Environnement, Société

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr

Dossiers et conférences

Interview – Les Revenants : la communication autour du phénomène télévisuel

 
En Janvier dernier, FastNCurious vous proposait son premier dossier sur la série les Revenants de Canal+. L’étude de cet objet nous avait permis de soulever des problématiques culturelles, marketing et médiatiques. Suite au succès du dossier, Clémentine Malgras a pu recueillir les propos d’Hadrien Cousin, Chef de produit web chez Canal+, qui confirment bel et bien ce que nous avions avancé. Grâce à la stratégie de bouche-à-oreille savamment orchestrée, l’impact de la série a dépassé les attentes de la chaîne. De plus, suite à la volonté de se différencier des productions américaines, la stratégie digitale n’a pas été développée outre mesure.
Nous vous souhaitons une bonne lecture et rafraîchissez-vous la mémoire en relisant notre dossier !
Le public séduit
Les réactions autour de la série ont-elles dépassé vos attentes ?
Il était évident que par sa nature et la qualité de sa facture, la série allait générer des réactions, ne laisser personne indifférent. Cependant, il est vrai que son retentissement dans la presse et sur les réseaux sociaux a été particulièrement impressionnant. Le soir de la première diffusion, CANAL+ se plaçait même en tête des mentions sur Twitter. Ce n’était jamais arrivé avec une précédente Création Originale, et le succès et le bruit médiatique ne se sont pas essoufflés au fil des épisodes, preuve que l’œuvre a su capter une audience fidèle, conquise par l’atmosphère de la série dès les premiers épisodes.
Son succès se fonde en partie sur un bouche à oreille très positif, l’aviez vous anticipé en encourageant le partage sur les réseaux sociaux ?
La prémonition de ce « buzz » est née lors de la projection du premier épisode au festival de fiction tv de La Rochelle. L’accueil a été très enthousiaste de la part de la presse et des professionnels du secteur. C’est pour cette raison qu’il nous a semblé intéressant de livrer ce premier épisode au grand public sur le site un mois avant sa diffusion antenne. Le succès a été au rendez-vous pour cette opération qui aura duré moins de 48h avec plus de 10 000 visionnages de l’épisode et de nombreuses mentions sur les réseaux sociaux.
Le succès des Revenants serait-il donc dépendant d’une très bonne communication sur internet (comme le démontre le trailer Twitter) ?
Le succès d’une œuvre n’est dépendant que de ses qualités intrinsèques. Le meilleur des buzz Twitter s’essouffle bien vite si la série ne tient pas ses promesses. Le succès des Revenants tient donc avant tout à la qualité d’écriture, d’interprétation, de réalisation… Cependant, il est certain que le bruit médiatique qu’elle a généré sur les réseaux sociaux pendant plusieurs mois a motivé et motive encore de nombreuses personnes à s’intéresser au programme. Ce qui explique aussi certainement les bons résultats des ventes de DVD après la diffusion.
Les deux derniers épisodes semblent partager le public. Comment interprétez- vous les réactions parfois déçues des téléspectateurs ?
La série ouvre volontairement de nombreuses pistes pour la saison 2 et pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses. C’est évidemment volontaire et prometteur pour la suite. On peut donc imaginer que les téléspectateurs attendaient davantage de réponses à tous les phénomènes inexpliqués qui interviennent dans cette ville étrange, mais il aurait été trop facile et un peu hâtif de répondre à tout après seulement huit épisodes !
Pensez vous que les attentes des abonnés Canal+ soient plus grandes quand il s’agit d’une production française ?
Aucune idée.
Une série intégrée
Comment s’est construite l’idée d’un site interactif ? A qui le destinez-vous et quel est son rôle ?
L’idée était de proposer la plongée la plus immersive possible dans l’ambiance si particulière de la série. En se basant sur la bande originale proposée par Mogwai, l’agence a imaginé un dispositif où l’internaute peut naviguer en 360° dans cette ville étrange, se perdre, rencontrer les personnages de la série, plusieurs fois, à des endroits différents, en se glissant dans la peau d’un revenant. C’était donc un dispositif grand public, une porte d’entrée sur l’univers de la série. L’idée étant d’y recueillir des bribes d’information mais surtout de s’imprégner de l’atmosphère du lieu et de la série.
En appuyant votre communication sur un storytelling fort, Canal+ cherche-t-il a capter une audience plus jeune et plus connectée ?
Effectivement, ce genre de dispositifs présente le double avantage d’être suffisamment impressionnant visuellement pour constituer une curiosité en soi sans connaissance a priori de la série, mais ils proposent également aux fans de prolonger l’expérience télé en partant à la recherche d’indices cachés, d’éléments narratifs supplémentaires qui étaient délivrés chaque semaine sur le site.
Ou est-ce un moyen de faciliter le contact entre un public plutôt habitué aux productions policières et le registre très fantastique de la série ?
Le public de CANAL+ n’est pas spécifiquement habitué aux productions policières. Pas par la chaîne en tout cas, et ce n’est pas une volonté éditoriale que d’axer la Création Originale sur le créneau polar. Le fil rouge est plutôt la garantie d’une qualité de production et d’une intransigeance éditoriale qui sont un gage de qualité pour les abonnés, l’assurance de voir une proposition télévisuelle différente du reste du PAF, au meilleur niveau européen et capable de rivaliser avec les productions des studios américains.
La stratégie de communication très réussie des Revenants a-t-elle été influencée par celles des séries américaines ? Par exemple, les innovations marketing et transmedia de la série Lost sur ABC, comme le jeu video Lost Experience.
La stratégie de communication s’est avant tout basée sur les spécificités de la série : évocatrice plus que figurative, une tension intense jamais appuyée, son côté intemporel, le bouleversement des repères… Ensuite, il est certain que des dispositifs particulièrement élaborés comme ceux testés par ABC sur la série Lost sont des modèles du genre pour susciter un engagement fiévreux des fans. Mais ils sont à double tranchants, car plus l’audience est engagée, plus l’attente est forte et la peur de décevoir également ! Mais le style des deux séries est radicalement différent. Lost tentait de créer une nouvelle mythologie en s’appuyant sur une symbolique extrêmement forte, une cartographie précise… Les Revenants s’articule autour du dérèglement du quotidien, de l’apparition progressive de l’étrange dans des existences rangées et ré-établies. Cependant, nous travaillons effectivement sur un concept d’intersaison actuellement.
 
Propos recueillis par Clémentine Malgras

Flops

Le scandale Findus, une vraie boucherie !

