nabilla
Flops

Nabilla, we are watching you

Le 7 novembre dernier, à 8h du matin, grand coup de théâtre en France. Nabilla Benattia, star de télé-réalité aurait poignardé son compagnon, Thomas. Une nouvelle tragique et rapidement relayée faisant l’effet d’un raz-de-marée médiatique.
On l’a adorée ou détestée, certains ont été dingues d’elle, d’autres moqueurs. Une chose est sûre, Nabilla a été en l’espace de 3 ans une des personnalités médiatiques les plus marquantes du petit écran. Repérée dans l’Amour est aveugle sur TF1 par La Grosse Equipe, elle connait sa réelle ascension avec sa participation aux Anges de la télé réalité saison 4 et 5. Une émission où elle cumule phrases cultes et histoires d’amour. En 2013 elle défile pour Jean Paul Gautier, obtient son propre show la même année, et rejoint la bande de Cyril Hanouna en 2014. De prétendante à chroniqueuse sur Touche pas à mon poste, son parcours à la réussite fulgurante l’amène ainsi à être qualifiée de Kim Kardashian française. Cependant, tel Icare s’approchant bien trop près du soleil, Nabilla a brûlé ses ailes, chutant ainsi dans un nouveau bassin médiatique, celui de la prison, là où les retombées ne sont pas aussi avantageuses que celles de la télévision. Malheureusement pour toi Nabilla, tu n’avais pas vraiment prévu ça.
Nabilla, vedette de la médiologie
Lors de ses participations à diverses émissions de télé-réalité, Nabilla est rapidement devenue le centre d’attention, notamment par son corps et des spéculations autour de ce dernier. Une exhibition alors répétée et marquante ayant un impact médiatique de poids, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la presse. Une Nabilla épanouie dans la bonne époque, entre vidéosphère et hypersphère.
Dans son cours de Médiologie générale, Régis Debray introduit la notion de médiasphère qui divise en trois périodes l’histoire des systèmes de transmission culturelle. La troisième de ces périodes démarre avec l’invention de la télévision en couleur et se nomme vidéosphère, où le visible fait autorité et où l’immédiateté règne. Un temps propre à Nabilla où ses apparitions télévisées créent le buzz par son parler vrai, agitant ainsi systématiquement la twittosphère, où ses plus grandes et meilleures frasques sont immédiatement reprises et diffusées. Une quatrième période est proposée par Louise Merzeau, enseignante-chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication, l’hypersphère caractérisant une époque plus actuelle, où dominent les réseaux numériques. Un temps lié au développement d’internet, véritable outil pour la starlette connectée et proche de ses followers. Nabilla, bien dans son temps, peut alors jouir d’une forte présence médiatique faisant ainsi son succès.
Une prisonnière de la sphère médiatique
Que ce soit dans l’Amour est aveugle ou dans les Anges de la télé-réalité, Nabilla était une participante de programme répondant d’une logique panoptique. Concept proposé par Michel Foucault dans son ouvrage « Surveiller et punir », le panoptisme décrit les mécanismes de surveillance et discipline circulant dans les institutions de la société. Enfermée dans une villa, entourée de caméra, le regard des téléspectateurs est rivé sur elle, l’observant, la décryptant. Une surveillance pourtant jouée, valorisant le spectacle de l’émission et le corps même de ses participants. Une sphère dans laquelle Nabilla se situe et dont elle n’a pas le contrôle, non sans lui déplaire. Constamment filmée et analysée, Nabilla forge ainsi sa célébrité des retombées médiatiques de cette surveillance. Couverture de magazines people, plateaux tv, l’image Nabilla fait vendre et attire.
Mais suite à son altercation avec son compagnon, cette logique panoptique a pris une nouvelle tournure. L’épée de Damoclès s’abat. Du confessionnal à la garde à vue, de la villa à la prison, Nabilla bascule dans un autre univers qui au final ne sera pas si différent. Enfermée à nouveau, elle continue d’être observée et analysée par les médias. Cependant cette fois-là, ce ne sont plus ses forces comme son corps, qui sont mises en valeur, mais ses faiblesses, ses incapacités. Aucun contrôle, elle ne peut pas compter sur un montage pour la mettre en valeur. Nabilla est encore au centre de l’attention mais qui cette fois la dessert. La nouvelle de son incarcération, dans une période de vidéosphère, est immédiatement relayée, faisant une fois de plus le buzz, surmédiatisant alors à nouveau la starlette. On parle d’elle, mais cela n’est plus à son avantage. Les retombées médiatiques détruisent sa popularité là où auparavant elles la construisaient. Nabilla est alors une prisonnière, de la prison féminine de Versailles certes, mais également d’une sphère médiatique de laquelle elle ne peut s’échapper. Une sphère où elle est entrée avec la télé-réalité quatre ans auparavant et dont elle ne sortira qu’une fois que son actualité people cessera.
Vers une peopolisation à l’anglaise ?
Ce fait divers amène ainsi à une réflexion sur le futur de l’actualité, de l’information française. Arrivons-nous culturellement vers un modèle davantage anglo-saxon ? L’exemple de l’Angleterre est signifiant, où le yellow journalism* détient une part considérable du marché de la presse, avec une peopolisation de l’actualité qu’on retrouve notamment avec le journal The Sun, tiré à plus de 2 millions d’exemplaires chaque jour. Des faits divers, des informations offrant des records aux sites et journaux français. Comme le montre le Tube dans une émission dédiée à ce fait divers, l’affaire Nabilla, en quelques chiffres pour le mois de novembre, c’est plus de 6000 articles et 715 000 tweets. Le star system s’infiltre dans les médias supplantant ainsi des sujets davantage sérieux aux dimensions moins attrayantes, moins spectaculaires.
Si en ce mois de février, Nabilla est bien sortie de prison, elle demeure toujours enfermée dans cette sphère médiatique, avec une actualité – certes plus faible – portant toujours sur sa vie privée, avec un manager la poursuivant en justice, ou encore des rumeurs de mariage.
*presse à scandale
 Félix Régnier
@filgato
Sources :
Régis Debray – Les cahiers de médiologie
Olivier Aim – Une télévision sous surveillance
Louise Merzeau
Le plus
Le plus – NouvelObs
Le Tube
ledauphine.com

the take application
Société

The Take : nouveau visage du placement de produit ?

Les lunettes portées par Scarlett Johansson dans Lucy vous ont fait de l’œil ? Nul besoin d’écumer les boutiques de produits dérivés à la recherche d’imitations cheap qui vous coûteraient deux points de vision. L’application pour smartphone The Take permet de les scanner dans le film et de vous les procurer, changeant le produit culturel en la plus pointue des boutiques. De quoi souffler sur les braises du débat autour du placement de produit au cinéma et dans les séries.

The Take, pour s’habiller comme dans les films américains
Lancée il y a quelques mois, l’application The Take permet d’acquérir des vêtements, des accessoires ou même l’adresse d’un restaurant repérés dans un film (profil blockbuster américain uniquement). Le principe est simple : grâce à la reconnaissance sonore, l’appli identifie le film qu’est en train de regarder l’utilisateur avant de lui proposer une sélection de modèles portés par les acteurs dans les scènes principales. Avec un hyperlien direct, le spectateur-shoppeur est ensuite conduit vers une plateforme de vente où il trouvera le produit identique ou, lorsque l’appli n’a pas réussi à le trouver, un produit similaire qui fera parfaitement illusion. Une sorte de Shazam vestimentaire, en somme. Voilà de quoi réjouir les fans et désoler les puristes réticents au placement de produit.

De l’efficacité du placement de produit : du cinéma au ciné-marque
Le placement de produit est profondément lié à l’histoire du cinéma, puisqu’il est déjà utilisé par les frères Lumière, puis industrialisé après le formidable succès des bonbons Reese’s Pieces, à la suite de E.T. : The Extraterrestrial de Steven Spielberg. Aujourd’hui, le placement de produit est de plus en plus plébiscité par les marques. En effet, il afficherait un ROI (retour sur investissement) moyen quatre fois supérieur à un spot publicitaire, ce qui se traduit par un gain de notoriété et une envie de se renseigner sur le produit bien supérieure. Comment expliquer le succès de cette publicité clandestine ?
Notre époque est à la saturation publicitaire : la plupart des publicités se confrontent à l’hostilité des spectateurs. Pour beaucoup, la pub, c’est la pause, le moment d’aller se chercher un café ou de zapper, pour ne peut-être jamais revenir, au grand damne des annonceurs. C’est en partie la raison pour laquelle la frontière entre la publicité et le film ou la série – jingle, écran noir ou encore petit garçon de Médiavision surfant gaiment sur son ticket de cinéma – tend à s’amincir et à devenir poreuse. Même au sein de cette distinction initiale, les genres se brouillent, quand certains films ressemblent à de gigantesques publicités et que les marques n’hésitent plus à réaliser de véritables courts métrages artistiques, comme La légende de Shalimar – Le film de Guerlain. Ainsi, les différentes strates du programme audiovisuel s’homogénéisent.
C’est ce double phénomène qui est conceptualisé par Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety et Karine Berthelot-Guiet sous le nom de « publicitarisation » et « dépublicitarisation ».

