Flops

Il faut sauver les Internets

 
Le World Wide Web existe depuis bientôt vingt ans. C’est sur ce système de liens hypertextes que nous nous connectons chaque jour. Il s’est largement démocratisé jusqu’à devenir synonyme d’Internet. Jusqu’en 2010, Internet s’est popularisé. Durant cet âge de la découverte, nous avons entretenu un rapport naïf, enthousiaste, émerveillé face au réseau. Il y avait une sorte d’effusion dans cet usage, encouragé par les idéaux et imaginaires d’Internet. Il était vu comme un objet presque magique.
Or, depuis trois ans son usage s’est complètement banalisé. Se pose alors la question de sa survie. Maintenant que ses fonctionnalités sont considérées comme acquises, il pourrait apparaître dérisoire de les défendre encore. Pourtant nous n’avons jamais eu autant besoin d’un volet législatif sur la question. Heureusement, après des années de méfiances envers le réseau, le gouvernement se décide enfin à agir. Jean-Marc Ayrault a annoncé jeudi 28 janvier, après un séminaire sur le numérique, une feuille de route expliquant dix-huit points sur lesquels le gouvernement va agir. Il s’articule autour des questions de la pédagogie, en lien avec la réforme sur l’Education, mais aussi autour des données personnelles et l’accès au très haut débit. Une loi était nécessaire, mais ces dix-huit points sont-ils suffisants ?
Deux choix fondamentaux
Nous sommes pourtant face à deux choix. Le réseau est de plus en plus surchargé. C’est ce qu’expérimentent par exemple les utilisateurs du fournisseur d’accès Internet (FAI) Free lorsqu’ils utilisent Youtube. Pour retrouver un accès rapide à ces sites utilisant beaucoup de bande passante, il faudrait payer plus. Internet finirait alors par être scindé en deux. La problématique d’un Internet à deux vitesses créerait une nouvelle fracture numérique, entre ceux ne pouvant s’offrir qu’un accès aux fonctionnalités essentielles – mail, moteurs de recherches – et ceux pouvant se permettre un accès aux réseaux sociaux, sites de vidéo, etc. L’Internet à deux vitesses serait contrôlé par les géants du net et par les FAI. L’accès à l’ensemble d’Internet deviendrait une exception. Ce serait la mort d’une de ses premières règles : la liberté d’y avoir accès.
L’autre choix viserait à perpétuer les idéaux d’Internet comme ils furent pensés par les premières communautés – avec la défense de la liberté sous toutes ses formes en tête de file. C’est pour un tel Internet qu’une loi est nécessaire. Ce serait un Internet libre mais encadré, fait et pensé pour les utilisateurs et non pour l’enrichissement de certains par le traitement des données privées.
Internet, une « zone de non droit »
Il est extrêmement urgent que les gouvernements agissent d’une manière concrète et efficace.  Il faut prendre en compte les idéaux d’Internet  et les défendre en les encadrant par une loi ferme, en dépit du lobby formé par les FAI et les géants d’Internet. C’est maintenant qu’il faut légiférer : les abus sur les utilisateurs sont de plus en plus fréquents. Citons par exemple le dernier rapport de la CNIL sur Google ou le blocage des publicités par Free qui a montré ainsi qu’il pouvait avoir de manière très facile un contrôle sur l’Internet de ses utilisateurs.
Il était donc temps qu’une série de lois soit enfin envisagée, surtout sur le point des données privées, de plus en plus grignotées par la récolte des big-datas.
Cependant, en dépit de cette position forte, la neutralité du net et sa protection brillent par son absence. Vite dénoncée par la Quadrature du Net et son porte parole Jérémie Zimmermann, l’absence de cette loi va même à l’encontre de l’avis du Conseil National du Numérique et de son nouveau président, Benoît Thieulin, qui doit présenter le 12 Mars un dossier sur ce sujet à Fleur Pellerin, Ministre chargée du Numérique. Pourtant cette dernière avait annoncé en septembre qu’elle ne voyait pas la nécessité d’une telle loi, position répétée lors d’une table ronde en janvier où Fast’N’Curious était présent.
Philippe Breton en 2001 publie dans Libération une tribune montrant qu’Internet est une « zone de non-droit ». C’est-à-dire que face à l’absence de lois, le territoire numérique est celui des abus et de la délinquance. Cette tribune a inspiré beaucoup de personnes, de Nicolas Sarkozy à Marie-Françoise Marais (actuelle présidente de l’HADOPI). Dans cette optique, Internet n’est vu que dans ses aspects négatifs. Cette vision unilatérale refuse fondamentalement d’envisager Internet dans sa complexité. De comprendre ses mécanismes et de légiférer en fonction de cela.
C’est certes une avancée que le gouvernement entreprenne enfin un volet de lois sur le numérique, en dépit de l’absence sans doute provisoire de la neutralité du net. Nous sommes désormais loin de l’incompétence du gouvernement en matière de numérique, qui trouvait probablement son origine dans cette vision dichotomique. On ne peut que s’en réjouir.
Mais face à ce premier pas, il est urgent que le gouvernement cesse d’entretenir ce climat d’insouciance face aux questions numériques. Il est temps qu’il se positionne sur des questions résolument modernes et qu’il mette fin à une vision simpliste et archaïque d’Internet.
 
Arthur Guillôme
Sources :
France Info
Ecrans.fr
La Quadrature du Net

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Environnement, Société

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr

Société

Mega : le retour

 
C’était il y a près d’un an, le 20 janvier 2012. Le FBI fermait les portes du site qui représentait 4% de l’Internet, Megaupload. Conjointement, un raid mènera à l’interpellation de son propriétaire, Kim Dotcom, et à sa condamnation pour blanchiment d’argent, atteintes aux droits d’auteur, et actes de malveillance informatique. Ce n’était pas la première fois que Kim Shmitz, de son vrai nom était inquiété par la police pour ses actions remarquables et remarquées en ligne. Mais cette arrestation musclée dans son manoir d’Auckland en Nouvelle-Zélande a été pour lui un traumatisme. Tant et si bien que Dotcom a décidé d’organiser, d’orchestrer et de mettre en scène sa revanche.

 
Mega, ou la vengeance dans le spectacle
La date est bien évidemment restée. Le 20 janvier 2013, comme un pied de nez aux autorités, Kim Dotcom lance en fanfare la résurrection de ce qui est désigné comme « le nouveau Megaupload ». Et il faut reconnaître qu’outre sa mégalomanie, Mr Shmitz maitrise bien la communication de son nouveau bébé. Tout a commencé par une bannière sur son site, agrémenté d’une adresse qui ne pouvait qu’éveiller l’attention : kim.com/Mega.
Le teasing est maitrisé à la perfection : lorsque l’on passe la souris sur le bouton, on peut lire : « On January 20th, this button will change the world ». On nous propose également d’être tenu au courant des avancées du projets via une newsletter. Sur le facebook de Kim Dotcom, une cover picture affiche un compte à rebours jusqu’au lancement de ce mystérieux projet. Puis, peu à peu, souvent sur les réseaux sociaux, et Twitter que Kim affectionne particulièrement, des informations vont commencer à circuler. Mega sera bien le futur Megaupload. Ce que l’on sait en tout premier, ce sont les améliorations, avant même de connaître la nature du service : une clef que vous seul pourrez obtenir cryptera l’accès à vos données. Tous les types de fichiers pourront être stockés. Vous avez la possibilité de garder vos données pour vous si vous choisissez de garder la clef secrète. Bref, Kim prend des précautions : on ne l’aura pas deux fois.
 
Kim, le nouveau Steve Jobs ?
Puis la nature même du service nous parvient, à travers des captures d’écrans dévoilées presque comme lors d’une keynote à la presse par Kim.