 
Le 7 février dernier, les organismes de contrôle britanniques découvrent que les lasagnes au bœuf Findus contiennent en réalité plus de 60% de viande chevaline. Une véritable enquête se met alors en route, prenant une dimension internationale.
Les protagonistes
– Findus, dit la partie émergée de l’iceberg (Suédois)
– Spanghero, dit le fournisseur (Français)
– Comigel, dit le fabricant (Français)
– le Consommateur, qui ne sait plus sur quel cheval monter
– les Végétariens (qui de toute façon ne sont pas concernés)
– les Abattoirs roumains, de mèche avec les équidés
– les Négociants, dits les négociants
Les suspects
Acte 1 : la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) fait le lien entre les produits interpellés de la marque suédoise, découverts en Angleterre, et un fournisseur français de viande surgelée, j’ai nommé Comigel. Findus menace de porter plainte contre ce groupe messin, qui lui, affirme avoir été « berné » par son fournisseur Spanghero.
Acte 2 : pour s’innocenter, Spanghero met en lumière la complexité du processus d’achat intracommunautaire. Complexité, faible mot pour décrire le trajet tortueux de la viande, à partir d’abattoirs roumains jusqu’en France, en passant par des négociants chypriotes et néerlandais (dimension internationale avez-vous dit ?) !
Acte 3 : l’affaire fait un bref détour par la Roumanie, accusée d’avoir un stock important de chevaux à écouler suite au délaissement de la charrette au profit de la voiture. Les abattoirs roumains clament leur innocence, en affichant les nombreux contrôles vétérinaires à l’abattage.
Acte 4 : une fois n’est pas coutume, c’est la théorie du complot qui revient à la charge, les producteurs roumains dénonçant une « combine » entre fournisseurs et clients.
Acte 5 : nouveau rebondissement dans l’affaire avec l’avancement de l’enquête de la DGCCRF. Le 18 février, l’organisme lance des perquisitions dans l’usine Spanghero de Castelnaudary, l’accusant de tromperie sur l’étiquetage. Selon les premiers résultats de l’enquête, le fournisseur de viande aurait sciemment revendu du cheval à la place du bœuf.
J’accuse… ?
Au début de l’affaire, on nage dans un Cluedo fantastique du plat préparé et surgelé, chacun semblant donc être la victime de l’autre :
– Findus, trompé sur la marchandise, qui a donc porté plainte contre X,
– Spanghero, qui a rejeté la faute sur le fabricant Comigel,
– Comigel, qui renvoie la balle à Spanghero et aux équidés roumains.
– les Roumains, soupçonnés car en début de chaîne, et qui essaient de se défendre tant bien que mal,
– les consommateurs, floués.
Le déroulement de l’enquête met en lumière ce qui semble être une fraude gigantesque sur l’étiquetage de la viande. Première mi-temps du Cluedo : j’accuse Spanghero, avec une fausse étiquette, à Castelnaudary ! Et quid de Comigel, qui pourrait avoir sciemment fermé les yeux sur les activités peu claires de son fournisseur ?
Selon Benoit Hamon, (conférence de presse du 21.02 à la suite d’une rencontre avec des représentants du secteur agroalimentaire) cette fraude européenne pourrait ne pas se limiter à Spanghero mais concerner aussi d’autres filières de la grande distribution.
En bon Capitaine Moutarde (sans jeu de mot gastronomique, vraiment), on ne sait plus à qui jeter la lasagne, ici !
L’art de la communication de crise
À l’heure de l’instantané, impossible de fuir le scandale ni de chercher à étouffer l’affaire. Les internautes s’en sont rapidement emparés à coups de détournements plus ou moins osés, mais amusants pour la plupart. Alors que le gouvernement tente de rassurer les consommateurs en montrant sa participation active dans la gestion de la crise, soyons honnêtes : comment consommateurs et supermarchés, qui achètent des produits à si bas prix, peuvent-ils croire une seconde que le circuit de commercialisation, de l’abattoir au présentoir, n’ait rien à cacher ?
Findus s’est contenté au début de marteler les deux mêmes arguments en boucle : le consommateur ne craint rien d’une part, et Findus a justement permis cette découverte, par sa rigueur et ses contrôles. Depuis une semaine, la marque change de stratégie et tente d’effacer sur la toile les liens entre son nom et cette triste affaire. On ne trouve plus sur leur page Facebook de publications sur ce thème. Ils ont également contacté plusieurs médias web à travers l’agence Reputation Squad. Le but étant de noyer le poisson (à défaut du cheval) pour que le nom de Findus cesse, à l’avenir, d’être associé à l’affaire dans les recherches internet.
A qui profite le crime ?
– À Twitter, qui profite aussi de la créativité des internautes ! Depuis le 7 février, les tweets à #Findus ne cessent de défiler. Les journaux y évoquent les faits nouveaux de l’enquête et les twittos partagent leur indignation et leurs meilleurs jeux de mots. D’autres hashtags ont dérivé du premier comme #Findusfail, #FindusPape (la démission du Pape a laissé un peu de répit à Findus) et pour les cinéphiles : #RemplaceUnNomDeFilmParLasagne. D’ailleurs, bientôt dans les salles : L’Homme qui murmurait à l’oreille des lasagnes et Harry Potter et les lasagnes mêlées.
– À la créativité des internautes:

– Aux végétariens, qui ont la joie de pouvoir dire aux carnivores : « tu vois, je te l’avais bien dit ! » Comme « nous serons tous végétariens d’ici un demi-siècle » selon des chercheurs suédois (la viande étant trop chère à produire et diététiquement trop pauvre), autant compter sur les scandales de la boucherie industrielle pour accélérer le mouvement. Il est temps de s’y mettre !
– À Ebay, qui inaugure un nouveau marché underground : la vente de l’édition limitée des lasagnes Findus un bon moyen pour la marque suédoise, peut-être, de récupérer ses produits entachés ?
De toute façon, tout cela retombera vite dans l’oubli : qui se souvient encore précisément de l’affaire steak haché de chez Lidl, ou du concombre infecté, arme de destruction massive ? Ce genre d’affaire, entre scandale, fascination et fantasme, révèle surtout quelque chose de la société humaine et de ses évolutions. Le cas Findus et la grande crise de confiance qui en résulte nous en dit long sur le décalage entre attachement aux cultures nationales et contraintes imposées par la mondialisation. L’Affaire Findus influencera-t-elle durablement l’ère du local face au « village global » ? Poussera-t-elle les industriels à faire preuve de plus de transparence dans la fabrication et l’importation de leurs produits ? En attendant, j’ai comme une envie de lasagnes… Pas vous ?
 
