Médias

Téléréalité: recyclez-moi ces bimbos !

Des personnes volontaires et sélectionnées sont mises en situation, filmées et leurs images sont montées et diffusées en épisodes : depuis Loft Story en 2001, le succès de la téléréalité n’a cessé de croitre, tellement que l’on a compté en 2015 pas moins de 36 émissions de téléréalité en France. Ce format télévisé repose en partie sur le choix des candidats, à celui qui permettra le plus d’audience et de buzz, à l’image du célèbre « Non mais allô quoi ! » de Nabilla Benattia. Comment choisir ces candidats pour un succès maximal ? Il semblerait que le recyclage des bons candidats soit la solution.
Cibler « le plus bête des français »
La téléréalité est souvent dévalorisée, rejetée dans les dires comme relevant d’un sens moral dévalorisant. C’est que son succès s’explique par un public varié, entre identification aux personnages ou, à l’inverse, contre-identification à ceux-ci. Qu’elle plaise ou non, la téléréalité est regardée. En effet elle doit être vue pour pouvoir en parler le lendemain ou la critiquer. C’est ce qu’explique Nathalie Nadaud Albertini, sociologue des médias interrogée par Le Monde : « De la même façon que l’on a expliqué le succès d' »Hélène et les garçons » en son temps. On regarde soit au second degré, soit parce que l’on est attaché à tel personnage parce qu’on y retrouve un peu de soi, soit pour pouvoir en parler avec les autres. ». Pour regarder la téléréalité, pas besoin d’aimer, en somme.

Ainsi, c’est un public varié qui vient augmenter l’audience des émissions. Et la cible est par ailleurs très large, puisque, comme le souligne une monteuse de téléréalité, l’émission doit être comprise par « le plus bête des français ». De cette manière on assiste à des épisodes très peu denses en contenu, avec des répétitions, commentaires et retours en arrières incessants. Dans le cas de l’émission de W9 Les Princes de l’amour, pour un épisode d’environ trente minutes, quatre minutes forment le générique de début, s’en suivent deux minutes de rappel des épisodes précédents puis l’épisode est ponctué de multiples flashbacks pour rappeler les évènements précédents. Il est donc possible de comprendre l’épisode sans avoir vu les autres, peu importe notre situation sur l’échelle de la bêtise humaine apparemment.
Quel cocktail idéal ?
L’avantage de la téléréalité sur les séries télévisées, c’est la gratuité du participant, qui veut « avoir le droit » de bénéficier de cette expérience. Seulement tout le monde ne peut pas être candidat. Il faut répondre à certaines caractéristiques pour constituer un groupe idéal, avec différentes personnalités qui vont attirer l’oeil du téléspectateur, et pour cela, rien de mieux que la bimbo.

Dans une interview des casteurs de téléréalité, sobrement intitulés à l’occasion « casteurs de cons », l’un deux explique : « La vérité, c’est que les chaînes veulent toujours la même chose : des gens trash et caricaturaux, des histoires d’amour, des plans culs et des prises de tête entre candidats. Le cocktail idéal, c’est bimbo, rigolo, beau gosse, médiateur et petit coq. ». Et ce n’est pas un cas à part, puisque une monteuse témoigne également « Il y a toujours la bimbo, le Belge et le jet-setter. ». Un schéma type du groupe des candidats qui permet d’exhiber des profils exacerbés, et qui, entre eux, vont créer des liens d’amitié, d’amour mais surtout du clash, des disputes qui vont permettre un maximum de commentaires sur l’émission.
Un autre casteur décrit à son tour le candidat idéal, dans le rôle de la bimbo : « Un bon candidat, c’est d’abord quelqu’un d’extrêmement caricatural. Si je vois une cagole, les sourcils épilés, le décolleté affriolant et qui mâche très fort son chewing-gum, je sais que c’est bon. Si, en plus, elle a un accent à couper au couteau et qu’elle massacre le français, c’est que du bonus ! ». Pour dénicher ces candidats caricaturaux, les casteurs épient les lieux qu’ils fréquentent le plus : réseaux sociaux, boites de nuits et salles de sport. Seulement, lorsque l’on trouve la perle rare, la bimbo parfaite, pourquoi s’en séparer ?
Tous les mêmes
La principale difficulté de la téléréalité est de faire durer sur des promesses qui ne peuvent être toutes tenues, comme la nouveauté des candidats, qui tendent à ressembler aux précédents. Si les premiers filmés escomptaient de la starification sans en être assurés, étant réellement spontanés, les candidats suivants ont surjoué leurs personnages pour s’assurer de devenir des stars. Pour contourner cet écueil, les téléréalités ont trouvé une astuce imparable : recycler les candidats. En effet, voir évoluer un candidat que l’on connait déjà, qui correspond au candidat type, dans différentes émissions, renouvelle les programmes et assure une audience, puisque le public suit ses nouveaux idoles. Depuis 2011, les émissions qui réutilisent des anciens candidats fusent, à commencer par l’émission phare du recyclage : Les Anges de la télé-réalité, diffusée sur NRJ12. Le concept est simple : reprendre des candidats d’autres émissions, au delà de la frontière des différentes chaînes, pour créer un nouveau groupe. Un ou deux candidats sont cependant des nouveaux, qualifiés d’ « anges anonymes », permettant un léger renouveau.
Les candidats qui enchainent les téléréalités deviennent de véritables professionnels de ces émissions, à l’image d’Amélie Nethen qui a participé à 11 émissions de téléréalité – dont 6 saisons des Anges et 3 de Secret Story – de 2010 à 2016. Seulement il semblerait plus intéressant de recycler les candidats sur des émissions différentes, plutôt que sur plusieurs saisons d’une même émission. En effet la saison 8 des Anges de la téléréalité annonce dans son teaser « de nouveaux candidats, encore jamais vus dans les Anges ».

Ces candidats ne sont pas pour autant novices de la téléréalité, puisque, pour la majorité, ils sont issus d’autres émissions telles que Secret Story, Qui veut épouser mon fils ?, The Voice et Koh-Lanta sur TF1, Les Princes de l’amour et Les Marseillais sur W9 et Friends Trip sur NRJ12 : un échange entre des chaînes et des formats différents de téléréalité, pour se renouveler tout en recyclant. C’est pour l’instant pari réussi puisque le lancement des Anges a battu des records avec 5,0% de part d’audience, le plaçant leader TNT. On n’a donc pas fini de voir des bimbos mâcher très fort leur chewing-gum nous annonçant : « ben moi je vais vous prouver qu’on n’a pas qu’une lune parce que c’est statistiquement impossible ».
BONUS :

Adélie Touleron
Twitter
Sources :
Grazia, Profession: casteurs de cons pour émissions de téléréalité, Patrick Thévenin, Fév. 2013 
Rue 89, Téléréalité: si les images se répètent, c’est que vous êtes trop bêtes, Barbara Krief, 14/02/2014
Le Monde, La téléréalité en questions, Joël Morio, 12/04/2013

Société

Airbnb: la Nuit au musée

On connaît la rengaine : s’il n’est pas déjà chez vous, Airbnb est partout ailleurs. La bête noire des petits et grands hôtels s’impose encore davantage sur le marché de la location, et ce malgré la peur des grandes villes de voir le nombre de leurs habitants baisser au profit d’une population plus saisonnière. A Paris notamment, il est hors de question de voir la ville Lumière se changer en ville Fantôme ; c’est pourquoi la municipalité a récemment mené plusieurs « opérations coup de poing » en faisant la chasse aux « multipropriétaires récidivistes » et à l’ « hôtellerie clandestine »… Pourtant, si à Paris on craint qu’Airbnb ne change la capitale en musée, à Chicago, c’est le musée lui-même qui invite.
Van Gogh is in the place
Quelle n’est pas la surprise des utilisateurs de trouver un beau matin sur la plateforme une annonce de Van Gogh lui-même, vantant les mérites de sa petite chambre décorée « in a Post-Impressionist style ». Toutefois, à dix dollars la nuit (9€), le peintre reste modeste. Il n’a besoin d’argent que pour acheter ses peintures, précise-t-il… Et qui serions-nous pour priver Van Gogh de ses couleurs ? Il ajoute néanmoins qu’il serait heureux de nous offrir des tickets d’entrée pour son exposition à l’Art Institute de Chicago. Quelle générosité !
Et pourtant, les bons Captain Obvious vous le diront, l’artiste a peint sa petite chambre à Arles (et non à Chicago), il n’a jamais connu le succès au cours de sa vie et surtout, il est mort depuis une bonne centaine d’années.

