Com & Société, Médias, Publicité

Rap et communication : quand les rappeurs s’emparent de l’espace médiatique

Des clips vidéo de plus en plus travaillés, de nombreux partenariats avec des marques de luxe, des évènements promotionnels de grande ampleur… Il est clair que d’importants changements en termes de communication se profilent dans le milieu du rap et de la musique urbaine. Rapide tour d’horizon des plus grands coups marketing des figures emblématiques du rap, aujourd’hui devenus de véritables champions de la communication.
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Le doigt à l’honneur

Avec son voyage à Saint-Martin (Antilles) en Septembre dernier, notre président a eu l’excentricité de remettre à l’honneur un symbole à priori aux antipodes du cadre politique : le doigt d’honneur.

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La white trash, le futur du swag?

Devant une société de plus en plus sombre et incertaine, l’émergence d’un rap absurde, critique et ironique se fait entendre. A mi-chemin entre la noirceur et l’humour… Cette tendance rap, c’est la white trash.
La white trash, késako ? 
L’expression « white trash » (raclure blanche) est utilisée à l’origine pour décrire la part la plus pauvre de la population blanche américaine. Des gens pour qui la culture et l’éducation sont des mots étrangers, des gens sales, incestueux, drogués, ivrognes, tatoués et totalement « beaufs ». Bref, tout ce dont on peut rêver. La famille de Shameless en est peut-être l’exemple le plus emblématique.

Exemple stéréotypé de la famille white trash
Peu à peu, ce terme à été repris pour décrire une tendance en matière de rap. La white trash est un phénomène apparu à la fin des années 90 lorsque des rappeurs blancs ont désiré se faire une place dans le rap/hip hop, un milieu dominé majoritairement par des rappeurs d’origine afro-américaine. Aux States, le « papa » des rappeurs white trash, vous le connaissez tous, c’est Eminem, véritable ovni dans le monde du rap US, de par son talent et sa couleur de peau.
A l’époque, être blanc dans le rap était mal vu, antinomique, synonyme de « chétif » et d’ « intello ». Les rappeurs blancs ne semblaient pas légitimes mais plutôt ridicules, incapables d’une performance correcte comme si le talent d’un rappeur était proportionnel à son taux de mélanine. Un autre cliché du rap voulait qu’un rappeur gagne sa légitimité en prouvant qu’il avait souffert par le passé. Les Afro-américains avaient donc plus de raisons d’être légitimes en mettant en avant les blessures de leurs ancêtres et en dénonçant le racisme, la ségrégation, ou encore l’esclavage.
Ce phénomène est particulièrement bien illustré par le film 8 Mile avec Eminem (inspiré de sa vie) où celui-ci cherche à s’imposer dans des battles de rap où les participants et le public sont uniquement noirs. On lui fait alors comprendre qu’il n’est pas à sa place, il va dès lors devoir lutter contre les préjugés et ses propres démons pour se faire une place dans un milieu hostile.
Du côté de notre patrimoine rap français, DIAM’S, dénonçait elle aussi son mal-être, sa difficulté à percer dans un milieu où le simple fait d’être blanc était éliminatoire : « j’ai vite compris qu’on me prenait pour une conne, autant mes profs que mes potes, une petite blanche dans le hip hop…»  DIAM’S – Petite Banlieusarde 
Même si chaque rappeur blanc peut interpréter la white trash à sa façon, celle-ci consiste premièrement à parler de drogue et de sexe de manière très vulgaire afin « d’asseoir » sa notoriété et de démontrer sa street credibility, légitimer son côté « fils de la rue ». 
En France, Alkpote est considéré comme l’initiateur de ce mouvement. S’en suit une flopée de descendants comme Orelsan, Biffty, Vald… Blancs, souvent tatoués, pas particulièrement sexy et toujours un peu (ou beaucoup!) haineux, ces derniers montent dans la « rapshère » avec des paroles à prendre au 40ème degré, remplies de phrases grotesques aux rimes vulgaires. On remarque également chez eux une certaine volonté de « rapper sans thème », uniquement pour enchainer les punchlines provocantes et absurdes.
«  La chatte à ta grand-mère, on rentre par devant, et par derrière. Viens ici mon petit, on va voir si tu grossis, tiens un bifidus actif dans ton anus tu sens Biffty. » BIFFTY – SOUYON (produit par DJ Weedim)
« Je suis ingénieux comme Jules Verne, je t’asperge avec mon jus de verge, jusqu’à ce que ça te submerge. » Alkpote feat. Jarod & Tino | Les Marches de L’Empereur Saison 2 #10 #Triceratops | Daymolition 