Sophie Pottier et Pauline St Macary
Sources :
La découverte du plat à lasagnes
La communication de crise Findus, tant bien que mal
Détournements en images
Spanghero : coupable avéré ?
Effets du scandale sur le végétarisme et la bio-attitude

Agora, Com & Société

Le denim-poubelle

 
Levi’s a lancé en janvier dernier, pour sa collection Printemps 2013,  une nouvelle gamme de jeans éco-friendly : Waste<Less. Conçus avec 20% de plastique recyclé (issu de bouteilles et d’emballages plastiques triés et traités), ces nouveaux jeans répondent aux exigences de la marque d’adopter une image saine et respectueuse de l’environnement auprès de ses consommateurs. Ce lancement poursuit ainsi les engagements de la marque depuis 2009, et fait écho à la précédente gamme Water<Less qui proposait une fabrication moins gourmande en eau.
Avec l’audacieux slogan « These jeans are made of garbage » (*Ces jeans sont fait de déchets), les jeans Waste<Less allient un discours éco-responsable au style reconnaissable de la marque californienne. Quels intérêts présentent alors le développement de gammes « green » pour les géants du prêt-à-porter ?
Avant tout, les marques cherchent à améliorer leur réputation auprès d’un public mieux informé et plus concerné. À l’image de la campagne « Detox » de Greenpeace qui a bénéficié d’une forte publicité, un réel besoin de connaître la qualité et l’origine des produits que nous consommons émerge.
Lancée en juin 2011, « Detox » engage les grandes marques de prêt à porter telles que Levi’s, Zara, C&A, Benetton et bien d’autres, à éliminer la présence de composés chimiques nuisibles pour la santé et l’environnement dans leurs produits. Après avoir dénoncé le gâchis et la pollution des eaux employées dans leurs chaînes de production aux quatre coins du monde, Greenpeace s’est attaqué aux ethoxylates de nonylphénol, des substances chimiques présentes dans les vêtements, qui perturbent l’environnement et peuvent causer des troubles du système endocrinien (*responsable de la production d’hormones).
Ainsi, le 12 décembre 2012, Levi’s a rejoint le mouvement et s’est engagé à réduire drastiquement la présence de substances toxiques dans ses jeans, tout en assurant dès juin 2013 une visibilité majeure sur les données de pollution provenant de ses fournisseurs.
Dans ce contexte, Waste<Less n’apparaît plus seulement comme un précurseur de tendances, mais plutôt comme le contre-pied d’une campagne nuisible. Mieux encore, Levi’s répond à une prise de conscience massive des risques écologiques et sanitaires que présente l’industrie textile. Cette tendance marketing très rentable permet donc de satisfaire les exigences des nouveaux consommateurs, tout en dissimulant sous le masque du recyclage et de l’éthique, les étapes cruciales de production et de distribution, qui demeurent la source majeure de pollution dans l’industrie. La bonne conscience étiquetée « green » se vend si bien qu’il devient alors difficile de faire le tri entre les marques qui érigent cette valeur comme outil de vente et celles qui se fondent réellement sur cette pensée.
Ceci étant dit, Levi’s n’aura pas manqué d’être dénoncé pour ses pratiques (communes) douteuses, et la volonté de la marque de s’associer au courant du recyclage en proposant des solutions originales, ne peut être blâmée. Au contraire, sa force d’influence peut justement participer à l’éducation des consommateurs et créer chez eux l’envie d’une mode détoxifiée.
 
Clémentine Malgras
 
Sources :
Lancement Waste<Less: #!
Video Greenpeace « Detox Levi’s »: http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=x173k1cRSzE

1
Com & Société

Panem et circenses pour le Superbowl

 
Il est presque impossible d’être passé à côté d’un article, d’une publicité, d’un tweet sur le Superbowl ce mois de février, même en France. Le Superbowl est le rendez-vous national le plus populaire de l’année aux Etats-Unis mais n’en reste pas moins un événement mondial. Pour la 47e édition, il a rassemblé 108,41 millions de téléspectateurs (si les chiffres ne vous parlent pas, celui-ci équivaut à un peu moins du double de la population française). Créé en 1967 et officiellement appelé NFL-AFL World Championship Game, le championnat commence en fait dès septembre avec une saison régulière qui dure 16 matchs. Pourtant, les fans et les médias n’en retiennent principalement que la finale et lui préfèrent le nom de Superbowl. Et les médias deviennent finalement les organisateurs de ces jeux, où l’on entend plus parler d’audience que du sport le plus apprécié dans le pays.
La métaphore du football comme religion prend tout son sens dans un événement comme celui-ci. « Le football est devenu une religion, une obsession collective qui fait vibrer la nation », dit Rick Telander, chroniqueur sportif du Chicago Sun Times. On parle de ce rendez-vous comme de la « grand-messe », où fans et téléspectateurs « communient » autour du petit écran. Allen St. John, auteur de « One Billion Dollar event » dit à ce propos que « Le Superbowl est presque plus populaire que Noël, ce n’est pas formel, les familles et les amis se réunissent, boivent de la bière, bouffent de la « junk food » et regardent le spectacle ! » Cet événement rejoint le scénario de « Télévision cérémonielle » que D. Dayan et E. Katz appellent « la confrontation », événement qui est organisée autour de la question « Qui va gagner ?» On y retrouve bien des caractéristiques telles qu’un public préparé par de multiples annonces qui précèdent le « grand moment », une forte mobilisation de symboles, une quasi-obligation d’être témoin, un rendez-vous en rupture avec le quotidien, et une participation à des chiffres d’audience qui dépassent l’imagination. Le Superbowl est donc plus une expérience nationale et collective qu’une simple diffusion médiatique.
Cependant, il est à noter que les organisateurs de cette finale ont tout de même quelques tours dans leur sac pour en faire un bon filon économique et financier…
Suivant le modèle de l’élargissement des contenus pour multiplier les publics, le Superbowl se transforme en véritable show national. Le peuple veut du pain et des jeux, quand Rick Telander dit encore : « Les footballeurs américains sont nos gladiateurs, et nous sommes comme les Romains, ivres de ce jeu magnifié par la télévision, qui avec ses ralentis, devient un ballet brutal et splendide. » Mais ce n’est plus tant à propos du sport, que du « fun » ; on parle alors de « sportainment ». Et c’est Michelle Obama qui nous le prouve, quand son billet a été retwitté plus de 4 500 fois durant la finale, non pas à propos du jeu, mais de la performance de Beyoncé : «  Watching the #superbowl with family & friends. @Beyonce was phenomenal! I am so proud of her!”