C’est finalement l’Art Institute himself qui est à l’origine de cette idée. Afin de promouvoir la nouvelle exposition, « Van Gogh’s bedrooms », les organisateurs ont reconstitué la chambre exactement telle qu’elle apparaît dans les tableaux du peintre, avec son chapeau de paille, sa perspective si particulière et ses murs bleus. La touche du peintre y est quant à elle parfaitement reconnaissable.
J’irai dormir chez vous

Plus besoin de regarder par le trou de la serrure, venez donc passer la nuit ! Immergez-vous dans l’univers de Van Gogh ! L’originalité de la démarche n’est plus à démontrer, la campagne de communication a été un franc succès et la collaboration avec Airbnb, pleinement assumée. Le community manager de l’institut a lui-même passé la nuit dans la chambre. L’expérience est relayée sur Twitter, sur Instagram et bien sûr, sur Airbnb où les utilisateurs sont invités à commenter leur nuitée, assurant à l’exposition une visibilité à moindre frais, une sorte de bouche à oreille 2.0. L’humour dont ont fait preuve les organisateurs a assuré à l’exposition une large couverture médiatique et l’utilisation d’une plateforme telle qu’Airbnb a permis d’atteindre un public sans doute moins familier du peintre. On le sait, la population des musées n’évolue plus depuis près de quarante ans. L’utilisation toute récente des réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter ou Instagram, permet sans doute d’atténuer la barrière entre une institution et son public, d’interagir plus facilement avec ce dernier, mais pas forcément de le renouveler. C’est en cela que la contribution d’Airbnb est intéressante : au-delà de l’aspect humoristique de la démarche, toute personne recherchant un logement sur Chicago sera susceptible de tomber sur l’annonce, et ce, qu’elle soit connaisseuse ou non de l’œuvre de Van Gogh.
Le magazine Télérama, se prêtant au jeu, a même imaginé la « visite virtuelle d’un possible futur Hôtel des Peintres » où chaque chambre serait la reconstitution d’une œuvre connue comme A Woman in the sun de Hopper, ou bien encore La Chambre Bleue de Picasso…
Le principe n’est pourtant pas novateur. Avant même la création d’Airbnb, l’Aubergine Rouge, une chambre d’hôtes à Arles, attirait ses clients grâce à sa chambre Van Gogh, recréée elle aussi d’après le modèle du peintre.

Un carnet d’adresses bien rempli
Ce n’est pas la seule adresse insolite que l’on trouve sur le site. Bien qu’il s’agisse de sa première collaboration avec un musée, Airbnb est réputé pour avoir hébergé des annonces de location concernant des lieux de tournage célèbres. Ainsi peut-on louer une maison de Hobbit en Nouvelle-Zélande, ou bien à Seattle, l’appartement d’Anastasia Steele et de Christian Grey dans le sulfureux 50 nuances de Grey. Plus récemment encore, la célèbre Alfred Rosenheim Mansion, surnommé la Murder House dans la première saison d’American Horror Story s’est elle aussi retrouvée sur la plateforme. Et malgré les dispositions de la ville de Paris face aux dérives immobilières, Airbnb a su organiser pour les plus curieux, une nuit dans nos célèbres Catacombes le soir d’Halloween.
Allez savoir à qui cette publicité est le plus profitable : à l’Institut ? Ou à Airbnb lui-même ? Disons que c’est bien là le principe d’une collaboration, on ne sait pas trop qui aide qui. Une chose est sûre, dans le chambre de Van Gogh, vous pourrez dormir sur vos deux oreilles… ou presque.
Marie Philippon
Sources :
Mathias Thépot, « L’invasion Airbnb, une préoccupation majeure pour Paris », La Tribune, le 16/01/2016
Le Monde, Big Browser. « Dormir dans La Chambre de Van Gogh », le 17/02/2016
Emmanuel Tellier, « Si la chambre Van Gogh est prise, neuf autres tableaux où passer la nuit », Télérama, le 12/02/2016
Crédit images
Airbnb, « Van Gogh’s Bedroom »
Twitter : Art Institut, retweet de Tim Schraeder le 25/02/201
Instagram : artinstitutechi, The Art Institut of Chicago

Société

Du pareil au mème

Ci-dessus, l’enfant qu’on ne présente plus. A l’origine un bébé sur une plage, il a fait le tour de la toile et a été baptisé « Success Kid ». Les plus pessimistes l’ont surnommé « I Hate Sandcastles ». Quoi qu’il en soit son histoire ne s’arrête pas là. En février 2012 il devient la star d’une campagne de publicité de la marque britannique Virgin Media. Vous avez vu l’avant, voici l’après :

Récemment, Yomoni a lancé une campagne de publicité basée sur la rhétorique du mème, posant ainsi la question de la pertinence d’une telle stratégie, de plus en plus discutée et parfois préconisée dans le milieu du marketing.
Je suis bilingue web, viens on parle !
Le mème est « un anglicisme utilisé pour décrire un élément ou un phénomène repris et décliné en masse sur internet ». Il peut prendre la forme d’une vidéo, mais on le connait plus souvent sous celle d’une photo, reprise et détournée au moyen de phrases humoristiques surimposées. Il s’agit souvent d’images insolites ou drôles qui se prêtent à une multitude d’interprétations. Il ne tient alors qu’à l’internaute de faire preuve d’imagination, de créativité et d’humour. Ce dernier élément est essentiel au mème et constitue un des ressorts majeurs pour une campagne publicitaire. De plus en plus, les marques cherchent à établir une relation avec leurs publics plutôt que de vendre directement un produit. Passer par le rire ou le sourire est un moyen d’entrer en contact avec des publics potentiels ou déjà constitués. Le capital sympathie du mème est grand et favorable à la marque qui se le réapproprie.
Il est également pour la marque une manière de montrer patte blanche. Si elle s’adresse à un public plutôt jeune (les moins de 40 ans), l’utilisation du mème permet de lui fait comprendre qu’elle parle sa langue. En s’appropriant les codes de la culture web que ce public a en commun, la marque met en place les conditions d’une connivence qui ne peut que favoriser, ou même renforcer, le lien qu’elle entretient avec sa cible. En voici un exemple, qui repose sur l’utilisation du « Y U NO » Guy des Rage Comics, dont la popularité ne cesse d’augmenter.

Partage-moi…
Le mème dans une campagne d’affichage est l’irruption d’une rhétorique web dans un espace extérieur au web. C’est précisément cette hybridation qui constitue l’intérêt du phénomène : internet est en train de devenir le média le plus chronophage, reprendre ses codes semble être une évolution logique et évidente des discours publicitaires qui doivent s’adapter aux usages de leurs publics. Le mème permet de capter l’attention grâce à un effet de surprise double : le format d’une part – celui d’un panneau d’affichage dépasse largement celui d’un écran d’ordinateur et crée une impression de gigantisme amusante – et la présence encore rare des mèmes dans les espaces d’affichage. Sachant que la problématique principale pour les publicitaires est celle de capter et de retenir l’attention, les mèmes sont une réponse encore originale et pertinente.
Par ailleurs, le mème est un phénomène viral fondé sur la reprise et le détournement. En reprenant un même ou en créant un même, une campagne publicitaire incite à la reprise de son contenu et impulse une dynamique favorable à la marque. Celle-ci peut se reposer dessus pour créer le « buzz », une des façons les plus efficaces de faire parler de soi. Il s’agit de donner la parole à ses publics en les invitant à la réappropriation, tout en misant sur leur bienveillance du fait de la connivence instaurée.
De la pertinence de ce discours
En se reposant sur la réappropriation de son contenu par ses publics une marque s’expose cependant à l’éventualité d’un « bad buzz ». Il faut en effet accepter de perdre le contrôle sur le discours initial. Il faut également faire attention à ne pas faire du même pour du même (comme cela a été le cas pour Wonderful Pistachios… Faites-vous un avis :

 
Et de fait, les marques sont encore réticentes à l’utilisation des mèmes, surtout pour des campagnes d’affichage, en publicité. Pourtant, à en croire le nombre d’articles postés sur internet à ce sujet, le « memevertising » est une pratique qui prend de l’ampleur, surtout aux Etats-Unis pour l’instant, et qui commence à émerger en France.
Yomoni est un service de gestion d’épargne, exclusivement en ligne, qui s’est récemment fait connaître grâce à une campagne d’affichage dans le métro parisien, dont voici un échantillon :

Il s’agit d’une bonne illustration de la rhétorique du mème pour établir un premier contact (c’est la première campagne publicitaire du service) avec des cibles potentielles : humour, décalage, visuels, typographie, simplicité des messages. Par ailleurs, Yomoni fait ici preuve d’une très grande cohérence dans son discours. Etant un service exclusivement en ligne, l’utilisation d’un code du web apparaît comme naturelle et démontre ici son efficacité. Etant également un service de type nouveau, le recours à une campagne inhabituelle permet de démontrer par l’exemple son approche novatrice du monde de l’épargne.
Le même est une des évolutions que l’on peut observer dans le monde de la publicité. Il démontre la volonté de s’adapter aux usages des publics : le temps croissant passé sur internet et des phénomènes viraux qui démontrent l’appétit des internautes pour la réappropriation des contenus qui circulent. Cependant, les marques avancent avec précaution du fait de la difficulté de la mise en place d’une communication virale.
Sophie Miljkovic
Sources:
L’ADN, Yomoni, première campagne de communication. In : L’ADN. 18/01/2016
Bouilhot, Elodie, La réappropriation des mèmes internet dans la publicité est-elle légitime ? In Slideshare. Publié le 26/11/2014.
Cléry, Hugo, Quand la publicité récupère la culture internet. In : Blog du modérateur. 11/09/2012
Markowski, Jordan, The Best Examples of Meme Marketing. In : Sparksheet. 10/04/2013
Vaughan, Pamela, 10 Popular Memes Masquerading as Marketing Campaigns. In: Hubspot Blogs. 07/06/2012
Wikipedia, Mème internet
Crédits photo:
http://blog.hubspot.com/blog/tabid/6307/bid/33197/10-Popular-Memes-Masquerading-as-Marketing-Campaigns.aspx
https://www.yomoni.fr/blog/premi%C3%A8re-campagne-de-pub-pour-yomoni
http://knowyourmeme.com/memes/success-kid-i-hate-sandcastles

Agora, Com & Société

Télé-crochets : en voie d’essoufflement ?

