Agora, Com & Société

"La France prise en otage": 3 mois de déchaînement sémantique dans les médias

Depuis trois mois déjà, la France est au bord de la crise de nerf. Le temps médiatique s’ajuste au rythme des derniers rebondissements d’un mouvement social de grande ampleur, qui se base comme on le sait sur le refus d’une réforme du Code Civil concernant les règles qui régissent le travail.
Contrairement aux protestations passées, on peut dire que d’un point de vue communicationnel ce mouvement dénote par son originalité. Originalité de la manifestation avec l’organisation des Nuits Debout place de la République à Paris par exemple, mais aussi originalité des moyens et des supports de transmission avec Periscope et la multiplication des « radios Debout ».
Envahissant les colonnes des journaux et les grilles des radios et télévisions, ce mouvement global de contestation, de Nuit Debout aux récentes grèves, est plus que jamais l’objet d’interprétations et de mises en scènes médiatiques. Puisqu’il n’y a jamais de mot au hasard, il est intéressant d’observer les manifestations sémantiques qui découlent de ce brouhaha de revendication et d’altercations.  
La sémantique de la peur : 3 mois de couverture, entre bruit et fureur médiatique

Comme le rappelle un article d’Acrimed, faisant un état des lieux de la médiatisation de la contestation, la réforme du code du travail suscitait dès septembre 2015 l’affolement des médias et un déchaînement sémantique pro-réforme. Loin d’une pluralité des discours médiatiques, le Code du travail est décrié par des journaux de tous bords, et la réforme montrée comme libératrice. On observe ainsi la reprise de nombreuses formules prônant une libéralisation du travail, comme celles de « dynamiser » ou « d’assouplir » le marché. Quand L’Opinion préconise de « déverrouiller le code du travail », Le Monde plaide que « Le Code du travail n’est pas une vache sacrée ». Il y a là une logique de démystification de cet objet symbolique, considéré comme un poids mort et rétrograde.
Une vidéo enregistrée pour l’émission de radio « Là-bas si j’y suis » montre que les médias se sont par la suite concentrés sur les effets des grèves et non pas sur leurs causes. En insistant sur la pagaille et l’énervement suscités, les discours des journalistes offrent une vision d’une France sombrée dans le chaos. L’expression de la contestation adoptée par une grande partie des médias est alors celle du français qui, agacé des mouvements de grève, revendique son « droit à travailler ».
Et les ennemis du dialogue social sont tout trouvés : quand ce n’est pas la CGT, ce sont les fameux « casseurs ». On dénonce alors l’escalade de leur violence, motivée par une rage baptisée « haine anti-flic ». Et certains n’ont pas lésiné sur les comparaisons douteuses… Quand Pierre Gattaz accuse Philippe Martinez de « terrorisme », Franz-Olivier Giesbert ose la comparaison entre Daech et la CGT, qui retiendrait tout bonnement la France « en otage ». Bref, le pays semble s’effondrer, la confusion est totale, et la sémantique apocalyptico-médiatique surfe sur une vague de peur incontrôlable et incontrôlée.
Les mots ont un sens
 

 
Dans son ouvrage Des miroirs équivoques, Louis Quéré nous rappelle la fonction sociale qu’occupent les médias. Il insiste particulièrement sur la visée identitaire des médias « positionnés dans un univers d’intérêts et de rapports de forces » dans lequel ils occupent un « rôle de fondation », « supports pratiques d’un mode historique d’objectivation de la médiation symbolique constitutif d’un système socio-culturel ». Par leur mode de narration, les médias se font « le théâtre des pratiques sociales ; ils donnent une assise à l’identité et à l’action individuelle et collective ». On ne peut donc que déplorer la quasi absence de pluralité des angles donnés aux contenus médiatiques sensés commenter les évènements.
Cet affolement médiatique et de cette confusion sémantique généralisée nous rappelle à quel point les mots ont un sens. Pierre Bourdieu dans Ce que parler veut dire entame une réflexion sociale sur le langage. Il y voit la société comme un marché, où le pouvoir s’exerce à travers une violence symbolique, bien plus intense que la violence physique, et dans lequel le langage est un échange de signes plus ou moins valorisants. Lorsqu’ils reprennent en masse des expressions similaires pour décrire les évènements relatifs à un mouvement social, les médias participent à cette violence, et assoient leur discours symbolique.
Au troisième mois du mouvement social, les médias, qui orchestrent le débat, semblent en majorité se focaliser sur des faits peu démonstratifs du mouvement dans sa globalité. En préférant la sûreté de la redondance des termes, ceux-ci prennent le risque de noyer l’analyse et de faire le jeu des préjugés sur un mouvement social dont on oublierait presque les fondements.
Mathilde Dupeyron
Linkedin 
Sources :
Acrimed, Julien Salingue, « Trois mois de couverture médiatique des mobilisations contre la « Loi Travail » », 6 Juin 2016
France Inter, Guillaume Meurice, « Terrorisme syndical », 3 juin 2016
Louis Quéré, Des miroirs équivoques, aux origines de la communication moderne, Aubier, 1992
Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : L’économie des échanges linguistiques, Fayard, 1982
Crédits images: 
Le Monde
Huffington Post
Le Parisien 