Le service sera du cloud storage, un marché en plein développement actuellement, et Mega sera donc opposé à des géants comme Google Drive, ou Dropbox. Le cloud storage vous permet de stocker des fichiers et données sur un serveur, pour pouvoir ensuite les récupérer ou les utiliser à partir de n’importe quel ordinateur connecté à Internet. Mega offre donc à chacun de ses membres un espace de stockage de 50GO.
En parallèle, le matraquage continue sur les réseaux sociaux : le futur Mega est d’ores et déjà présenté comme le messie pour se cacher du Big Brother Internet, et sa sortie même est synonyme de beaucoup de réactions et tweets d’un revers pour ces grandes multinationales ou lobbies de l’industrie culturelle : MPAA (Motion Picture Association of America), RIAA (Recording Industry Association of America). C’était d’ailleurs elles qui avaient été attaquées par le groupe Anonymous, à la suite de l’annonce de la fermeture de Megaupload l’an dernier.
La cérémonie fut la plus grande mise en scène de la revanche : A mi-chemin entre concert, avec des artistes venus soutenir le projet de Dotcom, et conférence de presse en face d’un public. Jusque là tout ressemble à un lancement traditionnel. Mais le tout a été entrecoupé de reconstitutions du raid du FBI un an plutôt, avec Mr Shmitz dans le rôle de la victime bien évidemment.
Ensuite, les événements prirent une autre tournure. On cru d’abord assister au naufrage du projet tout juste mis à l’eau. Il fallut attendre 2 jours et demi avant que le site soit accessible, les problèmes d’accès se multiplièrent. Tant et si bien que Kim Dotcom dut prendre en charge un autre volet de son site : la communication de crise. Cela se fera via des informations données sur les réseaux sociaux, en incitant par exemple les futurs utilisateurs à se méfier de publication facebook qui leur promettait des accès « premium » au nouveau Mega, ces dernières étant fausses.
Mais une fois encore, le bateau (et son capitaine, souvent représenté comme un pirate) tint bon à travers la tempête et le beau temps arriva : 2 jours après son lancement, Mega déclarait avoir déjà récolté 2 millions de membres. Un diagramme a été publié la semaine dernière montrant l’envolée de Mega et la baisse inexorable de Dropbox, un de ses concurrents sur le marché du cloud storage.
Cependant, les ennemis cherchent toujours à sombrer le navire. La vidéo de la cérémonie de lancement a d’ores et déjà été supprimée de la chaine youtube suite à la demande de l’équivalent allemand de la SACEM, qui estimait que toutes les chansons utilisées lors de l’événement n’appartenaient pas totalement à Megaupload. Bref, le bras de fer entre le géant du net et les géants de l’industrie culturelle est loin d’être fini.
Clément Francfort

Société

MSN allons voir si la rose…

 
MSN est mort, vive Twitter : petit panorama de l’évolution de la communication sur Internet
 
Que vous puissiez « aimer » (ou pas) cet article à la fin de la lecture n’a rien d’anodin. La décision de Microsoft de mettre fin à son célèbre service de messagerie en ligne, MSN, service qui a bercé notre tendre adolescence non plus. Qui ne se souvient pas, avec une pointe de nostalgie (et d’embarras ?), des « pseudos », « wizz », et conversations plus phatiques qu’autre chose, où l’on se retrouvait sans mot après un fascinant échange de « coucou, ça va ? » ? Et pourtant, qui d’entre nous n’a jamais pensé revenir sur ce programme, qui nous paraît maintenant (alors que nous l’utilisions il n’y a que 5 ans), un dinosaure de l’Internet aussi obsolète que la télévision en noir et blanc ? L’on serait tenté d’objecter que cette pratique de la discussion instantanée a tout simplement été déplacée, sur Facebook majoritairement. Certes, mais elle est loin d’être le noyau de Facebook, qui fonctionnait bien avant l’introduction du « chat », et peu de monde je crois, l’utilise de la même façon qu’il utilisait MSN : dans le seul but de parler. C’est aussi qu’à l’époque de MSN, la parole était le seul moyen d’exister, tandis que l’évolution de l’Internet s’est fait de telle manière que les moyens se sont bien diversifiés depuis.
C’est à ces transformations que j’aimerais m’intéresser aujourd’hui, pour essayer de comprendre comment l’on a pu passer, en quelques années, de MSN aux « réseaux sociaux », et quelles en sont les conséquences.
 
Au commencement était le Verbe (et la connexion à 56ko/s)
Dans les débuts de l’Internet, tels qu’on peut encore se les rappeler, l’image était tout sauf une priorité dans la mise en page. À cause de la technique, certes, qui ne permettait pas de les charger assez rapidement, mais peut-être n’est-ce pas la seule raison. La série populaire Buffy contre les vampires, diffusée entre 1997 et 2003, cristallise deux mythologies très en vogue autour d’Internet à une époque décisive, en confrontant les points de vue de deux personnages principaux : Giles, un bibliothécaire, et Willow, une étudiante. Le premier oscille entre l’idée qu’Internet ne sert à rien ou tuera le livre, et l’autre fait preuve d’un enthousiasme exacerbé à son égard,le considérant comme un outil presque intelligent en soi qui aurait réponse à tout.
L’avènement de l’Internet, pour une importante partie du public adulte, était loin de paraître nécessaire. Aussi cela peut-il expliquer le manque d’images et la mise en page des premiers sites : la publicité s’en désintéressait totalement. Il faut aussi noter qu’il y a deux textes sur l’Internet : celui que tout le monde voit, et un autre, bien plus voilé, et pourtant sur quoi tout repose… le code. Aux débuts d’Internet, impossible de produire du contenu sans une petite connaissance du html au moins. C’était alors un monde de l’écrit.

 
La formidable révolution du Web 2.0
Lorsque la fabuleuse, voire magique expression de « Web 2.0 » a commencé d’apparaître, l’Internet s’est refait une beauté aux yeux du grand public. Ce terme, relevant d’abord du marketing, fut employé à tort et à travers pour refléter un changement qui, s’il ne relève pas exactement d’une « révolution », est tout de même réel : l’Internet s’est « socialisé ». Il est désormais question d’engager des « interactions », d’abord manifestées par des entreprises de mise en commun des connaissances ou travail collaboratif (avec les wiki par exemples), puis, par des blogs favorisant la discussion grâce aux commentaires. En parallèle, les chats prennent de l’importance, comme IRC et MSN, pour citer les principaux. Toutes ces interactions étant facilitées par un « domptage » du code tel qu’il est désormais possible d’avoir son blog, de s’exprimer sur la toile sans en avoir aucune connaissance. Mais ce modèle n’est toujours pas assez rentable financièrement. Et c’est la qu’intervient un tournant clef de l’Internet et de l’idée que nous nous en faisons : sa structure, et donc, la manière dont nous communiquons, va être modifiée par la publicité.
 
De MSN à Twitter : la disparition élocutoire du destinataire
Lorsque nous parlions sur MSN, nous nous adressions à une personne en particulier, et attendions une réponse pour rebondir. Il en était de même pour les forums, même si le destinataire était moins identifié, l’on s’adressait à une certaine communauté, avec l’idée d’instaurer un échange. Comment, dès lors, un message publicitaire pouvait-il éviter de tomber dans la conversation comme un cheveu sur la soupe ? S’imagine-t-on, lorsque que l’on parle à un ami de vive voix, être coupé par un slogan entre deux phrases ? Il fallait alors qu’une autre façon de communiquer émerge.
Prenons maintenant l’exemple de Twitter. Qu’est-ce que « tweeter » ? C’est envoyer un message de 140 caractères à un public qu’on ne connaît ni ne maitrise, la plupart du temps. Pour que ce message ait une bonne visibilité, et soit repartagé, il doit être drôle, spirituel, ou provocateur ; bref, il faut qu’il soit suffisamment marquant pour interpeler le lecteur. Or, qu’est-ce qu’un slogan publicitaire, si ce n’est un message court et percutant ?

