Société

Air France s’attaque au low cost

 
« Avec les prix minis, Air France vous rapproche »
Après une montée en gamme lancée en octobre avec une nouvelle offre destinée aux clients voyageant en Business et en Premium Economy, Air France, réputé haut-de-gamme et élégant, lance une nouvelle offre « Mini » afin de concurrencer les compagnies low cost. Depuis quelques mois en effet, l’affichage placardé dans le métro parisien propose de rapprocher les gens à prix minis. La compagnie propose des billets à partir de 49 euros pour 58 destinations en France, en Europe et dans le bassin méditerranéen. Pour cela, elle s’est fondée sur le résultat d’une étude montrant que pour 60% des clients, le prix est un facteur déterminant dans le choix de voyage. L’objectif est donc d’assurer plus d’accessibilité et plus de visibilité à la marque, afin que ceux qui ne prenaient plus l’avion le reprennent à nouveau grâce à ces tarifs plus abordables. Aussi la marque cherche-t-elle à élargir sa clientèle. Les billets sont vendus pour des vols courts et moyen-courrier au départ de Paris-Orly, Marseille, Nice et Toulouse, et peuvent être réservés depuis le 7 janvier. L’offre « Mini » ne permet pas d’enregistrer de bagages. Le succès a été au rendez-vous puisque le site Air France était déjà saturé lors du lancement de l’offre. Alexandre de Juniac, PDG d’Air France, souligne qu’elle est destinée à améliorer les résultats de la compagnie.

Hop ! La nouvelle marque low cost d’Air France
En plus de cette nouvelle offre, Air France lance sa nouvelle marque Hop ! . Dans le secteur très concurrentiel du transport aérien, la compagnie française cherche à surpasser les compagnies low cost rivales avec près de 530 vols par jour. Hop ! est né de la fusion des filiales Britair, Regional et Airlinair, un peu à la manière d’une marque ombrelle des offres low cost d’Air France. A partir du 31 mars, Hop ! proposera une tarification nouvelle, avec une offre commerciale à trois niveaux : Basic (sans bagage), Basic Plus et Maxi Flex (avec possibilité de changement d’horaire). Plus on réserve à l’avance, moins c’est cher. Lionel Guérin, nouveau directeur de Hop !, explique qu’il s’agit d’inventer un nouveau modèle commercial en rupture, le but étant de développer le concept d’un « transport mobile, rapide, au plus près des gens et qui offre plus de service(…). L’’avantage de Hop ! ce sera la fréquence des vols, le maillage du territoire et le nombre des destinations proposé ». Il précise en outre que la différence principale de Hop ! avec les autres compagnies low cost réside dans la possibilité de faire un aller-retour dans la journée. Une campagne de communication de 2 millions d’euros accompagnera le lancement de la nouvelle marque.

La promesse de Hop ! se positionne en rupture avec les codes traditionnels de l’aérien ; c’est l’agence H qui a été chargée de la campagne de lancement. Celle-ci présente l’avion comme le trait d’union entre deux businessmen, entre un enfant et ses grands parents ou encore entre un golfeur et son caddie. La campagne se décline à travers la presse, l’affichage (du 4 au 19 février), la radio, sur internet et sur les réseaux sociaux. L’univers graphique en 3D de la campagne diffère de manière radicale de la communication dans les secteurs de l’aérien. D’après l’agence H, le nom Hop! évoque « la rapidité, l’agilité, le rebond. Accolé à un point d’exclamation penché, qui symbolise le décollage d’un avion, Hop ! marque sa volonté d’être toujours en mouvement. » Le logo de la marque a été créé par l’agence Brandimage et apparaît sur les 98 appareils. La signature « faire un saut d’une région à l’autre » quant à elle met en avant la simplicité.

Cependant on peut émettre quelques réserves à l’encontre de cette campagne sur le plan communicationnel. En effet, d’aucuns ne manquent pas de faire remarquer sur les réseaux sociaux que sur le visuel principal de la campagne, un enfant embarque seul, dans un avion en « plastique », et la grand-mère aborde un air soucieux… Tous ces éléments ne sont pas des plus rassurants pour un voyageur anxieux. D’autre part, le nom « Hop ! » se veut synonyme de mobilité, de simplicité et d’action ; mais pour beaucoup cette onomatopée reste empreinte d’une connotation « cheap » qui contraste avec les campagnes d’habitude plus raffinées et élégantes de la compagnie.

Air France et la communication
Les publicités Air France sont bien connues, de même que la signature « Faire du ciel le plus bel endroit de la terre ». Petite analyse des campagnes Air France en général : la compagnie cultive une image hédoniste et sophistiquée elle apparaît comme ce qu’Alain Roussel appelle un « concentré de la France » – à savoir un art de vivre, de l’élégance et du raffinement. Les visuels constituent généralement de véritables odes à la sérénité : de fait, le voyage est assimilé à un moment magique. Air France développe une nouvelle conception du voyage, mettant l’accent sur le plaisir et non plus sur le transport. De plus, il s’agit d’installer le passager au centre du discours de la compagnie, qui se veut à son service ; néanmoins la cible réelle se compose principalement de businessmen. Une originalité des campagnes Air France par rapport aux autres compagnies aériennes tient au fait que, si le passager est constamment présent, il n’est jamais mis en scène dans l’avion. On observe un lien permanent entre ce qui se passe sur terre et dans l’air. Aussi la compagnie française se place-t-elle dans une logique d’espace, de respiration et d’élégance.
La publicité « L’Envol » a notamment marqué les esprits : il s’agit d’un spot-film sorti en Septembre 2011 qui constitue une véritable métaphore poétique. Le chorégraphe Angelin Preljocaj y met en scène les danseurs Benjamin Millepied (vu dans « Black Swan ») et Virginie Caussin, qui évoluent avec grâce sur un immense miroir reflétant un ciel pur. De fait, c’est dans le désert d’Ouarzazate qu’a été installé pendant une semaine un miroir gigantesque – 400 mètres carrés – pour les besoins du spot, réalisé sans effets spéciaux. Les codes graphiques (le bleu, le blanc) et créatifs (la délicatesse des mouvements) permettent d’identifier la marque dès les premières secondes du film. Aussi les danseurs évoluent-ils en toute confiance entre ciel et terre, à travers une métaphore poétique de l’envol, du transport et de l’abandon sur le Concerto pour piano n° 23 de Mozart. François Brousse, directeur de la communication d’Air France, explique jouer sur le registre de la métaphore « car montrer le produit, c’est-à-dire l’espace confiné d’un avion, des sièges à peu près identiques à ceux de la concurrence, n’a pas grand intérêt ».