La Prière du Poulet X 25G et Jean Floch sur le tournage du clip REDNECKS DU TERROIR
Pour preuve du succès des rappeurs white trash, Vald a écoulé en une semaine 5 355 exemplaires physiques de son album « Agartha », 3916 exemplaires digitaux et l’équivalent de 6 175 exemplaires en streaming. L’album sorti fin janvier se classe déjà disque d’or. Vald parle de sa vie de jeune, des drogues, de l’amour, et critique la surconsommation dans des textes parfois très tranchés et sans aucun filtre.
Incontournable, Orelsan est un autre « white trasher » qui a su conquérir le public français. Celui-ci s’appuie sur des textes tout en provocation et surfe sur le buzz qu’il génère grâce à des phrases choc et à un langage cru, insultant, avec un style d’ado attardé affiché fièrement.
Un autre phénomène rencontre un succès considérable : celui des rappeurs parodiques. En tête de liste, on retrouve Lorenzo. Celui-ci a généré un buzz considérable il y a quelques mois avec le titre « Le Freestyle du sale » qui compte plus de 32 millions de vues sur Youtube. Son dernier clip, « Le son qui fait plaiz » a fait 2 millions de vues en moins de deux jours.

Comment expliquer un tel succès ?

Ce rap qui, au vu de la particularité des paroles et du rythme lancinant voire saccadé, peut être considéré comme étant réservé a à un public de niche, tend en fait à se démocratiser. Il envahit nos télévisions et nos radios. Certains de ces rappeurs white trash, comme Vald, sont même en tournée à travers toute la France.
A l’origine, le rap était un moyen d’exercer une critique du monde d’aujourd’hui en dénonçant des injustices. Les thèmes principaux étaient le sort des minorités critiquant leurs « ghettos », leurs difficultés à s’intégrer dans une société qui les rejette. À partir des années 2000, le rap commence à basculer vers un style « gangsta, bling-bling » représenté par Fifty Cent aux Etats-Unis ou Booba en France. Ce rap, exclusivement masculin, met en scène des hommes bodybuildés, entourés de femmes légèrement vêtues et fiers d’une richesse amassée grâce à des trafics illicites, mais qui leur ont permis d’obtenir un succès inespéré.

Booba, prêt à niquer des mères

50 Cent, en mode beau gosse
La white trash bascule vers l’absurde et renverse les codes précédemment établis par les rappeurs afro-américains ou « bling-bling ». C’est un courant plus discret et alternatif, entre dénonciation d’injustices obsolètes, virilités accentuées, et haine gratuite. Avec l’émergence de ce rap à la limite de l’absurde, on se demande si beaucoup s’identifie  réellement à ces textes, plus particulièrement les jeunes. Qui est le public de ce rap volontairement glauque et provocant qui se créé une place dans l’industrie musicale française ? Sans autre forme de communication que des vidéos diffusées sur Internet, les « white trasher » du rap français, bien loin du charisme d’Eminem et avec un style beaucoup plus caricatural, sont parvenus à acquérir une renommée et ont réussi à faire émerger une tendance rentable.
Au rap « bling-bling » et white trash s’oppose désormais des rappeurs au style plus « vulnérable », comme Nekfeu, séduisent le grand public. Ces rappeurs privilégient des textes chantés avec des paroles qui s’adressent aux jeunes et des clips qui montrent une vie plus quotidienne.
Le premier couplet de la chanson « On verra » de Nekfeu en est particulièrement représentatif : « On sèche les cours, la flemme marque le quotidien /Être en couple, ça fait mal que quand t’y tiens / Même si j’ai rien à prouver, j’me sens un peu seul / J’ai toujours pas trouvé la pièce manquante du puzzle / En possession d’drogues, les jeunes sont fêtards / Quelle ironie d’mourir en position fœtale / Je viens à peine de naitre, demain j’serai vieux / Mais j’vais tout faire pour être à jamais ce rêveur. »
Alors, quel type de rap réussira à s’imposer dans les prochaines années ? Quels sont les éléments qui pourront faire la différence, et remporter la majorité dans le cœur du public français ? Que vous soyez plutôt poète, trash, ou bling-bling… la réponse vous appartient !
Alice Rolland
En collaboration avec Vincent Decoust
Crédits  :
noisey.vice.com – https://noisey.vice.com/fr/article/vald-interview-nqnt
industrie-culturelle.fr – http://industrie-culturelle.fr/industrie-culturelle/skyrock-emergence-rap-francais/
prieredupoulet.com -ttp://prieredupoulet.com/2016/03/01/rednecks-du-terroir/
pinterest.Com – https://fr.pinterest.com/pin/260575528409806783/
generations.fr – http://generations.fr/news/coulisse/34610/50-cent-ne-veut-pas-payer-l-ex-de-rick-ross
Source:
• F.Dordor, White trash, la raclure blanche vous salue bien, Les Inrocks, le 28/02/2012, consulté le 04/04/2017
• Genono, Rap français : la grande tendance du white trash, lemouv.fr, 15 juillet 2016, consulté le 04/04/2017
 