Valérie Patrin-Leclère, définit la publicitarisation comme « l’adaptation de la forme des médias, de leurs contenus, et des pratiques professionnelles dont ils procèdent, à la nécessité d’accueillir la publicité. »

La notion de « dépublicitarisation », développée par Caroline De Montety renvoie quant à elle à l’action des marques qui développent des dispositifs médiatiques et culturels dans lesquels l’aspect promotionnel est relayé au second plan.
Alors que nous sommes agacés par l’intrusion de la publicité sur nos écrans, et donc sur notre défensive vis-à-vis des marques, nous adoptons une attitude tout à fait bienveillante devant notre programme. Autrement dit, c’est le moment idéal pour une marque de se soumettre à notre regard énamouré.
  Un des multiples placements de produit dans Plus belle la vie.
Et le spectateur est étonnement tolérant ! Une enquête menée par Publicis révèle par exemple que 96% des spectateurs estiment que le placement de produit ne nuit pas à la liberté de création ni à la qualité de l’œuvre et 85% reconnaissent qu’il facilite la mémorisation de la marque.
La relation complexe entre les marques et le cinéma
Le cinéma et les marques entretiennent une relation amour-haine due à leur dépendance réciproque. Le cinéma a bien souvent besoin d’un financement externe : la liberté de création est permise par un investissement des marques, qui influencent également le processus de commercialisation du film, c’est-à-dire sa promotion.
Evidemment, la réussite du placement de produit dépend de l’équilibre entre les intérêts divergents de l’annonceur et du réalisateur. L’annonceur recherche la centralité et la visibilité, tandis que l’auteur du film qui accepte le placement a généralement intérêt à ce que le produit se remarque le moins possible, au contraire, se fonde dans le décor pour ne pas dénaturer le projet artistique initial. Et pour le spectateur, rien n’est plus irritant que d’être ramené à la réalité par un gros plan sur la montre Omega de James Bond au beau milieu d’une scène d’action. Nous voilà embarqués dans une furieuse chasse aux marques pour le restant de la séance, comme s’il s’agissait de « trouver l’intrus ».
Le placement de produit le plus efficace est celui qui s’insère pertinemment dans la fiction, qu’il soit là par simple réalisme (une voiture au logo flouté retient d’avantage l’attention qu’autre chose) ou qu’il serve l’histoire. Une marque est souvent un signe à part entière dans la construction d’un personnage. Elle en dit long sur son origine sociale ou ses revenus, sur son attachement ou son rejet de la mode, facilite l’ancrage de l’action dans un cadre spatio-temporel précis et permet aux spectateurs de se reconnaître en ces personnages. Là, la marque devient désirable car elle ne détonne pas outrageusement. C’est le spectateur qui va entreprendre la démarche de se renseigner sur le produit. C’est là qu’intervient The Take, qui pourrait instaurer une forme de placement de produit alternative et moins indigeste.
L’achat par smartphone, un marché à saisir
Nombre de marques et de producteurs ont décelé le potentiel d’une telle application. Initialement annoncée pour début 2015, l’application Shazam Fashion propose ainsi d’indiquer la provenance des vêtements et accessoires que portent les présentateurs télé et d’accompagner l’achat du spectateur. Ce qui est intéressant, c’est que Shazam Fashion ne fonctionne pas par reconnaissance visuelle du vêtement mais grâce à un système de partenariats avec les producteurs de télévisions américains. Il y a plusieurs années déjà, Andrew Fisher, le PDG de Shazam déclarait dans les pages du Guardian avoir « engagé des partenariats avec plus de 160 émissions de télévision ».
Ce n’est évidemment pas l’amour du 7ème art ou quelque philanthropie qui incite à la création de ces applications mais le marché prometteur de l’achat depuis les smartphones, en nette hausse. Selon une étude, 70% des consommateurs américains ont ainsi effectué un achat depuis leur téléphone portable dans les six derniers mois, contre 59% en 2013. Si les chiffres sont moins impressionnants en France, la tendance est néanmoins identique. C’est ainsi qu’on observe des applis de mode « sourcing » se développer sous diverses formes.
Asap54, par exemple, propose à ses utilisateurs de retrouver l’origine d’un vêtement vu sur un passant à partir d’une simple photo. Une fois la correspondance trouvée, elle redirige l’utilisateur vers le site marchand en question. Et si son système de scan ne parvient pas à trouver de correspondance exacte, plusieurs équivalents proposés. On peut aussi penser à BrandsOnAir et son système de partenariats avec les marques, ou encore à WhereToGet et sa communauté de passionnés qui mènent l’enquête pour trouver la provenance des vêtements photographiés. Cette dernière entretient également un rapport étroit avec les marques, que rien n’empêche d’être des membres à part entière et donc d’encourager les internautes à acheter leurs produits à travers un tracking des recherches et un système de pistage du profil des internautes.

Ces applications de fashion sourcing font du monde une vaste boutique, de chaque passant un ambassadeur d’une marque et de tous les instants une occasion de consommer. C’est d’ailleurs sur cette tendance que Comptoir des cotonniers avait surfé lors de sa campagne Cette page est une boutique.
Louise Pfirsch
@: Louise Pfirsch
Sources :
www.e-marketing.fr
konbini.com
lemonde.fr
histoiredesmedias.com
Valérie Patrin-Leclère, Caroline Marti de Montety, Karine Berthelot-Guiet, La fin de la publicité ? Tours et contours de la dépublicitarisation
Crédits images :
lemonde.fr
e-marketing.fr
konbini.com

tweet seats fnc
Com & Société

Mesdames et Messieurs, je vous prie de bien vouloir tweeter pendant la représentation

Les premiers tweet seats sont apparus aux Etats-Unis dans les années 2011-2012, dans les théâtres et dans les opéras une rangée de sièges au fond des salles devient exclusivement dédiée aux utilisateurs de Twitter. Ces spectateurs qui ne sont pas comme vous et moi, capables de multitasking pendant la représentation, y sont libres de tweeter à condition d’utiliser le hashtag officiel du spectacle. Une publicité apparemment efficace. Auparavant bannis, voilà que les smartphones sont les bienvenus dans les temples de la culture. La pratique s’est logiquement assez répandue, du Shakespeare Festival à St. Louis aux nombreux théâtres de Boston en passant par les orchestres symphoniques d’Indianapolis et de Cincinnati, et même au Public Theater de New York. Et elle est bientôt devenue un sujet de querelle passionnée pour les journalistes et les professionnels qui ont pour les uns loué cette adaptation aux outils modernes de communication ou bien se sont indignés, critiquant l’immixtion de pratiques marketing dans le temps sacré de la représentation.