Air France propose avec « l’Envol » une magnifique publicité qui joue sur l’émotion du spectateur. Le soin apporté à l’image et l’esthétique tire la compagnie vers le très haut de gamme. La campagne avait en effet pour but de faire face à des enjeux de poids : écart de compétitivité croissant avec ses principaux concurrents, alourdissement de la dette, gel des embauches, etc.
Avec Hop !, Air France se démarque donc très clairement de ses campagnes précédentes et se positionne en rupture par rapport à son univers traditionnel. Ce passage d’une atmosphère onirique et éthérée à une ambiance bien plus triviale jouant sur le registre du dessin animé-pâte à modeler saura-t-il convaincre les consommateurs ? Il se pourrait bien que les habitués d’Air France n’adhèrent pas pleinement à ce virement low cost. Reste à savoir si la nouvelle campagne relèvera le défi d’un élargissement effectif de la clientèle.
 
Clara de Sorbay
Sources :
Air France
Ac-noumea.nc
France Bleu
Le Monde
E-marketing.fr, ici et là.
Minterdial.fr
Le Point
Crédits photo : © Air France

Com & Société

Tout ce que l’on peut rater en lisant le journal…

 
Les journaux sont-ils toujours aussi puissants ? Le public est-il toujours aussi réceptif à la presse écrite ? Que penser de l’essor des versions numériques face aux versions papier ? En réalité, où en est la presse écrite aujourd’hui ?
Alors que le monde consomme de plus en plus d’écrans, une vidéo voit le jour sur Youtube, le 20 décembre 2012, pour tenter de raviver la flamme et l’importance de cette presse écrite dans les consciences : « 6 things you can miss while reading a newspaper ».
Elle est le résultat d’une alliance entre Newspapers Work et Duval Guillaume Modem – élu Agence de l’année 2012 – qui se sont fixés pour but de prouver de quoi les journaux sont capables. La campagne a démarré à la rentrée, dans le sillage de la publication des chiffres du Centre d’Information sur les Médias, et tente progressivement de nous convaincre par des actions concrètes. L’objectif est clair, donner encore plus de puissance à la presse quotidienne.
A l’origine, il y a cet accord commun des éditeurs de journaux belges qui se sont réunis pour créer cette plate-forme marketing, Newspapers Work, afin de promouvoir les valeurs et les forces de leur média en général et des éditions papier en particulier. Leurs missions et leur ligne éthique sont explicitement présentées :

Prouver le pouvoir de la presse écrite
Voir un homme en feu perturberait-il votre lecture ? Quid de votre chauffeur enlevant son pantalon ?
C’est autour de ce type d’exemples que cette vidéo se construit pour illustrer la puissance des journaux imprimés et leur effet sur leurs lecteurs. Dès les premières secondes, le cadre et la question sont posés : « Les journaux sont-ils capables de retenir l’attention de leurs lecteurs ? »

Pour tester cette hypothèse, trois publicitaires ont reçu une voiture avec chauffeur et un journal : Sigrid Van Den Houte de Telenet, Walter Torfs de BNP Paribas et Yves de Voeght de Coca-Cola. Malgré la série de situations improbables à l’extérieur de la voiture, comme un homme en costume d’ours au volant d’une décapotable, un astronaute qui traverse la rue, ou encore un motard déguisé en indien, le trio ne lève pas les yeux du journal…
« Attirer l’attention des gens et la retenir ? C’est ce que font les journaux. » conclut la vidéo, fière d’avoir démontré la capacité unique de la presse écrite à capter et maintenir la concentration de tous. Sur le site, le propos est affiché noir sur blanc : « Promettre, c’est bien. Prouver, c’est mieux. Beaucoup mieux. Voilà pourquoi Newspapers Work, ne veut pas EXPLIQUER la force des journaux, mais bien la PROUVER. »
Alors que toute l’introduction de l’œuvre Que sont les médias ? de Rémy Rieffel tente de relativiser la mythologie qui existe autour du « pouvoir des médias » tant décrié qu’admiré, la presse écrite belge sort ici ses griffes et s’impose sur la scène virale pour défendre cette fameuse force des quotidiens…
La forme de mini documentaire est ici très pertinente et offre une illustration du concept de dépublicitarisation : à l’instar de la télé-réalité, voire d’une caméra cachée, avec toute sa dimension intimiste et son impression d’images « volées », voire « dévoilées », qui parle au public, le message n’en est que plus clair. Dans la continuité de son succès viral avec « Unlock the 007 in you » ou « A dramatic surprise on a quiet square », l’agence Duval Guillaume utilise le théâtre de la rue pour s’adonner à ses expériences presque sociales et démontrer son propos. Il s’agit bien de faire la promotion – de manière subtile et quasiment niée – d’un objet de culture qui, dans les consciences collectives, est habituellement détaché du monde économique de la publicité.
Un coup de maître
A l’heure du grand débat sur le financement des médias, particulièrement de la presse écrite, quoi de mieux qu’une alliance avec le monde du marketing pour se redonner un petit coup de peps ?
Lorsque des journaux subissent la crise de manière radicale, à l’image du quotidien espagnol El Pais et son plan social foudroyant, ou encore la disparition de France-Soir, des partenariats et projets originaux voient le jour, comme cette campagne. Malgré le paradoxe que peut susciter l’union entre les lois du marketing et l’univers de la presse, cette vidéo semble vouloir prouver que l’un peut soutenir l’autre, par le concept de Newspapers Work mais aussi par l’alliance avec Duval Guillaume. Il ne s’agit plus de commenter cette illusion que les médias ne s’inscrivent pas dans une logique économique ni de critiquer l’interdépendance entre les journaux et la publicité, mais bien de revenir à l’essence même de la presse. Car Newspapers Work défend une approche qui coupe court au débat en dédiabolisant le rapport aux annonceurs : les quotidiens offrent finalement bien plus qu’une grande audience, ils renforcent l’impact qualitatif des campagnes publicitaires elles-mêmes.
Est-ce vraiment crédible ?
L’argument principal est critiquable : n’existe-t-il aucun autre moyen de capter l’attention des gens de manière aussi efficace ? Nos trois publicitaires ne seraient-ils pas tout autant captivés par un film par exemple ? Ou plus encore, seraient-ils tout aussi attentifs au même journal sur une tablette numérique ? Avec l’essor de cette numérisation de la presse, il y a la question du contenu face à la forme : est-ce le fond et sa qualité qui retiennent l’attention ou bien le rapport avec cette presse papier ? L’exemple des journaux gratuits, qui captivent tout aussi bien leurs lecteurs le matin dans le métro, légitime la réflexion sur la relation particulière avec la presse écrite alors que le contenu est largement critiquable en matière de qualité.
Un autre débat est soulevé par de nombreuses critiques sur Internet, autour d’une mise en scène beaucoup trop tirée par les cheveux pour être crédible. De plus, le choix des sujets de l’expérience accentue l’impression de fausseté : ce sont des publicitaires, qui semblent plus aptes à être concentrés sur des journaux de par leur environnement, leur métier et leurs centres d’intérêt… Un lecteur lambda dans les mêmes conditions serait-il toujours aussi fasciné par un quotidien ?
 
