s’agit d’une réalité qu’on ne peut négliger, il est à noter que cet angle unique est celui adopté majoritairement par les rédactions, et qui propage donc une vision unilatérale de la banlieue. Certes, la considérer seulement à travers les problèmes sociaux et les violences réelles semble réducteur. Pour autant, l’image de solidarité que veulent défendre les partisans de la banlieue sonne creux. Les journalistes semblent avoir péché en privilégiant toujours plus le temps court, et l’actualité immédiate, à l’analyse qui requiert un temps long. Les émeutes de 2005 appelaient un moment de réflexion, de pause pour pouvoir comprendre toute la complexité de cet espace imaginé. Mais cette réflexion n’a pas eu lieu, les médias étant sans doute emportés par la dictature de la vitesse, emportés à grand galop par le développement foudroyant d’Internet. Surtout, depuis le 7 janvier, l’inquiétude s’est déplacée, car le péril semble s’être émietté: il peut venir de partout, de quelques individus isolés. La banlieue n’intéresse plus puisqu’elle n’a plus le monopole de la peur ; elle n’est plus symptomatique, ou de manière bien plus amoindrie, d’un dysfonctionnement de la République.
Depuis la mort de Zyed et Bouna, deux opinions divergentes dominent sans partage: ceux qui s’offusquent de la délinquance et rejettent la faute sur des populations qu’ils identifient d’abord comme des « non-français » ; ceux qui exaltent la richesse culturelle et fraternelle de cette banlieue dans des discours qui semblent quelque peu idéalistes. Le monde des médias semble quant à lui se contenter au rôle de relai neutre d’une situation désespérée. Aucune position intermédiaire n’est donc possible, tant que qu’un temps de réflexion nécessaire n’aura pas été adopté.

 
Myriam Mariotte
Sources : 
http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2005/12/07/le-dernier-jour-de-bouna-traore-et-zyed- benna_718481_3208.html
http://www.liberation.fr/france/2015/10/25/la-revolte-de-2005-une-piece-en-cinq-actes_1408725
http://www.liberation.fr/societe/2010/10/26/zyed-et-bouna-la-poursuite-inavouable_689160
http://www.liberation.fr/societe/2015/05/18/zyed-et-bouna-dix-ans-apres-enfin-le-verdict_1311506 
Crédits photos : 
France TV Info 
L’Obs plus 
Compte twitter du Youtubeur Bonjour Tristesse

Make America great again
Com & Société

The Trump show

Magnat de l’immobilier, star et producteur d’une émission de téléréalité et aujourd’hui, candidat républicain à la présidentielle, Donald Trump est plus qu’un simple homme d’affaires. C’est un phénomène médiatique et politique.
A quatorze mois des élections, les sondages le donnent largement gagnant pour la primaire Républicaine. Trump écrase ses adversaires avec au moins 30% d’opinions favorables. Des chiffres surprenants face au comportement médiatique du candidat, avant tout connu pour ses propos misogynes et racistes. Pourquoi ce qui devrait lui porter préjudice lui donne-t-il un statut de favori au sein de cette primaire républicaine?
Un discours populiste à la rhétorique bien huilée
Son discours d’annonce, prononcé symboliquement dans la Trump Tower, abordait les principaux thèmes de sa campagne. Des thèmes articulés autour d’un nationalisme assumé qui pointe notamment du doigt la Chine comme un danger économique et diplomatique pour les Etats-Unis (« There are no jobs, because China has our jobs »). Un discours démagogique comme première arme pour toucher le cœur des électeurs.
Sa conclusion est éloquente : les Etats-Unis ont besoin d’un leader, d’un homme providentiel. Et cet homme n’est autre que lui-même. Le discours est percutant, les phrases courtes, imaginées comme des slogans dont on retient l’essentiel : Donald Trump « is going to make the America Great again ». Le schéma est simple : « eux », les politiciens, le gouvernement, les médias, ne sont pas capables de rendre aux Etats-Unis leur statut de leader mondial. « Eux », les pays étrangers, les immigrés illégaux « nous » mettent en danger. Ce sont « eux » contre « nous », le vrai peuple. Mais « moi », Donald Trump, je peux assumer ce rôle et c’est pourquoi je me présente. La rhétorique est efficace, en témoignent les sondages mais aussi son omniprésence dans les médias.