Né dans les années 50 avec l’Eurovision en 1956, le télé-crochet est la version télévisée du radio-crochet qui lui existe depuis les années 30. Depuis, de nombreuses émissions se sont succédées face au succès de la première en France, Le petit conservatoire de la chanson, diffusé dès 1960. On a vu émerger et se révéler des noms comme Françoise Hardy, Mireille Mathieu, Guy Lux ou encore Jacques Martin et son adorable Ecole des Fans où Vanessa Paradis a fait ses débuts.
Puis, plus aucun télé-crochet ne voit le jour jusque dans les années 90/2000 où l’on voit arriver en masse de nouveaux formats, sur le modèle télé-réalité avec des candidats récurrents. Depuis, il ne se passe plus un vendredi ou samedi soir sans croiser un de ces formats sur les chaînes françaises.
Trop, c’est trop
Star Academy, Pop Star, X factor, Incroyable Talent, The Voice, The Voice Kids, Rising Star, The Cover, Prodiges… la liste est longue des shows vocaux, revenus en force à partir du début des années 2000 avec la Star Academy. Lancée en 2001, l’émission annonçait une longue période de chant suite à de très bonnes audiences (11 872 000 téléspectateurs pour le soir de la finale de la première saison, soit 51,4% de part de marché).
Arrêtée en 2008 sur TF1, tout comme la Nouvelle Star sur M6 en 2010, on a cependant vu revenir ces deux derniers sur des chaines de la TNT (NRJ12 et D8, respectivement) en 2012, face au franc succès de The Voice qui lança cette année-là sa première saison et qui a redéfini les codes du concours de chant télévisé. Cette dernière a également réalisé le meilleur démarrage d’un télé-crochet en France avec une moyenne de 9 124 000 téléspectateurs (soit 37,9% de part de marché) entre 20h50 et 22h55.
Depuis, de nombreuses chaînes essayent d’en tirer leur épingle du jeu et ont sans doute cru à un nouvel attrait du public pour les télé-crochets, mais le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles feraient parfois mieux de s’en abstenir… La Star Academy n’a fait qu’une seule saison sur NRJ12, The Cover lancée sur D8 en octobre 2014 a été arrêtée en cours de diffusion face à son échec, tout comme Rising Star qui avait débutée sur M6 en septembre 2014 pour être arrêtée deux mois plus tard.

Un concept fédérateur et transgénérationnel
Mais alors pourquoi ce concept est-il tant réutilisé depuis plus d’un demi siècle ?
Pour Thierry Lachkar, patron de la société de production Shine France, « les concours de talent font partie des genres appréciés par le public » car ils sont « fédérateurs » et « transgénérationnels ». « Le concours de chant a quelque chose d’unique, il est compréhensible par tous et traverse les décennies ».
En effet, le télé-crochet n’exclue aucun téléspectateur et possède cet atout d’identification pour le public : les candidats sont dans la majorité des cas des inconnus avides de reconnaissance. Le candidat de télé-crochet vient de partout, n’a pas d’âge particulier et provient aussi bien de sa chambre, d’une comédie musicale à succès que des couloirs du métro.
Enfin, selon Alexandra Crucq, directrice du développement chez le producteur indépendant Newen (Plus belle la vie par exemple), c’est « un produit qui rassemble les familles et ne fait pas fuir la publicité. Ce genre bénéficie d’une mécanique éprouvée qui rassure les téléspectateurs et les diffuseurs ». Bénéfique pour tout le monde donc.
Mais il faut aussi, trouver le bon programme, à l’heure où beaucoup de formats sont des créations étrangères. Ainsi, quand TF1 a acquis The Voice il n’était diffusé qu’aux Pays-Bas et en France peu de professionnels y croyaient, alors que les producteurs se disputaient Rising Star qui était un énorme succès en Israël…
Le secret réside dans l’adaptation du format : « Nous vivons dans une période où des créations télévisuelles arrivent tous les jours. Cela implique de mettre à jour nos programmes, de les rafraîchir en nous appuyant sur les expériences des années précédentes, souligne Monica Galer, présidente de FremantleMedia France qui produit la « Nouvelle star ». Il faut prendre en compte les spécificités culturelles de chaque pays. Par exemple, un prime time en Angleterre dure une heure une heure trente, en France, deux heures trente. Nous devons faire preuve de créativité pour étirer un format d’un pays à l’autre. » Et selon Thierry Lachkar, « Il faut réfléchir par rapport à un format et non à un genre, chercher des améliorations pour surprendre le public, trouver de nouvelles épreuves, des procédés qui ne sont pas des gadgets. »

Où en est-on aujourd’hui ?
The Voice a repris fin janvier sur TF1 pour une cinquième saison et le succès est toujours au rendez-vous : 7,25 millions de téléspectateurs (soit 36,5% de part d’audience, meilleure audience de la soirée) ont suivi les premières auditions à l’aveugle le 30 janvier dernier. Même si l’émission est leader le samedi soir, ce chiffre est cependant en baisse par rapport aux autres saisons qui enregistraient une moyenne de 9 millions de téléspectateurs.
Est-ce révélateur d’une nouvelle lassitude du public quant au concept ?
En tout cas pour Nouvelle Star, qui a repris le 16 février dernier, les audiences ne sont pas celles attendues (937 000 téléspectateurs soit 4,2% de part d’audience) avec un nouveau juré qui était pourtant prometteur : JoeyStarr. L’émission ne bénéficie plus non plus d’un animateur phare puisque c’est Laurie Cholewa qui prend le relai de Benjamin Castaldi. Pour les castings la production ne s’est déplacée que dans 4 villes de France, contre 7 entre 2008 et 2010 (meilleures années du programme).
Et cette tendance ne s’arrête pas là : W9 lance à partir du 22 février une émission quotidienne diffusée à 12h40 et qui portera le nom de : « Mon voisin est un chanteur ». Vous l’aurez deviné, des voisins se reçoivent chacun à leur tour chez eux pour se dévoiler leurs talents vocaux. Pour changer, les candidats vont se noter les uns les autres (sur les critères du charisme, de la mise en scène et de la voix) pour tenter de remporter le « micro d’or » et la somme de 1 000 euros. Un format repris et surtout usé.
Déjà diffusé entre le 27 octobre et le 10 novembre 2015 à 3h50 du matin, ce programme avait fait moins de 20 000 téléspectateurs, soit 2,1% de part de marché sur ce temps d’antenne.
Sur une case horaire pareille, on ne donnait pas beaucoup d’ambition à l’émission, pourtant la chaîne semble décidée à adopter une nouvelle stratégie en voulant concurrencer les jeux télévisés du midi. Néanmoins, on peut aussi la croire piégée face aux éternels JT  précédés de jeux déjà bien installés sur les chaînes concurrentes.

Sans surprises, l’échec est considérable : seulement 0,4% de part d’audience (53 000 téléspectateurs en moyenne) entre 12h36 et 13h23 sur les 4 ans et plus.
La question demeure : télé-crochets… à quand la fin ?
Capucine Olinger
LinkedIn 
Sources :
toutelatele.com
http://master-crdm.u-paris10.fr/evolution-des-tele-crochets/
nouveautes-tele.com
http://www.lemonde.fr/televisions-radio/article/2015/02/21/le-tele-crochet-un-produit-renouvelable_4581003_1655027.html
Wikipédia
Crédits images :
infos.fr
wikipédia
telestar
huffingtonpost.fr

Société

Le débat réenchanté ?