Laura Lalvée
Sources :
Newspaperswork.be
Telerama
Business Insider

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Jacques a dit : « Triez de plaisir »

 
« Et si vous pimentiez vos relations avec les déchets ? Découvrez les plaisirs du tri sans complexe » Voilà la promesse de la nouvelle campagne de sensibilisation au tri sélectif lancée par la métropole d’Angers. Revisitant le Kamasutra en 12 positions de recyclage, lejustetri.fr cherche à capter spécifiquement l’attention des étudiants, très présents dans la ville, pour donner enfin un côté « sexy » au tri des déchets.
 
Sexe et communication, ça marche à tous les coups ?
Utiliser les connotations sexuelles pour convaincre, ce n’est pas nouveau. Déjà en 1939, dans Le viol des foules par la propagande politique, Serge Tchakhotine mettait en évidence la manière dont l’utilisation des pulsions pouvait servir une cause idéologique, et parmi elles il comptait la pulsion sexuelle.
À présent employé de manière beaucoup moins subversive, le sexe reste un ressort de communication fréquemment utilisé. Et quoi de mieux quand il s’agit de toucher la cible spécifique des jeunes, cette espèce mutante en permanence livrée à un déferlement hormonal incontrôlable ? En effet, comme l’affirme sans complexe Olivia Dansette, responsable de fabrication à Liner Communication, l’agence qui a réalisé cette campagne : « Le plaisir sexuel est l’une des préoccupations des jeunes, c’est bien connu. Nous avons donc proposé une campagne décalée et ludique, qui devrait permettre de les interpeller plus facilement. »
Une assimilation qui paraît un peu simpliste. Mais se défendant de tout côté scabreux, cette opération n’aurait que pour but d’enclencher le dialogue avec les jeunes. Le site Internet s’accompagne en effet d’une tournée au contact des étudiants dans les principales universités angevines avec, au programme, théâtre de rue (le « Trishow »), distributions de badges et de tracts informatifs…
 
Un site Internet difficilement recyclable
Toutefois, au-delà des petits jeux et tests extrêmement bien conçus et interactifs, on regrette tout de même un peu que l’information n’aille pas jusqu’au bout de sa mission. Impossible par exemple de récupérer sur le site Internet un petit récapitulatif des bons gestes à adopter, qui en gardant un ton humoristique aurait pu être placé facilement sur le frigo des étudiants. À vouloir jouer sur le ludique à tout prix, lejustetri.fr constitue donc un outil de sensibilisation selon moi trop éphémère, négligeant le fait que c’est devant sa poubelle que l’on se retrouve désarçonné à devoir trier, plutôt que devant son écran d’ordinateur.
 
Un enjeu d’image pour la métropole d’Angers
Mais au-delà du tri sélectif, il ne faut pas oublier le retentissement que peut avoir une telle campagne pour Angers et sa métropole. 
Avec des campagnes telles que « Je veux Metz » ou encore « L’Aisne it’s open », les villes et agglomérations rivalisent d’originalité pour attirer les jeunes talents.
Ainsi pour Angers Loire Métropole, capitale européenne du développement durable, cette campagne est aussi un enjeu d’image pour se montrer comme une ville dynamique et innovante, afin de continuer à attirer des étudiants mais également de jeunes actifs.
Les petites vidéos proposées sur le site sont d’ailleurs astucieusement tournées dans des lieux touristiques de la ville d’Angers, tel un placement de produit discret. De même, cette opération est lancée stratégiquement un mois avant « Made in Angers », le gros évènement annuel qui vise à promouvoir l’économie angevine et ses filières stratégiques, dont bien évidemment le développement durable.

Judicaëlle Moussier

Société

E-diplomatie : la diplomatie (française) à l’heure du numérique

 
Le rapport Tavernier sur Le réseau diplomatique et le rôle des ambassadeurs, présenté à l’Assemblée Nationale en février 2002, explicitait déjà les liens étroits entre diplomatie et médias :
« Dans l’exercice de sa mission d’information, l’ambassadeur se trouve désormais concurrencé par les médias. »
 
Nous assistons en effet à un enchevêtrement des sphères médiatique et politique – a fortiori diplomatique -, accentué par l’avènement des réseaux sociaux. Le Quai d’Orsay a notamment ouvert, en mai 2012, son compte Twitter, en arabe, sous le nom de @francediplo_AR, afin de communiquer sur l’action du ministère dans le monde arabe. L’information diplomatique semble de plus en plus perdre de son panache, de son caractère « officiel » crypté par les diplomates chevronnés, au profit d’une analyse strictement journalistique. Les journalistes ont d’ailleurs un accès privilégié à l’information qui leur permet d’exercer  une influence sur les décisions politiques.
Dès lors, la communication diplomatique, cet art séculaire de la conduite des relations internationales, subit de profondes mutations, à l’heure où se dessine un « monde multipolaire » sous l’impulsion des NTIC : la diplomatie semble prise dans  « une révolution de la vitesse », selon une expression chère à P. Virilio.
Aussi convient-il de penser la diplomatie, à travers le prisme des médias, comme un art de régulation  des échanges interétatiques à l’intérieur du « monde communicationnel ». La communication diplomatique est aujourd’hui multilatérale et se décline en version 2.0. Internet offre de grandes potentialités quant aux nouvelles façons de travailler, avec l’ensemble de la communauté internationale : dans un élan de solidarité collectif, de plus en plus  d’entreprises, d’ONG, et d’individus intègrent peu à peu Facebook, Twitter, Linkedin et les autres réseaux sociaux dans leurs échanges.
La question se pose alors de savoir comment la diplomatie s’adapte à l’ère des télécommunications et des médias.
Si Napoléon Bonaparte définissait, au XIXème siècle, la diplomatie comme « la police en grand costume », on peut l’actualiser en précisant que la diplomatie se veut désormais « puissance normative » dans les Relations Internationales, se heurtant néanmoins aux intérêts et désaccords propres à chaque Etat.  Il s’agit en fait de  combiner la participation à une société internationale et la pratique des relations d’Etat à Etat, à l’heure d’Internet. En d’autres termes,  il convient de s’interroger sur le nouveau paradigme diplomatique que les réseaux sociaux façonnent.
Si la manière dont le printemps arabe s’est appuyé sur Internet se veut une manifestation particulièrement marquante de cette nouvelle donne dans la communication diplomatique, c’est loin d’en être l’unique. Il pose  cependant plusieurs difficultés propres à la diplomatie, telle qu’elle se revendique 2.0 : le traitement standardisé et bureaucratique de l’information se voit remis en cause par une multiplication des sources et des analyses, dont l’expertise est parfois à revoir.  De même, on constate que le système est dichotomique entre d’un côté « les nobles artisans » de la diplomatie, les têtes pensantes, et de l’autre, les « petites mains », qu’Internet tend à rassembler/confronter.
Le printemps arabe témoigne d’une nouvelle configuration des Relations Internationales, ouvrant la voie à un nouveau paradigme, alors que la diplomatie tente de s’adapter aux nouveaux enjeux médiatiques et communicationnels.
A la diplomatie traditionnelle, à laquelle la France se cantonne toujours, succède désormais  la e-diplomatie appelée aussi diplomatie digitale, diplomatie en ligne, ou encore cyber-diplomatie.
On pourrait reprendre la célèbre formule de C. Von Clausewitz, selon lequel «  la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », en la remaniant légèrement : l’e-diplomatie  serait désormais  la continuation de la politique par d’autres moyens.
Penser la e-diplomatie nécessite toutefois de s’intéresser au cas des Etats-Unis, où la diplomatie digitale commence à s’institutionnaliser, et à réellement se structurer.  Depuis le succès des campagnes électorales 2.0, les réseaux sociaux sont devenus un vecteur clé de la politique d’influence américaine à travers le monde. Avec B. Obama, le « smart power » est apparu, dès 2009, comme le nouveau mode d’expression et d’expansion diplomatique, à travers le monde,  et Twitter comme Facebook  se sont révélés être des canaux de communication décisifs. Cette stratégie s’inscrit d’ailleurs en contrepoint avec l’administration « va-t-en-guerre » sous Bush, étant donné qu’elle vise au contraire à développer les ententes entre les institutions, à plusieurs échelles. En outre, la communication 2.0 implique les populations à un niveau local et « ad hominem »  de façon plus systématique que les traditionnels communiqués officiels destinés aux fonctionnaires des gouvernements.
En France, le manque de  confiance et donc de solidarité collective entre institutions,   ONG, hackers et activistes du Web cantonne le pays à une diplomatie encore traditionnelle, basée exclusivement sur la croyance indéfectible en l’expertise des diplomates : ce qui peut engendrer des erreurs de jugement, comme lorsque Michèle Alliot-Marie a proposé d’envoyer des CRS français pour maintenir l’ordre en Tunisie.
Malgré son ancrage dans une « tradition », la diplomatie française cherche toutefois à se mettre à l’heure du numérique : l’AFP a notamment lancé un Hub e-diplomatie à savoir une application web interactive sur Twitter, permettant l’accès aux Tweets des institutions et des personnalités les plus influentes du monde, tout ça en temps réel et à l’échelle mondiale.  C’est la première fois que les acteurs sont référencés dans un même outil public.  La sélection des comptes  est opérée par les experts de l’AFP.
Envisager l’e-diplomatie amène à comprendre le glissement des relations diplomatiques entre Etats vers une géopolitique des réseaux sociaux, et comment ces derniers façonnent les relations internationales.
Si l’explosion des NTIC permet une certaine démocratisation des processus de diffusion et de participation à l’information, elle engendre aussi des insuffisances. Les diplomates semblent aujourd’hui confrontés à un dilemme : soit tenter d’apporter une information brute, selon la logique du traitement médiatique,  soit une information soumise à leur expertise,  avec le risque de se faire doubler par les décideurs. C’est là tout l’enjeu de l’e-diplomatie.
 
