Société

#OPCHARLIEHEBDO : Quand l'expédition punitive se conjugue au temps des réseaux

« La liberté d’expression et d’opinion est une chose non négociable, s’attaquer à elle, c’est s’attaquer à la démocratie. Attendez vous à une réaction massive et frontale de notre part car le combat pour la défense de ces libertés est la base même de notre mouvement. »
Voici la réaction du mouvement Anonymous suite à l’attentat terroriste perpétré dans les locaux du journal satyrique Charlie Hebdo, le 7 janvier. Le tweet, posté via un compte baptisé @OpCharlieHebdo, renvoyait vers une version plus longue du message, hébergée sur pastebin. Le format de 140 caractères du petit oiseau bleu paraît quelque peu étriqué pour le message des hackers les plus célèbres du net. Dans un premier temps, le mouvement présente ses condoléances aux familles des victimes et condamne la tuerie des frères Kouachi, qualifiant leur acte « d’assaut inhumain. » Ils se déclarent « écoeurés, choqués » et estiment qu’il est de leur devoir de réagir. S’ensuit leur formule légendaire :
« Nous sommes légion.
Nous n’oublierons pas.
Nous ne pardonnerons pas.
Redoutez-nous!  »
Ce message a été massivement retweeté. Il vise, implicitement, l’ensemble de la communauté djihadiste présente en ligne : sites d’organisations, comptes sur les réseaux sociaux notamment. Il constitue une véritable déclaration de guerre, c’est bel et bien un affrontement entre deux mondes, entre deux cultures latéralement différentes. L’étendue de bits et d’octets qui peuplent internet se travestit sans problème en terrain de guerre. Le mythe d’un média « worldwide » s’effrite. Force est de constater que ces pratiques enracinent encore plus profondément Internet et ses usages dans des logiques territoriales, d’opposition binaire entre le monde qui est occidental, et celui qui ne l’est pas.
Quel mode opératoire pour une expédition punitive virtuelle ?
Deux jours après l’attentat terroriste, les hacktivistes du collectif Anonymous ont mis leur menace à exécution. Plusieurs milliers de sites internet, des comptes facebook, twitter relatifs à la mouvance djihadistes ont été bloqués. Ils publient une vidéo sur le channel Youtube belge du collectif qui a été depuis supprimée. Elle est toutefois visible sur le site du telegraph. Les extraits s’adressent à Al-Qaida et aux membres de l’Etat islamique, en Syrie et en Irak : « Nous allons surveiller toutes vos activités sur le Net, nous fermerons vos comptes sur tous les réseaux sociaux. Vous n’imposerez pas votre charia dans nos démocraties.»

Le quartier général des membres du collectif se distille sur des centaines de canaux de chats IRC (un des protocoles de communication utilisables sur Internet) baptisés « Anonops ». La participation nécessite une connexion VPN (Virtual Private Network), ainsi que le navigateur Tor (The onion router) pour garantir l’anonymat des échanges.