Une stratégie du scandale et du buzz médiatique
Cette rhétorique est couplée à une autre stratégie de communication : celle de faire le buzz. En effet, dès le lancement de sa campagne, Donald Trump a su créer la polémique. Sa déclaration sur les immigrés mexicains, les taxant de « violeurs », a été diffusée en continu sur les chaînes de télévision américaines, octroyant une place de choix à sa campagne sur la scène médiatique et dans les esprits des électeurs. Parallèlement, soulignant une fois de plus le paradoxe de sa montée dans les sondages, elle a également provoqué (à dessein) l’indignation de toute une communauté ainsi que des autres candidats républicains.
Sa popularité dans les sondages surfe également sur sa notoriété de star de la télé réalité. Cette identification des deux personnages créés – le showman et l’homme politique – repose sur la similitude de sa campagne avec un grand spectacle dans lequel le personnage de Donald Trump se met en scène dans le costume d’un homme politique. Il exerce une fascination liée à une attirance naturelle du spectateur pour tout ce qui est spectaculaire, divertissant, choquant. Un statut de vedette des médias que Barack Obama résume en ces termes « He knows how to get attention. He is the classic reality TV character ».
Enfin, comme l’explique le journaliste Howard Fineman dans le Huffington Post, son succès reflète un désenchantement politique. Il utilise une lassitude générale des hommes politiques classiques et surtout une érosion de la confiance populaire en la capacité de ces hommes à améliorer leur situation matérielle pour mettre en avant sa différence : c’est un homme d’affaires. Les Américains ne veulent plus d’un homme politique, ils veulent un gestionnaire efficace.

Le scandale permet donc d’attirer l’attention : l’électeur est plus attentif dès lors qu’un discours provoque en lui une réaction guidée par l’affect. Ainsi, sa campagne est avant tout articulée autour d’un constat qu’il fait du monde contemporain : les Etats-Unis vont mal, socialement, économiquement, et sur le plan militaire. Il instille ainsi la peur, celle de l’étranger, de la concurrence, de la destruction du système américain dans la conscience américaine : les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient.
Un buzz dont l’efficacité est mesurable dans les sondages mais aussi sur les médias sociaux.
L’homme se finance seul : une image du rêve américain, celle du « self-made-man », et un argument pour revêtir ce costume d’homme qui dit la vérité, qui dit non au politiquement correct parce qu’il n’est pas manipulé par les différents lobbies. Pas de campagne de publicité à la télévision ou sur YouTube donc. Un compte facebook, un compte Twitter et un site internet. Mais près de quatre millions de likes sur Facebook et 4.38 millions de followers sur Twitter. A titre de comparaison, Hillary Clinton totalise « seulement » 1.5 millions de likes sur Facebook et Ben Carson, « seulement » 719 000 followers sur Twitter. Donald Trump n’est pas seulement un invité régulier des médias : il est une star sur internet. Donald Trump est en effet le nom le plus recherché sur Google parmi tous les candidats à la présidentielle. Sa personnalité outrancière exerce une véritable fascination sur les électeurs américains, qui le retrouvent sur les réseaux sociaux pour suivre ses clashs par tweets interposés et ses commentaires de l’actualité. Une fascination entretenue mutuellement par les médias et par le public, par le biais des sondages d’une part et de la couverture de l’actualité de l’autre.
How many trumps has he now ? (« Combien d’atouts a-t-il encore ? »)
Le personnage de Donald Trump ne s’est pas construit politiquement, sur un programme ou des idées fortes, mais sur des icônes, un slogan et sa personnalité. Son comportement heurte les fidélités partisanes : par ses propos insultants et haineux, mais aussi par sa vantardise omniprésente (« I beat China all the time »). Il entraîne une inertie du débat politique et neutralise ses adversaires. Il est ainsi perçu comme un danger par ses adversaires républicains : il est l’homme à abattre.
Cependant, sa stratégie ne tient qu’à un fil : l’attention que lui portent les médias et le public. Sera-t-elle toujours récompensée dans les sondages dans les 14 mois de campagne restants ?
 