booba oklm
Société

Après OKLM.COM, la tempête

 
En septembre dernier, le site OKLM.COM, élaboré par le rappeur Booba, a fait son apparition sur le net et a donné lieu à de nombreux teasing au sujet de son ouverture « imminente ». Mais depuis trois mois, les « pirates », fans du rappeur que l’on ne présente plus, demeurent dans l’attente. Le site se dédie à la découverte de nouveaux talents: sportifs, cuisiniers, humoristes ou encore musiciens sont invités à envoyer leur vidéo à destination du site dès lors que leur performance est « incroyable » selon les termes du rappeur.
L’objectif de OKLM.COM est bien de devenir un « média » tel que l’annonce Booba dans la vidéo d’accueil du site en reprenant un dispositif similaire au télé­crochet sur certains points.
Toutefois, il est nécessaire de rappeler l’origine du terme OKLM dans le vocabulaire du représentant des Hauts­-de-­Seine afin de comprendre les enjeux de l’arrivée d’un tel média dans l’univers du rap ainsi que de la communication. OKLM reprend l’expression « Au calme » sous forme d’abréviation désignant le bien­être, l’aise et le confort. Reprise par beaucoup de rappeurs, elle est directement assimilée au langage urbain puisque c’est dans l’argot français actuel qu’elle est née. Or, c’est en chanson que Booba l’a largement médiatisée avec son tube OKLM de sorte qu’il a modifié la prononciation initiale de l’expression désormais épelée sous forme d’abréviation et non plus de manière phonétique.
A cet égard, les jeux de langage mis à l’œuvre dans le rap, et qui en font l’héritier moderne de la poésie, ne semblent plus être de simples moyens de communication mais faire du rap une communication en elle-­même. Le recours à la métaphore très présent dans l’écriture hip-hop souffrirait dès lors d’une mise en abyme c’est-­à-­dire que le rap deviendrait une simple métaphore qui n’exprimerait rien d’autre que de la forme pure. Alors, le rap produit par le dispositif de Booba peut-­il encore représenter le ghetto qui constitue son essence ou est-­il condamné à rentrer dans les cadres de la culture de masse en tant que médiateur de celle­-ci ? S’il se fait pur média de communication, le rap peut-­il encore faire des suggestions créatives qui relèvent de l’art ?
Le rap comme objet de communication
L’ouverture du site OKLM.COM matérialise la transformation progressive du rap en tant que pur moyen de communication autour de la marque « Booba » grâce à différents procédés marketing à la fois innovants et traditionnels.
C’est d’abord la fédération d’une communauté d’internautes autour d’un événement sans cesse repoussé, celui de la mise en ligne des premiers contenus du site. Actuellement, la page d’accueil ne contient qu’une vidéo de présentation du concept OKLM avec Teddy Riner en invité. Le système médiatique de la vidéo est lui­-même travaillé pour générer le désir et la curiosité de l’internaute. Booba y est interviewé furtivement dans un espace bruyant, sans doute afin d’accentuer la dynamique de l’événement, de sorte que l’ouverture officielle fonctionnera comme un rendez­-vous commun à ne pas rater fédérant internautes et nouveaux talents.
C’est d’ailleurs avec un lexique emprunté aux télé­crochets « incroyable » que Booba qualifie et caractérise les artistes qu’il présente sur son site. Oklm.com
Néanmoins, à la différence des télé­crochets que l’on retrouve sur les chaînes de télévision, c’est bien par le rap et par la création métaphorique que la figure de Booba construit le trailer d’OKLM.COM. Si les logos successifs d’OKLM et de Tallac Records fonctionnent comme des marques, ils invitent tout de même à penser une sémiologie du graphisme encore plus évidente sur le corps même du rappeur, véritable objet d’art. De fait, la vidéo qui présente l’interview de Booba s’ouvre par une question où ce dernier est appelé « Kopp » jouant à la fois sur le signe, le marketing et la construction d’une narration autour du personnage qu’incarne Booba.
« Kopp » signifie hélicoptère et renvoie d’une part au vrai prénom de Booba qui est Eli mais également au terme anglais cop (flic). Or, sur la main gauche de Booba figure un tatouage avec inscrit « Kopp » surélevé d’une tête de mort afin de réutiliser l’expression « mort aux flics ». Du reste, ce tatouage est davantage visible dans le clip de la chanson OKLM réalisé par Chris Macari. Cependant, le signe ne s’arrête pas là, puisque « Kopp » désigne également le biopic sur la vie de Booba lui-­même sorti récemment. En ce sens, le moyen de communication devient lui­-même objet de communication à travers des imbrications de sens.
C’est pourquoi, les dispositifs de communication mis en place sur le site OKLM.COM interrogent directement l’essence même du rap et sa nouvelle place dans la société. Certes, le film Kopp a été réalisé par Ange Jisa, à l’origine de la société JisaMedia mais aussi de la websérie Kebab caviar inspirée de South Park. Dans cette série, le réalisateur confronte des personnalités issues du milieu politique, médiatique ou plus généralement d’une élite sociale face à des personnalités issues d’un milieu plus urbain comme des rappeurs. C’est ainsi qu’un des épisodes oppose le polémiste Eric Zemmour au rappeur Youssoupha.
Lors d’une interview pour Streetpress, Ange Jisa entendait assumer ce décalage humoristique qui faisait se rencontrer deux mondes habituellement isolés l’un de l’autre dans les représentations médiatiques traditionnelles.
Or, cet exemple de websérie fait foi d’un véritable changement quant au statut du rap puisqu’elle comptabilise d’une part des millions de vues et qu’elle incarne d’autre part la récupération de plus en plus massive de la culture dite « urbaine » par des couches sociales plus aisées que les classes populaires voire par l’élite économique et/ou intellectuelle, lors même que le rap s’adresse initialement aux minorités exclues des normes sociales dominantes.