Les hackers listent les cibles sur un document partagé en annexe. Les adresses des sites internet et réseaux sociaux d’organisations et de sociétés désignés par le collectif comme appartenant aux djihadistes sont identifiées et des attaques sont lancées (défacements ou attaques de déni de service la plupart du temps.) Selon un des hackers francophones, Sonic, quelques heures seulement après le début de l’opération #OpCharlieHebdo, les activistes islamistes ont contre-attaqué avec «une telle maîtrise et une telle rapidité qui prouvent que nous combattons des professionnels».
Une opération au succès mitigé
Face à cette stratégie d’attaque (et de communication, il faut le dire) bien ficelée, les experts en sécurité informatique restent dubitatifs. Dans la presse française, c’est la voix du blogueur Bluetouff, alias Olivier Laurelli qui s’est fait entendre via l’AFP. Selon lui, “Les Anonymous ont une organisation très transversale. Tout le monde peut se proclamer Anonymous.” A cela il ajoute : “C’est pas en lançant des dénis de service que l’on va régler quoi que ce soit.” L’expert remet en question l’utilité des actions menées par le collectif de hackers. S’agit-il de marquer les esprits de manière ponctuelle ou d’endiguer durablement le fléau djihadiste ?
Une autre ombre subsiste sur le beau tableau des Anonymous. “A partir du moment où on attaque les réseaux où les jihadistes communiquent entre eux, on interfère dans le travail des enquêteurs ”, a prévenu Olivier Laurelli. En publiant sur pastebin l’identité de terroristes présumés et en attaquant leurs sites, le collectif ralentirait le travail des policiers et rendrait disponible des informations dangereuses aux yeux des internautes civils, ou même d’autres djihadistes. C’est donc une prise de parole en demi-teinte de la part du collectif. Alors qu’ils œuvrent pour délivrer un message univoque et fédérateur, leurs actions révèlent en fait des intentions parfois mal coordonnées. Ils souhaitent faire avancer le combat contre le terrorisme mais entravent l’appareil d’état. Le discours mériterait de s’éclaircir s’il veut gagner en crédibilité.
La faute ne leur revient pas entièrement, dans la mesure où Internet est un média polyphonique par nature. Les comptes s’auto-proclamant « Anonymous » pullulent sur la toile, sur l’ensemble des réseaux sociaux. Le site web opcharliehebdo.com n’avait aucun lien avec le collectif, à l’origine de la supercherie, une agence de marketing spécialisée dans le « viral », rantic.com. Il est donc compliqué d’accéder à une information centralisée, et surtout, compliqué de croire à l’utopie communautaire qui anime ce mouvement, même en étant profondément attaché aux valeurs fondatrices d’internet. Rien ne nous garantit que certains des hackers faisant partie du mouvement Anonymous ont un passé de grey hat, voire de black hat.
Des hackers éthiques, mais pas trop.
Enfin, il reste un doute que seul le temps pourra éclaircir. Si l’on s’attarde sur le message publié sur twitter et pastebin, les éléments de langage propres aux messages du collectif Anonymous sont sensiblement identiques à ceux des gouvernements occidentaux : liberté d’expression et démocratie reviennent systématiquement dans leur discours. Le collectif s’est donc fait entendre de manière profondément consensuelle en réaction à l’attentat, mais le sera-t-il quand les gouvernements français et européens auront à renfoncer leurs dispositifs sécuritaires en réponse à la menace terroriste ?
Si l’on prend le projet de loi antiterroriste datant de septembre 2014, qualifié de liberticide par ses détracteurs, il est permis d’en douter. Le texte de loi prévoyait de renforcer les sanctions à l’encontre des initiateurs d’«attaques informatiques», qui seraient à présent jugés sous le régime de la bande organisée. Des peines de gardes à vue plus longues sont prévues, ainsi que des méthodes d’enquête plus poussées et des peines plus lourdes. De trois ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende, les peines iraient désormais jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 500.000 euros d’amende. La compatibilité entre l’idéologie libertarienne du mouvement et la politique sécuritaire de l’état semble assez faible.
Comme dit plus haut, le mouvement Anonymous épouse parfaitement l’idée de « l’utopie communautaire ». Ce terme évoqué par Patrice Flichy dans l’Imaginaire d’Internet décrit la culture des hackers qui refusent l’informatique centralisée, et voient dans Internet « un dispositif à mettre entre les mains de tous, capable de bâtir non seulement de nouveaux collèges invisibles, mais aussi une nouvelle société » (p.86).
Ils sont profondément habités par une idéologie qu’on peut qualifier de cyber-libertarienne. Leurs combats: défense de la vie privée, de la cryptographie, de l’accès libre à l’information. Ils incarnent avant tout une forme de « contre-démocratie » car ils n’hésitent pas à contourner la loi pour arriver à leurs fins, et se méfient du rôle de l’État en tant que régulateur. Ils se font justice eux-même. En somme, le collectif Anonymous incarne un mythe supplémentaire dans l’imaginaire d’internet, une communauté qui incarne l’esprit de partage, de société civile idéale.
Karina Issaouni
Sources:
Telegraph.co.uk
Patrice Flichy, L’imaginaire d’Internet, 2001, éditions La Découverte.
Letemps.ch
20minutes.fr
Nouvel obs.com
Pastebin
Crédits images
ibtimes.co.uk
wegecon.de/
letemps.ch

Com & Société

Anonymous, hackers éthiques?