Les annonceurs se mettent au diapason et concourent pour créer la publicité la plus fun : « Chaque pub est en soi un spectacle, les compagnies font surenchère d’inventivité pour le Superbowl, et il y a un concours de la meilleure réclame » dit St John. Le caractère éphémère de ces créations place pour quelques jours la publicité en dehors de son champ originel et l’élève sur un piédestal, puisqu’une fois diffusées, les publicités rentreront ensuite au placard. Mais pour parfaire le plaisir pris durant ce spectacle, encore faut-il avoir le ventre plein, comme les Romains l’avaient si bien compris. Et les chiffres records continuent pour cette journée, avec une grande délicatesse de la part des organisateurs qui avaient prévu cette année près d’1,23 milliard d’ailes de poulet, une consommation de 3,4 millions de pizzas durant le jeu, et environ 325,5 millions de gallons de bière (1 gallon = 4,5litres environ) Et enfin, comme la soirée doit être inoubliable, les chaînes qui diffusent cette finale (alternativement CBS, Fox et NBC depuis 2007) ne s’arrêtent pas après la victoire. Le traditionnel Superbowl lead-out program, comprendre l’épisode post Superbowl, est diffusé juste après le match. Il s’agit d’un épisode unique et spécial, décalé de sa case horaire habituelle (le Superbowl a toujours lieu le dimanche) d’une série télévisée, souvent tourné spécialement pour l’occasion. Cette année, CBS a choisi la série Elementary qui a pu bénéficier de l’exposition exceptionnelle offerte par le Superbowl, avec 20.8 millions de téléspectateurs. Il ne bat cependant pas l’épisode le plus regardé de l’histoire des post-Superbowls, record détenu par Friends en 1996 avec plus de 53 millions d’audience.
Et puisqu’on parle de chiffres et de records, rentrons dans le vif du sujet, qui alimente tant de discours chaque année à cette période. CBS, Fox, et NBC se partagent d’une année à l’autre la diffusion de l’événement. Commence alors la chasse à l’espace publicitaire par les annonceurs. Le prix de 30 secondes de temps d’antenne est passé de 2,7 millions en 2008 à près de 4 millions de dollars aujourd’hui (et CBS attendait près de 225 millions de dollars de revenus publicitaires cette année). Les subtilités s’ajoutent au fil du temps dans ce commerce, puisque l’année dernière, NBC Sports Group avait décidé de rendre obligatoire l’acquisition d’espaces publicitaires supplémentaires sur la chaîne, en plus de celui du Superbowl. Petit bénéfice personnel quand on sait que les espaces de la finale se vendent sans difficulté aucune. Pour la première fois de son histoire aussi, NBC avait retransmis en direct, l’année dernière, l’événement sur son site Internet et via l’application mobile officielle de la NFL. Enfin, autre nouveauté, cette année les marques ont décidé de ne plus jouer tant sur la surprise lors du grand soir, que sur l’alimentation des conversations sur les réseaux sociaux, en diffusant leur spot publicitaire unique pour certains quinze jours avant le jour J. Et cela fonctionne. Selon certaines études, 57% des Américains affirment porter attention aux publicités du Superbowl avant le match et un Américain sur 5 les cherche avant même la rencontre. Les publicités font donc bien partie du plaisir et du décor attendu de cette expérience unique.
Les chiffres du côté des réseaux sociaux sont montés eux aussi en flèche cette année, et ont permis une collecte de data très estimable pour les annonceurs. On se rend compte que l’enjeu ici pour la publicité est d’être mémorable, que ce soit en bons termes ou non. Ainsi c’est la publicité PerfectMatch de GoDaddy qui a été la plus mentionnée (255 121 tweets), mais particulièrement négativement, contrairement à la publicité Taco Bell (213 125 tweets) qui a d’ailleurs gagné le fameux concours. 26 des 52 marques ont profité cette année de leur spot pour proposer leur Hashtags, augmentation de 300% par rapport à l’année dernière, et ont également profité de cet évènement pour encourager les téléspectateurs à devenir fans de leur page Facebook. Quelques exemples en nombre brut : en une soirée Blackberry a gagné 431 094 fans suivi par Coca-Cola (+379 133) et Oreo (+114 049). Tous ces chiffres sont assez parlants, et d’autres tout autant étonnants sont disponibles dans cette étude.
Concerts, épisodes inédits, concours de réclame, défilés de star dans les spots, tout est fait pour satisfaire un public élargi, et même à la maison, puisque (encore un record) 24,1 millions de tweets ont été publiés durant le jeu. Les villes entrent en campagne pour accueillir l’évènement, l’objet sportif devient tour à tour un objet culturel, médiatique et financier qui définit aussi l’identité de ce pays.
Et le jeu, les équipes, les joueurs, adulés dans tout le pays, sont absents des analyses médiatiques, du moins à l’étranger. Pour trouver quelques infos sur les matchs, mieux vaut fouiller sur les sites spécialisés. On y trouve d’ailleurs quelques informations peu relayées. Les ex-gladiateurs se livrent en ce moment à un procès, étouffé par la NFL, contre les injonctions à la violence qu’ils ont subi par le coaching et notamment pendant ces fameuses finales, et les conséquences de cette violence sur leur santé. Ils se retrouvent presque tous aujourd’hui retraités et infirmes… Les parallèles entre les Jeux romains et le Superbowl se multiplient, esclaves au service du spectacle servi par la violence et l’opulence, est-ce le peuple qui veut du pain et des jeux, ou César ?