La massification d’une sous-­culture
Les exemples d’OKLM.COM ou encore de Kebab caviar permettent en effet de comprendre la récupération de plus en plus massive du rap par les élites telle qu’elle a pu avoir lieu avec le jazz. Toutefois, c’est bien à cause de la finalité communicationnelle à l’œuvre autour de ce genre musical que s’opère davantage cette transition. Faisant appel aux métaphores, au rythme, à l’oral, au clash, aux battles, le rap emprunte également à la rhétorique et apparaît de ce fait comme un outil communicationnel fort et précieux pour une marque. Or, ce qui est en jeu autour du personnage de Booba n’a plus à voir avec la musique mais bien avec la figure de l’entrepreneur avec l’expansion de sa ligne de vêtement « Unkut » et aujourd’hui le lancement de son propre système de production à travers OKLM.COM.
Mais, si la musique sert à développer l’image et cultiver une légende autour du récit proposé par Booba, elle n’est plus une finalité et ne représente plus les populations des « cités ». C’est effectivement en businessman que Booba se présente en suggérant par l’implicite la fin de son parcours musical. « Ma carrière est incroyable » rythme en effet le refrain du morceau OKLM. En conséquence, la sortie de l’album Temps mort 2.0 illustre la volonté d’établir une légende à travers l’implicite, le récit du personnage de B2o. Mais, le vécu de Booba ne sera plus que fictif comme le démontre la sortie du biopic Kopp puisqu’il s’agit bien d’un format 2.0, une version virtuelle et donc revisitée de l’album de 2002 du même nom.
En somme, à mesure que le rap s’appuie sur les nouveaux moyens de communications, il est possible de croire à une capitalisation nouvelle du rap en tant qu’objet de langage, de communication, comme une nouvelle fonctionnalité. A l’occasion d’un autre article Booska P dressait le récapitulatif des trente principales expressions issues du rap et transférées au langage quotidien. Cette peinture générale témoignait de l’influence de plus en plus prégnante de la culture Hip-Hop sur les modes de langage. Ainsi, la performativité des images construites par le rap sur le langage institue un nouveau capital culturel dans la société.
Quel futur pour le rap ?
Si ce capital culturel investi dans l’imaginaire créé autour du site OKLM.COM fonctionne pour faire de Booba une marque rentable, peut-­on malgré cela considérer que cette capitalisation ne nuit pas à l’essence même du rap ?
Né des sous-­cultures urbaines, le rap a certes utilisé la métaphore, le rythme et beaucoup de procédés stylistiques empruntés à la poésie afin de créer des images. Or, c’est bien à travers ces images que le rap s’est attelé à représenter sa différence, à construire un discours à part entière et désintéressé de toute utilitarisme. De ce fait, un paradoxe semble se creuser davantage dans le milieu du Hip-Hop.
D’une part, le rap est réutilisé comme moyen de communication et de rhétorique marketing par exemple chez Booba. D’autre part, le rap dans sa forme la plus artistique c’est­-à-­dire désintéressée de toute récupération médiatique, ne semble pas permettre aux rappeurs qui le pratiquent de vivre de leur art comme en témoigne cet ultime article de Booska P.
Si Booba a enterré le rappeur, peut-­ê-tre peut-­il encore permettre aux nouveaux talents de faire naître un grand producteur. Ainsi, l’attente générée par OKLM.COM n’a qu’une alternative : produire de talentueux artistes ou faire du site un énième média de divertissement.
Marie Vaissette
Sources
Booska-p.com (1), (2)
Streetpress.com
Wikibooba.blogpost.fr
Oklm.com
Jisamedia.com
FastNcurious.fr
Genius.com
Remerciements : Jean­Paul Gagey