Cela fait pourtant longtemps qu’au théâtre la représentation traditionnelle est en crise. La coupure sémiotique, selon Daniel Bougnoux, qui permet l’accès au symbolique et se matérialise dans le quatrième mur – la limite entre la scène et la salle – est fréquemment attaquée dans l’art contemporain. De Platon à Brecht, on a en effet cherché à dissimuler la présence réelle de l’acteur, aujourd’hui on la dévoile complètement, les coulisses, les dessous de la pièce font partie intégrante de la représentation. Les acteurs changent de costume sur scène, interprètent plusieurs personnages, changent les décors plateau allumé, les metteurs en scène deviennent eux-mêmes acteurs, feignant d’être simplement au milieu d’une répétition. C’est à présent la technologie qui participe de cette déconstruction des conventions théâtrales. La pratique du live tweet a même gagné la scène, comme au théâtre de Providence dans le Rhode Island où les acteurs tweetent et postent des photos depuis les coulisses pendant la représentation. Depuis le plateau également on semble apprécier ces retours instantanés, créant une nouvelle interaction avec le spectateur.
Les tweet seats pourraient en ce sens être un des éléments d’une réinvention des relations du spectateur au spectacle et ses artisans. Le théâtre, qui peine à renouveler son public, pourrait conquérir de nouveaux auditoires grâce au dépassement de la simple représentation. Toutefois, ces sièges ne sont pas tellement un outil publicitaire qui permet de toucher, au-delà des spectateurs habituels, des gens étrangers au théâtre. Une twittos interviewée par USA Today semble persuadée de pouvoir détourner les gens de l’horrible télé-réalité pour les faire aller au théâtre, pourtant ses followers sont des personnes éduquées à l’art qui ne se contentent pas de la télévision, c’est un public déjà conquis. L’initiative s’inclut tout de même dans ce mouvement qui entend repenser le rôle du spectateur, où il n’est plus question du théâtre comme un lieu quasi-religieux où l’on absorbe de manière passive : au Hutington Theater à Boston par exemple, un membre de la production répondra aux questions twitter, qui seront par ailleurs diffusées sur des écrans dans le hall du théâtre. Il est en fait question d’une interaction qui s’émancipe des codes traditionnels liés au lieu théâtral. Ce n’est cependant pas un renouveau si nouveau que ça. Le public antique n’était pas immobile et silencieux comme l’est notre public depuis un siècle : il mangeait, parlait, réagissait à haute voix, apostrophait les acteurs. Le théâtre devrait en définitive redevenir, grâce aux innovations communicationnelles numériques, un spectacle vivant des deux côtés et cesser d’être un art vertical.
Marc Blanchi
Sources
usatoday.com
Rue89.nouvelobs.com
npr.org
arstechnica.com
La crise de la représentation, Daniel Bougnoux
Crédits images
1.standaardcdn.be

Société

Mikado Stick, le mystère résolu

Alors là, ça va trop loin. Voilà la phrase qui pourrait résumer la grande majorité des réactions suscitées dans un premier temps par la surprenante campagne #MikadoStick, supposée promouvoir un petit nouveau dans la gamme de biscuits Mikado. Ces dernières semaines, les citadins ont en effet vu se multiplier dans les transports en commun des affiches vantant les mérites d’un étrange biscuit, entouré de « rien d’autre que du biscuit », tandis que tous ceux qui allumaient leur télévision y découvraient des spots publicitaires relayant eux-aussi l’information. Peu à peu, grâce à un effet boule de neige, à base de « non mais t’as vu le dernier mikado ? », le mikado stick était dans tous les esprits et dans toutes les conversations autour de la machine à café. Un mikado sans chocolat. Une hérésie marketing, un scandale aux yeux de tout amateur de cacao, mais surtout, une énorme blague de la marque dont le but était en réalité de relancer son Mikado King Choco, en manque de visibilité depuis son lancement.
Surprendre et innover
C’est à la créative agence Romance, connue pour son offre axée sur le digital, que Mikado a confié cette opération. Ayant compris les enjeux des médias sociaux dans la communication moderne, l’agence a donc choisi de tout mettre en œuvre pour inciter les internautes à parler de la marque : et quoi de mieux pour cela que de créer un débat, dont on sait combien les amateurs de réseaux sociaux sont friands. Il s’agissait donc de lancer une bombe, une information rompant avec la logique du produit (un mikado, c’est depuis toujours un biscuit enrobé de chocolat), mais aussi avec la logique tout court (enlever au lieu d’ajouter, c’est aller à contre-courant des stratégies mises en œuvre dans le secteur des biscuits). Cela étant fait, au moyen d’une accroche courte et surréaliste poussant le consommateur à s’interroger (« 0% chocolat, 100% plaisir »), le publicitaire incite ce dernier à se rendre sur les réseaux sociaux et notamment sur twitter, en intégrant dans les prints comme dans les spots télévisés le hashtag #MikadoStick. La marque bénéficiant d’une communauté de fans très active et très engagée, il n’est pas étonnant que le buzz recherché ait parfaitement fonctionné : le #MikadoStick est rapidement devenu le premier trending topic en France sur twitter.

Moquer la publicité traditionnelle pour créer de la connivence : rire « avec » le consommateur, non à ses dépens.
Mais ce qui semble le plus intéressant dans cette opération originale c’est que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le but de Mikado n’était pas de piéger le consommateur en lui faisant réellement croire à la sortie d’un mikado sans chocolat. Comme le rappelle Christophe Lichtenstein, co-fondateur de l’agence Romance, la marque a toujours fait appel à l’intelligence de ses consommateurs, avec lesquels elle a entretenu une relation adulte et forte au gré des campagnes publicitaires. Il s’agissait donc de s’amuser avec les internautes, de faire monter le suspens autour de ce qui se cachait réellement derrière le Mikado Stick, grâce à un community management efficace Ainsi, durant toute la phase de mise en avant du Mikado Stick, les réactions sur twitter ont été nombreuses, et Mikado extrêmement réactif pour rebondir sur les blagues des twittos (8 personnes à temps complet produisant des contenus en temps réel pendant 4 jours) : pour ne donner qu’un exemple, lorsque l’un d’eux s’amuse à lui proposer de « vendre des bouts de bois », la marque répond par un montage humoristique reprenant les codes de ses prints.

Au-delà d’une stratégie digitale efficace, dont l’humour devait déjà alerter le consommateur et le faire réfléchir à la crédibilité de ce nouveau produit, les spots télévisés venaient parfaitement compléter la stratégie de mikado. Reprenant les codes de la communication alimentaire pour mieux les détourner (« la petite faim » de Kinder, l’image de l’enfant héros devenue la marque de fabrique des biscuits Prince …), ces spots humoristiques laissent peu de place au doute. Cependant, force est de constater que beaucoup de clients se sont laissés prendre au piège, notamment les consommateurs peu actifs sur les réseaux sociaux et qui n’ont été confrontés qu’aux prints : malgré le discours de la marque, cette campagne joue donc à fond la carte de l’ambiguïté, créant malgré tout un doute, et donc une attente.

Relancer une innovation produit : un défi
Mikado ne cherchait pas à palier un manque de visibilité de sa marque, mais bien de l’un de ses derniers produits : le Mikado King Choco, dont la particularité est justement d’avoir… deux fois plus de chocolat ! Trois jours après le lancement de la campagne #MikadoStick, de nouveaux prints sont ainsi apparus, mettant en avant le Mikado King Choco et arborant fièrement le slogan « Maintenant, vous savez où on a mis tout le chocolat ». Tout s’expliquait. Après la première phase autour du Mikado Stick, la marque est donc entrée dans une deuxième phase, celle du « mass média » dont le but est de redonner de la visibilité à ce produit, et ainsi de booster les ventes. S’il faudra attendre un peu pour mesurer l’impact de l’opération sur les ventes du King Choco, l’agence Romance estime déjà que l’activité des consommateurs sur les réseaux sociaux de la marque aurait progressé d’environ 300% depuis le lancement. En attendant, vous reprendrez bien une double dose de chocolat ?

Sarah Revelen
Sources
Blog du modérateur
L’ADN
Crédits photo
La réclame
Meltybuzz
Twitter
lulechampdespossibles

Société

Opération « Saint-Valentin »