 
Marie-Hortense Vincent
Sources :
Les images proviennent de l’infographie de WhisprGroup, sur  SportsMarketing.fr
Alter Journalisme – Courrier International
La Voix du Nord
Le Figaro
Socialsport

Société

Tumblr is the new black

 
Tumblr, Quésaco?
Qu’on jette le premier stiletto à la personne qui ne connaît toujours pas Tumblr, cette plateforme de microblogging créée en 2007 par David Karp qui permet de poster des contenus divers tels que des vidéos, des images, des textes, des liens et des sons. Chacun peut s’y abonner librement et découvrir les nouveaux billets des blogs qu’il follow via un flux qu’on appelle le Dashboard, si le billet vous plaît vous pouvez le « rebloguer » pour qu’il apparaisse également sur votre blog. Le seul mot d’ordre de cette plateforme ? La créativité. L’une des maisons de mode les plus célèbres au monde semble l’avoir compris puisque très récemment c’est Dior qui a sauté le pas.
Si j’étais un blog, je serais celui de Dior
Le Tumblr de Dior est né (pour y jeter un coup d’œil, ça se passe par là) et la marque y affiche un thème personnalisé qui rend son blog très épuré, simple mais efficace. Les contenus sont exclusifs et divers : des photos toutes aussi magnifiques les unes que les autres qu’elles soient pour un parfum, un rouge à lèvres, un vernis, une ombre à paupières ou qu’elles immortalisent simplement les défilés Dior à travers le monde au cours de la dernière Fashion Week. Les GIF sont également omniprésents puisque, soyons honnêtes, un Tumblr sans GIF n’est pas vraiment un Tumblr. Ce qui est d’autant plus intéressant c’est que Dior respecte sans surprise certains codes comme celui de ne poster des billets que dans un certain ton de couleurs par jour, ce qui rend le blog d’autant plus esthétique. Il utilise également les Tag ou mots clés pour faciliter la recherche de ses utilisateurs qui dans quelques semaines, quand le contenu du blog sera plus riche, pourront accéder plus aisément aux rubriques et thématiques qu’ils souhaitent : fashion, fashion week, backstage, menswear, womenswear, prefall, makeup… Si le contenu est facilement accessible il est également très simple à partager puisqu’il est possible de le faire via le reste de la longue famille de réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Google +, Pinterest) à laquelle le Tumblr est connecté. Il n’y a rien à redire, c’est une belle stratégie de contenus à laquelle nous avons droit grâce à Dior. Si le but de la marque est d’augmenter son nombre de fans, elle ne devrait pas avoir trop de difficultés surtout que la plateforme Tumblr est tous les jours de plus en plus accessible, sans compter les milliers de Fashion blogueurs qui partagent et « rebloguent » plus vite que leur ombre les billets de Dior. Si ça c’est pas de la viralité !
Dior, sa « Success story » online
Pourtant Dior n’en est pas à son premier coup d’essai. La marque a déjà été à l’origine de plusieurs autres stratégies de contenus mêlant le net et les réseaux sociaux qui ont toujours été efficaces et originales. Sur Youtube par exemple, Dior avait crée sa chaîne officielle pour y diffuser à l’automne 2012 la série des mini-films de Lady Dior où l’égérie n’était tout autre que Marion Cotillard. La marque avait tenu ses 42 000 abonnés en haleine grâce à des teasers et deux épisodes où l’on voyait l’actrice et égérie asseoir le statut et la légitimité de la grande maison française. Autre exemple, le « Dior Mag », un magazine online qui a pour but de diffuser des informations et communiquer sur l’histoire de la marque mais également ses actualités à travers le monde entier et diffuser anecdotes et les backstage des défilés. Ses publications de qualité et quasiment quotidiennes ont fait que les fans sont au rendez-vous, le magazine connaît un franc succès depuis son lancement en 2012. Dior ne s’arrête donc pas là, puisque hormis l’apparition de son nouveau Tumblr, on sait la marque également omniprésente sur d’autres réseaux tels que Facebook (plus de 11 millions de fans) ou Twitter (plus d’un million et demi d’abonnés). Quant à l’annonce de leur Tumblr, la nouvelle avait été partagée plus de 1340 fois, rien que sur Facebook.
Ainsi, le nouveau Tumblr de Dior n’est rien d’autre qu’un autre exemple du succès de la marque dans sa communication. La maison de mode nous démontre une fois de plus qu’elle sait y faire grâce à une stratégie de contenus différente selon les réseaux sociaux et les plateformes mais qui reste encore et toujours en accord avec son image de rêve. Il ne reste plus qu’à se demander quelle sera la prochaine étape pour la maison de luxe puisque Dior ne s’arrêtera sûrement pas là.
 
Sabrina Azouz
Sources :
Le Tumblr de Dior
La page Facebook de Dior
Crédits photo : © Dior

Archives

Jacques a dit : « Au cinéma comme dans la vie »

 
Quel est le point commun entre Abraham Lincoln, Alfred Hitchcock, Edith Piaf, Margaret Thatcher, Marie-Antoinette, Henri IV et Nelson Mandela ? Après avoir marqué leur époque, ils sont tous devenus des stars du grand écran. Dans des adaptations plus ou moins fidèles à la réalité (jusqu’au désarmant Abraham Lincoln : chasseur de vampires), on met en scène leur vie forcément palpitante, puisque relevant du mythe historique. Le genre connait un succès particulier en ce moment, et les producteurs d’Hollywood en raffolent. Alors, fausse bonne idée commerciale ou vrai renouveau cinématographique ?
Du point de vue communicationnel, la formule présente un double avantage. On propose aux spectateurs à la fois un divertissement classique, avec ses promesses d’action, d’humour, d’amour et de péripéties, tout en jouant sur le côté instructif. Une sorte de C’est pas sorcier du septième art en somme (en un peu mieux quand même). Tout bénéf donc pour la promo, où on vise à la fois le public intello qui voudrait en savoir plus sur la guerre de Sécession ou la Révolution française, et le spectateur lambda qui cherche à se détendre en fin de semaine à coups de pop-corn et de blockbusters. Un double horizon d’attente qui permet d’élargir au maximum les publics visés.
 En l’adaptant au cinéma, on rend l’Histoire vivante car incarnée par des personnages en chair et en os,  et par conséquent plus intéressante car soudain bien plus proche de nous. À tel point que Steven Spielberg a offert des milliers de DVD de son film Lincoln aux écoles américaines, comme support d’enseignement. Mais dans quelle mesure peut-on considérer ces adaptations comme de l’information pure ? Si pour Adorno les arts se consument les uns au contact des autres, ici c’est tout bonnement le réel qui se consume au contact de la fiction. Le spectateur est soudain placé dans la position de décrypteur, souvent jusqu’à la paranoïa. Alors que dans une fiction pure il est invité à tirer des vérités générales de l’artifice assumé, ici au contraire il s’attache à débusquer le faux, l’inexact, l’approximatif d’un récit qui se revendique comme entièrement authentique. D’où les éternels reproches : « ça ne s’est surement pas passé comme ça », « le personnage n’était pas ressemblant » à la sortie des salles.
Ce procédé mérite qu’on s’y attarde, car depuis quelques temps il semble marquer plus largement tout un pan de la communication médiatique. Faux-vrais témoignages dans les pubs pour dentifrice, multiplication des émissions de scripted reality à la télévision, on est désormais à la recherche du Vrai, même (surtout ?) quand celui-ci est factice. Reste à l’audience de faire la part des choses, en attendant la sortie du prochain film.
 