« La politique c’est du jargon déclamé à longueur d’ondes par des clones encravatés »
« Nous voulons du contenu, des idées, des échanges exigeants »
Deux émetteurs différents pour un même message. Les jeunes youtubeurs à l’origine de la chaîne Osons Causer; et les moins jeunes signataires du manifeste lancé par le collectif Notre Primaire, semblent s’accorder sur un point : le débat politique doit être dépoussiéré dans sa forme, et reconquis dans ses idées.
Osons Causer et Notre Primaire : deux exemples de réenchantement du débat politique
D’un côté, il y a Osons Causer : une chaîne YouTube créée par trois étudiants aux valeurs « humanistes, émancipatrices et tout ce que tu veux », comptant près de 32 000 abonnés. Son ambition est d’aborder les sujets « chauds » d’actualité politique à travers des éclaircissements philosophiques, sociologiques et économiques – en somme éveiller l’esprit critique. Partant du constat sans équivoque: « la politique, c’est chiant », le jargon administratif et la langue de bois sont d’emblée pointés du doigt et mis au rebut. Le projet est de revenir aux fondements d’une démocratie vraie, basée sur un langage compréhensible par tous, un « blabla d’intérêt général ». Autrement dit, l’initiative réside en priorité dans la réactivation de la parole politique, avant toute action politique.

De l’autre, il y l’initiative de gauche Notre Primaire. Politiques (Daniel Cohn Bendit en tête) – mais aussi écrivains, sociologues et philosophes (Raphaël Glucksmann), sémiologues, cinéastes, syndicalistes – signent un manifeste pour une primaire à gauche en prévision de 2017. Mais ils ne se contentent pas de signer : une tournée de rencontres à travers le pays est organisée afin de redonner au débat une place centrale dans le processus de décision démocratique. Le site reprend les codes d’un blog où de nombreux signataires publient des tribunes et des articles qui, souvent, soulignent l’urgence d’agir et les lignes directrices d’un potentiel futur programme présidentiel. Il s’agit de « débloquer le débat » pour débloquer la vie politique française actuelle. Le succès de Notre Primaire n’est cependant pas garanti (on compte un peu plus de 78.000 signataires, loin des 150.000 attendus).
Il reste que nous sommes face à deux formes de réactivation démocratique : une qui s’adresse au peuple en quête de sens, l’autre au peuple en quête de renouveau électoral.

L’agora citoyenne renouvelée…
Les deux communautés ne sont donc pas de même nature (ou de même génération) – l’une s’inscrivant dans une tendance plus générale à l’expression libre sur les plateformes telles que YouTube et l’autre ayant une visée politique davantage orientée. Elles se sont néanmoins crées suite à un constat commun: la nécessité presque vitale d’une reconfiguration de la parole et de l’action politique. Il s’agit de « réenchanter » la pratique du débat pour lutter contre le « désenchantement » de la population vis-à-vis de la politique.
Ainsi on retrouve la même volonté de replacer le débat au service de l’intérêt public. Le postulat de départ est la constatation d’un manque total de confiance non pas envers la politique mais envers ceux qui l’exercent. Plus précisément, il traduit la lassitude que beaucoup ressentent face à l’état du débat actuel – dans les médias et sur les réseaux sociaux. En effet, à trop se prêter au jeu de l’infotainment ou à celui de Twitter, les acteurs politiques semblent négliger leur mission – car les nouvelles formes de communication ne laissent pas la place à l’explication, à la pédagogie, à la persuasion, détruites par les clashs à répétitions et les « petites phrases ».

Force est cependant de constater que ce modèle de communication politique basé sur l’immédiateté et l’omniprésence médiatique n’est pas prêt de disparaître. Alors, qui mieux que le peuple pour rallumer la flamme des débats politiques français ? Qui mieux que les citoyens, sur une chaîne YouTube ou lors des rencontres de Notre Primaire, pour remédier à cette inefficacité et à cette stagnation technocratique – grâce à la parole ?
L’espace public s’est « virtualisé » et crée une sorte d’agora 2.0, comme le dit Michel Serres. L’auteur, dans Petite Poucette, évoque la possibilité grâce au numérique de passer à une société « liquide », où les citoyens – s’émancipant de plus en plus des carcans établis par l’Etat – auraient chacun leur mot à dire, leur responsabilité à prendre.
Notre Primaire ayant lancé son initiative par une campagne digitale, avec le hashtag #NotrePrimaire et la publication du manifeste sur un site web dédié publiée sur Libération, et Osons Causer se coulant dans les usages les plus actuels du Web (se filmer « à la manière d’un Norman ou d’un Cyprien ») ; il est clair que ces deux initiatives s’inscrivent dans une logique de reconquête d’un débat citoyen par le biais du numérique et du Web, de réinvestissement de l’espace public par la diffusion d’une parole éclairée.

… au service d’une démocratie participative enclenchée ?
Outre l’utilisation commune du « nous » dans leurs dénominations respectives, les discours d’Osons Causer et de Notre Primaire frappent par leurs similitudes, malgré l’écart générationnel qui s’opère entre eux :
« Quand les dégoutés s’en vont, il ne reste que les dégoutants. Si le peuple se retire des affaires politiques, des véreux de toutes sortes se feront un plaisir de « gérer » pour eux et d’organiser notre dépossession. » (Osons Causer)
« Il n’y a pas de fatalité à l’impuissance politique. La France est riche de son énergie vitale et de ses talents qui aspirent à forger un avenir bienveillant » (Notre Primaire).
Des balbutiements de la démocratie participative lancée par Ségolène Royal dans sa campagne de 2007 à ces nouvelles initiatives, on voit bien que la quête est la même à travers les générations : le symbole de 68 Daniel Cohn-Bendit et les jeunes youtubeurs ont soif d’un débat qui donnerait au peuple l’envie et les moyens de se réengager.
Faustine Faure
@FaustineFaure
Sources :
Libération, « Débloquez le débat! », 25/01/2016
Streetpress, Le petit buzz d’Osons Causer, la chaîne Youtube qui parle politique, Lucas Chedeville, 5/02/2016#

Accueil

Accueil


Chaîne Youtube d’Osons Causer 
Télérama, Les Youtubeurs de gauche mènent la contre-attaque, Erwan Desplanques, 15/02/2016 
Crédits photos :

Twitter
Youtube
http://archi.last-cry.com/dessin/?attachment_id=160
http://www.vie-publique.fr/focus/referendum-initiative-partagee-definitivement-adopte.html
 

notification facebook nombre
Société

Sur le net, le nombre est d'or #Fibonacci

Elles sont décidément partout. Mine de rien, elles envahissent notre quotidien. Elles sont là, sous nos yeux. Elles cherchent à attirer notre regard, captent notre attention, nous promettent l’inconnu, et disparaissent dès qu’on frôle du doigt notre écran. Elles se font parfois désirer, parfois ignorer. Les réseaux sociaux leurs font la part belle. J’ai nommé : les notifications.
Un événement près de chez vous ? Un nouveau message ? Un anniversaire à souhaiter ? Toutes les occasions sont bonnes pour chercher à influencer notre regard et notre conduite sur les écrans. Les notifications illustrent à merveille l’invasion des chiffres sur le Web. On peut difficilement balader son regard sur un écran sans qu’un nombre se glisse sous nos yeux. Tout pour nous « notifier » que la navigation n’est pas si libre qu’elle n’y paraît. Retour sur une omniprésence oppressante, ignorée ou inconsciente pour certains. 
Des chiffres en surnombre
Que ce soit sur les réseaux sociaux, sur votre Smartphone ou sur votre ordinateur, les notifications se manifestent inopinément sur tous types de support. De la nouvelle publication aux emails en passant par les Snap de vos amis, elles jaillissent de nulle part, sans prévenir. Prévenir, c’est pourtant leur principale fonction. Les notifications sont une figure d’appel ou de rappel qui nous avertissent d’une nouveauté sélectionnée, qui nous est personnellement destinée.
Parallèlement, elles sont une figure de renvoi, elles ne sont que passage. Bien au chaud, protégées dans leur bulle, elles glorifient la nouveauté et se laissent porter par l’actualité en lui laissant leur place. Mais si les notifications s’inclinent face à la puissance de l’incommensurable temps, d’autres chiffres leur enclenchent le pas. Vincent Glad, journaliste du blog hébergé par Libération « l’An 2000, Chroniques numériques », dénonce « la tyrannie des chiffres sur Internet ». L’espace est saturé de chiffres, qui sont le moteur de « l’Internet social ».