Si le mois de Janvier est synonyme de restrictions budgétaires post-fêtes de fin d’année, le mois de Février rime quant à lui, avec fleurs, coeurs et chocolats. Oui, la Saint-Valentin débarque dans notre quotidien pour rappeler aux vieux couples qu’il faut économiser pour la sortie annuelle et aux célibataires que le 14 février est un jour comme les autres: métro, boulot, dodo et surtout solo !
Mais la Saint-Valentin, kézako? La célébration de l’Amour avec un grand « A » ou juste un énième prétexte pour nous pousser à sur-consommer?
Le marché de l’Amour en pleine expansion
Aujourd’hui, la recherche de l’âme soeur est devenue un process totalement décomplexé: en témoigne le succès des nombreux sites de rencontres ou applications, mêlant nouvelles technologies et instinct de reproduction. En effet, Meetic, Tinder ou encore eDarling favorisent les rencontres d’une vie… ou d’une nuit tandis que d’autres proposent, sans se cacher, d’adopter un mec (sur fond de musique et de slow motion) et même de partir à la recherche de son amant ou sa maîtresse. Sans complexes, aucun.
Avec l’essor des smartphones et autres tablettes, le « date » ou la simple sortie en club se sont transformés en « match » (comprenez Tinder), les rencontres furtives sur un quai de métro en romance parisienne via un système d’hyper-géolocalisation (Happn) et les « one-night stand » en bulletins de notes (Hookbook).
Il semblerait, en définitive, que ces nouvelles technologies n’entretiennent les relations humaines que par une illusion de proximité. Et l’Amour dans tout ça?
Mais, l’Amour c’est quoi? Un sentiment, un « état d’être » ou un simple terme pour parler d’un « contrat à durée déterminée »? Parce que oui, « en toute chose, il faut considérer la fin. »  
La Saint Valentin, Opération « Marketing »
Pour une grande majorité, la Saint-Valentin n’est plus ni moins qu’une opération marketing: l’association des mots ‘Amour’ et ‘Marketing’ donne un réel aperçu antinomique de ce que représente cette fête souvent considérée comme has-been.
Mais au-delà de ce paradoxe, la similitude effrayante entre le process marketing et notre démarche de séduction est à souligner: phase d’analyse et de diagnostic, segmentation du marché, ciblage, positionnement différenciant, sans oublier le plan de communication cross-media (Facebook, textos et rendez-vous). Suivi d’une phase de fidélisation et d’une notoriété « top of mind ». (Comprenez notoriété de premier rang)
En véritable marqueteur à la recherche de l’âme soeur, on en oublierait presque que l’on alimente un filon très lucratif, une brèche dans laquelle les marques se sont engouffrées et qui, durant une période de plus en plus longue, déversent leur communication « cul cul-pidon » tout en nous faisant croire que nous avons besoin de montrer à notre moitié combien on l’aime de façon matérielle et futile.Cependant, certains annonceurs ont décidé, eux, de prendre le contre-pied de cette tendance en détournant les codes de la Saint-Valentin pour une communication créative et efficace.
A l’image de Wilkinson, qui reprend les symboles de cette fête avec humour.
Ou encore Eurostar, le plus créatif: print minimaliste, accroche courte et efficace.

Less is more.

Une instrumentalisation séduisante
Si on parle d’instrumentalisation de l’amour par les marques, il ne faut pas oublier que les médias y trouvent aussi leur compte. L’amour et ses représentations sont omniprésents dans le système médiatique, qui entretient continuellement une vision édulcorée de l’amour.
En effet, au cinéma, l’amour reste le thème le plus populaire. Et il est souvent dépeint comme un sentiment merveilleux qui vous donne des papillons dans le ventre. Oui, ça c’est vrai. Mais la plupart du temps, ce n’est qu’une mise en scène : par exemple, le film américain Valentine’s Day (LA comédie romantique au casting digne du selfie d’Ellen Degeneres aux Oscars) qui met en scène différentes situations autour de la Saint-Valentin offre un large panel d’observation: la célibataire fragile dont la seule mention de la Saint-Valentin lui donne envie de vomir, le fleuriste, amoureux de sa meilleure amie, le couple gay, etc… L’amour y est présenté de manière romantique, pure et éternelle. C’est la représentation parfaite d’un Amour auquel on aspire. Dès notre plus tendre enfance, on nous scotche devant les contes de fées dans lesquels le prince charmant délivre sa princesse du sortilège de la vilaine sorcière.
Mais la réalité est toute autre et il se crée alors un décalage entre ce que sont réellement les relations amoureuses et celles auxquelles on aspire.
Problème : quand le décalage est trop important, le retour à la réalité est assommant mais on persiste tout de même à croire que cette amourette éternelle d’aujourd’hui sera l’amour éternel de demain. La Saint-Valentin serait donc peut-être le moyen, une fois par an, d’entretenir cette illusion commune, cette norme utopique.
Alors, si pour certains, la Saint-Valentin est l’occasion de raviver la flamme, pour d’autres elle reste un événement purement commercial pendant lequel marques et médias inondent les canaux de transmission de leur discours utopique.
En somme, l’amour est une notion très subjective que chacun se fait au gré de son vécu ; il nous donne des ailes parfois, peut faire mal aussi mais la recherche constante de ce climax a des conséquences dont on connaît les répercussions. Qu’à cela ne tienne, qui ne tente rien n’a rien.
Alizé Grasset

Sources 

Webmarketing-com, advertisingtimes.fr
Crédits Images
ddb-nantes.com, llllitl.fr, strategies.fr, tuxboard.com

newsweek parité FNC
Société

Une parité intellectuelle siliconée

Le 28 janvier 2015, Newsweek consacrait sa Une à la Silicon Valley et à son rapport aux femmes, « What Silicon Valley thinks of women ». La couverture a fait parler d’elle dans les médias en raison de l’ironie qu’elle met en scène avec une représentation de la femme objet. Or, si certains médias ont très vite salué la ridiculisation mise à l’œuvre par Edel Rodriguez, le dessinateur, d’autres y ont vu une caricature sexiste servant la misogynie pourtant dénoncée dans le papier.
Ces réactions contrastées mettent en exergue l’ambivalence de la représentation de la femme dans l’imaginaire social, mais aussi, sa représentation selon et parmi les élites.
Le site Women 2.0 fait état de menaces des fraternités reçues à l’encontre d’un de ses rédacteurs Vivek Wadhwa qui s’attache activement à défendre la place des femmes dans les plus hautes sphères hiérarchiques de la société.
Cette misogynie qui se traduit par le mépris des « cerveaux » de la Silicon Valley, par du harcèlement et parfois par des contrats rompus est souvent justifiée ou en tous cas expliquée par l’isolement du profil des employés de la Silicon Valley. C’est de fait le portrait du geek ou d’un individu n’ayant d’autres contacts avec la gent féminine que dans l’espace de leur foyer où leur autorité n’est pas contestée. Ces justifications qui dressent des portraits type de l’homme qui peuple la Silicon Valley n’auraient-elles pas pourtant tendance à accentuer cette barrière entre l’homme à la pointe de l’innovation capitaliste et de la femme ?
L’imaginaire d’une élite masculine

Certes, plus que le problème de l’égalité paritaire dans les faits, la caricature d’Edel Rodriguez amène à penser la représentation des femmes parmi l’élite et plus précisément dans ce cas, au sein de la Silicon Valley.
La Silicon Valley est elle-même une allégorie des entreprises les plus innovantes basées dans le bassin californien. De ce fait, elle est tantôt fantasmée pour sa création technologique produite par des cerveaux venus du monde entier, tantôt abhorrée pour le capitalisme qu’elle symbolise ainsi que pour les secrets qu’elle abrite.
Ce fantasme s’illustre notamment à travers le succès international de la série The Big Bang Theory. Or c’est bien à travers ces représentations fictionnelles qu’est véhiculé le portrait du génie actuel. Le personnage de Sheldon figure ainsi une intelligence exceptionnelle détachée de toute émotion ainsi que de tout respect envers la gent féminine. Si Sheldon parvient à trouver en la personne d’Amy Farrah Fowler son alter égo féminin, celle-ci demeure attachée à des émotions que n’éprouve pas Sheldon telles que des pulsions sexuelles. En définitive, le personnage de Sheldon flirte avec l’irrationnel et l’émotionnel dès lors qu’Amy Farrah Fowler prend une part grandissante dans son quotidien. C’est donc l’image du scientifique rationnel qui transcende l’humain qui est opposée à celle de la femme ramenant constamment au pathos. Par là même, le travail d’intégration des femmes dans l’élite n’est pas que pratique, il est également fictionnel puisqu’il n’est pas efficient dans les consciences et dans l’image culturelle de la femme.
Une réalité contaminée par la représentation misogyne
Si la Silicon Valley est aujourd’hui le premier lieu qui convoque l’idée d’élite dans l’imaginaire collectif, la presse écrite incarne également le lieu d’une élite intellectuelle au regard de la doxa. En ce sens, la Une de Newsweek n’est pas anodine puisqu’elle transmet une image presque banalisée du rapport entre hommes et femmes au travail. De ce fait, cette Une se fait porteuse d’un sens, celui de l’imaginaire collectif façonné en grande partie par la presse et les médias en général qui établissent le lien entre le démos (le peuple) et le cratos (le pouvoir).
C’est pourquoi les représentants des médias sont aussi les ambassadeurs du progrès social en ce qui concerne l’égalité, la parité puisque ce sont les premiers à notifier les discordances de nos démocraties. Toutefois, la presse qui incarnerait au mieux une élite libérale au sens le plus large du terme, est aussi un média très masculin où la valeur intellectuelle de la femme n’est pas affirmée dans la représentation hiérarchique des rédactions. Ce sont ainsi les exemples de Jill Abramson au New York Times ou encore de Natalie Nougayrède au journal Le Monde. Si ces deux femmes sont parvenues au poste prestigieux de rédactrice en chef dans les faits, leur autorité et leur légitimité ont vite été contestées au cœur même de leur rédaction, ce qui souligne en creux une incapacité de la part de certains intellectuels à reconnaître la supériorité hiérarchique d’une femme par sa culture, sa compétence.
Par là même, plus qu’une réalité factuelle il s’agit bien d’une perception de l’image de la femme, de sorte qu’une femme se verra moins questionnée sur son expertise que sur ses émotions en raison d’une représentation culturelle de la psyché féminine.
Les remèdes sont-ils politiques ?
Depuis la présidence de M. Hollande, l’intégration d’une égalité homme-femme dans la politique a été mise en valeur de sorte que les mesures pour la parité ont été poussées et peut-être poussives.
Certes, il s’agissait par exemple de proposer des listes parfaitement paritaires pour les élections municipales où le nombre de candidats est souvent insuffisant dans certaines communes. Si ces mesures étendues à d’autres sphères comme au gouvernement avec un équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes parmi les ministres, part d’une bonne volonté, le résultat sur la représentation des femmes peut être plus contestable.
De fait, ces mesures indiquent une incapacité à parvenir à une égalité fondée sur le mérite et questionnent la légitimité de toute discrimination dite « positive ». S’il est nécessaire d’imposer un changement pour qu’il ait lieu, ne serait-il pas plus à propos de démontrer par le mérite que la valeur intellectuelle d’une femme est égale à celle d’un homme ? En conséquence, les premiers acteurs de cette démonstration ne pourraient être que les médias ainsi que les génies de la Silicon Valley. A quand une Sheldon au féminin ?
Marie Vaissette
Sources
­Newsweek.com
Courrierinternational.com
Women2.com
Huffigtonpost.com
Allocine.fr
Lemonde.fr
Lemonde.fr