Marine Siguier
 

Société

Le Vendée Globe ou l’écriture épique du Grand large

 
Le 10 novembre dernier, les vingt skippeurs au départ de la course du Vendée Globe nous avaient embarqués dans une rêverie collective que l’exploit de François Gabart, le vainqueur, a transformée en fantasme national.
 
Ces héros qui communiquent : la fabrique de mythes
Le périple de ces Conquistadores contemporains, aux compétences techniques et informatiques incroyables, a fasciné un demi-million de passionnés rassemblés sur la course en ligne Virtual Regata, mobilisé plus de 900 000 personnes au Sables-d’Olonne  venues acclamer leurs champions, généré plus de 650 000 ouvertures de session de lecture sur le flux vidéo du site officiel de la course à l’arrivée du vainqueur le 27 janvier.
Pour cette nouvelle édition, chacun des bateaux avait embarqué une caméra, ce qui a profondément renforcé l’intérêt pour cette course, permettant un flux d’images ininterrompu.  « Probablement que l’image est la nouvelle écriture du large. »  explique Kito de Pavant (Groupe Bel, abandon quelques heures après le départ). Au travers de résumés quotidiens, on a assisté lors de cette édition du Vendée à une véritable sérialisation du temps  réel. « Il semble que la voile, ou du moins le Vendée Globe, soit définitivement rentrée dans un processus de « sportification ». Ce barbarisme désigne ces sports qui ne l’étaient pas complètement, mais le sont devenus et sont totalement intégrés à la culture de la webcam et des réseaux sociaux» avance Cardon, sociologue et spécialiste des images. Le récit du large nous est désormais livré bien avant que les marins reviennent à terre, un virement de bord à la fois progressif et  incroyable pour ceux qui, avant, attendaient au ponton le récit d’une épopée inédite délivrée par les navigateurs, seuls détenteurs des péripéties de leurs traversées.
 
La parole suspendue
« Le silence est la condition de la parole. » écrivait le philosophe JB Pontalis. L’image, comme la performance, parle d’elle-même sans que le marin ait besoin d’en évoquer les contours. Le récit du large serait voué au romanesque et à la rhétorique de la parole suspendue. Suspendre le temps du discours comme pour laisser vibrer les rafales de vent dans les voiles et les vagues sur la coque. L’indicible du large suggérait- il que la rationalité de la parole doive céder le pas à la poésie de l’image? Ou au contraire, l’image « prêt-à-consommer » dissout-elle le mythe et la dimension romanesque de l’écrit ? Peut-on faire confiance à ce récit imagé, livré et produit par le héros lui-même ? La construction du mythe, issue de la fabrique audiovisuelle, ne serait qu’une illusion, dans la mesure  où « le marin donne à voir ce qui peut nourrir la couverture de la course. Mais il peut aussi en cacher une partie », sourit Kito de Pavant. En effet, suivant de près la stratégie de son mentor Michel Desjoyeaux, Gabart a préféré ne pas révéler le problème technique qu’il a rencontré dès le début de la course avec la pompe à injection de son hydrogénérateur de secours, une turbine permettant de faire de l’électricité avec le déplacement de l’eau et du bateau.
 
La Paris-matchisation des vainqueurs : une rafale médiatique inédite
Cette édition du Vendée Globe aura été la plus rapide (78j 02h 16min) mais également la plus couverte par la presse qui s’est appliquée à construire cette admiration que suscitent les marins du Vendée Globe. Le philosophe Laurent de Sutter expliquait dans Libération : « L’admiration est une étrange émotion. Elle consiste à ressentir comme un bien le fait qu’il y ait  plus grand que soi. (…) Puisque nos héros, dans le cas des stars, nous semblent de plus en plus fabriqués, nous préférons nous tourner vers ceux qui restent, à nos yeux, porteur d’une aura d’authenticité. » Mais quand bien même nos derniers héros seraient ces marins à l’allure authentique, il semblerait que cette édition aurait également annoncé le processus irrémédiable de « peopolisation », ou de « paris-matchisation » de ces figures mythiques. En témoigne le numéro hebdomadaire de Paris-Match du 30 janvier, où figure en couverture la famille Gabart enfin réunie avec François, Henriette et Hugo (tel Ulysse, Pénélope et Télémaque) sous le titre «  Le Petit Prince des Océans ».
Pour poursuivre sur cette vague homérique, voici comment la présentatrice de France 2, Catherine Ceylac, accueillit Gabart et Le Cléac’h (dauphin du Vendée) sur le plateau de Thé ou Café le 9 février dernier :
« Nous avons deux invités, alors vraiment des invités, euh très performants. Ce sont des héros. Vous en avez entendu parler, nécessairement, vous les avez déjà peut-être vu, déjà entendu, mais je pense qu’ils vont nous dire des choses différentes. Ce sont nos héros du Vendée Globe : c’est François Gabart et Armel Le Cléac’h. (…) et je me suis dit en le voyant (Gabart) dans les coulisses, en fait, il est normal le garçon! On imaginait un surhomme, 2,20m, 100kg. »
 La présentatrice entendait peut-être par « dire des choses différentes » des révélations sur la libido des deux marins durant la course quand elle leur a posé sobrement la question « Pratiquez-vous l’onanisme en mer ? », qu’elle a dû traduire de façon plus explicite aux jeunes hommes qui ne comprenaient pas le terme biblique employé pour parler de masturbation. On peut se demander si cette question a véritablement sa place sur une chaîne du service public et plus encore dans un média généraliste de masse.
Cette médiatisation s’éloigne du personnage silencieux, rugueux, de la figure littéraire, comme avait pu l’incarner Tabarly et comme l’incarne toujours Francis Joyon (qui avait été victime d’un accident en mer suite à son refus d’accoster à Brest à son arrivée de la traversée de l’Atlantique pour éviter les journalistes et les fans). Ces jeunes navigateurs, charismatiques et hypercommuniquants, ont dû affronter des océans déchaînés et des tempêtes indomptables. Mais c’est en passant la ligne d’arrivée qu’ils se seront confrontés à la plus redoutable des intempéries : la rafale médiatique.
Pendant ce temps, les retombées médiatiques de cette Odyssée ont été évaluées à près de 145 millions d’euros. Double performance : sportive et médiatique ; qui devient ainsi mythique.
 