 
Que devient alors la communication sur Internet ? Il est rare d’attendre une réponse à un tweet, la conversation étant rendue difficile par la limite des 140 caractères. Facebook n’est pas en reste : ce sont les « likes » qui dominent, c’est-à-dire une petite image sur laquelle on clique pour signaler qu’on a vaguement ressenti quelque chose en voyant ce post, mais on commente bien moins souvent, et d’ailleurs, nos commentaires étant visibles par tous, il est moins question d’engager une réelle discussion que d’obtenir des « likes » à son tour pour flatter son image.
Tout, dans ces pratiques, rappelle la publicité. La frontière entre celle-ci et les messages personnels devient de plus en plus floue (cf les questions des « influenceurs » et du « personnal-branding »).
La publicité avait donc tout intérêt à favoriser ce changement de paradigme, qui lui permettait de s’intégrer plus naturellement et sans choquer. Bien sur, il existe des exceptions, et la pratique du « chat » ne s’est pas totalement éteinte. De même, je ne tente pas d’imputer ces changements à la seule volonté de la publicité d’investir la toile, changements que je ne juge d’ailleurs pas. Néanmoins, force est de remarquer que notre usage quotidien d’Internet a été profondément modifié, et qu’aujourd’hui, la fermeture de MSN ne trouble ni notre navigation ni notre esprit, ce qui n’aurait surement pas été le cas s’il avait été question de Facebook.
 
Virginie Béjot
 
Sources :
La fermeture de MSN :
Comportements liés aux réseaux sociaux : http://www.guardian.co.uk/technology/2012/mar/17/facebook-dark-side-study-aggressive-narcissism
http://www.internetactu.net/2012/03/29/pourquoi-avons-nous-peur-des-medias-sociaux/
La bibliothèque dans Buffy contre les Vampires : http://cm.revues.org/84

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Dossiers et conférences

ZOMBIES 2.0

 
Aujourd’hui, Elsa Couteiller, Léo Fauvel et Noémie Sanquer nous proposent une analyse de la stratégie média mise en place par Canal+. Si la chaîne cryptée a réussi à mettre en place une stratégie de bouche à oreille, il est dommage que Canal+ n’ait pas prolongé de manière plus efficace la série sur Internet. Ce modèle américain de communication n’a pas été mené jusqu’au bout, entraînant une certaine déception chez des téléspectateurs habitués.
 
Les Revenants, zombies qui font le buzz
Le fameux bouche à oreille aura bien fonctionné pour Les Revenants. Plus grand succès de toutes les créations originales de Canal+, les abonnés de la chaîne ont su faire partager leur engouement pour cette série et ses  zombies d’un nouveau genre.
Le coffret de la Saison 1 a donc dû être déposé sous de nombreux sapins ce Noël.  Les abonnés de Canal+ voulant faire découvrir aux non abonnés cet ovni télévisuel.
Le buzz a été fondé sur la qualité-même de la série. Considérons ici le buzz comme le fait de faire parler d’un produit avant même son lancement, en entretenant un bouche à oreille savamment orchestré et des actions ciblées auprès des leaders d’opinions (ici, les journalistes).
Ceux-ci, dès le 17 octobre, ont pu, pour les plus chanceux, visionner jusqu’à 6 épisodes en avant-première. En sont ressortis de nombreux articles élogieux qui ont mis l’eau à la bouche des téléspectateurs. La saison 1 des Revenants était annoncée comme l’événement télévisuel de l’automne.
Un site internet interactif () a également été mis en place en amont de la diffusion du premier épisode de la série. Il avait pour objectif  de faire découvrir les personnages et l’atmosphère si  particulière de la série.
En outre, Twitter a su se rendre vite indispensable aux personnes qui ont suivi Les Revenants, et ce, au travers du hashtag #LesRevenants.  Au-delà des live tweets qui ont été organisés lors de chaque diffusion d’un nouvel épisode, Twitter est devenu le rendez-vous incontournable pour les tweetos ayant adhéré à la série.
Ce n’est pas étonnant étant donné que Twitter privilégie l’émotion à travers le caractère instantané du mode de communication. En tout, ce sont presque 22.000 tweets qui ont été échangés pendant toute la première saison des Revenants.
La série laisse le téléspectateur à la fin de chaque épisode avec son lot de questions restées sans réponse. Les Revenants ont réussi, pour cette première saison, le coup de maître de faire revenir  les abonnés à la même heure chaque lundi soir. Au vu du succès, on oserait presque parler de « télévision cérémonielle »  en référence à l’analyse de Daniel Dayan et de Elihu Katz dans La télévision cérémonielle : Anthropologie et histoire en direct.
La cérémonie se prolongeait souvent sur Twitter et sur la fan page de Facebook de la série. Deux lieux où les téléspectateurs pouvaient exposer leurs différentes théories et s’aider mutuellement en tentant de dissiper le mystère.
La fan page enregistre le lundi 7 janvier 2013, plus de 28.000 « J’aime ». La série, depuis son lancement le 26 novembre 2012, n’a cessé d’accueillir les questionnements et les félicitations des téléspectateurs, enjoués après chaque épisode.
Canal+ tenait ainsi les téléspectateurs en suspense et cela jusqu’à la diffusion du dernier épisode de la série le 17 décembre dernier. Et là, changement de ton perceptible chez les fans. La déception pouvait se lire dans leurs messages, que cela soit sur Facebook ou sur Twitter. La frustration était trop forte.
Un retour de flamme pour Les Revenants qui pourrait avoir un impact sur le succès de la saison 2 actuellement en cours d’écriture.
 
Les Revenants – Aspect Transmédia
 

Trois semaines (et un certain nombre de festivités hivernales) après la diffusion de l’épisode 8, les critiques fusent encore sur la fin décevante de la première saison. Gageons cependant que cette note sombre ne sera pas particulièrement préjudiciable à l’accueil de la saison 2, tant l’engouement initial avait été impressionnant mais aussi constant – l’audience n’a pas quitté les alentours des 1,4 millions de téléspectateurs, un chiffre impressionnant sur l’ensemble des abonnés de Canal+.
Tout cela étant dit, il ne s’agit pas ici de prophétiser sur les succès futurs des Revenants, mais de soulever une question : la réaction des publics avait-elle été prise en compte dans l’accompagnement de la série ? La couverture transmédia était assez maigre, n’incluant que le site interactif et ses quelques indices, ainsi bien sûr que l’intense mise en valeur de ces derniers sur les réseaux sociaux.

Les indices, donc. Tous n’étaient visibles sur http://lesrevenants.canalplus.fr que durant le temps de diffusion d’un ou deux épisodes, afin bien sûr d’entretenir une certaine dynamique de la part des visiteurs. Leur contenu, pour sa part, était résolument ancré sur les personnages – et particulièrement les revenants. Seul le dernier indice, une coupure de journal associée à l’épisode 8, tendait à donner des informations sibyllines sur l’univers plus général de la série. Et c’est là un choix surprenant.
Canal+, tout comme le réalisateur et scénariste Fabrice Gobert (voir son interview ici) avaient évidemment prévu le risque de laisser le spectateur sur sa faim. D’un point de vue scénaristique, l’idée restait de développer l’univers à mesure que les personnages le découvraient, et sans donner trop de clés au spectateur. La comparaison qui vient immédiatement en tête est alors Lost, au genre également fantastique et championne des révélations qui n’en sont pas. Mais justement, l’accompagnement transmédia était dans ce cas résolument tourné vers la création d’un univers, et d’une mythologie très riche, sur l’île elle-même au moins autant (si ce n’est plus) que sur l’histoire des personnages. Résultat : 6 saisons de cliffhangers à répétition, et un succès qui en fait encore aujourd’hui un cas d’école.