Vous avez (3) trains de retard sur votre vie
Ces (1) ou ces (4) nous donnent l’impression que quelque chose est en attente, que l’on rate des informations majeures. De là naît un trouble psychique contemporain : « la phobie des non-lus ». L’habitude face aux notifications est si ancrée que certains en deviennent obsédé, comme si chacun de ces chiffres symbolisait un retard sur notre vie en somme. Vincent Glad évoque ainsi cette obsession du zéro, de l’absence, là où le modèle de la société numérique repose sur ces chiffres annonciateurs. Si l’informatique, les réseaux sociaux et les nouveaux modèles médiatiques ont bien participé d’une certaine accélération et d’une densification de l’actualité, ils ont par la même changé notre rapport quotidien au temps et à l’activité, introduisant de nouvelles exigences de présence numérique et de réactivité à l’événement, désormais marqué par un nombre. Cette pression de l’actualité, présent dans les médias traditionnels (chaînes télévisées d’informations en continu, live tweet etc.) aussi bien que dans sur les nouveaux supports numériques, se manifeste par une nécessitée accrue de chiffrer les choses, de réaliser des infographies, de collecter des data, de présenter le « chiffre du jour » etc. tant le chiffre est devenu un marqueur de la valeur d’une information.
L’actualité en temps réel : un oxymore chiffré
Sur Internet, les chiffres sont le témoin, simple et rationnel d’une existence, d’une actualité intéressante. Les nombres nous permettent de poser un regard apaisé sur la vie et ce flux permanent et insaisissable qu’est le temps. La folie des Big Data se comprend dans cette dynamique de stabilité sur une actualité qui s’accélère. Twitter est la parfaite incarnation du lien entre l’information en continu et l’abondance de chiffres : chaque nouveau tweet est indiqué qui là ne sont plus fixes, mais qui se succèdent presque chaque seconde. La fièvre des nouveaux tweets nous gagne rapidement.

Click the animation to open the full version (via penny stocks).
Selon le site planetoscope, véritable incarnation de l’obsession pour le temps réel, née de l’interconnexion croissante des personnes, de l’intensification des réseaux et de la densification des échanges, 5900 tweets sont expédiés chaque seconde sur Twitter, soit 184 milliards de tweets par an. Une masse d’information qui vient « alimenter le flot d’informations (« big data ») publiée par l’humanité chaque jour sur internet » et faire des nombres une structure du Net.

Internet : une liberté structurée
L’exemple extrême de la phobie du non-lu explicite l’aliénation des utilisateurs envers l’Internet social. La prédominance des chiffres sur Internet est l’occasion de repenser la liberté sur cet espace. En effet, la course à l’épuisement de l’actualité est intimement liée à la question de la nouveauté, qui n’est remarquable qu’« en rapport avec ce qui est établi, institutionnalisé, ou reçu à un moment donné, l’époque est donc en jeu. » selon Philippe Mengue, philosophe et auteur de Deleuze et l’histoire de la démocratie. Les notifications et tous les chiffres présents sur le Web font partie intégrante du concept même des réseaux sociaux et de toute application qui vise l’échange et l’interaction. De nos jours, ils rythment notre quotidien et jugent, sélectionnent d’un contenu en fonction de notre profil.
Il s’agit donc de défaire le mythe de la liberté sur Internet, au regard de la force des nombres et notamment des notifications. Mais Internet pourrait devenir encore plus inégalitaire avec un Internet à péage, qui pourrait établir un Internet à deux vitesses (two-tier society).
Deux rythmes, il y en existe déjà. Team (1) ou team (2479), choisis ton camp camarade.
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
L’an 2000, Libération : http://an-2000.blogs.liberation.fr/2015/12/02/la-phobie-des-non-lus/
Planetoscope.com : – http://www.planetoscope.com/Internet-/1547-nombre-de-tweets-expedies-sur-twitter.html
Crédits images :
Planetoscope
L’an 2000
Pennystocks
 

Flops

Quand la Corée se fait dévorer du regard

Cènes Solitaires
Le 16 septembre 1999, Philippe Lançon se posait en Pythie des temps modernes dans un article pour Libération. Le journaliste s’était lancé ce soir là dans une analyse critique du Dîner de la star, court métrage dans lequel on peut voir Andy Warhol manger un hamburger face caméra : « Cette Cène solitaire de la consommation narcissique, on peut alors l’imaginer à l’infini: à toute heure, sur nos télés, des gens mangeraient, riraient, liraient, rêveraient, chieraient, changeraient bébé, de face et en plan fixe. On les regarderait plus ou moins, tout en mangeant, riant, lisant, rêvant, chiant, changeant bébé, etc. » À l’aube des années 2000, douce époque où nos écrans en tous genres n’étaient pas encore envahis par la télé-réalité, Lançon, prophète, envisageait la virtualisation de nos rapports sociaux. Sans le savoir il prédisait le confessionnal de Secret Story, mais aussi Norman fait des Vidéos, ou même Skype. Surtout, il prédisait déjà, non sans cynisme, le phénomène Muk Bang.

They see me eatin’, they hatin’
La France et le reste du monde occidental assument pleinement leur fétichisme pour la nourriture depuis que poster des photos de son hamburger dégoulinant – ou de sa pomme coupée en rondelles – sur les réseaux sociaux est devenu un sport international. Le Foodporn, délicate alliance d’exhibitionnisme et de voyeurisme destiné à faire saliver ses followers, aurait pu s’arrêter là. On avait déjà atteint l’apogée de ce que Barthes qualifiait de « cuisine ornementale » ou « cuisine de rêve, dont la consommation peut très bien être épuisée par le seul regard » dans ses Mythologies. C’était sans compter sur une tendance grandissante née en Corée du Sud : le muk bang (littéralement manger et diffuser). Reprenant le principe du Dîner de la star, avec trois fois plus de nourriture, le muk bang consiste à diffuser en live stream des images de soi en train de manger, parfois pendant plusieurs heures et devant des centaines de personnes. L’intérêt d’un tel divertissement peut sembler limité quand on n’est pas un adepte de la théorie de Warhol selon laquelle « plus on regarde exactement la même chose, plus elle perd tout son sens, et plus on se sent bien, avec la tête vide. »
Korea Now
Permettre aux spectateurs de se sentir bien est effectivement le but recherché. Mais le fait que le phénomène ait pris tant d’ampleur en Corée du Sud n’est pas anodin et est révélateur d’une réalité moins gaie. Un habitant sur quatre y vivrait seul selon The Independant, la communication virtuelle étant parfois l’unique alternative à la solitude. Le muk-bang est en effet avant tout une nouvelle forme de communication, d’interaction et de partage, et cela prend tout son sens en Corée où le terme « famille » signifie littéralement « ceux qui mangent ensembles ». En Corée peut-être plus qu’ailleurs, manger est une activité profondément sociale. Il s’agit alors pour les BJ’s (broadcast jockey), soit les acteurs de ces festins, d’établir une véritable relation avec leur public en discutant avec eux grâce à un live chat. Les conversations sont à l’image de la plupart des dîners en famille, ayant une dimension plus phatique, recherchant d’avantage le contact que la discussion philosophique. Il s’agit de manger dans la bonne humeur donc, et en communauté puisque commensalité rime avec convivialité. Le Muk Bang en tant que réinstauration d’un temps de sociabilité autour du repas pourrait alors être une réponse à l’individualisme triomphant et au vagabondage alimentaire solitaire qui en découle. Les BJ’s prennent en général le contre pied le principe du fast-food : ils prennent leur temps et vont parfois jusqu’à préparer méticuleusement leurs plats en direct.

Croquer la pomme
Malgré tous ces points positifs, il y a quelque chose d’assez dérangeant dans le fait que les utilisateurs payent pour voir leurs BJ préférés – qui sont généralement jeunes et bien faits – se lécher les doigts… Dans une interview accordée à Munchies, BJ Hanna, une star du muk-bang, explique qu’elle a fait face à plusieurs cas de fans obsessionnels, au point d’avoir à déménager. Ce versant moins ragoutant du Muk-Bang est cependant assez minoritaire et à relativiser, BJ Hanna ayant plus de 300 000 followers.