Margaux. Le Joubioux – envoyée très spéciale  du Celsa Voile aux Sables-d’Olonne.
                    
Le Celsa voile est l’association de voile du Celsa qui rassemble une quinzaine d’étudiants engagés dans la 45eme édition de la Course Croisière EDHEC. Cet évènement sportif étudiant se déroulera à Brest en Avril, et sera l’occasion de porter les couleurs et les valeurs de leur école sur l’eau, aux manœuvres d’un Dufour 34, ainsi qu’à terre lors de tournois sportifs. Si vous souhaitez soutenir le Celsa Voile, n’hésitez pas à rejoindre l’équipe sur Facebook et à nous contacter par mail celsa.voile@gmail.com
 
 
Sources :
-Libération- articles du journaliste sportif Jean Louis Le Touzet
– Emission du Thé ou Café sur France 2
– Le site officiel du Vendée Globe
 

Flops

Un peu trop Norman activités…

 
Le 30 janvier 2013 signe la sortie de Pas très normales activités, réalisé par Maurice Barthélémy, ex-Robin des Bois, et dont l’acteur vedette est Norman Thavaud. Avec ou sans patronyme, vous connaissez tous Norman. C’est le petit malin qui fait des vidéos sur le net depuis quelques années déjà, et qui rencontre, il faut le dire, un certain succès dans le domaine (plus de 200 millions de vues sur sa chaîne youtube, il n’y a pas de quoi en rougir). On s’attendait donc à ce que Norman, très mis en avant pour la promo du film, soit brillant, étincelant, ou au moins drôle à l’écran. Que nenni, les critiques négatives fusent, et le jeune Youtuber de 25 ans n’échappe pas aux affres de l’acharnement médiatique.
Laissons de côté les critiques sur le potentiel humoristique de la chose, puisqu’il appartient à la subjectivité de chacun d’en juger, contentons nous de nous concentrer sur les critiques, qui, à mon avis, apparaissent comme les plus pertinentes et les plus justifiées. J’en retiendrai surtout une : un problème de format. Si Norman est un as de la saynète dans son salon pour nous parler de la très fameuse « génération Y », dont lui et la majorité de ses fans font partie, il aurait été judicieux de ne pas reproduire ce format au cinéma, encore moins pour un long métrage. Que je vous explique : le film consiste à un scénario très simple, un jeune couple dans une maison très isolée, avec un pervers et un muet. Mais ce qui frappe est surtout l’omniprésence de Norman, filmant ses propres aventures et reproduisant ainsi le format qui lui a valu son succès. En résulte forcément un film complètement décousu, une sorte de patchwork de vidéos plus ou moins drôles, qui ne convient pas à la plupart de ses spectateurs.
Donc, avouons-le, c’est un raté. La communication n’est pas la même sur youtube que sur un écran de cinéma (une évidence qui n’a pas l’air d’en être une avec Pas très normales activités), et l’erreur a sans doute été de vouloir trop miser sur Norman et sur son socle de popularité déjà solide. La preuve dans cette bande-annonce du film :

C’est bien simple, on ne voit que lui. L’objectif sans doute : attirer les abonnés de sa chaîne youtube au cinéma, et leur donner ce qu’ils attendent, du Norman en long, en large et en travers. Mais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué est rarement une bonne idée, et pour cause, les fanatiques de Norman fait des vidéos n’ont pas nécessairement adhéré au film (et c’est un euphémisme). La preuve en est de leurs multiples commentaires sur Internet. Là où en effet, le film n’a pas fait de flop, c’est sur la profusion des feedbacks. Les anti-Norman contre les pro-Norman s’opposent et se répondent dans des termes pas toujours élégants ni tout à fait raisonnés parlant plus de l’image de Norman que du film en lui-même. Pour ceux qui comme moi, adorent lire les commentaires des youtubers, allez voir c’est un plaisir. Cela dit on ne peut leur en vouloir quand la promotion du film visait surtout à faire la promotion du jeune acteur, on peut dès lors dire que tout cela a échoué.
D’autant plus que les critiques sur le comportement de Norman vont également bon train. Aurait-il pris la grosse tête ? On a en effet l’impression qu’il fuit les interviews et se dispense de répondre aux critiques avec une attitude nonchalante, qui, loin de les faire taire, ne fait que les amplifier et n’assure pas vraiment une hausse de sa popularité. Le web-humoriste qui gardait un lien pourtant très fort avec les internautes, en répondant à leur demande et en leur fournissant des vidéos sketchs qui correspondaient à leurs attentes, semble se détacher de ses fans. Cependant, nous pouvons aussi voir ici une lacune en matière d’accoutumance aux médias. Si le jeune homme maîtrise la sphère 2.0, il n’en a pas moins du mal à faire face à la télévision et au cinéma. Peut-être n’a-t-il pas pris « le melon », mais il en a l’air ; il s’en excuse parfois, en expliquant qu’il a du mal à se faire à sa nouvelle notoriété, et qu’il est difficile de faire face à l’ampleur des projets qu’on lui propose. Son apparition sur Canal+ en avril 2012 avait déjà soulevé les interrogations des internautes, notamment parce qu’il faisait un signe « west coast » à la caméra sans raison apparente. Ses apparitions télévisées, comme celle de Touche pas à mon poste se soldent toujours par une foule de critiques négatives, même de la part de ses fans, à l’instar de la plupart des journalistes.
La notoriété de Norman s’est faite grâce à un format particulier de média et elle apparaissait alors comme justifiée. Mais dès lors que le jeune homme s’aventure au-delà de ses limites, comme ont pu le faire les deux protagonistes de Dix minutes à perdre avec Shitcom sur Canal+, le résultat n’est pas bon et lui nuit particulièrement. Un problème d’adaptation sans doute qu’on ne pourrait lui reprocher s’il ne s’y aventurait pas.
Moralité :
Si ton succès tu veux garder,
En voulant à tout toucher,
Apprends à te renouveler !
 