Danaé DM
Sources :
–       Les enjeux actuels de l’évolution des métiers de la diplomatie – Les Cahiers IRICE, n°3, 2009, « Diplomaties en renouvellement »
–       Diplomatie digitale : pionniers en la matière, les Etats-Unis sont aujourd’hui suivis par la France – La Netscouade
 –       A definition of digital diplomacy –

Edito, Politique

Benetton ou la nouvelle ère du politiquement correct

 
Terminées les campagnes scandaleuses de Benetton, bonjour le politiquement correct. En 2013, le fils Benetton calme la créativité du père et impose un retour aux fondamentaux. La marque ne communiquera plus sur le décalage mais sur l’exemplarité. Elle ne mettra plus en scène le Pape et des nones, l’Imam ou les Présidents et Chanceliers, des condamnés à mort ou des chômeurs mais des personnalités dont l’engagement social est loué. Terminée l’époque du célèbre photographe Oliviero Toscani. Place au discours responsable, comme un ado qui après s’être bien amusé, deviendrait adulte.
Elettra Wiedemann (créatrice de One Frickin Day, association installant des panneaux solaires pour les cliniques du Burundi, de Haïti et du Rawnda), Hanaa Ben Abdesslem (mannequin tunisienne idole des femmes arabes),  Alek Wek (mannequin d’origine sud soudanaise qui œuvre pour attirer l’attention sur la situation de ce pays) et bien d’autres ont ainsi été invités à parler de leur projet autour de la fondation de la marque UNHATE et par la même occasion, de leur couleur préférée.
C’est beau, c’est bien. Mais ce n’est pas très original. Il ne suffit pas de mettre en avant des personnalités engagées dans des domaines caritatifs pour prouver que Benetton est, elle aussi, une marque à responsabilité sociale. Le politiquement incorrect, lui au moins est viral. Il fait parler, fait le buzz et assure un positionnement de marque efficace, assumé et radical. Avec Benetton père, l’univers autour de la marque était incontestable. Benetton était « la marque qui avait osé. » Ici on dira tout au plus « c’est bien, c’est mignon. »
Pour leur défense, aujourd’hui le politiquement incorrect est difficilement affichable, surtout en France. On peut penser à la campagne d’Ashley Madison mi 2012 (site de rencontre pour infidèles) mettant en avant les présidents de la République Française le visage couvert de rouge à lèvre. Seuls deux exemplaires à Opéra avaient été affichés, personne n’ayant osé les sortir. Le problème avec le politiquement incorrect n’est pas les retours ou les réactions scandalisées, mais le fait de trouver un canal acceptant de le diffuser. C’est la peur des représailles de la part des diffuseurs. A quoi cela sert de dépenser pour une campagne qui ne se limitera qu’à quelques articles sur Internet.
Mais finalement, habitués aux campagnes chocs de Benetton, c’est peut-être le caractère sage de la dernière qui nous interpelle et nous fait parler d’elle. Ce retournement de situation a ses avantages et fait parler de la marque autant qu’avant. Il semble qu’elle maîtrise mieux qu’on ne le pense la portée virale de son image.
Dans tous les cas, cette semaine, nous reparlerons du politiquement correct mais dans un tout autre cadre (à propos de la polémique du « N-word » autour de Django Unchained) avec Laura Garnier pour Irrévérences. Be there !
 