A connected meal is a happy meal
En 2015, la Corée du Sud est devenue le pays le plus connecté du monde devant le Danemark, comme le montre l’étude de l’Union Internationale des Télécommunications (UIT). En avance sur les outils technologiques – le pays a déjà investi plus d’un milliard d’euros dans l’établissement de la 5G -, la Corée pourrait aussi être en avance sur les pratiques et usages de ces outils. Selon une étude d’IPSOS datant de 2012, 61% des français de 15 à 25 ans mangent leurs repas au moins une fois sur deux devant un écran, le plus souvent pour pallier la solitude. Certains allaient même jusqu’à affirmer que le dit repas était « un moment de tristesse absolue ». Avec la digitalisation de nos rapports de sociabilité à travers les différents réseaux sociaux, il semblait difficile d’empêcher la virtualisation de ce rituel communicationnel qu’est le repas. Finalement, avec nos multiples émissions de cuisines à la télé nationale, nous n’en sommes nous-mêmes pas si loin.
Des mannequins qui mangent

Certaines grandes marques ont déjà mis à profit le développement de ces nouvelles pratiques, utilisant le phénomène comme levier communicationel. Récemment, Vogue Corée s’est approprié la tendance dans une vidéo montrant un mannequin se servir dans différents plats à la manière d’un BJ de Muk Bang. Rassurez-vous, la vidéo est suffisamment courte et intelligemment montée pour que le dit mannequin n’ait pas à réellement avaler quoi que ce soit : on ne voudrait pas que son régime pommes s’en trouve chamboulé.
Alix Leridon
Sources: 
http://www.liberation.fr/medias/1999/09/16/apres-coup-andy-burger_283805
http://www.independent.co.uk/life-style/gadgets-and-tech/gastronomic-voyeurism-the-south-korean-trend-that-means-youll-never-eat-alone-9090847.html
http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2012-10-11-habitudes-vie-jeunes-exposent-au-surpoids-et-l-obesite
http://www.ladn.eu/actualites/vogue-mode-pornfood,article,29820.html
http://www.ladn.eu/actualites/vogue-mode-pornfood,article,29820.html
Crédits images: 
YouTube 
Vogue Corée 
http://donggoom.tistory.com/77 

Agora, Com & Société

#Hashtag My Ass

Depuis la mise en application de la réforme orthographique annoncée par le gouvernement, des voix s’élèvent pour défendre l’accent circonflexe. Le succès du hashtag « #JeSuisCirconflexe » révèle la polémique que suscite cette réforme. Mais pourquoi utiliser un hashtag pour réagir ou se battre ? Sait-on exactement ce que cela engage ? En réalité,  beaucoup de personnes utilisent le hashtag sans le comprendre. Alors #utile ou #insupportable ?
#Késako
Le hashtag est composé d’un signe typographique, le croisillon, accompagné d’un ou plusieurs mots-clés. Appelé mot-dièse ou mot-clic au Québec, il est un marqueur de métadonnées. Autrement dit, c’est une donnée qui permet d’en organiser une autre.  En effet, cet outil a un rôle centralisateur sur les réseaux sociaux : il trie les publications en fonction de leur thème.
Dans le cas du #JeSuisCirconflexe, si un utilisateur le place dans un tweet, ce dernier sera reconnu comme faisant réaction à la nouvelle réforme. De cette manière, le hashtag permet de relier entre eux des tweets relatifs à un sujet donné pour former l’équivalent d’une conversation. Cela permet de transformer des évènements disparates en résumé des réactions. Il y a dans cet outil une volonté d’unification et de rassemblement. Grâce à son affiliation, ce tweet sera ensuite susceptible d’atteindre un public virtuellement infini.

A l’origine, le croisillon sert à référencer des conversations sur IRC (protocole de communication textuelle sur internet) qui sont de cette manière retrouvables. Suite à la suggestion de l’un de ses utilisateurs qui voulait améliorer le filtrage de contenu, twitter a intégré cette fonction en 2007.

Il aura fallu attendre 2009 pour que Twitter commence à renvoyer le croisillon en liens hypertextes qui mène à une liste exhaustive des messages contenant le même hashtag. Facebook a suivi en 2013 et a été ensuite rejoint par Google+ ou encore Instagram.
Dans sa documentation,  Facebook donne la définition suivante : « Les hashtags permettent de transformer des sujets de discussion et des locutions en liens « cliquables » dans des publications sur votre journal personnel ou votre page. Ils permettent de trouver plus facilement des publications sur des sujets précis. ».
Le choix du symbole est intéressant parce qu’il fallait en trouver un qui puisse être produit par n’importe quel appareil : il ne restait plus qu’à choisir entre l’astérisque et le croisillon. L’usage s’étant rapidement répandu sur Twitter, un autre utilisateur propose de nommer ce signe hashtag ( que l’on pourrait traduire par “étiquette marquée par le signe dièse”).
 #Pourquoi ?
Aujourd’hui, le hashtag est devenu banal mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un simple élément de décoration. La définition du Journal Officiel de la République Française insiste sur les fonctions de ce hashtag : « suite signifiante de caractères sans espace commençant par le signe #, qui signale un sujet d’intérêt et est insérée dans un message par son rédacteur afin d’en faciliter le repérage ».
C’est la fonction essentielle du hashtag. Suivant cette définition, il devient évident que ce hashtag est intéressant dès que l’on souhaite faire de la veille sur internet ou dialoguer autour d’un sujet important. Mais ce n’est pas son unique fonction. Chirpify en a par exemple fait un système d’achat : en récupérant les informations sur ses utilisateurs, la plateforme disposait d’une base de données pour envoyer des échantillons aux intéressés. Le hashtag peut donc s’avérer très utile mais un néophyte aura de grandes difficultés à le comprendre et à rentrer dans cette communauté d’intérêt.
De surcroît, il ne faut pas confondre le hashtag avec les détournements ironiques auxquels il est sujet. Un hashtag repose avant tout sur sa capacité d’indexation. Quand une personne utilise le croisillon pour désigner une humeur, une situation ou un contexte, on ne peut plus parler de hashtag : le symbole est utilisé de manière humoristique ou informative mais ne peut plus être désigné comme un hashtag car il perd sa fonction première. Autrement dit, on utilise le mot hashtag à n’importe quelle sauce comme l’illustre parfaitement cette vidéo de Jimmy Fallon & Justin Timberlake.

Toutefois, cela n’empêche pas de manier le hashtag suivant différents desseins. L’expression « hashtag activism », d’abord utilisée par The Guardian, désigne de façon péjorative l’utilisation militante de cet outil. Cette expression est née du décalage qui existe entre les réalités pour lesquelles se battent certains militants et l’a priori futilité de leurs actions virtuelles, ou plutôt, de leur utilisation prétendument utile du hashtag.
La manifestation n’est pas importante en soi, ce sont les rencontres humaines et réelles qu’elles provoquent qui le sont. Or, avec le « hashtag activism », il ne reste généralement que la manifestation. Dans d’autres cas, il n’est pas impossible que ce genre d’action mène à une médiation numérique. Il est trop facile d’accepter le raccourci habituel qui oppose « internet »/ « réalité » et « concret »/« virtuel ».

Pour ne citer que lui, le #BringBackOurGirls faisait écho à l’enlèvement de 200 écolières de Chibok au Nigeria par le mouvement insurrectionnel et terroriste d’idéologie salafiste djihadiste, Boko Haram. Utilisé par 2 millions de twittos dont Michelle Obama, ce hashtag avait pour but d’attirer l’attention internationale et d’empêcher cette histoire de subir l’amnésie médiatique.
Mais une question subsiste. Est-ce le signifiant ou le signifié qui reste dans les mémoires ? Est-ce le #JeSuisCharlie qui reste dans les mémoires en tant qu’objet ou bien les idéaux qu’il est censé porter ?  
 #Métamorphoses
Auparavant, le croisillon était immédiatement associé au dièse en musique ou à d’autres utilisations comme aux échecs. Mais le hashtag a vite pris le pas sur les usages antérieurs du croisillon en se démocratisant sur internet. Par le passé, le symbole est donc passé du hors-ligne à l’online.

Aujourd’hui, force est de constater que le symbole rebrousse chemin. Avec sa nouvelle e-réputation, il revient sous une nouvelle forme dans le réel. Ainsi, le croisillon est souvent utilisé hors-ligne pour faire référence au symbole numérique même s’il perd sa fonction d’indexation. Il devient ainsi un symbole qui renvoie au monde d’internet et des réseaux sociaux. Il revient vers le réel avec une nouvelle forme : on le retrouve sur le packaging de certains produits et même sur la devanture de magasins.