Julie Andréotti 
Sources : 
https://www.donaldjtrump.com/
http://time.com/3923128/donald-trump-announcement-speech/
https://en.wikipedia.org/wiki/Nationwide_opinion_polling_for_the_Republican_Party_2016_presidential_primaries

Donald Trump Is The World’s Greatest Troll


http://www.huffingtonpost.fr/2015/07/27/donald-trump-sondages-election-presidentielle-americaine-2016_n_7881178.html
http://www.rollingstone.com/politics/news/obama-on-trump-i-dont-think-hell-end-up-being-president-20151012
 
Crédits photos : 
Daily News 
 
 

Bannière Obama lol fastncurious
Com & Société, Politique

LOL et politique : un cocktail gagnant ?

Obama monsieur tout le monde ?
Si vous espérez secrètement atteindre votre record de « likes » à chaque photo postée sur Facebook, Barack Obama est quant à lui plutôt fort à ce jeu. Le président américain a en effet enflammé les Internet le 12 février dernier avec sa vidéo Things everybody does but doesn’t talk about, soit Les choses que tout le monde fait mais dont personne ne parle. Comme le titre l’indique, nous plongeons alors dans le quotidien d’un Barack Obama perfectionnant son charisme devant un miroir, dessinant sa femme ou encore prenant un selfie. Accompagné d’un membre de son cabinet, le président joue la carte de l’humour et n’hésite pas à rire de lui-même, notamment lorsqu’il échoue à cette tache si difficile que nous avons tous expérimentée qui consiste à tremper un cookie dans un verre de lait. Le président ne s’arrête pas là et après avoir demandé s’il pouvait vivre sa vie lorsqu’il se fait surprendre en plein match de basket imaginaire, il conclut par un « YOLO man ! », autrement dit, on ne vit qu’une fois.

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Post by BuzzFeed Video.

Si ces images humanisent sans aucun doute le président, leur finalité est évidemment toute autre : attirer l’intention de l’internaute américain sur l’assurance santé dont Barack Obama est à l’initiative. Aussi connue sous le nom « Obamacare », cette réforme vise à permettre aux citoyens les plus pauvres de bénéficier d’une couverture santé. Au cours de la vidéo, il rappelle ainsi l’échéance du 15 février pour s’y inscrire en même temps qu’il s’entraîne devant son miroir. A la fin, les visiteurs sont invités à cliquer sur le lien renvoyant sur le site healthcare.gov. Face à cette vidéo inédite, les réactions des internautes ne se sont pas faites attendre et la majorité d’entre eux saluent cette initiative du président :
« Cette vidéo est un moyen amusant de faire savoir au grand public que la date limite pour choisir une assurance maladie est le 15 février ! »
« Il n’y aura jamais aucun président aussi cool que lui ! »
«  Je ne suis pas fan d’Obama ou de sa politique mais j’ai apprécié cette vidéo. C’est agréable de voir un côté différent de lui. »
Plutôt doué ce Barack.
La mise en scène de la quotidienneté présidentielle
Si cette vidéo nous permet d’apprécier les talents artistiques et sportifs de Barack Obama, cette humanisation n’est pas innocente mais au service d’une stratégie bien bâtie. L’humanisation de la figure présidentielle n’est en effet pas quelque chose d’habituel, la finalité d’un président n’étant pas d’ordinaire de paraître cool ou sympa auprès de ses citoyens. La mise en scène du quotidien joue donc un rôle important qui consiste à rapprocher le président de sa nation, la quotidienneté étant inhérente à chacun de nous. Notons que le selfie est ancré depuis quelques temps maintenant comme une vraie pratique de la quotidienneté. Véritable acte de monstration de soi, le selfie vient ici servir l’extimité de la figure présidentielle dans l’espace public sous une forme totalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués : un président cool avec qui on ferait bien une partie de basket. Rappelons que notre cher Barack n’en est pas à son premier coup d’essai puisqu’il avait participé à un entretien totalement décalé l’année dernière avec le comédien Zach Galifianakis dans Between Two Ferns pour Funny or Die. Des photos d’enfance avaient également été dévoilées lors du « Throwback Thursday » il y a quelques semaines.