L’erreur (si c’en est une) des Revenants a peut-être été de ne pas puiser dans ce type de méthode, et de garder une interactivité squelettique et trop fidèle à l’esprit de la série elle-même : c’est-à-dire une histoire cohérente et révélée par petits morceaux, là où Lost marchait à coups de rebondissements sans réel fil conducteur. Rappelons d’ailleurs que The Spiral, le très ambitieux projet transmédia d’Arte, avait été diffusé à peine deux mois auparavant, créant un précédent majeur en matière d’accompagnement de séries françaises (même si nous parlons ici d’un projet proprement européen).
Reste peut-être que contrairement à The Spiral, la série Les Revenants devait composer avec un genre fantastique qui n’est pas exactement commun parmi les productions Canal+, et françaises en général. Les publics habitués à The Walking Dead et autres Twin Peaks n’étaient pas forcément ouverts à cette initiative de suspense « à la française », qui servait de lourd argument de vente à la série mais devait définir un contrat de lecture d’un genre nouveau. L‘opportunité était sans doute trop belle pour ne pas créer quelque chose d’atypique, volontairement lent par opposition à la profusion de l’accompagnement des séries américaines.
Mais voilà : la série avait été perçue dès le premier épisode comme une sorte de Messie hexagonal, qui pouvait enfin rivaliser avec les productions étrangères et se libérer des clichés cent fois revus dans le PAF. Or, ces modèles américains ou anglais ont également établi celui d’un flot intense de paratextes, que Canal+ n’a pas fournis en quantité suffisante. Sans aller jusqu’à dire que la déception finale a uniquement été causée par ce manque de contenu transmédia, nous pouvons tout de même espérer que la chaîne retiendra la leçon pour la saison 2.
 
Les Revenants : Les morts aussi cultivent les RP…
Pour faire un buzz, il existe différentes recettes : de l’absence totale d’informations au déversement de teasings et de pseudo-spoilers, chacun choisit son orthodoxie. Canal+ l’a bien compris lorsqu’il s’est agi de faire la promotion des Revenants, et a fait le choix judicieux du juste milieu. Ni trop peu, ni pas assez, la campagne d’avant la diffusion du premier épisode était justement dosée, même en termes de relations presse.
En effet, Canal+ maîtrise l’exercice, au vu de toutes ses créations originales. Il est, de manière générale, extrêmement difficile de passer à côté de la sortie de l’une d’elle, qu’on soit abonné ou non à la célèbre chaîne privée. À travers les campagnes d’affichage, certes, mais aussi par le nombre d’articles publiés avant même la date de sortie de la série. Fidèle à sa politique habituelle, Canal+ a convié un certain nombre de journalistes à une diffusion en avant-première des épisodes des Revenants. Tous les épisodes ? Non, Canal+ n’a cédé que les six premiers, ce qui, me direz-vous, est déjà important dans une série conforme aux canons Canal+, c’est-à-dire de huit épisodes par saison. Mais si nous regardons en arrière, alors que nous avons vu tous les épisodes, c’est un choix qui reste polémique. On entend ici et là que les deux derniers épisodes ont été décevants, en tout cas pas à la hauteur du reste de la série. Les producteurs en étaient-ils conscients ? Ont-ils voulu cacher la faiblesse scénaristique supposée de cette fin de saison ?

Mais revenons à nos moutons, c’est-à-dire à nos journalistes, à qui on a accordé également moult interviews avant la diffusion des Revenants aux abonnés de Canal+. On entend surtout Fabrice Gobert, créateur et réalisateur de la série, mais aussi quelques-uns des acteurs comme Anne Consigny (Claire, mère de Camille) ou Frédéric Pierrot (Jérôme, le père), qui enrobent la série de mystère et surtout, la distinguent clairement du film dont elle est inspirée mais qui avait finalement fait un flop auprès du grand public. La politique de Canal+ a donc été, à l’image de la série elle-même, de peu en dire et de tout suggérer. La diffusion des premiers épisodes aux journalistes – ce lien créé avec la presse que Canal+ connaît et maîtrise bien – a conduit à l’encensement de la série par les journalistes avant même qu’elle ne soit connue du public, à qui Canal+ a accordé un amuse-gueule : les douze premières minutes du premier épisode de la série, où le ton est clairement donné. Musique au temps suspendu, rythme angoissant, gros plans haletants, nous n’avons pu attendre la sortie de la série qu’avec impatience. Mais il est très clair que si Canal+ n’avait pas fait de la série un événement à ne pas manquer, il en aurait été tout autrement. Pour cela, la chaîne ne se contente pas d’une campagne de communication et de publicité classique avec grandes affiches et petits teasings, le tout aux heures de grande affluence sur Canal+, mais exploite au maximum un lien privilégié avec les journalistes.
Mais faire parler de la série ne signifie pas se cantonner à discuter de ce qui s’y passe. Fabrice Gobert, l’homme sur-interviewé de la pré-diffusion des Revenants, a parfaitement conscience qu’avec sa série, il s’insère dans des débats d’actualité : la mort, le deuil, l’absence et tout le questionnement qui les entoure. Dès lors, le pari de Canal+ est d’inclure Les Revenants dans une réflexion sociale grâce à laquelle les téléspectateurs peuvent s’identifier aux personnages de la série. Des journalistes de tous horizons, du Monde à Paris Première, ont évoqué le débat, de telle sorte que Les Revenants, avant même sa diffusion, devenait une référence culturelle pour évoquer la question de la mort.
Le cocktail de complicité et de surprise, entre Canal+ et les journalistes, a permis l’effervescence actuelle autour de la série. En parlant de surprise, Fabrice Gobert cultive l’art du mystère : une saison 2 ? Pas sûr, mais pourquoi pas. Ne parlons même pas de la sortie extrêmement rapide, due sans doute au cryptage de Canal+ qui réduit considérablement le nombre de spectateurs rentables de la série, sortie qui n’avait pas été annoncée dans les délais classiques. Une surprise destinée à se retrouver au pied d’un sapin de Noël tardif ? Probable…
 
Elsa Couteiller (pour « Les Revenants, zombies qui font le buzz »)
Léo Fauvel (pour « Les Revenants, aspect transmédia »)
Noémie Sanquer (pour « Les Revenants : les morts aussi cultivent les RP »)
 
Sources « Les Revenants, zombies qui font le buzz » :
http://www.lexpress.fr/culture/tele/serie-tele-pourquoi-l-episode-final-des-revenants-a-decu-alors-qu-il-est-reussi_1203275.html
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/743489-les-revenants-sur-canal-une-serie-fantastique-pas-si-mortelle-que-ca.html
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1998_num_38_145_370446
Sources « Les Revenants, aspect transmédia »
http://mediacommons.futureofthebook.org/mcpress/complextelevision/transmedia-storytelling/
http://www.experience-transmedia.com/hebdomedia-transmedia-19-11-2012/
http://lesrevenants.canalplus.fr/
http://www.reviewer.fr/dossiers/television/18434/les-revenants-la-saison-2-la-fin-le-createur-de-la-serie-nous-dit-tout.html
http://www.liberation.fr/ecrans/2012/09/03/arte-dans-la-spiral-du-transmedia_843561
Sources  « Les Revenants : les morts aussi cultivent les RP »
http://series-tv.premiere.fr/News-video/Les-Revenants-l-equipe-nous-dit-tout-3575690

“Les Revenants” Création Originale Canal+ – Les premiers Teasers


http://www.huffingtonpost.fr/2012/11/26/les-revenants-canal-plus-serie-zombies-_n_2190426.html
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20121124.FAP6421/les-revenants-sur-canal-decryptage-de-la-serie-la-plus-attendue-du-moment.html
http://www.spin-off.fr/actualite-2771-25112012-Le-createur-des-Revenants-repond-a-nos-questions.html
 

Les Revenants
Dossiers et conférences

Le marketing version Revenants

 

 Pour le premier dossier sur Les Revenants de la semaine, Flora Trolliet, Esther Pondy et Sabrina Azouz nous proposent leurs interprétations des stratégies marketing entourant la série. Si l’agence BETC a conduit Canal+ à adopter une stratégie que l’on peut situer entre celles communément adoptées au cinéma et celles des séries américaines, on peut aussi se demander si le succès des Revenants n’est pas aussi dû en partie aux particularités de la chaîne.
 