Le hashtag n’est pas un seulement un mot-clé, il est aussi le nouveau symbole de la culture Internet remplaçant le arobase et montrant par là même la prépondérance des réseaux sociaux. Au demeurant, l’American Dialect Society (société étudiant la langue anglaise) a fait du mot « hashtag » le mot de l’année 2012.
Il est devenu un outil de langage propre à une culture sociale et médiatique. Par ailleurs certains hashtags, tout comme les expressions de la langue, ne sont pas éphémères. Par exemple, le #FAIL est utilisé pour indiquer une erreur tandis que le #NSFW indique que le message contient des liens inappropriés aux mineurs. Grâce à ce symbole, on peut aussi identifier des Trending Topics récurrents avec le #TT.
Mais le hashtag a aussi pris d’autres formes puisqu’il est passé d’internet à la télévision. Les émissions utilisent le hashtag pour permettre aux téléspectateurs d’entrer en interactivité avec leur programme et d’interagir entre eux. « Réagissez sur Twitter » est aujourd’hui un leitmotiv pour rappeler la dimension participative de la télévision. Le hashtag s’organise ici en objet médiatique. Il est une nouvelle fois privé de sa fonction première : le couple hashtag-hyperlien n’existe plus. La télévision utilise le même symbole  pour renvoyer à un imaginaire participatif sur les réseaux sociaux.
De cette manière, la télévision crée un lien avec les smartphones, les tablettes et les ordinateurs. Cette stratégie cross-média permet d’attirer le téléspectateur-internaute : une part non négligeable de téléspectateurs regarde la télévision en restant connectée à internet. Cette stratégie permet donc d’inclure cette  part dans le processus télévisuel.
Le téléspectateur peut donner son avis et même parfois participer directement à l’émission. En effet, cet outil permet de répertorier facilement les participations et les contributions des téléspectateurs qui deviennent de cette manière acteurs de ce qu’ils voient. Le téléspectateur vote mais peut aussi proposer des changements dans son émission favorite.
Il y a un autre intérêt au hashtag. Le spectateur internaute promeut de manière indirecte le programme en live sur les réseaux sociaux. De cette manière, les émissions trouvent une publicité gratuite sur internet et augmentent leur exposition. Dans son émission quotidienne, Cyril Hanouna promet aux spectateurs de gagner des cadeaux en s’inscrivant à des tirages au sort via un hashtag. Ainsi, les spectateurs ont l’impression de toucher de près l’émission puisqu’ils doivent twitter pour participer, c’est-à-dire réaliser un acte effectivement. Avec leur post, ils peuvent également amener de nouveaux spectateurs en live.
Finalement, le hashtag nous montre comment un objet peut prendre différentes formes, fonctions et détournements tout comme les parties de la langue. Pendant combien de temps coulera t-il des jours heureux sur nos réseaux sociaux ? Telle est la question.
Bouzid Ameziane
Linkedin 
Sources :
« Savez-vous parler le hashtag ? Les 20 hashtags à connaître sur Twitter », Giiks, Franck Lassagne, 7 mai 2014 
 » Hashtag et militantisme, entre existence en ligne et hors-ligne « , (Dis)cursives [Carnet de recherche], Anne Charlotte Husson,22/06/2015, consulté le 10/02/2016
 #JeSuisCirconflexe, le hashtag qui agite la toile », GQ, Chloé Fournier, Pop Culture / Actu Culture, 04/02/2016
 » Le hashtag, un outil au service des stratégies social média », CultureCrossmedia, Kevin
 » Intégrer le hashtag dans campagne de communication », Comingmag.Ch, Renee Bani, 18/11/2014
 » Comment le hashtag est devenu le symbole d’Internet », Le Figaro, Florian Reynaud, 04/08/2014
Crédits images :
– Twitter
– Westernjournalismcom.c.presscdn.com
– Nutribe
– Zakokor / Getty Images/iStockphoto

Com & Société

Génération WTF

« Et moi, et moi, et moi » chantait mélancoliquement Jacques Dutronc en 1966. Qui aurait su que cet appel lancinant de l’ego trouverait un écho bien plus tard fin 2014, dans le monde surprenant d’Internet. « Me ! Me ! Me ! », court-métrage d’animation japonais issu de la série Nihon Animator Mihonichi n’a pourtant que le titre en rapport avec la chanson de Dutronc. La vidéo a ému les internautes du monde dès 2015, par son mélange d’ecchi (voire hentai), cet érotisme propre aux mangas, d’ultra-violence et de gore, ainsi que ses références claires au monde de l’animation. Les débats ont fait rage pour savoir quel était le sens caché de cette vidéo énigmatique, dont les spectateurs pressentent bien qu’elle signifie quelque chose. « Me ! Me ! Me » n’est en réalité qu’un exemple.

L’omniprésence du WTF
En réalité le What the Fuck est un élément bien implanté dans la pop culture, issu de l’usage immodéré de ce sigle par les nouvelles générations. Utilisé sans cesse, il est en passe de devenir une expression consacrée sur toutes les plateformes populaires. Internet est devenu pour de nombreux internautes un jeu de piste où il s’agit de retrouver la vidéo, le site, bref ce qui étonnera le plus ses connaissances. Et ce jeu n’a pas de limites, des snuff movies qui montre des scènes de violence réelle aux performances artistiques les plus étranges, nombreux sont ceux qui font leurs délices des pratiques les plus étranges. LE WTF est même le fond de commerce de nombreuses personnalités sur Internet. En France, c’est la marque de fabrique des chaînes d’Antoine Daniel (What the cut) et de Mathieu Sommet (SLG) pour ne citer que les plus célèbres parmi eux. Leur audience trouve un plaisir effréné et communicatif à contempler les extravagances d’un enfant qui s’amuse à embrasser tous les enfants à sa portée en les mettant sur ses genoux ou la propagande délirante des témoins de Jéhovah.


Les vidéos permettent alors à tous d’avoir accès à des phénomènes marginaux considérés comme étranges, comme la découverte des « looners », ces personnes sexuellement attirées par les ballons ; commence alors une course effrénée pour avoir accès à la vidéo la plus étrange ou au phénomène le plus méconnu. Cette curiosité insatiable permet à des sites comme Spion.com d’exister, gigantesque vidéothèque des phénomènes les plus étranges.
Le WTF est même en passe de devenir une certaine institution culturelle dans certains pays, et bien entendu en affirmant cela, on ne peut penser qu’au Japon. Loin des thèses culturalistes et historiques hasardeuses, la prépondérance des éléments dits étranges dans la culture nippone reste mystérieux. Toutefois, on peut simplement l’expliquer en affirmant que les Japonais ont un rapport bien plus décomplexé avec le surnaturel et l’étrange que les autres pays occidentaux, et que ce goût particulier s’est de plus en plus affirmé jusqu’à devenir le marqueur le plus important de leur pop culture. De la musique à la publicité en passant par les mangas, le WTF se décline sous tous les modes et sa particularité, ce qui choque généralement les étrangers, c’est que cette weirdness est tout public. C’est en réalité loin d’être le cas hors du Japon, où le bizarre est réservé à quelques happy few.

Cette publicité s’est répandue dans le monde entier ; ce qui marque l’internaute c’est qu’une publicité de ce genre soit réservée à un public enfantin (les chocoballs sont des friandises) et ait été diffusée à une heure de grande écoute, tout comme la pub Dole pour les bananes.
La musique n’est pas en reste : certains artistes comme Kyary Pamyu Pamyu ou Wang Rong Rollin ont d’ailleurs acquis une renommée internationale grâce aux partages de leurs clips étranges sur Internet.


Mode ou phénomène culturel ?
Ce phénomène WTF et toutes ses déclinaisons : « what did I just see ? », « I’m on that part of YouTube again… » ne semblent être qu’un phénomène de passage. Pourtant, ils sont des marqueurs de toute une génération d’internautes qui a grandi avec Internet et qui s’est formée avec. Les réseaux sociaux et les sites de partage (comme Reddit, 4Chan, 9gag) ou par extension les plateformes médias telles que YouTube qui laissent s’exprimer les internautes ont vu peu à peu triompher le sarcasme. Le cynisme est devenu un marqueur générationel en soi : on le voit à travers les figures d’Hitler et de Kim Jong-Un, reprises et parodiées à l’infini, les commentaires politiquement incorrects (« that post gave me cancer ») qu’on a tous croisés, l’usage des memes et des gifs pour tourner en ridicule ce que l’on a coutume d’appeler en France les « bien-pensants ». Finalement, cette acrimonie quasi sanctifiée aboutit à ce constat sans appel : « The Internet broke me ».
Ce constat en réalité résume deux courants qui constituent l’utilisation contemporaine populaire du média Internet. D’un côté, la conviction d’avoir tout vu sur Internet, même les choses les plus glauques – qui très généralement, sont en rapport avec la sexualité. Se crée alors le fantasme d’une sorte d’innocence perdue à cause d’Internet et d’avoir créé des utilisateurs irrémédiablement pervers (bien que ceux-ci en tirent la plupart du temps un sentiment de fierté.
 

Le constat que le WTF a émergé récemment dans certaines cultures est particulièrement frappant dans le cas de certains pays comme les Etats-Unis. Peu importe le nombre d’heures passées sur Google ou Youtube à chercher désespérément des weird ads par exemple, aucun résultat probant ne pourra être trouvé. Cette culture de l’étrange et du bizarre n’affectait pas du tout l’Amérique pre-Internet, et cela est visible notamment dans les publicités pour les années 80, où tout semble être au premier degré : les publicités reprennent alors des éléments populaires comme des chanteurs ou des séries connues en y instillant une image idéale donnant l’impression que la publicité se déroule dans une perfect America.

Les publicités les plus anciennes sont par contre très souvent évoquées sur Internet pour leur racisme et leur sexisme qui paraît aujourd’hui inenvisageable. C’est une nouvelle forme de WTF, dans le sens où cela ne correspond politiquement correct qui est alors recherché.