Fast Tweets Bannière FNC
Les Fast

Retour sur les tweets de janvier 2015 (2)

La transmission culturelle : l’écriture, les symboles, l’espace et le temps

© Capture d’écran sur le site BBC Radio 4
Depuis quelques temps, l’émission britannique A History of Ideas de la chaîne de radio BBC Radio 4 – soit l’équivalent de France Culture au Royaume-Uni – réalise de courts clips vidéos pour illustrer et développer une partie des propos tenus dans l’émission.
FastNCurious vous propose de visionner le clip issu de l’émission Simon Schaffer on Humans, Apes and Carl Linnaeus dont la thématique est : qu’est-ce qui nous rend humain ? The Idea of Cultural Transmission.
L’émission opère des rapprochements avec les grands singes pour mieux dégager les caractéristiques spécifiques de l’être humain.
S’il est vrai que nous ressemblons pour beaucoup aux grands singes, nos différences de comportement sont nombreuses et portent surtout sur le rapport vis-à-vis de la technologie. Le terme de technologie est ici à prendre au sens large, il ne doit pas désigner ce que nous entendons aujourd’hui par les technologies électroniques ou numériques, mais bien par tout ce qui relève de la téchnē, c’est-à-dire de la technique et de l’outillage. Les singes fabriquent les mêmes outils depuis des centaines et des centaines d’années, quand ce n’est pas le cas des hommes.
Finalement le principal facteur de différence se trouve dans nos manières de communiquer. Les humains ont la capacité de pouvoir transmettre leurs connaissances et leur culture à travers les générations, l’espace et le temps. Les singes s’observent et se copient, mais ne sont pas capables comme nous de transmettre grâce à des symboles, des moyens mnémotechniques, des objets, des images ou encore des écrits de transmettre leur culture aux futures générations. Nous pouvons transmettre notre savoir à des individus qui vivront bien longtemps après notre mort. C’est ce qui permet l’évolution, et ce qui nous définit ; quand les singes sont voués à répéter éternellement les mêmes schémas.
Les héros de séries sont-ils nos nouveaux amis ?

Adèle Van Reeth, Sandra Laugier, Pacôme Thiellement et Monica Michlin A.L © Radio France
 
Le 24 janvier dernier, l’un des débats consacrés par France Culture dans le forum L’année 2014 vue par la philosophie, s’est intéressé aux séries télévisées. Le titre de la conférence, True Detective : Les héros de séries sont-ils nos nouveaux amis ? a permis de prendre la série évènement de 2014 comme point de départ pour une discussion philosophique. Diffusée depuis le 12 janvier 2014 sur la chaîne HBO, la série en question – True Detective – rencontre un franc succès.
FastNCurious a récemment consacré un dossier complet sur la figure du héros et du anti-héros et c’est sur cette lancée que le blog vous recommande le podcast de cette conférence France Culture.
Animatrice du débat pour Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, Adèle Van Reeth rappelle, avec ses invités, que les séries sont un objet d’étude philosophique très récent. Le tournant actuel est d’étudier des séries qui ne sont pas prises au sérieux par le genre – comme par exemple The Wire et Twin Peaks – et donc de s’intéresser aux séries plus populaires et grand public comme Lost et 24h Chrono.
Les séries sont une forme d’expression artistique qui, comme le feuilleton journalistique, se prêtent à une assimilation de ces œuvres au sein de notre quotidien, et soulèvent des questions. La pertinence philosophique des séries viendrait des personnages, d’où le titre de la conférence sur les « héros de séries ». On s’attache aux personnages avant de s’attacher à l’histoire. Les personnages de séries sont plus forts que les personnages de romans ou de film car ils traversent notre quotidien : on les rencontre régulièrement, dans notre intimité, et ils ont sur nous une force d’éducation morale. Leur vie nous apprend des choses sur la nôtre et nous transforme. Par exemple, la série à succès 24h Chrono – mettant en scène un président des États-Unis noir – aurait habitué les esprits à voir un président noir. En définitive, les séries nous interrogent sur nos propres représentations du monde, en nous confrontant à d’autres.
Comment Facebook est-il en train de dévorer l’industrie médiatique traditionnelle ?

© Slate.com
 
Pourquoi la lecture automatique des vidéos postées sur Facebook est une fausse bonne nouvelle pour les médias institutionnels (les journaux, les radios, les chaînes de télévision…) ? C’est la question que se pose Will Oremus dans un article de deux pages : Facebook Is Eating the Media pour Slate Technology.
Il fut un temps où les internautes cherchant un article journalistique tapaient bien sagement l’adresse URL d’un site d’information ou simplement son nom dans le moteur de recherche. Ils se retrouvaient alors sur le site d’actualité via sa page d’accueil et naviguaient depuis, jusqu’à un article précis. Mais depuis quelques temps (cf l’étude Edelman sortie il y a quelques jours lors du sommet économique mondial de Davos) les internautes passent de plus en plus par des moteurs de recherche ou des agrégateurs de contenus, Google News en tête, sur lesquels ils tapent directement le sujet d’actualité qui les intéressent. Ils n’ont ensuite plus qu’à cliquer sur un lien qui leur a été donné en résultat et se retrouvent instantanément sur la page précise d’un article précis d’un site d’information. Ils en naviguent plus et n’entrent plus sur le site à partir de la page d’accueil, mais y arrivent précisément par un article.
Les choses ne cessant jamais d’évoluer, on remarque que de plus en plus d’internautes présents sur les réseaux sociaux se servent de ces derniers comme portails d’information, notamment Facebook, second site de trafic vers articles d’actualité derrière Google News. Ils sont abonnés aux flux de sites d’informations et découvrent l’actualité par les flux que ces sites postent sur leurs murs, ou timeline… L’an passé, Facebook a inclus à sa plateforme un algorithme de lecture automatique des vidéos. Désormais, vous n’avez plus besoin de cliquer sur un message du NYTimes pour lire la vidéo qu’ils ont posté sur le grand blizzard, mais elle se met en route toute seule, depuis votre page FB. Le problème est que cela ne rapportent rien aux sites d’informations – ni sur les vues, ni sur les revenus publicitaires – étant donné que la visibilité est hébergée par des sites extérieurs.
Pour lutter contre cela et contrer l’algorithme de Facebook qui lance automatiquement par défaut les vidéos, il suffit de se rendre dans les paramètres de son compte, l’onglet vidéo et de les désactiver.