Camille Sohier

Flops

Graph Search m'a tuer

 
Le 15 Janvier dernier, Facebook présentait sa nouvelle fonctionnalité : le Graph Search. L’idée est simple. L’internaute peut y rechercher à peu près tout et n’importe quoi mais de manière très précise. La base de données ? Tout ce que nous aimons, toutes les pages que nous suivons, nos photos, les endroits où nous nous sommes géolocalisés… Il est disponible en version béta uniquement pour les utilisateurs anglais qui se sont inscrits sur la page dédiée. Mais la nouveauté fait déjà polémique en France et interroge : pourquoi Facebook lance-t-il un tel produit à ce moment précis alors qu’il fait toujours l’objet de polémiques sur ses critères de confidentialité ? Analyse.
La nécessité de révolutionner Facebook
Il faut dire que Facebook a connu des jours meilleurs. Toujours empêtré dans une polémique ou deux sur la confidentialité des donnés, il génère de plus en plus de méfiance de la part des utilisateurs. Rappelez vous à cet égard cette étrange polémique sur les messages privés soit disant rendus publics.
Aux États-Unis, une étude récente montre que la population se lasse de plus en plus du réseau. 61 % des utilisateurs interrogés ont confessé s’être déconnectés plusieurs semaines. Manque de temps, perte d’intérêt… On s’ennuie de plus en plus sur Facebook. C’est un problème car le réseau est de moins en moins vu comme un outil incontournable. Et parallèlement, d’autres réseaux comme Pinterest, Google+ et surtout Twitter montent de plus en plus. La concurrence est rude.
L’âge d’or de Facebook est derrière lui. C’est compréhensible : le temps de la découverte est fini. On ne ressent plus l’excitation de la nouveauté, l’impression d’être sur un site Internet à la pointe de la modernité quand on s’y connecte, contrairement à ce qu’il était en France en 2008/2009.
Nuançons : le réseau reste toujours extrêmement fréquenté, c’est indéniable. Le géant semble à l’heure qu’il est, inébranlable. Voir Facebook fermer un jour reste, actuellement, du domaine de la science-fiction. Mais pour éviter une perte d’utilisateurs conséquente qui arrivera un jour si rien ne se passe, Facebook décide d’innover. Le Graph Search dans ce contexte est une révolution qu’il fallait faire pour que le roi des réseaux ne perde pas sa première place.
Le Graph Search est une bombe à retardement
Mais il pose d’énormes problèmes. Et cela pourrait très vite dégénérer.
Il y a, bien sûr, l’éternel problème de la confidentialité du réseau. Car pour l’instant la nouvelle fonctionnalité devrait être étendue pour tous les utilisateurs. Tout ce que nous avons publié et aimé depuis notre inscription pourra faire l’objet d’une recherche. Le problème de Facebook est situé dans la communication qu’il fait autour de la confidentialité. Leur credo en la matière pourrait être le suivant : « vous pouvez tout rendre privé, c’est disponible mais il faut chercher. » La communication autour de ces paramètres existe, une page a été dédiée au moteur mais il faut aller les chercher. On peut donc rendre nos likes et nos photos privés, on peut éviter de se géolocaliser à tout va.
Le Like au cœur du réseau social
Mais franchement, à quoi ça sert ? Si on décide de ne plus partager nos photos et nos likes, qu’est ce qui différencie Facebook d’une plate-forme de mail ? Les photos peuvent certes être gérées par d’autres réseaux. Mais l’interrogation est surtout de mise pour le service des likes, existant depuis le 9 Février 2009. Voilà sans doute la seule et unique énorme révolution faite par Facebook. Le bouton est devenu l’essence du réseau.
Véritable outil d’interaction, ce dispositif recouvre désormais énormément d’usages. Je vous recommande la lecture de ce bel article proposant une typologie des différents likes. Qui voudrait rendre privés ses likes dans ce contexte ? A quoi ça servirait de liker juste pour soi ?
Pourtant souvenons-nous : à l’origine le like ne recouvrait pas autant d’usages. Je me rappelle surtout de cette mode courant 2010 qui visait à liker à peu près tout et n’importe quoi, si possible des pages pratiquant la dérision et l’humour noir pour faire rire les amis. J’ai ainsi redécouvert que j’avais aimé par exemple « monter dans la voiture d’un inconnu en sortant de l’école » (32 623 fans actuellement), une page douteuse appelée « moi, mes problèmes je les règle avec une scie et des sacs plastiques » (70 704 fans) ou encore le très moyen « Chérie, n’oublie pas ta pilule, on n’a plus de place dans le congélateur » (89 447 fans).
Or ces likes du passé, enfouis tout au fond de ma Timeline remonteront à la surface avec le Graph Search et mon e-réputation en prendra un coup.
Mais le problème est bien plus profond et plus grave : le moteur deviendra l’outil de stalking ultime, le meilleur moyen de découvrir des dossiers croustillants sur vos amis. Mais votre boss, lui, pourra faire la même chose si vous avez fait l’erreur de l’ajouter ou si vous aimez la page de l’entreprise pour laquelle vous travaillez. Ainsi, le Community Manager pourra s’il le veut venir fouiner et découvrir des choses qui pourraient ressortir au mauvais moment. Et pour les activistes de pays dictatoriaux ? On pourra très vite vérifier quelles sont les personnes qui ont aimé il y a quelques années telle ou telle organisation révolutionnaire.
Le Graph Search rend visible l’invisible
Il y a de manière peut être plus anecdotique un autre problème posé par  le Graph Search. Il est nouveau en ce qu’il propose de manière publique un outil de tri de toutes nos données. Mais cet outil n’est pas nouveau. Il est utilisé depuis longtemps par le réseau pour vendre nos données à des entreprises dans le but de créer des publicités extrêmement ciblées. Le problème est que l’outil va rendre publique une méthode de tri qui était jusqu’ici invisible. Les utilisateurs pourraient se rendre compte de ce que sont réellement le ciblage publicitaire, l’ampleur de sa précision et de notre vulnérabilité. Attirer l’attention sur une méthode qui existe mais pour laquelle une politique de l’autruche existe – du côté des utilisateurs – n’est peut être pas la meilleure des idées. Mais c’est un effet secondaire qui pourrait très vite porter un énorme préjudice au réseau.
Le Graph Search pourrait donc vite devenir une bombe à retardement pour Facebook.
On a souvent comparé Facebook à Big Brother. Cette fois, véritablement, la comparaison a lieu d’être. Et si Facebook ne communique pas plus et ne prend pas ces problèmes en compte, ça risque de se passer très mal.
 
Arthur Guillôme
Sources
Le Cercle – Les Échos
20 Minutes
Le Figaro Blogs

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Agora, Com & Société

Ghost in town

 
Vous le savez, nos militaires sont au Mali. Le marché local de Bamako était plaisant, mais le reste était encore mieux, ils sont montés au Nord assez rapidement. L’AFP suivait attentivement leur travail. Les photos sont belles, pas de doutes là-dessus. Une a cependant attiré l’attention de tous les bien-pensants.