Agora, Com & Société

Recyclage habile, personnal-branding assumé, rap-game concurrentiel…

Le duc de Boulogne, le MC de la com.
Le jeudi 20 septembre, Booba, rappeur reconnu et reconnaissable des Hauts-de-Seine, a uploadé une piste de son futur album, Futur, sur son compte YouTube. Un décryptage poussé de l’artiste et de son oeuvre amène de nombreuses réflexions sur l’incursion furtive d’un marketing acerbe dans le cadre ultra-contestataire et contre-culture du rap.
 
Qui est Booba ? Un personnal-branding solide

 
Génie des mots, de la formule, de la métagore Booba va encore une fois titiller les charts français avec un sixième album, Futur, censé sortir fin 2012. Considéré comme un auteur respectable par Thomas Ravier dans la Nouvelle Revue Française, B20 aiguise des lyrics toujours sanglantes sur des instrumentales simplistes mais particulièrement efficaces. « C’est comme lorsque tu dessines la nouvelle Ferrari tu te prends la tête sur chaque courbe… » Cependant, sa capacité à manier habilement le buzz, le teasing, mais aussi le hard-selling décomplexé fait de lui un homme d’affaire efficace.
La critique sur ce teasing de Futur, libérée par le feedback 2.0, s’enjaille brutalement sur ce titre en avant première. Créateur d’un rap brutal, sanglant et profondément provocateur, Booba sait cependant monétiser son travail de manière transversale. La date, le thème et les paroles de Wesh Moray sont pensés, réfléchis, afin de provoquer l’habituelle guerre entre fans, rappeurs, et maisons de disques. La provocation est le fer de lance de la machine à vendre B20, il devient la signature d’un business-man mondialisé qui capitalise sur sa réussite. 
 
Rap-Game, vous-dites ?