BuzzFeed : un choix de média évident ?
Derrière cette stratégie de communication bien rodée adoptée par le président, le choix du média  n’est lui non plus pas innocent et relève d’une vraie réflexion préalable à l’impact de la vidéo. En effet, le pureplayer d’origine américaine Buzzfeed naît à New York en 2006 et rencontre un franc succès dans son pays natal. Avec un total de 150 millions de lecteurs mensuels, la recette de sa viralité repose sur un mélange d’informations légères, de chats, de contenus sérieux et encore de chats. Face à l’engouement et à l’utilisation massive des internautes américains de ce site, le choix de ce support médiatique comme vecteur de la vidéo paraît alors justifié.

Notons que si ce modèle fonctionne très bien aux États-Unis, son adaptation française rencontre quant à elle plus de difficultés à s’implanter dans les pratiques médiatiques des internautes. Si les Américains sont en effet très friands d’articles sur les animaux mignons, l’état d’esprit des Français ne s’inscrit pas du tout dans cette même dynamique. Les Français partagent en effet davantage de contenus d’actualités plutôt sérieux avec une dimension politique. Ce clivage est assez éclairant sur l’importance du culturel et le rapport différent qu’entretiennent France et États-Unis face à ce type de site. On peut ainsi raisonnablement émettre l’idée que le modèle de la vidéo Things everybody does but doesn’t talk about serait difficilement transposable en France : on n’imagine pas vraiment François Hollande dans une telle vidéo pour communiquer sur ses réformes.

Si aucune donnée n’est disponible pour apprécier l’impact de cette vidéo sur le nombre d’inscrits à l’assurance santé, retenons que cette dernière est toutefois rapidement devenue virale et a dépassé en seulement deux semaines les 50 millions de vues et les 500.000 partages sur le compte Facebook de BuzzFeed. Une chose est sûre : les talents en dessin du président ne sont plus à démontrer.
Pauline Flamant
@_Magnetique
Sources :
leplus.nouvelobs.com
lefigaro.fr
Crédits photos :
BuzzFeed

jeu video
Flops, Politique

Le jeu vidéo, un média politique ?

 
A la sortie du dernier opus de la saga Assassin’s Creed, Unity, la voix bien connue de Jean-­Luc Mélenchon s’est élevée pour dénoncer le scandaleux avilissement que le dernier ­né d’Ubisoft infligeait à l’Histoire, et, plus précisément, à « la grande et splendide Révolution de 1789 ».
Le jeu vidéo, un média comme les autres
Pour peu qu’on s’intéresse à la désinformation et au détournement d l’histoire, il y a de quoi hausser le sourcil. Que révèle ce haro sur un jeu vidéo qui n’a jamais eu de prétentions pédagogiques, alors que les romans historiques se multiplient, eux et leur cortège d’anachronismes et de pures inventions, depuis des années ? Le jeu vidéo est un média qui semble affronter les mêmes reproches que ses précurseurs à mesure qu’il se développe. Mais l’inquiétude qu’il suscite lorsqu’il s’empare d’un contexte historique indique peut­-être qu’on a sous ­estimé son potentiel impact idéologique – sauf à considérer qu’Ubisoft, seul leader français du jeu vidéo, ait un devoir d’alignement patriotique. Le jeu vidéo peut-­il être un vecteur d’influence ? Peut-­il véhiculer un message politique sous le divertissement? Peut-­il manipuler, engager, défendre ? Pourquoi la communication de Unity semble-t-elle battre en retraite devant les problématiques historiques ? Il convient de garder à l’esprit qu’aucun langage n’est neutre, le jeu vidéo pas plus qu’un autre : de la même façon qu’un film recèle des partis pris, le jeu a une personnalité signifiante. Néanmoins, beaucoup de jeux dépassent effectivement le simple divertissement pour transmettre des idéologies, des messages, ou tout simplement des valeurs.
Un peu de politique, mais surtout des idéaux flous
Dans Final Fantasy VII, le message écologique est transparent : un groupe de rebelles éco-terroristes affrontent une impitoyable corporation, la Shinra, qui exploite l’énergie terrestre sans considération pour l’impact environnemental que produisent ses agissements. Rien qui ne tende la joue à un réel débat d’idée, contrairement aux manigances polémiques de Robespierre. De même,le joli jeu Proteus propose une balade contemplative dans une nature­ cartoon, où le joueur est invité à explorer sans se presser. Peut­-on qualifier cette visée de politique ? Si aucune idéologie n’échappe à la politique, probablement. Bioshock met en scène une guerre civile faisant rage au sein d’une ville détenue par le camp conservateur, qui refuse d’ouvrir ses portes aux étrangers, et qui s’oppose aux révolutionnaires plus libertaires. Fallout présente un monde post-­apocalyptique dévasté par la radio­activité et la négligeance des autorités sanitaires et politiques. Skyrim développe les idéologies antagonistes d’un peuple nationaliste occupé par un Empire, partisan du droit du sang et réfractaire à la présence d’étrangers, fussent­-ils pacifiques, sur son territoire; l’Empire étant de son côté un envahisseur pacificateur mais régnant sans aucun droit sur sa colonie. On imagine difficilement des sujets plus politiques, mais la réponse n’est jamais clairement définie. Le jeu vidéo se contente souvent d’un paysage politique diffus parsemé de fragments idéologiques : la liberté versus l’administration glacée; l’intransigeance contre la corruption…
Le jeu vidéo a­-t­-il vocation à se politiser?