© Capture d’écran Facebook
 
Les réseaux sociaux dans la bouche d’un adolescent

© Back Channel, Teen Talk
Ces derniers jours, un article fait sensation dans le milieu tech, A Teenager’s View on Social Media, sous-titré « Written by an actual teen » : Andrew Watts. Suivi par What Teens Really Think about YouTube, Google+, Reddit and Other Social Media, du même jeune homme.
Ce qu’il dit en quelques mots ? Facebook, c’est déjà du passé. C’est quelquechose qu’on avait quand on était au collège, ou au lycée. Les gens y restent seulement parce que c’est devenu vraiment trop marginal de ne pas y être inscrit. Dorénavant FB n’est presque plus utilisé que pour ses fonctionnalités de groupe, relativement pratiques. FB est manière de rester en contact avec des personnes avec qui tu ne te sentais pas suffisamment proche pour demander un numéro de téléphone. L’attrait d’Instagram est dans qualité des supports photos, et dans le fait que le réseau ne soit pas encore fréquenté par les générations aînées. Snapchat permet d’être soi-même sans être rattaché à son identité sociale, c’est addictif et libérateur. Il n’y a aucune pression sociale, les échanges se passent dans l’intimité, dans le réseau des amis. Et il y a aussi un côté très storytelling, où l’on crée l’histoire de notre journée. Tumblr c’est une sorte de société secrète, tout le monde en fait partie mais personne n’en parle. On suit des pseudos et on est suivi par des pseudos. Il n’y a aucune identité sur le site, et on peut même changer l’URL de son blog autant de fois qu’on le souhaite. Linkedin, on doit être dessus alors on est dessus. Youtube a radicalement changé le monde, tout le monde l’utilise, on y va tous les jours, il est pratiquement impossible de ne pas passer par YouTube. C’est un grand marché où il y a de tout, et chacun trouvera toujours quelque-chose qui l’intéresse. Google+, je ne connais personne qui l’utilise, j’ai laissé tomber parce que je trouve que c’était trop compliqué, il faut à chaque fois attribuer une personne à un certain cercle…
Et si les journalistes n’avaient plus besoin de cameramen ?

© Capture d’écran meta-media.fr et branchez-vous.com
Canne à selfie, perche à selfie, bâton-selfie, selfie stick… Ces multiples expressions désignent le même objet, mais à l’heure d’aujourd’hui, aucun consensus n’a été adopté, que ce soit autour de son nom, de son utilisation, ni même de son utilité…
Le blog de la Prospective de France Télévision Meta-Media nous a permis de découvrir une petite nouveauté dans le monde du journalisme : l’usage du « bâton-selfie » pour les petits reporters. En effet, il ne s’agit pas encore de se filmer avec son smartphone dans un contexte de guerre en Syrie ou encore Irak. Pour l’instant, le phénomène ne touche que les petits reporters, ces journalistes envoyés spéciaux pour une chaîne toute info ou dépêchés sur une manifestation ou un grand salon. Ce fut le cas d’Aura Lopez (que l’on voit ici tout en bas à droite de la photographie), lors du CES (Consumer Electronics Show), évènement consacré aux nouvelles technologies. Ce nouvel objet a fait son entrée sur le marché grand public depuis à peine un an mais sa pratique s’est déjà diversifiée. Ce dispositif permet de faire des selfies du nouveau genre, en accordant une place beaucoup plus grande à l’arrière-plan. C’est donc tout naturellement que ce nouveau gadget a été accaparé par les touristes, histoire que tout le monde sache bien où ils sont partis en voyage…
Rapidement, les journalistes lui ont trouvé un nouvel usage : permettant de se filmer soi-même, le bâton selfie devient un formidable outil pour tous les journalistes freelance en manque de moyen ou les rédactions en pleines coupes budgétaires s’économisant le service d’un véritable cameraman de profession.
Cela nous renvoie une fois de plus au processus de démocratisation de la production de l’information. Cela a commencé par Internet avec l’apparition des blogs, puis a été suivi des photos d’amateurs que l’on a accusés de tuer le métier de JRI (journaliste-reporter d’images), pour maintenant en arriver à une mise en danger de la profession de cadreur…
Marie Mougin
@mellemgn

Com & Société

Quand le monde se lève pour Charlie

L’onde de choc
Au lendemain des attaques perpétrées contre Charlie Hebdo, journal hebdomadaire satirique, la France est en état de choc. « Le 11 septembre français » titre Le Monde, ou encore « La liberté assassinée » pour Le Figaro.  « Horreur », « carnage », « boucherie » reviennent constamment dans la presse. Mais si la France est la première touchée par cet attentat, c’est un hommage unanime que les rédactions du monde entier ont tenu à rendre aux victimes de l’attentat et à la liberté d’expression.
C’est ainsi que douze journaux Québécois ont publié en Une la caricature de Mahomet de Cabu, publiée pour la première fois le 8 février 2006. Nombreux sont les journaux qui firent le choix de publier plusieurs des caricatures ayant créé la polémique, rendant ainsi hommage à leurs auteurs. Le New Yorker rend pour sa part un hommage symbolique à Charlie en publiant sa Une sous forme de dessin, mettant en scène une Tour Eiffel flottant dans un nuage rouge de sang et dont le sommet se transforme en crayon. Une belle façon de laisser entendre que le crayon qui se dresse ici fièrement vers le ciel triomphera toujours sur la barbarie.
Le crayon, outil de travail du dessinateur de presse, apparaît d’ailleurs dans de nombreuses Unes telles que celles du journal norvégien Bergens Tidende ou du journal belge DeMorgen. Souvent présenté comme l’unique arme du dessinateur, le crayon devient un véritable symbole de dénonciation du rapport de force inégal qui s’est instauré ce jour là entre journalistes et terroristes.

Bon nombre de quotidiens ont également réagi en titrant leurs Unes en français. C’est notamment le cas du journal danois Information qui titre sa Une « Nous sommes tous Charlie Hebdo », du Berliner Morgenpost allemand qui titre un sobre mais parlant « Je suis Charlie » ou encore The Sun qui titre un puissant « Je suis 4 million ».
Au total, ce sont plus de 70 Unes de presse mondiales qui seront publiées à la suite de ces attaques.

Le soutien face à l’horreur
Nombreux sont également les journaux qui, au-delà de leurs Unes, ont tenu à apporter leur soutien dans leurs pages. Le site Algérie Focus exprime ainsi sa consternation et sa solidarité envers Charb, Cabu, Tignous ou encore Wolinski et souligne qu’ils sont « morts de rire », avant de rappeler que les journalistes de Charlie Hebdo n’ont jamais hésité à heurter ou à fâcher pour s’exprimer librement.  Le quotidien algérien El Watan invite lui à ne pas céder à l’amalgame et à la stigmatisation des communautés musulmanes. Le magazine marocain Tel Quel publie quant à lui l’interview réalisée en 2012 avec Charb dans lequel le caricaturiste affirmait préférer « mourir debout que de vivre à genoux ». Du côté de l’Asie, un chroniqueur du South China Morning Post affirme que les discours racistes ou incitant à la haine doivent être condamnés.
Suite aux tragiques événements, une marche républicaine est organisée le dimanche suivant les attentats. Elle devient la manifestation la plus importante depuis la libération de la capitale à la fin de l’occupation nazie, et le quotidien russe Moskovski Komsomolets rappelle que c’est seulement la deuxième fois dans l’histoire de la France moderne qu’un président de la République participe à une manifestation. De son côté, l’Allemagne indique dans son quotidien économique Handelsblatt qu’en manifestant par millions, les Français « ont écrit l’Histoire ». On retiendra également cette image très forte d’Angela Merkel, les yeux fermés et penchée sur l’épaule de François Hollande dans un instant de compassion profonde « qui montre ce que l’Allemagne ressent quand la France pleure ».
Au-delà des réactions de la presse, le soutien envers la France s’est également manifesté au travers des nombreux rassemblements qui se sont déroulés à travers le monde, accompagnés parfois du chant de la Marseillaise à San Francisco et Madrid notamment.