 
On assiste un badinage insensé entre productivisme musical, préservation de l’audimat, marketing débridé entretenant le culte de l’image, de l’apparence, de la personnalité. Le rappeur commercial se doit d’être attirant, bad-boy, provocateur, voyou, homme d’affaire. « Homme d’affaire, j’ai ralenti le teu-chi » / « Boss du Rap-Game » / « Du biff veux-tu, du biff t’auras » /  « Crapaud devenu Prince, cheval cabré sur le capot ».
Le hip-hop se base principalement sur le loop, l’instrumental basé sur la boucle qui revient sans cesse et de façon entêtante. Un tel motif de composition musicale s’est retrouvé dans les textes.  Là aussi la répétition est une marque de fabrique et certains thèmes, certaines images sont omniprésents. Le rap commercial actuel se caractérise par l’obsession de l’argent, des armes, du sexe, des berlines allemandes, mais aussi par le rejet permanent de l’autorité. Booba s’est d’ailleurs lui-même couronné de « boss du Rap-Game » dans Lunatic en 2010. « Avec des gros billets, comme ça qu’on pèse, boss du rap-game, 240 en moyenne, Porsche Cayenne, brolic dans le short, chemise Hawaïenne. »
 Le rappeur impose, fier de sa réussite, fier de ses affaires, de son argent, il se doit de le prouver. « Pas de milieu aisé, j’ai grandi au zoo ». Cet esprit permet d’entretenir une concurrence violente avec les autres grands de la scène hip-hop en France. Le clash entre rappeurs, par textes interposés, permet d’entretenir le buzz, de créer un esprit de clan, de famille chez les fans. Diviser pour mieux régner, B20 l’a bien compris et enfile souvent son costume de gladiateur du rap en multipliant les attaques. On ne les compte plus, Sinik, Rohff, Kyzer,, MCJeanGab1, Matt Pokora, Kamaro, Diam’s, Alpha 520, IAM, NTM, MC Solaar… Le clash est suivi, les réponses attendues, les paroles décryptées afin d’en déterrer les attaques parfois bien cachées.
On est donc bien loin des premières valeurs du hip-hop, du rap contestataire, de la revendication sociale des premiers. Le ghetto de New-York est bien loin du swag assumé et du bling bling revendiqué. On assiste véritablement à une transformation du discours. Le rejet du consumérisme s’est transformé en un matérialisme hardcore. Comme dit le Roi Heenok, « Les berlines de luxe sont un moyen pour le jeune entrepreneur noir de se montrer ».
 
L’omniprésence des marques

 
Booba est surement le publicitaire le plus inventif. Les marques se cachent dans les textes. Nouveau média pour les annonceurs, les lyrics jouent sur la métaphore, l’allégorie, la métonymie pour rendre implicite le produit visé. Le Jack Daniels devient donc « bouteille carré sec au goulot », une Ferrari se définit par son « cheval cabré sur le capot ». Les métaphores sont précises, presque chirurgicales. Ainsi, une voiture devient automatiquement une Lambo, Bentley ou MercoBenz tandis que les armes sont automatiquement décrites par les marques, UZI, ou « Desert-Eagle te blesse »
Le duc de Boulogne fait aussi la publicité de certains produits en les rapprochant de son mode de vie : « j’ai rendu magique les BBM » / « pour m’endormir, je compte les diamants sur ma Breilting » / « J’voyage beaucoup, j’ai des Miles » / « Coke, pas de Pepsi » / « Quoi de neuf ? Tout est neuf, rolex neuve, mercedes neuve… » / « Que des big-booty-girl dans mon Blackberry Curve ».  
 
Découvrez Booba, apprenez à décrypter. Installez vous, bouteille de JackDaniels à proximité, casque sur les oreilles, et écoutez B20. Deux trois chef-d’œuvres se cachent derrière les muscles, les swag, et le bling-bling. Le bitume avec une plume se révèle être particulièrement touchant « depuis les chaines et les bateaux j’rame t’inquiète aucune marque dans le dos, man, je les ai dans le crâne » tout comme Au bout de mes rêves avec « Mon fils, à l’école, tu seras imbattable, mais si tu échoues et si je pars avant toi, prends mes sous, jette ton cartable ».
Admirez les jeux de langages, les sonorités travaillées « Des plaques et des plaques, si c’porc d’Chirac était black » / « Y’a plein d’trucs à prendre, et puis t’apprends, avec les coups, revient avec des c**illes, tes potes, frappe avec les coudes. » Booba fait clairement vivre la langue française, de façon différente, en la disséquant, en lui ouvrant les veines. Je fus plaqué au mur, tabassé par des raccourcis, des rapprochements qui n’ont pas lieu d’être, des images, brusques, brutales, impossibles à se retirer de la tête. Je croyais mettre un disque, j’ai ouvert une vie, un album photo, un livre de passions, de son, de verbe, de langue, de mots, de sang, une boite de pandore.
 
Emmanuel de Watrigant 

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