Société

Je suis un vrai, un dur, un tatoué

A l’occasion de la sortie de son livre « Why does Mommy have tattoos » en avril 2016, l’artiste Marilyn Rondón revient sur les motivations qui l’ont poussée à publier un ouvrage pour enfants destiné à briser les préjugés liés aux tatouages. L’occasion de se pencher sur une pratique ancestrale encore mal aimée par beaucoup.

Le tatouage, des préjugés qui lui collent à la peau
Si le tatouage est aujourd’hui particulièrement mis en lumière par les médias, il existe une diversité des savoir-faire et des perceptions qui est souvent occultée. En Polynésie Française comme dans les Îles Marquises – très belle exposition à ce sujet au musée du Quai Branly actuellement !-, le tatouage est un véritable rituel qui permet de distinguer les classes sociales et l’âge de chacun de ses membres : plus on est tatoué, plus on accède aux privilèges de la société et plus on est respecté. En ce sens, le tatouage est un acte sacré qui s’incarne dans des motifs comme le Tiki, le dieu créateur qui veille sur ses peuples.

Mais le tatouage prend une toute autre dimension dans certaines sociétés où il est synonyme de honte et de stigmatisation. Dans le Japon du VIème siècle, il servait à marquer les criminels qui conservaient la trace de leur forfait à vie, sans oublier l’Allemagne nazie, qui marquait les déportés d’un numéro indélébile qui les réduisait à un code, à un produit.
Laissez vos tatouages au vestiaire je vous prie
Cependant, depuis la fin du XXème et le début du XXIème siècle et devant l’afflux massif de personnes se faisant tatouer (une partie ou le corps entier), la question du tatouage s’est reposée différemment : permet-il d’appartenir à un groupe particulier ? Est-il seulement à visée esthétique de sorte que le tatoué le réalise tout d’abord pour soi et non pour l’opinion publique ? Si le tatouage, dépourvu de toute dimension sacrée comme nous l’avons énoncé plus haut, est pour beaucoup le moyen de conserver à vie un motif qui lui est cher, il reste toutefois assez mal vu dans le monde du travail et en particulier par les recruteurs qui l’associent à un « mauvais genre », qui renvoie une image de fantaisie et même de subversion qui n’a pas lieu d’être dans le milieu professionnel. Lors d’une interview pour Konbini, Marilyn Rondón raconte comment le fait d’être une femme tatouée influence l’opinion : une femme doit incarner la beauté, la finesse, là où le tatouage serait une vulgaire tache sur une pureté supposée. Elle revient sur l’esclandre provoquée par sa patronne le jour où elle se tatoua le visage alors qu’elle-même était tatouée. A ce titre, Grazia s’était amusé à publier une série de photographies retouchées par Cheyenne Randall reprenant des personnalités telles que Jackie et John Fitzgerald Kennedy ou encore Kate Middleton et le Prince William, en leur imaginant de nombreux tatouages : en touchant à de telles icônes, il s’agit de questionner nos a priori et nos convictions : Jackie aurait-elle été si respectée si elle avait été tatouée ?

L’art du tattoo
Mais si le monde du travail préfère laisser de côté la fantaisie, la publicité quant à elle la reprend à son compte : le tatouage n’est alors plus vu comme vulgaire ou sale mais comme un atout de charme et de séduction. Prenons l’exemple des parfumeurs : un homme tatoué incarne la force voire la domination, tandis qu’une femme tatouée se voudra sexy, mystérieuse, inaccessible et surtout inoubliable : le tatouage est un moyen d’ « encrer » sa différence, mais avec style.