Ils sont arrivés en foule et trop heureux de pouvoir assouvir leur critique, ils ont souhaité donner une bonne leçon de morale en convoquant de très beaux parallèles entre le domaine du jeux-vidéo, la guerre et le code de conduite d’un soldat. Tout cela en levant haut la pancarte du politiquement correct. Aubaine incroyable et angle d’attaque inespéré : cette photo a su enflammer les débats sur la sphère internet.  Se tenant debout, les mains croisées, le soldat est entouré d’un halo de lumière traversant le nuage de poussière. À sa gauche, un canon de 155 apporte une ligne de fuite qui renforce la profondeur de l’image, tandis que quelques soldats  au second plan apportent le contexte du cliché. Il n’y a pas de doute, l’image semble irréelle, sortie tout droit de Photoshop ou composée par le dernier moteur 3D d’un FPS [1]. Cependant, la photographie n’est qu’une partie de la réalité, elle se focalise, recadre, transforme la scène en proposant un point de vue nécessairement subjectif.
Régis Debray, dans Vie et mort de l’image, analyse la puissance de l’image et son autorité : « La preuve par l’image annule les discours et les pouvoirs. Car l’effet de réalité, optimal sur l’écran vidéo est piégé. Car sans cause. Devant ces images en direct et en temps réel, je passe spontanément de l’autre côté de l’écran, dans le réel enregistré. L’image alors s’abolit comme image fabriquée, la présence pseudo-naturelle se nie comme représentation. Là est la mystification. » Ici se tient la justification de toutes les attaques contre ce militaire… Il est si facile de constater sans analyser. Cette volonté de lancer le bad-buzz, semble ici s’être habilement transformée en un soudain déficit de curiosité. Que se passait-il derrière le photographe ? Pourquoi ce foulard est-il porté ? Quelle est l’histoire de cet objet ? Ici la photographie devient unique, simple, facile. Tronquer ainsi la réalité amène cette impérieuse critique qui semble avoir assailli les grands médias. Le débat fut créé sur ce que l’on a vu, et non sur ce que l’on a su.
Recentrons-nous sur les faits. Un hélicoptère décolle derrière le photographe. Cependant le Mali semble être soumis à une poussière plus importante que dans mon 17m² selon Slate : (http://www.slateafrique.com/82443/mali-bamako-meteo-brume-poussi%C3%A8re). De là, des notions de physiques élémentaires nous amènent à croire que les particules sont soumises à des forces incroyables étant donnés les 4800 chevaux du EC725. Le foulard que porte le militaire français est inspiré du jeu Call Of Duty MWII, dans lequel un personnage, Ghost, porte ce foulard. Un foulard qui est un incontournable chez tous les soldats du monde entier, un look badass pour des jeunes recrues pas très à l’aise quand il s’agit de vider un chargeur de 5.56mm. (Disponible sur ebay : http://cgi.ebay.fr/BALACLAVA-MASK-SKULL-SKELETON-GHOST-CALL-OF-DUTY-MODERN-WARFARE-MW3-BLACK-OPS-/160798987312?pt=FR_Jeux_Vid%C3%A9o&hash=item25705dd430)
Le buzz est donc né rapidement, sans connaître, sans comprendre. Le centre de gestion de crise du ministère a vite réagi en annonçant punitions et « flicage ». Nul regard n’est objectif, nul regard n’est omniscient et personne ne peut connaître le contexte au premier coup d’œil. Le questionnement est légitime, la critique ne l’est pas. Un tel escamotage d’indignations a voulu supprimer la méta-photographie en se focalisant sur un élément loin de la situation. Le fossé entre la symbolique du foulard et la dure réalité d’un conflit armé est trop grand pour oser le parallèle. Une telle illusion épistémologique souligne une sorte d’hallucination contemplative du monde moderne qui se concentre sur le détail en oubliant l’objet lui-même. Finalement beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Cet homme au centre de la photographie est un militaire, qui porte un fusil d’assaut, un objet destiné à tuer le plus efficacement possible, le canon à sa gauche a une puissance de 7 millions de joules, la scène se déroule sur un terrain d’opération extérieure, ceci est une guerre.
 
Emmanuel de Watrigant

[1] First Person Shooter : jeu en vue subjective.

Com & Société

La guerre de la communication

 
« Une guerre sans image », voilà l’expression employée ces derniers temps pour décrire la communication du conflit malien. On l’entend se répéter comme un cliché journalistique, ses occurrences nous submergent, elles envahissent nos écrans ainsi que nos oreilles.
Nous avons été mitraillés par cette expression au cours des offensives maliennes, et son usage s’étend jusqu’à la plupart des guerres : celle d’Afghanistan, celle d’Irak, jusqu’à la première guerre du Golf, en passant bien sûr par tous les génocides africains et est-européens.
La conclusion se dessine : nous ne voyons rien ! Cette formule est donc, par là même, un reproche adressé par certains reporters à l’armée française. Nous voulons voir ! Un peu plus la vérité du scandale de la guerre, nous voulons voir le déclin, la mort, la ferveur, les batailles, les vainqueurs et surtout les perdants. Nous voulons voir  mais surtout savoir si on ne nous cache pas certaines choses, glorieuse ou non.
L’armée ne l’entend pas de cette oreille. Est-elle pour autant sourde ?
En effet, la présence des journalistes dans les régions concernées est restée difficilement acceptable d’un point de vue stratégique. Pourtant cette guerre s’inscrit aussi bien militairement que médiatiquement, mais la communication entre les deux partis semble souvent difficile. Ils n’ont pas les mêmes visées, les mêmes attentes, et ces différences ne sont-elles pas d’ailleurs, à l’origine même des tensions qui les traversent ?
Un dialogue compliqué entre « La Grande muette » et le déballage médiatique
L’armée et les médias ont des stratégies de communication différentes et l’Histoire fait souvent d’eux des adversaires plus que des grands alliés.
La communication journalistique est à la recherche de l’information nouvelle : sur l’avancée ou non, du conflit, à l’affût des chiffres, ceux du nombre de morts, de blessés… Elle établit principalement une communication vers l’arrière, vers tous ceux qui ne sont pas sur le terrain.
Transparente, elle veut rendre visible aux yeux des informés un combat et pour cela, elle a besoin d’images, de documents audios, de témoignages qui soient vérifiés, vérifiables au moins.
Elle cherche à se démarquer des autres médias par son analyse, son originalité, son scoop, elle veut créer de l’audience, intéresser, polémiquer. Sa communication dépend alors aussi de la ligne éditoriale, à savoir ce qui prime dans le média, entre actualités des faits, réécriture, point de vue ou synthèse. Mais malgré cette nuance, le point commun est le suivant : les reporters ne sont pas là pour écrire des billets doux à l’armée française, et ils ne louperont pas ses éventuels dérapages. Heureusement, tel est aussi le devoir de véracité et de régulation journalistique.
Il n’est donc pas toujours à l’avantage de l’armée d’être en relation, sur le terrain, avec des colporteurs qui ne s’interdiront pas de transmettre la moindre erreur, le moindre faux pas. Le risque d’erreur militaire ayant des conséquences souvent plus dommageables. Et c’est souvent à son insu, que l’armée est rendu médiatique.
Les journaux omnivores, cannibales, ne font parfois qu’une bouchée de ce qui la concerne, et l’affaire Petraeus, dans un tout autre contexte, en est quand même bien l’exemple. L’Express s’intéressait aussi à l’état de l’armée française, à son retard, sa vulnérabilité, titrant à propos du conflit malien :« La France a t-elle les moyens ? ».
Pourtant, la communication externe de l’armée française se veut discrète. D’ailleurs, qui sait le nom du ministre français de la Défense ? Mais à la manière d’une entreprise, il lui est utile de jouer sur ses atouts vis-à-vis de l’opinion publique notamment par la publication quotidienne de communiqués, mais aussi vis-à-vis de son processus de recrutement. Et on se souvient des campagnes publicitaires attractives pour l’armée de Terre telle que « Devenezvousmeme.com ».
Mais l’armée se base essentiellement sur sa communication interne, qui, fine, rapide et efficace, passe par des dispositifs techniques pointus. Sans interruption, elle est en contact avec les missions sur le territoire nationale et à l’étranger, les différents bataillons, les différents commandements. Alors quand les journalistes sont tournés vers l’arrière, l’armée elle, est surtout axée vers le front.
Mais les reporters ont aussi besoin de s’approcher du conflit pour mieux le comprendre et le faire comprendre.
Le journalisme embarqué : une réconciliation possible ?
Quand on parle de journalisme embarqué, on met en évidence plus fortement encore que la guerre est le lieu de prédilection de l’armée, pas celui des journalistes. On les relègue à un rôle secondaire, un rôle qu’ils n’apprécient pas forcément, celui où il sont sous influence, sous contrôle.
La communication de la guerre du Vietnam avait déjà mis au jour les problèmes d’un fonctionnement où les acteurs possèdent des rapports de forces asymétriques, et où le pouvoir médiatique est sous le joug de manipulations, telles que la propagande ou la désinformation.
Le journalisme embarqué est donc limité et les journalistes eux-mêmes adressent leurs critiques à cette méthode.
Mais on ne peut certainement pas se restreindre au journalisme de bureau pour couvrir un conflit. Car couvrir une guerre, c’est couvrir non seulement les faits mais aussi sa population, la vie présente et celle qui disparaît. Le terme même de « couvrir », renvoie au champ de la protection, celle des personnes, comme celle des informations. Couvrir c’est aussi et alors répandre, voiler, mais surtout mettre le voile sur certains aspects pour mieux en dévoiler d’autres. Et c’est pour cela que la guerre doit avoir des images, car la logique du reportage se place dans un paradigme où voir c’est agir, ou faire voir c’est faire agir, par le seul fait déjà d’en prendre conscience.
Un journalisme moins embarqué, plus réfléchi n’est pas une solution négligeable dans ce dialogue compliqué, et il prend déjà place. Mais tous ne peuvent pas suivre les militaires sur le champ des opérations, nous faisons alors confiance aux journalistes pour utiliser leur réseau de contacts développant un dialogue si ce n’est plus complice, moins encadré.
Pourtant la réconciliation parfaite des deux partis semble utopique, chacun joue son rôle communicationnel, défendant ses intérêts propres. L’armée est plus tournée vers sa communication interne alors que les journalistes investissent une sphère plus externe. Et finalement à l’image de la démocratie et au détriment d’une cité idéale, s’ils ne s’entendent pas toujours, n’est-ce pas le signe de la vigueur de leur pouvoir ainsi que celui de leur auto-régulation ?
Mais tout ne les divise pas, ils possèdent certains points communs. En effet, ces deux acteurs du conflit véhiculent une double image : l’armée et les reporters représentent à la fois un symbole salvateur, les uns sauvant des vies, protègeant, les autres apportant une visibilité à des peuples oppressés et à des combats. Et un symbole carnassier, d’un côté les forces spéciales, les tueurs dont on ignore les dérives, et de l’autre ceux qui livrent en pâture médiatiquement, les sans scrupule.  Ils sont par là même, à la fois objets et sujets des théories du soupçon,  ou de celles du complot.
Et ce débat sur la guerre de la communication est aussi éthique, il se calque sur la meilleure façon d’agir en situation de crise. Alors un troisième acteur entre en scène, le public. Les spectateurs doivent-ils tout voir ? Sont-ils déjà spectateurs s’ils savent la trame d’un spectacle ? Nécessitent-ils toute cette imagerie de guerre ? Soyons réaliste : The show must go on !
 