 
Un positionnement paranormal
Il y a des productions audiovisuelles dont on devine aisément le genre. Bienvenue chez les Ch’tis est une comédie, Paranormal Activity un film d’horreur, aucun doute là dessus. Cette classification par genre est l’une des composantes essentielles de l’analyse stratégique d’objets culturels, notamment audiovisuels. Dans le cadre d’une démarche marketing, elle permet en effet d’identifier le positionnement d’un film sur le marché et par conséquent de définir sa segmentation, c’est-à-dire la clientèle susceptible de s’y intéresser.

Les Revenants nous confronte à une analyse stratégique complexe. Alors que son format (8 épisodes de 52 min) et son mode de diffusion (télévision, prime-time…) ne laissent aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’une série télévisuelle (made in Canal+), son dispositif de création (réalisation, scénario, production) et la création en elle-même (thématiques abordées, interprétation, choix esthétiques) rendent ce positionnement plus ambivalent. Sous différents aspects, la série oscille entre objet culturel télévisuel et œuvre d’art cinématographique. Cette première hypothèse se confirme lorsqu’on analyse la segmentation de la série, tout aussi ambivalente, cherchant à fédérer un public double.
Aussi, le positionnement des Revenants repose-t-il sur une série de paris plutôt dangereux : imposer une thématique fantastique dans un prime-time à la télévision française, proposer une création aux partis pris esthétiques très marqués et surtout, établir un équilibre entre études psychologiques approfondies et éléments surnaturels incompréhensibles. De ce positionnement ambivalent découle une double segmentation dominante : public sériel traditionnel d’une part, public peu sériel mais cinéphile d’autre part ; autrement dit celui qui dévore l’intrigue et veut des réponses à ses questions et celui qui se nourrit des personnages, de leur psychologie.
Cette segmentation s’accompagne du développement d’outils marketing ciblés qui semblent parfois empruntés aux campagnes publicitaires du cinéma. D’une part, avec ses créations originales en général, avec Les Revenants en particulier, Canal+ renoue avec le caractère publicitaire que le cinéma, notamment américain, octroie au casting. D’autre part, dans son mode de diffusion et dans son contenu, le premier épisode fonctionne comme une bande annonce « à la française ». Ces outils marketing, qui paraissent implicites, parce qu’intégrés au contenu de la série elle-même, jouent un rôle essentiel dans la création de bouche à oreille.
Le casting :
Il est un élément crucial du marketing cinéma. Depuis les débuts du 7e art, les « têtes d’affiches » jouent un rôle publicitaire de premier choix et les producteurs, notamment américains, s’arrachent les acteurs du moment à coup de billets verts. Cette tendance est moins marquée sur le petit écran du simple fait que le genre sériel tend à être considéré comme mineur, attirant en général uniquement des acteurs « de seconde zone » (pas encore révélés au cinéma / dont le cinéma ne veut plus).
Les créations Canal+ inversent cette tendance en soignant le choix des comédiens, très souvent issus du cinéma. En ce sens, le casting sériel retrouve ici un rôle publicitaire, seule la cible a changé. En effet, les acteurs 100% cinéma français d’auteur drainent un public d’ordinaire peu enclin aux téléfilms, séries télé et autres blockbusters mais heureux de suivre ses interprètes fétiches sur un format plus long qu’à l’accoutumée. Ainsi, un casting crédible et cohérent contribue largement au succès des créations originales Canal et, sans aucun doute, Les Revenants en est l’exemple le plus abouti (cf. Annexe).
 
Le premier épisode :
Le premier épisode des Revenants fonctionne comme une bande annonce cinématographique. Dans son mode de diffusion tout d’abord, il est visible presque un mois avant la diffusion sur Canal+ et cette visibilité en « avant-première » est très médiatisée. Dans son contenu ensuite, il est construit sur le modèle des bandes annonces françaises qui, à la différence de celles américaines (sortes de mini-films à elles mêmes), restent très souvent évasives, ne respectant pas la linéarité du film. Et justement, avec le premier épisode des Revenants impossible de savoir quelle direction la série va adopter, on est à cent lieues d’imaginer que le retour parmi les vivants de Camille, Simon, Mme Costa et Victor va se généraliser. L’intrigue étant centrée sur Camille, on pourrait même imaginer qu’ils se trouvaient ensemble dans le bus. Ce qui donnerait, si ce n’est une explication, du moins une unité au phénomène paranormal dont tous sont frappés. A lui seul, le premier épisode est en outre celui dont le positionnement est le plus difficile à définir. Pour anecdote, cette technique de marketing avait été initiée avec Simon Werner a disparu, le premier film de Fabrice Gobert : en plus des bandes annonces (relativement courtes), on pouvait découvrir en exclusivité … les 3 premières minutes du film !
Mise en bouche efficace des (télé)spectateurs, cette stratégie favorise le feedback que la chaîne ré-exploite notamment dans une bande annonce « twitter » (comprenant des tweets de fans et le slogan « Les Revenants, c’est vous qui en parlez le mieux »), non sans rappeler certaines affiches et bandes-annonces de cinéma. Les affiches de Comme des Frères et celle des Bêtes du sud sauvage en sont deux exemples récents ; la première intègre les commentaires des spectateurs, la seconde ceux des critiques de presse, agrémentés du slogan « Tout ce qu’on vous dit sur Les bêtes du sud sauvage est vrai. »
Le choix d’une segmentation large peut expliquer les records d’audience de la série (1.4 millions de téléspectateurs sur la quasi-totalité de la série). Cependant, si la fin de la saison 1 a suscité un record historique d’audience, elle a également déclenché une avalanche de critiques sur Facebook.
D’une part, dérouté par l’absence de réponses apportées aux mystères de la série, par cette fin sous forme de cliffhanger, le public « plus sériel » se déchaîne sur Internet, là où la série était justement venue le chercher. Plusieurs éléments de scénario restent en effet non-expliqués (l’évolution du niveau de l’eau, la cicatrice dans le dos de la sœur de Camille par exemple). D’autre part, le public a priori « plus cinéphile » a du mal à digérer un certain changement de registre en faveur du paranormal. Les mystères se multiplient en effet (cicatrices, hordes de revenants, bébé mort-vivant d’Adèle…) et éloignent la série des questions relationnelles que le retour des morts cause à l’entourage des revenants. Effet boule de neige, le double positionnement du genre (réalisme, psychologie ET paranormal, intrigue) s’estompe, mettant alors en péril la double segmentation.
Réunir deux types de publics diamétralement opposés ou presque devant le même programme demande un sens de l’équilibre digne des plus grands funambules. Avec des films comme Skyfall ou The Artist, le marketing du cinéma a fait ses preuves en la matière. Avec Les Revenants, Canal+ a ouvert la brèche.
 