Ces mises en scène des tatouages tentent elles aussi de surmonter les idées préconçues qui corsètent encore ces derniers dans une image de gribouillis qui ne ressemblera plus à rien des décennies plus tard. Elles ont aussi pour vocation de leur rendre leurs lettres de noblesse et de les montrer tels qu’ils sont : des œuvres d’art.
C’est d’ailleurs ce que les tatoueurs défendent ardemment à travers de nombreux salons et en opposition aux détracteurs, à l’image de l’émission « Tattoos fixers » diffusée sur Channel 4. Il s’agit de filmer des personnes regrettant leur tatouage ou s’étant fait tatouer à leur insu, et de le « rattraper » en tatouant un autre motif par-dessus. Les tatoueurs britanniques se sont insurgés car selon eux cela retire toute la dimension artistique du tatouage en le présentant comme un vulgaire collage, dénué d’inspiration et de création. Les tatoueurs de l’émission, également accusés de plagiat, bafouent l’éthique des tatoueurs et la marque de chacun. Le tatoueur Paul Taylor a alors lancé une pétition contre l’émission et qui fut massivement soutenue par les amoureux du tattoo.

Si le tatouage peine encore à se faire accepter comme art et surtout comme un choix individuel qui n’entache en rien ni la personnalité ni la profession des adeptes, le travail et la finesse d’un bon nombre d’artistes tatoueurs tend à redorer son blason. Et puis, Angélina Jolie reste la preuve vivante que l’on peut être belle, élégante, et tatouée.
Ludivine Xatart
Sources
-Konbini, « Pourquoi Maman a des tatouages ? », Olivia Cassano, Mai 2016
-Konbini, « Une émission de téléréalité agace l’industrie du tatouage britannique », Kate Lismore, Avril 2016
-Kustom Tattoo : L’histoire du tatouage
-Grazia, « Pourquoi maman a des tatouages? » : un livre à l’assaut des préjugés, Chloé Friedmann, 22 Avril 2016
-www.mondialdutatouage.com
Crédits photos
-Konbini, « Why does Mommy have tattoos ? »: © Marilyn Rondón
-Marie Claire, “Les plus beaux tatouages repérés sur Pinterest”: © Pinterest/DR
-corion.over-blog.com
-Grazia : photos tatouages numériques par Cheyenne Randall
-deleardebeauté.wordpress.com
-bloodisthenewblack.com
-vice.com

Société

Vos désirs sont des ordres

Google a annoncé pour la fin de l’année la sortie de Home, un nouvel «assistant personnel». Il s’agit d’une enceinte connectée multifonctions, similaire à Echo d’Amazon, trônant dans nos salons, et capable de diffuser de la musique, de répondre à des questions, d’agir sur la messagerie, le calendrier etc. On comprend un Siri plus finaud et plus efficace, à qui il faudra aussi parler à l’oral.

En attendant sa sortie, revenons sur ces conciergeries virtuelles qui cristallisent un phénomène porteur de valeurs symboliques et morales.
Petite sémiologie
Siri a été facile à adopter : deux syllabes en i, qui convoquent dans notre imaginaire un son inoffensif, facile de mémorisation, semblable à celui d’un doudou, ou d’un animal de compagnie. Siri. Avec un S comme Service, comme Super, comme Smart, comme Steve. L’analyse sémiologique commence dès l’instant où ce gadget porte un nom. Prénom qui rend humain cet outil inventé de toutes pièces par les génies d’Apple. Ces derniers ont conçu ce petit robot proactif, sur une idée de service rendu, à qui il faut « parler normalement ».