Maxence Tauril
Sources :
FranceCulture.fr
L’Express, « Guerre au Mali : La france a t-elle les moyens ? », n°3212, paru 23 janvier
Crédits photos : © Fred Dufour/AFP (1), Défense Française (2) (3), L’Express (4)

Société

Le canapé a fait un bébé tout seul

 
Si vous prenez régulièrement le métro parisien, sans doute avez-vous déjà croisé les « nouvelles » publicités Shurgard. Placardées depuis 6 mois sur le carrelage blanc des voiries, dessinées par l’agence très en vogue du moment « The Crew », elles vantent sur papier glacé les mérites du stockage. Shurgard en effet est une entreprise dite de « self-storage » qui loue des espaces, des box afin d’y placer tous les meubles et/ou objets (utiles ou inutiles) qui prennent de la place et qu’on ne peut gérer momentanément. Pour une surface de stockage allant de 1m2 à 100m2, et ce pour la durée que l’on veut, le concept est simple, personnalisé et sécurisé grâce au loyer mensuel. Garder sans jeter, ou jeter sans garder, la différence est mince et pourtant Shurgard la rend ici évidente avec des prints d’affichage autant colorés qu’épurés où l’humour se taille une grande part de marché.
En dessous d’une moto cylindrée se promènent ces mots « 85 000 km, 130 546 mouches, 3 nanas. » En dessous d’un vieux canapé marron en revanche, on y trouve ceux-ci : « 543 films d’action. 352 films d’amour. Un bébé. » Il faut dire que Shurgard ne s’adresse pas aux minimalistes et fétichistes du désencombrement, la cible est toute autre : ceux qui cultivent une éternelle nostalgie et prêchent un retour mélancolique vers le passé. Shurgard, à travers un chiasme où s’inversent et s’échangent les rapports de pouvoir entre l’homme et l’objet, met en place une rhétorique du temps perdu. Explications.
L’homme prend le pouvoir sur les objets …
Shurgard a choisi de jouer sur le fait qu’il soit difficile de se débarrasser des objets qui ont une valeur sentimentale. Son slogan ne trompe pas : « Vos biens ont une histoire. Stockez-les chez Shurgard. » Pourtant, au-delà de l’impossibilité de se défaire de l’ancien, Shurgard ne va pas tant dans le pathos en cultivant le « avant, c’était mieux ! » L’entreprise préfère plutôt jouer sur une note positive en permettant à l’homme d’accroître sa puissance au delà de ses capacités. Je m’explique.
Entre le choix cornélien qui impose à l’homme de décider entre conserver un objet qui lui est cher (mais qui l’encombre au point de plus pouvoir circuler dans son appartement) et le jeter, Shurgard propose une alternative qui évite la confrontation : l’achat d’espace. Contre la frontière matérielle qui s’oppose à cette volonté de l’homme de tout posséder, Shurgard se positionne comme le « plus » qui s’ajoute, le bonus, le joker qui permet à l’homme de dépasser ses limites. En exagérant, on pourrait presque dire que l’Homme brave la Nature avec Shurgard ; vers la quête de la colonisation d’espace, l’homme qui a de plus en plus besoin de s’étendre et d’étendre ses possessions fabrique des terre-pleins maritimes : c’est dans cette même lignée que s’aligne Shurgard.
… Vraiment ?
MAIS avant tout, si on s’intéresse au contenu visuel du print au lieu de ses symboles, on remarque plutôt la déchéance de l’homme non pas ici face à la machine (Shurgard ne se revendique pas marxiste) mais face à l’objet personnifié à tel point qu’il en dépasse son référent : l’homme. En situation d’inversion carnavalesque, l’homme se retrouve instrumentalisé au service des attributs de l’objet. Plutôt que la toute puissance de l’homme, Shurgard évoque dans ses publicités l’homme pantin à travers une personnification extrême des objets : inversion miroir où l’objet devient la personne et où l’humain devient simple objet instrumentalisé. Le « bébé » ou les « nanas » du canapé ou du scooter ne semblent juste être que des options voire des pions. L’objet-roi devient humain, possédant une histoire, un parcours de vie et étant l’auteur d’actions. L’homme passif s’incline alors devant cet objet devenu « injetable » par sa trop grande valeur et le stocke chez Shurgard …
Le pari est réussi. Dans une entreprise de stockage où l’Objet est au cœur du business et fait vivre les hommes, le porter en haut de l’autel (au détriment d’une dévaluation de l’homme) peut avoir deux symboliques : vouloir relativiser la toute puissance de l’homme de la même manière que ces fameux tableaux intitulés « les Vanités » ET rendre grâce à l’objet sans lequel les hommes ne seraient pas grand chose. Vers une ode à l’objet ?
Avec Shurgard, le tandem homme-machine revisité avec humour fonctionne avec brio.
 