 
Une stratégie du plus
Ce qui fait l’actualité s’accompagne toujours d’un certain matraquage médiatique et surtout d’un discours préparé. Avant, après et pendant leur diffusion, les objets (livres, disques, films ou séries) et les hommes qui font l’actualité ne peuvent échapper à cette étape indispensable. Le jeu des plateaux télé et des relations publiques est celui qu’il faut absolument maîtriser.
Dans cette optique, Les Revenants se plie aux règles avec une campagne publicitaire particulièrement léchée que nous devons à la prestigieuse agence BETC, fidèle partenaire de la chaîne Canal+. Mais ce que l’on observe à propos de la production, c’est que ce qui la propulse au rang de série événement n’est pas tant la campagne que la notoriété de la chaîne elle-même, relayée par ses téléspectateurs.
Lancés le 23 octobre, le site Internet, les affiches, le spot radio et la bande annonce TV préparent l’arrivée de quelque chose de nouveau et poussent téléspectateurs et médias à créer eux-mêmes l’événement. « Première série fantastique »; « du jamais vu pour une série française » ; « la série la plus attendue. » Pendant un mois les discours qui se forment autour de la série ne sont pas ceux de la chaîne qui se veut plus discrète.
On concédera à cette stratégie une certaine douceur. Elle s’accorde d’ailleurs parfaitement avec le positionnement éditorial initial de la chaîne.
 
« Canal+, demandez plus à la télé »
Si la légende veut que le « + » qui qualifie la chaîne ne soit dû qu’à une erreur d’impression, la coïncidence est heureuse car un simple « Canal 4 » n’aurait probablement jamais suffit à décrire combien la chaîne se présente comme un lieu à haute valeur ajoutée.
La différence entre les chaînes lambda et la quatrième a toujours été fortement marquée. Publicité, cryptage, annonces, les « plus » réservés aux consommateurs qui payent pour ont toujours été visibles et déployés devant les yeux des téléspectateurs moins heureux. Les meilleurs films de cinéma plus rapidement, les meilleures séries avant les autres, le foot en exclusivité, etc. Dans l’imaginaire comme dans les faits Canal+ n’est pas un chaîne comme les autres.
La marque se distancie des autres chaînes, mais prend surtout ses distances vis-à-vis de la télévision elle-même. L’atout cinéma a rapidement été le moyen de s’imposer d’abord en tant que diffuseur de films de premier choix. Avec le temps, la critique s’est élargie à tous les contenus disponibles sur la chaîne désormais également reconnue comme un producteur de qualité.
Cette façon de mettre en valeur le raffinement, l’exclusivité et la rapidité fait entrer dans les esprits que le meilleur est sur Canal+. Symboliquement, l’effet même de cryptage renforce cette idée qu’il existe un privilège, une richesse Canal+.
« Des créateurs originaux pour des programmes originaux »
Dans le temps, cet argument du plus n’a pas fondamentalement changé. Mais il a évolué, il s’est renouvelé. Le cinéma, le foot, les séries américaines et aujourd’hui les créations originales viennent s’ajouter à la notoriété de la chaîne.
Pigalle, Engrenages, Borgia, Maison close : avant même leur sortie, ces fictions made in France ont été annoncées comme des séries « événement ». Originales, elles le sont parce qu’elles ne sont faites comme aucune autre série (saisons de huit épisodes, 52 minutes) mais aussi parce que chaque production se distingue des autres par l’intrigue, l’univers qu’elle incarne, son genre, sa tonalité. Les choix sont souvent audacieux, mais le public sanctionne positivement.

C’est dans ce contexte béni qu’apparaît la série Les Revenants. L’intrigue seule suffit à susciter l’intérêt, mais la provenance Canal+ et le cachet des autres séries de la chaîne sont un argument inimitable. C’est cet élément que la bande annonce de la saison exploite. Les noms de la série et de la scène sont physiquement replacés dans le cadre créateur original.
La création originale Canal+ devient ainsi un label à part entière, unique en son genre et propre à la chaîne. La création Canal+ n’est pas tout à fait comme la série américaine ; mais elle reste aussi inégalée par les producteurs français. Un label et un format qui ne se sont encore jamais vus ailleurs et qui se veulent exportables, comme le montrent les nombreux projets d’adaptation en cours aux États-Unis.
 
Un marketing fantôme
En effet, si la série Les Revenants a fait le buzz en France, on parle déjà d’un remake américain en préparation. Le network ABC et la société de production Plan B de Brad Pitt auraient déjà acheté les droits d’adaptation non pas de la série française mais d’un roman américain, The Returned, publié en septembre prochain. L’histoire ? Des parents qui assistent au retour de leur fils de huit ans, mort des années auparavant et qui n’a pourtant pas vieilli. Très vite, ils réalisent que le phénomène est mondial. Cela vous rappelle quelque chose ? Pas étonnant, vous dirais-je. Si The Returned vous rappelle Les Revenants avec une première intrigue qui serait un croisement entre celle de Camille et Victor, personne ne parle pourtant de plagiat. La société de production assure même que cela n’aurait rien à voir avec la série fantastique française. Bref, on attend de voir pour le croire.
Mais en regardant la série diffusée sur Canal+, on n’a pas pu s’empêcher de remarquer un désir possible de la chaîne d’exporter cette nouvelle création originale à l’étranger*. Si la série est située dans une ville fictive mais tournée dans la banlieue d’Annecy, le choix des producteurs concernant les décors nous conforte dans cette idée. En effet, l’American Dinner au gérant exécrable qui subit les foudres de Simon, et situé au milieu de nulle part, nous rappelle très vaguement les séries américaines dans des villes un peu perdues. Mais aussi le Lake pub, le bar billard où se retrouvent les ados comme Léna, ou même Adèle et Simon des années auparavant. Pourtant, lorsqu’on interroge les réalisateurs et producteurs, ces derniers nient tout en bloc et évoquent simplement l’influence de la série de David Lynch, Twin Peaks, comme une référence cachée.
Hormis l’influence de Twin Peaks, on ne peut pas non plus s’empêcher de penser à la série américaine 4400. Même si on ne parle pas de morts revenus à la vie, c’est presque la même chose puisque ce sont des milliers de personnes qui ont été portées disparues et qui réapparaissent telles qu’elles étaient au moment de leur disparition. On se souvient, outre les 4400, de Lost (2004-2010) ou Roswell (1999-2002) qui ont connu un vrai succès à leur début avec du suspense et de nouveaux éléments à résoudre ne cessant d’apparaître au fil des épisodes. Mais finalement, elles ont échoué à cause de l’incapacité des scénaristes à trouver une résolution à l’avance.