Comme n’importe quel microcosme social, le jeu vidéo est un formidable observatoire des opinions et des façons d’être. Et comme n’importe quel média, il peut façonner une expérience sociale, qui diffère d’un jeu à l’autre, du communautarisme à l’individualisme, de l’extrême violence à la contemplation, en passant par la réflexion économique. N’oublions pas que nous réfléchissons, comme le métaphorisait Nietzsche, juchés sur notre propre montagne : l’immense majorité des systèmes économiques présents dans les jeux vidéos suivent le modèle libéral, ignorant les autres systèmes. Ce parti pris de ne représenter qu’un modèle unique est éminemment politique, et cette position n’a reçu que peu de critiques. Le jeu vidéo est déjà politique parce qu’il s’empare de problématiques sensibles – mais il échoue à apporter des réponses claires. Mais il ne semble pas exclu de le voir se développer comme un média instrumentalisé : après tout, certains jeux sont interdits dans certains états, en fonction de leur sensibilité (Dead Island en Allemagne, Pokémon en Arabie Saoudite) et de leur…politique.
Pour conclure, une citation de Martin Lefevre, à propos des expériences psychosociologiques qui ont été réalisées à partir d’expériences de jeu, semble s’adapter à cette problématique de l’intérêt politique des jeux vidéo : « (…) C’est aussi et surtout une preuve du potentiel d’évocation de ces merveilleux et terrifiants bacs à sables, où s’inscrivent les grandes questions contemporaines. »
Marguerite Imbert

Sources:

Jeuxvideo.com
News.bbc.co.uk
Gamekult.com
Merlantfrit.net
Franceinfo.fr
Crédits images:
Technobuffalo.com
Merlantfrit.net