La plume plus forte que l’arme
Au-delà du soutien manifeste des populations du monde, c’est toute la profession des dessinateurs de presse qui est en deuil. Parce que ces hommages se passent de mots, nous vous laissons observer vous-même l’étendue du soutien des dessinateurs du monde :

La censure face à la peur ?
A la suite des attentats perpétrés contre Charlie Hebdo, le journaliste Simon Jenkins écrit dans The Guardian « C’est le moment pour que les éditeurs et rédacteurs en chef de publications grand public à travers le monde honorent les journalistes assassinés de Charlie Hebdo en refusant de s’autocensurer ». Cependant, force est de constater que plusieurs organes de presse anglo-saxons ont fait le choix de ne pas diffuser les caricatures de Mahomet.  Le Telegraph ainsi que le New York Daily News ont ainsi décidé de flouter le dessin. Ces décisions ont suscité de vives réactions chez les internautes qui décrivent comme « lâches » ces organes de presse. Le Telegraph et le New York Daily News ne sont pas des cas isolés, puisque même le New York Times et le Wall Street Journal se sont abstenus de publier les caricatures en préférant des images dénuées de toute référence religieuse. Du côté de la télévision, CNN ainsi que toutes les grandes chaînes américaines ont également refusé de diffuser les caricatures. Paradoxalement, certains de ces journaux anglo-saxons qui se refusaient à diffuser les caricatures jugées trop controversées ont opéré le choix éditorial de mettre en image l’acte terroriste en Une, tels que le Courier Mail, le Daily Telegraph ou encore le Herald Sun.
« Ils ont tiré, mais qui a armé les tireurs ? »
Si la majeure partie des journalistes apporte soutien et hommages à tous ceux touchés par ces attaques, la Russie s’est montrée quant à elle beaucoup plus critique à l’encontre de la France. Un parti pris adopté par le site d’actualités Vzgliad qui considère que la France fait preuve de laxisme, en précisant que les « français ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes ». Le rassemblement républicain du 11 janvier est également moqué, qualifié d’élan « naïf » et « pathétique ». Le journaliste Mikhaïl Boudaraguine précise que « le président français est coupable d’avoir donné naissance à l’Etat islamique et il en porte la responsabilité ». Un point de vue délicat à assumer en cette période de deuil et d’hommages.
L’assassinat des caricaturistes de Charlie Hebdo dans leurs locaux provoque ainsi une véritable onde de choc dans le monde entier. Entre indignation, hommages et tristesse, le monde est bouleversé et la presse ne manque pas de consacrer de nombreuses pages à ces événements tragiques à l’origine d’un véritable écho médiatique mondial.
Pauline Flamant
Sources :
Courrier International, n°1263 du 15 au 21 janvier 2015
Lefigaro.fr
Vanityfair.fr
Divertissonsnous.com
Lemonde.fr
tempsreel.nouvelobs.com
Courrierinternational.com
Crédits images :
The New Yorker
DeMorgen
Bergens Tidende
Information
Berliner Morgenpost
The Sun
Thibault Camus/AP/SIPA
Reuters Fabrizio Bensch
AP Photo DPA Stephanie Pilick
AFP Peter Macdiarmid
AFP Photo Peter Parks
AFP Photo Marco Bertorello
AFP Photo Armend Nimani
AFP Photo Daniel Mihailescu
AP Photo Leo Correa
Ernesto Benavides
AFP Photo Don Emmert
Afp Photo Marc Braibant
Liniers
Ruben
 

aionmultijoueur
Flops

Les jeux multi-joueur : le prix de la gratuité

The Elder Scrolls Online, MMO issu de la célèbre saga de Bethesda, vient de renoncer au format économique de l’abonnement mensuel, après son intronisation tapageuse qui débouche sur un bilan plus mitigé.
Face au multi-joueur se dressent des obstacles nouveaux : des consommateurs qui ont bien l’intention de tirer parti de l’offre surabondante, une concurrence asiatique très active, nourrie également par quelques géants scandinaves et américains, et une communauté de plus en plus exigeante, avec de nouvelles habitudes de consommation.
Le produit payant, un modèle de consommation menacé d’obsolescence ?
Le modèle d’abonnement mensuel, incarné par l’emblématique World Of Woarcraft (Blizzard), est en crise. Fort de ses dix années d’ancienneté, de son caractère et de sa communauté composée de plus de dix millions de joueur, Blizzard s’est taillé une place de choix sur le marché et a su garder sa place de leader, s’assurant un quasi monopole pendant une longue période. Néanmoins, de grands noms comme Eve Online parviennent à s’insérer sur le marché, en lançant un challenge à ses joueurs : payer l’abonnement, ou gagner le droit de jouer gratuitement par la performance. Allant plus loin dans la guerre des prix, le précurseur d’un mouvement pérenne, Guild Wars II, propose un modèle de paiement plus souple : le consommateur paie le produit de base, et dispose ensuite d’un temps de jeu illimité. En revanche, les mises à jours importantes sont payantes.
La norme aboutie de cette évolution : le modèle free-to-play. Ce modèle est à distinguer du freemium : même si ces deux phénomènes surfent sur la même dynamique, ils ne répondent pas à la même politique. Le freemium, également connu sous le nom de pay-to-win, est, comme son nom l’indique, la possibilité de bénéficier d’un régime de jeu facilité par le biais de l’achat. En d’autres termes, ce système permet d’améliorer ses performances sans fournir le moindre effort.
Le modèle free-to-play n’est pas nécessairement freemium. Il repose essentiellement sur une donnée délicate : l’envie de personnalisation. Il s’agit d’acheter du contenu individualisant destiné à sse démarquer des autres joueurs, mais qui n’a aucune influence sur les performances du jeu.
Si le modèle économique a changé, c’est parce que le consommateur s’est également métamorphosé. Moins fidèle, plus impératif, il papillonne d’un échantillon à l’autre sans s’attarder, et surtout, sans s’engager financièrement. Ou du moins, pas sans contrepartie immédiate. La nouvelle cible des studios de développement ne manque pas tant d’argent que de temps.
Lorsque Edouard Rencker évoque le postulat d’un produit prêt à être consommé à la seconde où il est désiré, avait-il à l’esprit le prodigieux essor du cash shop ? En somme, le consommateur achète un jeu paramétré pour lui, ses goûts, son emploi du temps. Cela n’est pas sans rappeler cette obsession générale dela consommation personnalisée…
Et c’est dans ce contexte que The Elder Scrolls Online s’élance sur le marché, la bataille perdue d’avance.

Le brand content, fer de lance du free-to-play
Surfant sur cette tendance de l’ultra-personnalisation, du gain de temps et de cette réticence à s’engager, un nouveau genre de jeu multi-joueur a vu le jour : le jeu gratuit. Au départ lancé par de nombreux MMO coréens, ce modèle connait une croissante fulgurante, multipliant les prouesses graphiques et les promesses d’inédit. Le principe est simple : il suffit de télécharger. Il est tout à fait possible de progresser et de profiter de la richesse du jeu sans débourser un centime.
Seulement, le joueur finit par payer. Comment arriver à persuader un joueur de payer s’il n’en a pas besoin ? Si on laisse de côté le système freemium, qui joue sur le gain de temps en utilisant le classique procédé de l’appât, tout le pouvoir de persuasion du free-to-play joue sur le désir de personnalisation. Reposant sur un des piliers du marketing, qui consiste à faire perdre de vue ses repères rationnels au consommateur pour l’amener sur le terrain de l’émotionnel, cette stratégie s’appuie sur un community management à l’écoute et le développement du brand content. Un bon exemple de cette stratégie est Blizzard, initiateur de conventions très médiatisées mêlant cosplay, démonstrations, promotions commerciales et festivités.
Cependant, le maître du brand content est probablement Riot, le producteur de League of Legends, égérie de l’e-sport.

Ce court-métrage produit par Riot bénéficie d’une bande-son créée spécialement pour l’occasion, et accumule quelques 5 000 000 de vues en trois jours sur la page Facebook de League of Legends.
Le jeu lui-même n’a rien à voir avec l’expérience audio-visuelle que représente cette vidéo, le seul lien étant l’un des personnages du jeu qui est mis en valeur par ce mini-film. Ainsi, la marque créé du contenu sans changer son support de base, ce qui représente pourtant une véritable valeur ajoutée pour celui-ci.
En plus de faire l’étalage des indéniables talents de la direction artistique de Riot, cette vidéo est porteuse d’un fort contenu émotionnel qui, pour tout joueur potentiel, est désormais connecté au jeu lui-même, facilitant la décision d’achat de contenu facultatif…Comme payer 4,99 euros pour débloquer le héros de cette vidéo. Cette stratégie marketing apparaît redoutable : ce jeu, pourtant free-to-play, est le premier mondial avec 67 millions de joueurs en 2014…et 946 millions de dollars de chiffre d’affaires la même année.
Pour parachever ce triomphe du modèle économique free-to-play, il faudrait y ajouter le facteur gain de temps… League of Legends, bientôt sur vos smartphones ?
Marguerite Imbert
Sources :
facebook.com/leagueoflegends
jeuxvideos.com
generation-nt.com
millenium.org
gameblog.fr
Crédits photos :
wccftech.com
quickmeme.com

Agora, Com & Société

StopDjihadisme : analyse d'une vidéo controversée

« Comme le prévoit la loi antiterrorisme votée récemment, la priorité, c’est de travailler sur Internet, c’est là qu’une partie de la radicalisation se forme » indiquait Manuel Valls, au lendemain des attentats de Paris. La réplique ne s’est pas fait attendre. Mercredi 29 janvier, le gouvernement a donc mis en ligne un clip vidéo visant à lutter contre l’embrigadement djihadiste sur Internet. Ce clip s’inscrit au sein d’un site spécifique, intitulé www.stop-djihadisme.gouv.fr. La vidéo, qui comptabilisait déjà plus de 150000 vues dans les heures suivant sa diffusion, n’en finit pas de faire parler d’elle : interdite aux moins de douze ans, violente tant physiquement que verbalement… D’aucuns dénoncent déjà son manque d’efficacité. Faut-il y voir un échec communicationnel du gouvernement, ou au contraire un objet de contre-propagande réussie ?