La différence entre les générations pre et post WTF est d’ailleurs le fonds de commerce de la chaîne youtube Fine Brothers Entertainment ou l’on voit des individus d’une catégorie d’âge définie visionner les plus grands (et les plus bizarres) succès sur Youtube. La chaîne aux 13 millions abonnés a un succès qui ne se dément pas depuis des années, au point que les deux créateurs de la chaîne ont voulu agrandir leur chaîne en demandant aux internautes de leur envoyer leurs propres vidéos de réactions. Cette idée a été énormément critiquée, au point de faire un gigantesque bad buzz momentané à la chaîne, puisque les deux créateurs ont été accusés de vouloir s’emparer d’un concept. C’est dire à quel point le WTF et tout ce qui y touche est aujourd’hui perçu comme un élément essentiel de la culture Internet.

C’est le cas édifiant de Carlos Boyero, critique cinéma d’ El Pais (l’équivalent espagnol du Figaro) auquel ses collègues font regarder des vidéos d’ElRubius, gamer survolté qui ne s’interdit rien devant la caméra. Alors que le jeune homme est une véritable célébrité en Espagne, ses vidéos rassemblant autant de spectateurs que le plus grand succès au cinéma de l’année 2015 (Ocho apellidos vascos, une sorte de Bienvenue chez les Ch’tis espagnol), Boyero avoue n’y rien comprendre. Il s’avoue même choqué, et trouve tragique et incompréhensible que toute une génération puisse trouver drôle ce genre de gesticulations. Le critique se désespère alors que les amateurs du genre s’agacent de voir quelqu’un aussi peu réceptif à une nouvelle forme de divertissement et faire preuve d’une ignorance profonde à ce niveau. Les commentaires sur YouTube s’en prennent d’abord généralisations de Boyero, rappelant qu’il s’agit d’un type bien particulier d’humour auxquelles toutes les productions des Youtubeurs ne se rattachent pas, loin s’en faut.

« (…) Il ne faut pas oublier que ces vidéos sont destinées à un public très jeune et non pas à des adolescents ou à des adultes »
D’autres s’irritent de l’incompréhension totale du critique face à des œuvres nées grâce à Internet et qui restent imperméables à l’éclatement des schémas médiatiques traditionnels.

« Demander à un critique de cinéma son opinion sur les Youtubers revient à interroger un jardinier sur son opinion sur la théorie quantique de la gravité. Bienvenue sur YouTube, un nouveau monde audiovisuel de divertissement totalement différent du cinéma et de la télévision, et qui accueille des milliers de personnes par jour ! »
Boyero est en tous cas symptomatique de cette différence profonde qui existe entre les familiers des réseaux sociaux et ceux qui ont grandi dans un monde où ils n’existaient pas. Pour le vérifier, mettez vos parents devant l’épisode spécial Japon d’Antoine Daniel et guettez leur réaction horrifiée. Avec un peu de chance, ils vous jetteront des regards consternés à chaque fois que vous rirez devant la vidéo, s’interrogeant sur la santé mentale de leur progéniture.
Myriam Mariotte
Sources :
http://verne.elpais.com/verne/2015/02/17/articulo/1424187974_312017.html?id_externo_rsoc=FB_CM
 http://www.1001web.fr/youtube-polemique-autour-du-copyright-react-des-fine-bros-134547.html
 

CILIT BANG
Société

Spontex, Cif, Mir … Des campagnes qui déménagent !

Il fallait bien un jeu de mot aussi subtil et comique que celui-ci pour parler d’un sujet aussi grave et terrible que les campagnes publicitaires des marques de produits ménagers. Car oui, c’est tout à fait dramatique d’allumer son poste de télévision pour assister, une fois de plus, à une énième pub au cheap repoussant comme celle-ci :

 
NON
Non, non, non, ce n’est plus possible. Vanish et les taches qui s’évanouissent comme par magie devant nos yeux, précédées d’une scène scolaire d’un kitsch sans nom. Non, vraiment, ce n’est plus possible.
Fort heureusement, quelques-unes de ces marques ont compris que s’inscrire dans un secteur hyper concurrentiel comme celui des produits d’entretien implique un minimum d’inventivité pour se faire remarquer. Voici donc une sélection de publicités qui nettoient pour notre plus grand bonheur les codes publicitaires propres à cette douce catégorie qu’est le produit ménager.
Un humour décapant : Cillit Bang – The Mechanic (BETC – janvier 2016)

 
Qui n’a jamais fait son ménage en musique ? Ce spot d’une grande ingéniosité montre qu’il est tout à fait possible de montrer l’efficacité du produit avec style. Dès le début, le générique et les couleurs nous indiquent que nous avons affaire à un véritable court-métrage. Un charmant Apollon, le danseur Daniel Cloud Campos (notons que la représentation « Homme + Ménage » est encore peu courante dans les publicités) se voit alors attribuer une mission, qu’il accomplira sur une chorégraphie dingue, tout en écoutant une musique entêtante et absolument connue de tous. On peut dire que BETC a réellement cassé le moule des publicités habituelles de ce genre de produit. Le site de l’agence stipule que les créateurs du spot se seraient inspirés de cette vidéo farfelue devenue virale sur les Internet. Quoi qu’il en soit, il est clair qu’avec The Mechanic, l’agence a absolument rajeuni, modernisé et glamourisé l’image de Cillit Bang.
Mais aussi :
– Dish Therapy – Tattoo‬ (2015 – Grey Argentina)
– Wahou de Spontex (2001 – TBWA)
L’originalité par l’évènementiel : Mir Restaurant (octobre 2015 – Ubi Bene)

 
Partir sans payer au restaurant est désormais possible grâce à Mir. Enfin… à condition de faire la vaisselle ! L’agence Ubi Bene a en effet proposé un concept original : rebaptiser un restaurant parisien Mir Restaurant, qui a proposé durant 3 jours à ses clients de déjeuner ou dîner gratuitement s’il lavent leurs assiettes. L’objectif de cette campagne étant de promouvoir une gamme de différents parfums de produits vaisselle, les clients du restaurant ont donc pu à la fois vivre une expérience amusante et agréable, puis tester les produits Mir. Un site internet (www.mir-restaurant.com) ainsi qu’un #MirRestaurant ont été mis en place pendant la durée de l’opération.
Mais encore :
– Cif efface le racisme des murs roumains (2014 – McCann)
Des campagnes interactives axées sur le digital : Ajax nettoie votre Facebook (janvier 2014)

 
Pour mettre en avant ses nouvelles lingettes Spay n’Wipe en Australie, Ajax propose de résoudre un des grands maux du siècle : effacer spams et faux-comptes résultant de nos likes et follow compulsifs sur nos réseaux sociaux préférés Facebook et Twitter. Pour cela, il suffit de se connecter au site http://www.ajaxsocialwipes.com, de sélectionner les pages honteuses ou inutiles dont nous voudrions nous débarrasser, et en un coup de lingette magique, Ajax fait notre bonheur ! Une campagne digitale cocasse, qui prolonge l’expérience de marque par le digital. La publicité semble avoir eu de bonnes retombées : « 200 000 personnes s’étant désabonnées à des pages Facebook et  20 000  à des ‘bots’ (faux comptes automatisés) sur Twitter, une semaine après le lancement de l’opération » (source : Vanksen).
Mais aussi :
– Le Compte Twitter le plus propre de Spontex (2015 – Kids Love Let Lag / Fred & Farid)
Comme souvent en publicité, l’originalité et la créativité sont essentielles pour sortir du lot. Ces exemples montrent que prendre du recul par rapport aux codes publicitaires du secteur marchand auquel la marque appartient est possible et permet une refonte de l’image très positive.
Mathilde Dupeyron
LinkedIn 
Sources :
– Matthieu Hoffstetter, Bilan.ch, « Mir propose de payer son restaurant en faisant la vaisselle », 22 Octobre 2014, http://www.bilan.ch/economie-plus-de-redaction/mir-propose-de-payer-restaurant-faisant-vaisselle
– Site de l’agence Ubi Bene, « Mir vaisselle et Ubi Bene créent le premier restaurant où l’on paie… en faisant la plonge! », http://ubi-bene.fr/blog/2014/10/20/mir-vaisselle-et-ubi-bene-creent-le-premier-restaurant-ou-lon-paie-en-faisant-la-plonge/
– La Réclame, « Produits ménagers : pubs et campagnes de communication », http://lareclame.fr/produits+menagers
– ComGom, « CIF supprime les graffitis racistes de la Roumanie », 07 juin 2014, http://com-gom.com/2014/06/07/cif-supprime-les-graffitis-racistes-roumanie/
– Helene Bourgois, BETC Pop, « Cillit Bang, ou quand le ménage devient une partie de plaisir », 04 janvier 2016, http://betcpop.com/2016/01/04/cillit-bang-ou-quand-le-menage-devient-une-partie-de-plaisir/
– Solange Derrey, Blog de l’agence Vanksen, « Ajax nettoie même vos réseaux sociaux ! », 28 janvier 2014, http://www.vanksen.fr/blog/ajax-nettoie-meme-vos-reseaux-sociaux/
Crédit image :
www.Adweek.com