Noémie Sanquer
Sources :
L’Express
Première
Sens Critique
Francebienvenue02.com
Jeuxvideo.com

Agora, Com & Société

Tarantino déchaîné

 
N.B. : Cet article risque de décevoir les cinéphiles. On parle communication ici.
On connaît tous Quentin Tarantino à l’aune de ses films déjantés, violents et colorés, que l’on a vus, revus, ou peut-être jamais vus (d’ailleurs, il serait peut-être temps d’aller y jeter un coup d’œil). Néanmoins, on méconnaît encore Tarantino le communicant, celui qui a su, tout au long de sa prolifique carrière (depuis ses  premiers scripts réalisés par d’autres jusqu’à la sortie de son tout dernier film, Django Unchained, le 16 janvier) jouer avec son propre personnage et le contenu de ses films pour faire parler de lui et promouvoir de facto ses œuvres. Un bel exemple de personal branding que nous allons essayer d’analyser ici.
 
Un acteur raté, un cinéaste né, un communicant doué
 Il faut le dire, Tarantino semble avoir un don pour se saisir des médias et faire parler de lui, ce qui sert évidemment la promotion de ses films. Acteur raté (en 1998 il monte sur les planches de Broadway pour jouer un gangster sadique, mais se fait doublement conspuer par la critique, pour sa prestation et pour le succès mitigé de son film Jackie Brown), il a néanmoins un certain talent pour jouer la comédie et mener les médias par le bout du nez. Pourtant, ce n’est pas un personnage réellement charismatique, quoique l’on puisse en dire, mais il fait preuve devant les caméras et les journalistes d’une impudeur et d’un narcissisme qui font de lui un bon client médiatique et un bon communicant. Il aura su se créer un personnage, en adéquation avec sa filmographie, et dont il est en fait le faire-valoir : un homme haut en couleurs, connu pour ses sautes d’humeur, une star de l’industrie du cinéma que l’on attend avec impatience de voir apparaître quelques minutes dans chacun de ses films. Réfléchissez-y quelques instants : quel autre réalisateur a ce statut de star cinématographique (et qui n’est pas lui-même un acteur) ? Bien sûr, on aime à dire que l’on va voir un film de Haneke, que l’on a vu tous les Leone ou les Godard, mais aucun de ceux-là n’ont réussi là où Tarantino a triomphé : créer une « marque » associée à leur nom.
 
Un as de la promo
Avant tout, Tarantino est un maître de l’auto-promotion, du personal branding. Pour se défendre auprès de ses détracteurs qui critiquent son amour pour le feu des projecteurs, il a choisi de les placer face à un simple constat : quand un acteur est amené à parler de son film (et qu’il en fait donc la promotion « cachée »), on ne lève pas les boucliers aussi promptement. Néanmoins, on peut affirmer de manière certaine qu’aucun cinéaste n’a son attitude sous les projecteurs : le personnage Tarantino aime communiquer sur ce qui ne semble pas en rapport avec ses films (sa vie privée, son amour pour la pop culture, son opinion sur le cinéma), mais qui au fond, n’est qu’une stratégie pour occuper l’espace public et médiatique. Quand les autres voient sur le court-terme, lui recherche l’occupation à long terme. Résultat, on ne voit que lui. Depuis le 7 juin, jour de la sortie du teaser de Django Unchained, et jusqu’à  aujourd’hui, la presse et les médias ont multiplié les dossiers, reportages, rétrospectives à son propos. Une campagne de communication comme les autres me direz-vous. Pas tant que ça. Ce serait oublier que Tarantino avait multiplié les déclarations au cours des deux dernières années, évoquant son rêve de réaliser un western spaghetti, sauce Sud esclavagiste, toujours en restant assez vague, mais en donnant assez d’éléments pour que nous en redemandions. Évidemment, cela a mis l’eau à la bouche de beaucoup, et laissé perplexes certains. Mais le stratagème avait marché, et nous étions dorénavant, au mieux, en attente de nouvelles informations, au pire, au courant d’une prochaine sortie du réalisateur du mythique de Pulp Fiction.
 
Des polémiques à l’image de sa filmographie : presque ridicules, toujours alléchantes
Avant même la sortie de Django Unchained sur nos écrans, la polémique faisait rage dans les médias. Ce bon vieux Spike Lee, revenu à la charge contre Tarantino (il l’avait déjà vivement critiqué pour l’utilisation trop prolifique du mot « nigger » dans son film Jackie Brown en 1997), clamait sur Twitter et dans la presse son indignation au vu du traitement de la question noire, qu’il qualifie d’holocauste, dans Django.
 
Certes, on ne peut lui reprocher sa sensibilité sur la question, mais il a ainsi nourri le moulin à eau de Tarantino ; celui-ci, un peu excédé d’avoir à se répéter à chaque nouvelle sortie, a perdu son sang froid face au présentateur britannique Krishnan Guru-Murthy après que celui-ci lui ait demandé s’il n’y avait aucun lien entre aimer la violence à l’écran et l’aimer dans la vie réelle. Ce qui a peut-être été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la commercialisation de figurines à l’effigie des personnages principaux du film, et qui prouve de façon plus ou moins grossière que Django est aussi un prétexte au marketing pur et dur, ou du moins que le marketing pénètre de plus en plus la sphère artistique.
 
Une fiction pas si pulp
Cependant, le système de la « marque » Tarantino a aussi ses limites, comme le dit si bien Vincy dans son article sur le site ecrannoir.fr : « À force de tout régenter en faisant de chaque sortie une machinerie marketing, centrée autour de lui-même, le réalisateur, qui n’est pas Orson Welles, risque de devenir davantage un Godard caricatural ».
C’est vrai, Tarantino, dès 1997, a rapidement saturé les médias. Et Vincy de renchérir : « À force de multiplier les casquettes et de diluer la qualité dans la quantité, le phénomène dont il était l’épicentre est devenu une tornade à hauts risques. » Mais avec Kill Bill en 2003, Tarantino revient au centre de l’attention, et malgré quelques baisses d’affection (période Inglorious Bastards), la marque Tarantino n’est pas prête de quitter les esprits. Jusqu’à ce que Tarantino se retire lui-même du circuit ? Il l’a en tout cas annoncé : il ne fera que dix films. On a donc encore de beaux jours devant nous pour observer cet énergumène médiatique, génie du cinéma et héraut de la culture moderne.
 
Laura Garnier
Sources :
Le portrait de Tarantino sur Écran Noir
Quentin Tarantino préparerait un western spaghetti sur Slate
Quentin Tarantino, le Luc Besson américain ? Sur Films Actu
Polémique : Django Unchained, le dernier Tarantino, est-il raciste ? sur Slate