 
Mais ce ne sont pas seulement le suspense ou l’intrigue qui nous rappellent nos très chères séries américaines ; les stratégies purement marketing, elles aussi, s’y prêtent savamment. Pourtant, on a plutôt l’habitude d’une promotion très discrète autour des séries françaises, d’où parfois leur manque d’audiences et de succès. Or, Canal+ a aussi fait le choix d’être discret avec une campagne d’affichage pour Les Revenants classique alors que les chaînes américaines, elles, sont plutôt prêtes à tout pour qu’on parle partout de leur série, et surtout, qu’on la regarde. Si les Américains font les choses en grand, c’est non seulement à cause de la compétition des séries qui fait rage aux Etats-Unis entre les chaînes, mais également parce qu’ils ont plutôt l’air d’apprécier le street marketing et les choses décalées et surprenantes. Ainsi les Américains avaient pu expérimenter l’installation en pleine rue d’une grande fontaine remplie de liquide rouge, de sang, pour la promotion du sérial killer préféré des téléspectateurs, Dexter. Pour la série Lost encore, il n’était pas rare de voir des affichages dans des endroits insolites rappelant la série, tels qu’un labyrinthe ou en forêt, mais également des affiches reprenant la compagnie aérienne sur laquelle nos survivants avaient voyagé avant le crash. Si l’on aime cette manière de faire de la pub pour nos séries préférées de manière géante et surprenante, on ne s’attend pas à voir le street marketing prendre une telle ampleur en France.
Canal+ a donc préféré jouer une autre carte empruntée aux séries américaines et tenté d’inclure les spectateurs à la série et à l’intrigue. Encore une fois, l’équipe des Revenants semble avoir tout appris de J.J Abrams et de son bébé, Lost, qui avait proposé aux spectateurs d’explorer les rouages et mystères de la série sur Internet, afin de les faire patienter jusqu’à la prochaine saison. Ce fut un succès, les fans de la série s’étant identifiés aux personnages très rapidement et ayant été victimes du suspense. Le phénomène a ensuite été répété dans plusieurs autres séries et les expériences transmedia sont devenues monnaie courante. Mais nous aborderons cette stratégie plus en détails demain. Seulement, Canal+ a très vite repris cette idée pour fidéliser facilement ses spectateurs, élever les « coûts de sortie » (c’est-à-dire les barrières de sortie de la série, d’arrêt du visionnage par le téléspectateur) et ainsi rendre difficile l’abandon de la série par le spectateur. La chaîne retente l’expérience pour Les Revenants puisque cela avait déjà été fait pour plusieurs autres de leurs créations originales, comme pour Maison Close. Ils avaient aussi créé des comptes Twitter tenus virtuellement par les différentes héroïnes de la série.
Si la création originale de Canal+ semble souffrir d’un léger syndrome Lost, on espère juste qu’elle ne finira pas comme elle. Mais on peut se rassurer puisque Fabrice Gobert, le créateur de la série, a déclaré qu’il avait en tête plusieurs directions qu’il souhaiterait aborder pour la série et son enchaînement.
Ce qui nous amène ici au « season finale » de la saison 1 des Revenants qui se différencie encore une fois des autres séries françaises. Si, en France, nous sommes peu habitués aux séries qui finissent sur un cliffhanger, les créateurs de la série, eux, n’ont pas hésité à jouer la carte du to be continued. Si certains téléspectateurs ont été déçus par cette fin, qui ne répondrait pas assez à leurs interrogations, la plupart sont déjà « accros » et attendent avec impatience le retour de la série. Le public restera-t-il fidèle malgré la longue attente ? L’effet des Revenants va-t-il durer ? On peut le croire, puisque la création originale de Canal+ a rencontré un succès sans précédent sur la chaîne câblée. En effet, un quart des abonnés était devant leurs écrans, ce qui en fait la création originale la plus suivie de l’histoire de Canal+, devant d’autres réussites telles que Engrenages, Braquo, Mafiosa mais aussi  Maison Close ou Pigalle la nuit, avec une audience moyenne sur les huit épisodes d’environ un million et demi de téléspectateurs, sans compter bien sûr les téléchargements illégaux.
La chaîne, pour se féliciter de ses audiences, s’est même empressée de mettre en vente un coffret DVD de la série juste avant les fêtes de Noël. C’est le meilleur moyen de continuer à surfer sur la vague du succès tout en boostant les ventes de DVD à Noël. Évidemment, on aurait tous aimé voir le coffret de la série sous notre sapin. On peut donc applaudir Canal+ pour cette stratégie commerciale très efficace qui leur a sans aucun doute permis de toucher une nouvelle cible : les non-abonnés à la chaîne Canal+, mais également de lutter contre le téléchargement illégal. De plus, on les félicite pour leur rapidité, les derniers épisodes des Revenants ayant été diffusés le 17 Décembre et les coffrets commercialisés trois jours plus tard. Du jamais vu. Canal +, c’est décidément « tellement plus encore. »
 
Annexe
Un casting 100% pur cinéma français… (liste non exhaustive)
Interprétation :
Anne Consigny (a notamment tourné avec A. Renais et A. Desplechin), Clotilde Hesme (Les Chansons d’Amour, Angèle et Tony…), Frédéric Pierrot (jouait dans Les Revenants, le film) ou Grégory Gadebois (Pensionnaire de la Comédie Française, césarisé pour Angèle et Tony) : acteurs confirmés, peu habitués à des rôles pour la télévision.
Céline Sallette (L’Apollonide…) , Sami Guesmi (Camille redouble…), Guillaume Gouix (Jimmy Rivière, Hors les murs, Mobil Home…) : valeurs montantes du cinéma d’auteur.
(Re)découvertes : Matila Milliarkis (Cœur Océan, l’un des seuls a avoir joué dans une série avec Jenna Thiam), Yara Pillar (révélée par 17 filles, Semaine de la Critique, Cannes 2011), Pierre Perrier (rôles atypiques dans films marginaux, Plein Sud, American Translation…)
Réalisation et scénario :
Fabrice Gobert (repéré avec Simon Werner a disparu, son premier long, sélectionné dans la catégorie un Certain regard, Cannes 2011)
Collaboration d’Emmanuel Carrière (a reçu le prix Renaudot, a été membre du jury de Cannes en 2010)
De Céline Sciamma (recrue Fémis, deux longs à son actif, très remarqués dans le milieu du cinéma d’auteur français Naissance des Pieuvres, Tomboy)
Production :
Haut et Court, distributeur cinéma avant tout mais qui a déjà produit une série en 2011, Xanadu (du nom de l’entreprise pornographique familiale où se déroule l’intrigue), diffusée sur Arte. Témoigne déjà d’un goût prononcé pour les créations originales et les chaînes qui osent.

*EDIT DU 14 JANVIER à 23h00.
Le compte officiel de Haut et Court vient de retweeter une information selon laquelle Les Revenants seront adaptés en langue anglaise par le distributeur FremantleMedia Enterprises. They Came back sera produit par l’Anglais Paul Abbot.Voici un lien vers l’article source de Variety.
 
Flora Trolliet (pour « Un positionnement paranormal »)
Esther Pondy (pour « Une stratégie de plus »)
Sabrina Azouz (pour « Un marketing fantôme »)

Agora, Com & Société

En grève !