Claire Lacombe
Crédits photo : © The Crew/Shurgard

Archives

Jacques a dit : achète-toi une vie

Ou la commercialisation de l’exceptionnel
Et l’anecdote insolite de la semaine est : la demande en mariage d’un Parisien à sa belle, au moyen d’un film tourné… dans l’Espace. La mise en scène repose sur l’envoi d’un ballon météorologique affichant une photo du couple et ladite demande écrite. Cerise sur le gâteau nuptial, sa blonde décrocherait un record, à savoir « la première femme de l’Histoire à avoir été demandée en mariage dans l’Espace ». Quitter le commun terrestre pour atteindre une autre dimension, c’est bien ce qui s’appelle sortir du lot. On touche ici le paroxysme de la recherche de distinction, que supposent les déclarations valentinesques du fameux 14 février. Pléthore d’offres sont évidemment faites pour aider les amoureux à marquer le coup. Ce qu’il y a d’amusant dans l’histoire, quoique légèrement navrant, c’est la commercialisation de l’exceptionnel, organisée autour de la parole amoureuse, censée être unique et propre à l’histoire de chacun.
De fait, un SMS semble trop froid et impersonnel. Il rappelle la banalité du quotidien. La lettre se démarque alors par son petit côté désuet, ou cérémoniel. Pourquoi cependant s’embêter à noircir brouillon sur brouillon ? La société de consommation, par définition, vous mâche le travail. En effet l’un des ressorts majeurs de tout business est de simplifier la vie du consommateur. On la lui livre en kit, comme les meubles Ikea. Dans le cas présent, voici un florilège des propositions écloses récemment, sans égard parfois pour le bon goût…ou le bon sens : la Poste édite ainsi un timbre spécifique à l’occasion de la Saint-Valentin, et ne se gêne pas pour épuiser le filon, avec timbre et carte postale personnalisables depuis son Smartphone. Du côté des applications justement, on trouve de tout. Prenez Angela et Tom par exemple, qui vous crée de mignonnes petites cartes, où « La Saint-Valentin d’Angela » met en scène une chatte et son prétendant, Tom, dans diverses situations, « à partager entre amoureux, par e-mail ou MMS. » Un couple de matous virtuels se fait donc l’intermédiaire de vos sentiments amoureux. Le comble de l’absurde est atteint par l’application iThinkOfYou, qui propose différents outils de communication instantanée comme un chat privé ou l’envoi de mots doux agrémentés d’animations « afin de rappeler à n’importe quel moment de la journée à la personne qu’on aime que l’on pense à elle »…que le Smartphone pense à elle, oui !
Quant à la demande en mariage, parole amoureuse solennelle par excellence, le site apoteosurprise.com tient la gageure de magnifier ce moment inimaginable, magistral et magique… à deux doigts de détrôner Marraine la bonne fée. C’est ce même site – né il y a six ans- qui organise l’expédition spatiale de la demande en mariage le 14 février prochain. Toute attention amoureuse est digne d’être spectaculaire, le créateur du concept, « véritable professionnel de la déclaration d’amour » selon ses propres termes, l’a bien compris. Cette parole est devenue un enjeu, une sorte d’examen à réussir si l’on s’en réfère à ses explications : les hommes [sont] démunis lorsque approch[e] l’instant fatidique et redouté de demander la main de leur bien-aimée ». Tout de même, 80% des femmes sont déçues par la demande en mariage qu’elles ont reçue ! Un vrai challenge à relever, somme toute exclusivement masculin. Le créateur de l’entreprise se réjouit, en sauveur de l’humanité, de proposer un « catalogue enchanteur » dans lequel il a « conçu 30 scénarios romantiques clé-en-main » (une vie en kit on vous dit). L’amoureux pourra tirer toute la gloire qu’il veut de sa pseudo-initiative, puisque l’intervention d’Apoteosurprise restera de l’ordre du secret professionnel. « Tout est étudié et élaboré de façon à ce que le créatif et le romantique, aux yeux de votre amoureux(se), ce soit VOUS. » Rien de tel en effet pour la solidité du couple que de bâtir leur mariage sur un mensonge. L’engagement mutuel est une affaire sérieuse, c’est pourquoi il a concocté pour ses ouailles un cocktail explosif disneylando-scientifique.
Car le meilleur est à venir : « L’un de mes secrets est de savoir créer, pour chaque scénario, un véritable pic d’émotions, expertise que j’ai développée avec le concours de psychosociologues spécialistes de la relation de couple. (…) Pour provoquer un tel sommet se sensations, chaque scénario doit comporter 3 étapes émotionnelles : une étape suspense, qui suscite, chez votre partenaire, un état d’appréhension et d’excitation devant l’inconnu qui s’annonce, une étape romantique, qui soulage votre bien-aimé(e), détourne son attention et relâche sa vigilance (c’est parce qu’il y a eu une 1ère étape suspense qu’une sorte de « bulle » romantique se crée lors de cette 2ème étape), et, enfin, l’apothéose, qui, au moment adéquat, offre à votre dulciné(e) une avalanche d’émotions digne des plus grands films d’Hollywood ! »
 
Sans commentaire.
Sibylle Rousselot
 
Sources

http://www.metrofrance.com/metro-plus/saint-valentin-une-photo-pour-un-timbre-personnalise/mmaD!6WV9n6a8Bb7B6/
http://www.ouest-france.fr/ofdernmin_-Saint-Valentin.-Il-fera-sa-demande-de-mariage-dans-l-Espace_6346-2158447-fils-tous_filDMA.Htm
http://www.apoteosurprise.com/quisommesnous.htm