Bush
Com & Société

Le Bush s’enflamme pour la peinture

Ils sont nombreux ces artistes  à être descendus des hauteurs du Parnasse pour s’engager dans l’action politique. Mais lorsque c’est un homme politique, un grand homme de la cité, à l’instar de Georges W Bush, ancien président des Etats-Unis, qui se reconvertit dans l’art, on ne peut s’empêcher de se demander s’il s’agit réellement d’une passion qui s’est révélée tardivement ou d’un simple coup de communication destiné à rappeler sa présence au monde et à entretenir un mythe autour de sa personne.
Bien qu’ils aient pour réputation de vivre en dehors de la cité et de ses problèmes, voire même d’en être exclus, les artistes aiment frayer avec la politique. Qu’il s’agisse d’Aimé Césaire, poète de la négritude devenu grand homme politique  martiniquais, de Youssou N’Dour, actuellement ministre sénégalais, ou même d’Arnold Schwarzenegger, acteur de film de série B élu pour deux mandats gouverneur de Californie, les artistes d’aujourd’hui aiment à se mêler au commun des mortels, mettre talent et génie au service du public. L’artiste, l’écrivain, le comédien, ont perdu depuis longtemps cette image de personnage maudit désintéressé des hommes et de leurs soucis et  personne ne semble plus s’en étonner.
Cependant, quand George W Bush révèle dans une interview spéciale accordée à sa fille, Jenna Bush lors de l’émission « Today » du 4 avril dernier, l’inauguration de sa première exposition intitulée « L’art du leadership: la diplomatie personnelle d’un président », la réception de l’information, comme de l’œuvre peut laisser perplexe. Ce n’est pas tant son apprentissage rapide de la peinture et des couleurs comparé à la somme conséquente de ses toiles, une vingtaine au moins qui pousse à l’interrogation du point de vue technique et esthétique. Ce n’est pas non plus le sujet de ces peintures, des portraits de ses homologues internationaux ou sa signature, le numéro 43 comme 43e Président des Etats-Unis qui laissent pantois. Non, c’est bien plutôt cette ambivalence entre homme de peinture et homme politique, dont le mandat reste entaché par le 11 septembre et la guerre en Irak notamment, qui n’est pas sans rappeler celle de grands dictateurs et criminels de ce monde restés incompris, pour leur génie artistique comme leur lignes politiques.

En effet, cette double palette est commune à bien des hommes qui se sont pris pour des dieux créateurs autant que destructeurs. Il semble même qu’il y ait une sorte de malédiction à voir des génies incompris devenir de sombres criminels de guerre. On se souvient, ou pas, du revirement subit de Mao Zedong, connu d’abord pour ses poèmes, ou encore,  de Muhamar Kadhafi, facilement comparable à une rock Star puisque le dirigeant libyen en avait tous les attributs, des costumes aux lunettes noires et au sens de la mise en scène,  de ses caprices de diva à ses coups d’éclats. Mais surtout, c’est à Adolphe Hitler que l’on songe, et amèrement, à l’idée de penser ce qu’il aurait advenu s’il avait été accepté aux Beaux-Arts de Vienne. La liste des incompris et des ratés qui se sont finalement illustrés dans leur art de l’oppression est longue. Quid alors de George Bush et où le placer dans cette galerie de criminels-artistes ?

En ce qui concerne l’ex président américain, le rapprochement semble exagéré et trop grossier, sinon pour les opposants à la guerre en Irak et les anti-Bush, qui restent nombreux à travers le monde et continuent de le dépeindre ainsi. Si on ne peut le cataloguer parmi cette pléiade d’artistes « engagés », on peut certainement féliciter ses conseillers en images, sans doute à l’origine de ce coup de maître, pour ce coup de com. La légende raconte d’abord qu’il aurait, en tout modestie, affirmé à son professeur de peinture qu’il « Il y a[vait] un Rembrandt qui sommeill[ait] en [lui] » et qu’elle n’avait qu’à révéler. Et voilà les journaux qui s’emparent de la phrase qui devient le slogan de l’exposition. Cette passion serait née à la lecture de l’œuvre de Monsieur Winston Churchill lui-même, Painting as a Pastime : et voilà qui la légitime de façon fortuite. Enfin, le sujet de sa peinture, des dirigeants étrangers pour qui le cow-boy aurait beaucoup « d’admiration »  est une manière aisée de se rappeler à leur bon souvenir et de retrouver une place dans le débat politique après s’être fait oublier quelques temps. De là à affirmer que George Bush n’aurait finalement pas grand-chose à dire par sa peinture, il n’y a qu’un coup de pinceau, rapidement esquissé.

Quoiqu’il en soit, selon les dires de l’artiste, la signature vaut plus que le dessin lui-même : une vérité qui montre que l’image du président ne sera jamais supplantée par celle d’artiste peintre, une image qui fait vendre, comme lorsqu’il paradait en armes, et prouve sans doute qu’il est davantage question de génie de communication politique que de génie créateur.

Le retour en politique par la peinture ? Voilà qui pourrait donner des idées à certains s’ennuyant dans l’oisiveté post-présidentielle  et qui peinent à se refaire une place dans le débat. En attendant que les critiques artistiques se prononcent, le buisson américain ne cesse d’étonner la galerie et de générer des bénéfices.
Inès Garmon
Sources
LeMonde
HunffingtonPost
CourrierInternational