 
Perturbations du trafic, mouvements sociaux, revendications,  grève des contrôleurs, des conducteurs de TER, des salariés etc. Ces mots résonnent en chacun de nous aujourd’hui, on aurait presque tendance à les entendre avant même qu’ils ne viennent frapper à nos tympans.
C’est un sombre mois de décembre qui a commencé pour les usagers de la SNCF. On est pourtant rodés, en France la grève c’est presque comme la baguette et le camembert, bien frenchy ! Alors le savoureux mélange du mouvement de grève avec les cheminots c’est un peu la consécration de la tradition, un bout de camembert normand délicatement déposé sur un bout de pain tout juste sorti du four à bois. Seulement voilà, après plusieurs décennies de grèves, le pain commence à rassir… Les revendications sont nombreuses, les injustices et les problèmes de conditions ainsi que de droits du travail sont encore prégnants. Mais cette fois-ci le problème est ailleurs.
La SNCF maîtrise parfaitement son image, sa communication. Pour le coup, la communication de crise est inévitablement liée à la SNCF, une société des transports ne peut évidemment pas négliger la prévoyance des incidents et la réaction face à leurs conséquences. La SNCF choisit la transparence, la rapidité, la prise de parole. Malheureusement lorsque les causes des incidents proviennent de la société, la réaction se fait difficile. Les grèves sont difficiles à gérer, surtout sur le long terme, surtout lorsqu’il s’agit de crises récurrentes et sans réponses réelles, et surtout lorsque cette réponse oublie que les usagers risquent un jour de faire grève à leur tour… Ou bien de monter à bord d’un autre train, ce qui pourrait arriver prochainement avec l’ouverture du réseau à la concurrence.
Sur le net, c’est avec son site Voyages-SNCF.com qu’elle fait un véritable tabac et son directeur de la communication, Patrick Ropert n’est pas le dernier à le faire savoir, on le comprend bien. L’entreprise septuagénaire n’en est pas à son coup d’essai, sur internet elle gère. La plateforme Voyages-SNCF illustre bien la capacité d’adaptation dont elle peut faire preuve. Créée en 2000 elle devient rapidement le premier site de e-commerce en France, en 2011 elle représente environ 10% du volume d’affaires de l’e-commerce français ! Sur le plan digital la firme ne cesse de se développer depuis le début des années 2000. Plus récemment elle a pris le temps de refondre son site internet, repensé comme un « hub », afin de faciliter accès et navigation aux usagers. Mais il est aussi l’heure selon Patrick Ropert de passer à une nouvelle relation digitale via le « open data ». Le but : rendre publique certaines données et devenir ainsi une plate-forme dont la force serait l’ « open » pour être capable de répondre aux besoins des clients. Selon le directeur de la communication du groupe il s’agit d’une « information individualisable en temps réel, pour dix millions de passagers quotidiens dans le monde ». Cette approche nouvelle de la donnée devrait faciliter l’accès aux informations et aux services, un peu comme le faisait déjà l’application du Transilien. De plus, la SNCF est également présente sur tous nos écrans, smartphones, tablettes… Pas de problème pour acheter un e-billet, connaître les horaires et tarifs. En revanche il reste des zones d’ombres  qui ne sont toujours pas éclaircies par cette palette d’outils numériques.
Alors oui sur internet la navigation est fluide. Sur le réseau ferroviaire c’est une toute autre histoire. Et c’est précisément ce qui risque de poser problème à la société de transports française. Cette dimension digitale est selon Patrick Ropert un élément essentiel « de la mobilité et transforme simultanément le service, la production, les modèles économiques, l’information et, bien sûr la culture d’entreprise ». On peut s’interroger sur la validité de quelques uns de ces points : La culture d’entreprise et inévitablement le service, tous deux intimement liés. La cohérence qui existe entre l’image développée par la SNCF et sa maîtrise de l’espace digital, risque d’être mise à mal par les incessantes grèves qui ne suscitent plus du tout l’émoi ou la solidarité des usagers. Des prix trop élevés, des heures d’attentes, des retards, des dégradations et bien évidemment le problème cyclique des grèves, suscitent l’agacement. Les usagers ont le droit de se sentir biaisés, la fluidité du réseau ne semble que virtuelle, purement digitale.
 
Margot Franquet
Sources :
Stratégies N° 1701 p. 16 « Open Data : la relation digitale »
Le Monde.fr
 

Société

Les TED et la victoire du storytelling

 
Elles arrivent petit à petit en France, et commencent doucement à se faire reconnaître du grand public : les conférences TED n’ont pas fini de fasciner, en témoigne la littérature prolixe qui fleurit sur le web à leur sujet. Fondées d’abord aux Etats-Unis en 1984, les TED (Technology, Entertainment, Design) avaient un objectif simple et loin d’être révolutionnaire : partager des points de vue nouveaux (leur slogan est “ideas worth spreading”) en faisant intervenir des spécialistes dans des conférences ouvertes au grand public. L’avènement et la démocratisation d’Internet a évidemment dopé leur développement puisque toutes les conférences (1400 à ce jour) sont publiées sur leur site, parfois même sous titrées par des volontaires, le tout gratuitement. Le succès fut sans précédent. TED a réussi à créer une véritable communauté sans être taxé d’élitisme, à intéresser un public qui dépasse celui des seuls habitués aux conférences. Communauté qui  d’ailleurs ne cesse de s’agrandir, TED se disséminant peu à peu dans d’autres pays ; son arrivée en France date de 2009, et depuis septembre 2012, ce ne sont pas moins de trois TEDx (nom donné aux évènements TED) qui ont occupé de grands lieux de Paris, tels que la Gaîté Lyrique ou le Panthéon de la Sorbonne.
 
Comment expliquer cet engouement ?
Les TED ont parfaitement su s’adapter au nouveau régime de la consommation du savoir mis en place par l’arrivée d’Internet. Lorsqu’un internaute navigue sur le web, chacune de ses fenêtres affiche un contenu  différent, il peut, en un clic, passer d’un diaporama sur des photos édifiantes à un article scientifique surprenant, en passant par une chronique amusante ou touchante. C’est un peu ce que proposent ces conférences. En « live », une dizaine d’intervenants se relaient, en ne dépassant que rarement les vingt minutes de parole. Il en va de même lorsque l’on se rend sur le site où l’on nous dit « browse by subject, length, or rating (inspiring, jaw-dropping, funny…) » : tout est à la demande, et si l’on ne créé pas la vidéo qu’on veut voir, on n’en a jamais été aussi près, puisque nous sommes les seuls décideurs de sa durée, son sujet, son ambiance, sa qualité. Les TED sont en quelque sorte le microcosme d’Internet, ou du moins de l’image idéalisée que l’on peut s’en faire : un lieu où l’éclectisme, comme le savoir, est à portée de main.
Mais proposer du contenu intelligent ne suffit pas à soulever l’enthousiasme, et il serait quelque peu ingénu de croire qu’il a alimenté à lui seul la gloire de TED.

En effet l’autre clef de la réussite de TED, la différenciant des traditionnelles conférences, est l’utilisation du fameux concept de  storytelling. Regardez ne serait-ce que trois vidéos et vous verrez que le commencement est toujours le même : des applaudissements, les saluts de l’invité, puis une brève narration de sa vie et de l’élément qui l’a bouleversée et explique sa présence ce soir. Tous ces gens ont une histoire à raconter, bien spécifique, dont ils ont tiré des conséquences, un certain savoir ainsi que des règles qui désormais dictent leur vie et qu’ils se doivent de nous transmettre. Rien n’est plus efficace que ce procédé. Raconter un fait personnel et parvenir à le lier à un propos abstrait le rend palpable et humain, ainsi qu’intéressant, car il mobilise nos émotions voire crée un processus d’identification. Tout le monde aime les gens qui « ont une histoire ».
C’est ainsi que TED a institutionnalisé ce moyen de communication qui se retrouve désormais dans tous les discours de marques : on se souvient de ceux de Steve Jobs, on écoute encore ceux de Marc Zuckerberg. Les TED sont cet intermédiaire entre la conférence scolaire et la communication d’une marque : ses intervenants sont souvent des entrepreneurs, les conférences sont parrainées par de grandes marques (Canal + et Orange sponsorisent la prochaine). Le storytelling devient même une pratique à part entière ; à la dernière TEDxSorbonne, un des intervenants a parlé pendant 20 minutes de rencontres qu’il avait faites au cours de sa vie, et je dois avouer que j’étais très perplexe sur le fond de sa pensée, jusqu’à ce que je voie un tweet disant qu’il faisait une superbe démonstration de storytelling.
Le storytelling, pilier de TED et de la communication désormais, est donc à double tranchant. Il a l’avantage de pouvoir nous intéresser à presque tout et n’importe quoi, mais ne risque-t-il pas de réduire le discours a un simple exercice rhétorique, que, finalement, nous oublions dès que l’émotion qu’il a nous a procurée est passée ? (Ne finit-il pas par desservir le partage du savoir ?)  C’est en tout cas ce qu’illustrent les flops de l’opération Kony 2012 ou de la publicité pour Facebook, les deux vidéos commençant presque par les mêmes images et le même texte, leur message étant pourtant totalement différent.
Virginie Béjot
Sources :
TED : http://www.ted.com/pages/about
TEDxParis : http://tedxparis.com/
Retrouvez également le live tweet de la dernière conférence TED à la Sorbonne sur le fil twitter de @FastNCurious_