#Stopdjihadisme : Ils te disent… par gouvernementFR
Le poids des mots, le choc des images
Le principe de la vidéo est simple : dénoncer l’écart entre le fantasme des discours djihadistes et la réalité. « Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause », disent-ils. Réponse du gouvernement : « En réalité, tu découvriras l’enfer et mourras seul, loin de chez toi ». « Viens fonder une famille avec l’un de nos héros », disent-ils encore. Réponse du gouvernement : « Tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur ». La vidéo frappe ainsi par sa violence verbale. Mais celle-ci ne serait rien sans la violence des images : le triomphe des djihadistes de Daesh défilant lors de la prise de Raqqa laisse soudainement place à des scènes de crucifixion. Le tout sur fond d’une musique lancinante. Le clip s’achève sur ces mots : « Les discours d’embrigadement djihadistes font chaque jours de nouvelles victimes. #StopDjihadisme ».
Cette vidéo n’est pas sans faire penser aux films de propagande cyber-djihadiste d’Omar Omsen, cyber-recruteur qui aurait permis plusieurs dizaines de départs de candidats au djihad vers l’Irak et la Syrie. Elle en reprend tous les codes : effets spéciaux, montages vidéos, extraits de jeux vidéo, fond de musique hypnotique. C’est donc à un exercice de contre-propagande, utilisant les codes de la communication cyber-djihadiste, que se livre le gouvernement français. Cette vidéo, au lendemain de sa diffusion, fait déjà l’objet de critiques. Comme pour tout objet de communication, il convient donc d’en analyser la cible et les objectifs, afin de conclure à leur éventuelle inadéquation.
http://fastncurious.fr/letrangere/letat-islamique-fusils-tweets.html/

Une efficacité limitée ?
A qui cette vidéo est-elle destinée ? A qui parle-t-on ? L’emploi de la deuxième personne du singulier dans cette vidéo est à cet égard révélateur : « Tu mourras seul », « Sacrifie-toi », « Tu découvriras », etc. Le tutoiement rappelle lui-aussi un procédé largement utilisé par Omar Omsen et les cyberdjihadistes. Comme le rappelle Raphaël Liogier, sociologue à l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix en Provence, auteur notamment de Le Mythe de l’islamisation, essai sur une obsession collective, l’emploi du « tu » montre que le gouvernement a bien compris comment s’adresser aux jeunes tentés par le djihad. Car c’est bien des jeunes dont il s’agit ici. Le support médiatique utilisé, à savoir une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, renforce cette idée. Christian Gravel, directeur du Service Internet du Gouvernement, explique ainsi : « Nous allons diffuser largement cette vidéo sur les réseaux sociaux, afin de toucher au maximum les jeunes sensibles à ces thèses et à ces sirènes. Nous espérons que cela va provoquer chez eux un choc ». Même analyse chez Dounia Bouzar, anthropologue directrice du Centre de prévention des dérives sectaires, qui voit dans ce type de support le « meilleur moyen de toucher les jeunes ».
Pour autant, quelle efficacité cette campagne peut-elle avoir ? « La jeunesse n’est qu’un mot », rappelait Pierre Bourdieu dans Questions de sociologie. Cibler les jeunes, n’est-ce pas trop vague ? Nombreuses sont les interrogations concernant les jeunes déjà radicalisés. Représenter la violence de l’Etat Islamique n’aurait qu’un effet limité, voire contre-productif : pour les gens endoctrinés, cette violence est légitime. D’autre part, les récents événements ont montré les ravages des thèses conspirationnistes. Comme le souligne David Thomson, auteur de Les Français djihadistes et journaliste à RFI, « pour ces jeunes, souvent adeptes de la théorie du complot, tout ce qui vient du gouvernement est frappé du sceau du mensonge ou de la manipulation ».
http://fastncurious.fr/jakadi/une-petite-histoire-du-conspirationnisme.html/
Eric Dénécé, du Centre Français d’Etudes sur le Renseignement, achève de détruire le clip gouvernemental : ce n’est pas avec « cette gentille documentation » que l’on va « récupérer des gens qui ont un penchant pour le djihad » (Source RMC).
Si, d’autre part, le choix du support vidéo est le plus à même de toucher les jeunes, quelle est la réalité de la radicalisation sur Internet ? Rappelons à cet égard que parmi les auteurs des principaux attentats ayant touché la France et la Belgique depuis deux ans, aucun ne semble s’être radicalisé sur Internet. Qu’il s’agisse de Mohammed Merah, de Mehdi Nemmouche, d’Amedy Coulibaly ou des frères Kouachi, tous se sont radicalisés en prison et non en regardant des vidéos d’Omar Omsen…
Guerre médiatique et ambiguïté gouvernementale
Si l’efficacité de cette vidéo semble être remise en question, il s’agit de la replacer dans un cadre plus large qui est celui de la lutte contre le cyber-djihadisme. L’analyse de cette vidéo, au sein de ce dispositif englobant différents aspects – lutte contre la radicalisation, surveillance de certains sites, « Responsabilisation des acteurs du Web » annoncée le 20 janvier par Bernard Cazeneuve, numéro vert anti-djihad… – apparaît révélatrice de certaines ambiguïtés. Ce discours de lutte contre le cyber-djihad n’est-il pas lui-même qu’une posture communicationnelle ? Les sites djihadistes constituent une mine d’informations précieuses pour les autorités policières. David Thomson énonce ainsi « les autorités ont-elles vraiment envie de supprimer ce qui reste la première source de renseignements sur l’activité de l’Etat islamique? » Selon le juge antiterroriste Marc Trévidic, 80% des affaires terroristes sont réglées grâce à des preuves trouvées sur Internet…
Entre inefficacité supposée et ambiguité gouvernementale, quelle est alors la fonction de cette vidéo ? Si l’on reprend la typologie énoncée par Robert K. Merton, on peut voir dans ce clip la coexistence d’une « fonction manifeste » et d’une « fonction latente ». Nous l’avons vu, cette vidéo s’inscrit manifestement dans le combat controversé de la lutte anti-djihad. Les critiques pleuvant sur elle s’attachent à remettre en question cette fonction manifeste. Mais il s’agit de prendre un peu de recul : la cible de la vidéo n’est peut-être pas seulement les jeunes, mais aussi et surtout les cyber-djihadistes eux-mêmes. On peut y voir un geste à destination de ces cyber-recruteurs. Cette première réponse médiatique du gouvernement est une réplique communicationnelle adressée aux djihadistes.

Le nombre de hashtags « StopDjihadisme » sur les réseaux sociaux, au même titre que les bombes de la coalition lancées sur l’Irak et la Syrie, fait partie de la lutte globale contre les djihadistes. Internet est devenu un champ de bataille. Et si cette vidéo ne permettra peut-être pas de dissuader les candidats au djihad de partir, elle a au moins le mérite d’envoyer un signal fort aux terroristes : le djihad n’a pas le monopole de la communication.
Alexis Chol
Sources :  
rmc.bfmtv.com
www.stop-djihadisme.gouv.fr
abonnes.lemonde.fr/pixels
www.egaliteetreconciliation.fr
lefigaro.fr (1) et (2)
20minutes.fr
ouest-france.fr
news.vice.com
slate.fr
Crédits photos :
atlantico.fr
tuxboard.com
gouvernement.fr