Depuis les attentats de la semaine dernière, de nombreuses cyber-attaques ont été réalisées à l’encontre de sites Internet français comme cela a été le cas pour le Mémorial de Caen, le CHU de Strasbourg, le Palais des Papes d’Avignon, l’académie de Créteil, la cathédrale de Nantes… Sur la page d’accueil du site Internet du Mémorial de Caen, un message était écrit : « J’atteste qu’il n’y a de Dieu qu’Allah. J’atteste que Muhammed est le messager de Allah » sur fond noir avec une police rouge. Hier, le média Le Monde a été piraté via son compte Twitter et son site Internet. Grâce aux mécanismes de sécurité, ils ont réussi à empêcher la diffusion de leur propagande. Cette opération de hacking est nommée « l’#opFrance », elle est revendiquée par des hackers du groupe Etat Islamique (EI). Elle a été lancée le 15 janvier afin de faire l’apologie de Djihad. Ce groupe utilise des failles connues et des sites peu sécurisés afin de faire du bruit, de multiplier les cibles et ainsi d’augmenter les retombées médiatiques.

En représailles le groupe Anonymous s’est engagé dans « une guerre » et réalise actuellement de nombreuses contre-attaques à l’encontre de sites, pages Facebook ou comptes Twitter faisant l’apologie de la haine, du terrorisme et du Djihad. Dans une vidéo postée, ils annoncent leur volonté de riposter contre l’attentat terroriste de Charlie Hebdo.

La liberté d’expression a été meurtrie. Charlie-Hebdo, une figure historique du journalisme satirique, a été pris pour cible par des lâches. Attaquer la liberté d’expression, c’est attaquer Anonymous. Nous ne le permettons pas. Toutes entreprises et organisations en lien avec ces attaques terroristes doivent s’attendre à une réaction massive d’Anonymous. Nous vous traquons. »
Ils ont ainsi lancé une campagne de sensibilisation dans le but de recenser tous les sites faisant l’apologie du terrorisme, du Djihadisme… mais aussi pour augmenter leur visibilité, leurs valeurs samedi 17 janvier 2015et le nombre de leurs membres. Ils ont ainsi créé des outils collaboratifs, plateformes disponibles à tous. Ils ont lancé de nombreuses attaques contre ces sites, ou comptes Facebook leur ressemblant.
Cette campagne de défacement (Le défacement est un mot technique désignant la modification, la suppression d’une page internet sans l’accord préalable de l’auteur) !lancée tant par le groupe de l’Etat islamique que les Anonymous est sans précédent comme l’explique Gérôme Billois. (Expert du cercle européen de la sécurité informatique).
En créant ses propres contenus médiatiques Anonymous a réussi à s’introduire dans notre société et s’est transformé en un vrai mythe contemporain. Figure de contestation, opposition aux pouvoirs autoritaires, représente la liberté d’expression… L’association est devenue un emblème de la lutte contre l’oppression. Le masque d’Anonymous est devenu un symbole, un artefact présent dans chaque manifestation : il a investi l’espace public dans le monde entier. C’est donc sans faillir à son image qu’Anonymus s’engage dans cette lutte. (Vous pouvez aller voir ici la déclaration d’indépendance du cyberespace par Anonymous)

Cet événement de cyber-attaque est ainsi pris très au sérieux par les acteurs privés comme le gouvernement. Cela rappelle bien évidemment l’attaque contre la société Sony Pictures. A ce moment-là, Barack Obama avait parlé de « cybervandalisme. ». C’est la première fois de son histoire que l’armée française active sa cellule de crise.
Prochainement, Manuel Valls va proposer des mesures, il oscillera entre la neutralité du net, son verrouillage pour empêcher les cyberjihadistes de nuire et la protection de la vie privée. Nous devrions être attentifs à la légitimation des mesures d’exceptions dans la lutte antiterroriste.
*Un hacker est une personne qui montre une passion pour la compréhension du fonctionnement intime des systèmes, ordinateurs et réseaux informatiques en particulier.
Alexandra Montaron
@AlexandraMontar
 
Sources – Pour aller plus loin : 
Camille GICQUEL, « Anonymous, la fabrique d’un mythe contemporain » (Ancienne étudiante du CELSA)
Pekka Himanen, l’auteur de « L’Ethique du Hacker, »
Une contre histoire de l’Internet à voir ici
Anastassia Tsoukala La légitimation des mesures d’exception dans la lutte antiterroriste en Europe
Francetvinfo.fr
zataz.com
http://tempsreel.nouvelobs.com/charlie-hebdo/20150113.OBS9841/anonymous-et-hackers-islamistes-s-affrontent-au-nom-de-charlie-hebdo.html
lesechos.fr
slate.fr
lesechos.fr
lemonde.fr
lemonde.fr
Crédits images:
Anonymous
Zataz 

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Médias

Un petit écran, escroc mais pas trop

Alors que le CNC (Centre National de la Cinématographie) annonçait pour 2014 une augmentation de plus de 40% de la fréquentation des films français qui ont alors atteint leur plus haut niveau d’audience depuis trente ans, le cinéma Hollywoodien, en berne depuis 2013, ne cesse de reculer. Sur le territoire américain, les performances décevantes de certains gros opus tels que Transformers 4, Hunger Games, The Amazing Spider-Man 2 semblent vérifier une bien regrettable prophétie annoncée par Michael Cieply en 2012 dans Le New York Times qui titrait «  Movies try to escape cultural irrevence  » autrement dit « Le cinéma cherche à redevenir pertinent ». Le cinéma, du moins outre-Atlantique, aurait-il déjà franchi le seuil de la modernité? Le plus jeune des Arts aurait-il subi un vieillissement prématuré? A ce constat s’ajoute l’effondrement du sacro-saint marché de la distribution doublé du déclin amorcé de la 3D. Depuis le piratage et l’éclatement des plateformes de visionnage illégales, le cinéma bataille pour son existence. Pourtant, alors en plein milieu d’une seconde crise d’audience liée au développement des sites de locations de films et de séries télévisées tels que Netflix, ce sont les grands gardiens du cinéma, ces réalisateurs connus qui ont fait du grand écran le bastion de leur succès, qui semblent se désolidariser de celui-ci en s’associant au format sériel du petit écran, dévitalisant encore plus nos cinémas bien amoindris.
Woody l’entourloupette

Signait cette maxime restée culte : « La vie n’imite pas l’art, elle imite la mauvaise télévision ». Prolifique au grand écran, Woody Allen, le réalisateur de Manhattan, abandonne à titre provisoire un septième Art morose, pour se consacrer au petit écran, bien plus tendance en ces temps. C’est précisément le studio de production Amazon Studios qui a annoncé le savoureux projet dans lequel Woody Allen se voit confier l’écriture et la réalisation intégrale d’une saison de huit épisodes d’une demi-heure, baptisée «  Untilted Woody Allen Project » autrement dit Le projet Woody Allen sans titre. Malgré un discours naïf hurluberlu que nous lui reconnaissons bien, « Je ne sais pas comment je me suis mis là-dedans. Je n’ai aucune idée et je ne sais pas par où commencer (…)», difficile de ne pas faire le rapprochement avec l’attribution, et ce, la veille au soir, du Golden Globe à Kevin Spacey, pour son premier rôle dans la série House Of Cards produite par Netflix, un concurrent direct de Amazone Studios.
Petits écrans, grands affronts
Clint Eastwood pour la série Rawhide, Steve Mac Queen pour Au nom de la loi accompagné d’acteurs des plus cinégéniques comme Johny Depp, Brad Pitt ou George Clooney, autant de figures emblématiques du grand écran gagnées par le petit. Hitchcock l’avait très justement présagé dès 1955 avec les anthologies Alfred Hitchcock, ainsi qu’en tournant Psychose avec les moyens techniques de la télévision. L’avenir du cinéma se trouverait donc derrière lui, dans nos écrans LCD, depuis l’érosion de son succès et l’apparition du format sériel. Les plus gros producteurs Américains comme Jerry Bruckheimer, McG, David Fincher, malgré son dernier succès Gone Girl sorti fin 2014, sont aujourd’hui rangés derrière des chaines câblées prépondérantes tels que HBO, Showtime et des sites de locations : Netflix ou Amazone Studios et mènent une guerre d’audience acharnée. Le 7e Art connait une débâcle historique. Le petit écran, longtemps considéré comme un média ringard et peu valorisant pour la carrière d’un acteur se positionne aujourd’hui comme un art à part qui propose aussi bien une densité et une variété des rôles qu’une visibilité telle que le cinéma n’en pourrait jamais donner.

 
Johana Bolender
@JohBolen
Sources :
nytimes.com
slate.fr
lemonde.fr
cnc.fr
Crédits photo :
pro.clubic.com
gq.com