Dans sa stratégie marketing, Apple, qui vantait avec simplicité la volonté de « rendre les tâches du quotidien moins casse-pieds » pose Siri non pas comme un esclave à qui on parlerait frontalement, mais une auxiliaire, qui nous oriente vers ce que nous devons faire : « rappelle moi d’appeler mon patron » et qu’on remercierait presque. C’est là qu’apparaissent les imaginaires de services rendus, et que se dessine une relation sympathique avec son assistant à la voix mécanique mais aux tonalités énergiques, voire sympathiques.
Les Voix là
Ce qui apparaît comme marquant est l’archétype symbolique du robot, qui réside dans la voix, la clef de voute du phénomène. Pour chacun des assistants, elle est au cœur du dispositif. Dans Siri, elle est représentée dans le visuel de l’icône, par le micro qui lui est attribué. Dans Echo, c’est son nom. Enfin, pour Home, c’est l’absence d’autres moyens de communication qui mettent en avant l’omnipotence de la parole. Cette interaction par la voix avec une machine intelligente, toujours plus précise et affinée, participe à la recherche toujours plus poussée d’expériences utilisateurs perfectionnées, allant plus loin en matière d’innovation et de renouvellement sensoriel et émotionnel. Cette pratique s’ancre aussi dans l’optimisation de tout, très représentative de notre temps.
McLuhan aurait pu étudier ce phénomène et parler de remédiation, avec le retour à l’oralité, à l’ère des textos, et autres messengers que certains qualifient de « l’ère de l’inscription ». Il aurait pu aussi parler de Siri (par extension, de ces petits robots) comme le prolongement de notre système nerveux et de la modification de nos façons de vivre qui en découlent.
Prémices d’une génération Her
“Parler normalement à des boîtiers”, voilà de quoi flouer les frontières du normal. Comme le savent peut-être ceux qui vivent avec Siri dans leurs poches, cette conciergerie virtuelle semble parfois avoir une personnalité. Qui n’a pas essayé d’insulter Siri, « pour voir », dès l’acquisition de son nouveau jouet ? Ceux qui ne l’ont pas insulté ont tenté des répliques improbables telles que « Quel est le sens de la vie ? » ou « Veux-tu m’épouser ? »… et certaines réponses formulées semblent indiquer qu’il est doté d’un caractère. Evidemment, moins élaboré que Samantha dans Her de Spike Jonzes. Cet humanoïde est programmé pour répondre avec répartie et humour aux questions posés par l’utilisateur, et d’ailleurs, un grand nombre de ce genre d’échanges burlesques sont recensés sur des sites comme « Shitthatsirisays.tumblr.com ». Néanmoins, malgré cette “personnalité”, l’absence de morale de ces automates nous permettent de leur poser toutes sortes de questions, des plus drôles aux plus obscènes. Cathartique Siri ? Comme l’a montré l’expérience de Tay, nous pouvons envisager assez précisément, comme dans un mauvais film de science-fiction, les tournures inattendues que pourraient prendre ces assistants digitaux.

Le client est roi…
Ainsi, Siri pouvait apparaître comme l’acmé de la stratégie Apple, qui jusqu’à l’extrême, rend son consommateur unique et important: « vos désirs sont des ordres » annonçaient les publicités. En surenchérissant avec son nouvel assistant personnel, Google entre lui aussi dans la course marketing et digitale du consommateur élevé au rang de roi.
Ainsi, très proche, voilà le fantasme d’asservissement, de soumission, de tout pouvoir sur un tiers obéissant qui devient abordable. Car Siri n’est pas réservé à une élite bourgeoise, mais à quiconque peut s’offrir un iPhone 4S, produit relativement démocratisé aujourd’hui en Europe. Quant à Google, qui n’a pas encore annoncé le prix de sa pépite, il n’est pas trop risqué de parier qu’elle sera tôt ou tard à portée de main du plus grand nombre.
Qui sert qui ?
Prenant place au cœur de la maison, Home est une avancée de plus vers de nouvelles façons d’envisager le monde, et de nouveaux comportements sociaux, qui ne cesseront pas de se déployer dans ce sens. À l’instar d’un véritable assistant, ces technologies microscopiques nous offrent le sentiment d’être aidé, épaulé, secondé, à la seule condition d’une connexion internet… et d’une toujours plus grande utilisation de leurs autres outils et partenaires. Comme le spécifie le Huffington Post, le robot pourra « se connecter avec « la majorité » des objets connectés (…) de commander un taxi via quelques phrases, ou encore acheter des fleurs. Le moteur de recherche a déjà annoncé une vingtaine de partenariats, notamment avec Uber ou encore Spotify. »
Ainsi, entre gadget et véritable phénomène, il y a débat.
Siri, Echo ou Home peuvent être perçus comme des gadgets innovants et audacieux, certes, mais ils soulèvent très vite l’inquiétude légitime d’un monde gouverné par des « Passepartouts virtuels » qui nous affranchirait de ces fameux frottements qui répugnaient Phileas Fog et qui sont l’apanage de l’échange humain. Il s’agit pour résumer de deux fantasmes, qui se recoupent et se complètent : l’asservissement et l’obéissance, ainsi que du mythe imaginaire du robot, de l’automate. Ils peuvent être rapprochés dans l’outil que constituent ces assistants virtuels, ou l’accomplissement technologique de ces désirs inconscients.
Julia Lasry
@JuliaLasry
Sources :
Huffington Post, Google dévoile Home, un assistant personnel qui veut trôner dans votre salon, Grégory Rozières, 18/05/2016
Le Monde, Assistant personnel, domotique, messagerie… les principales annonces de Google I/O, 18/05/2015
Objetconnecté.net, Amazon Echo: tout savoir sur l’assistant vocal pour la maison
 
 

Flops

La sentience animale: de la réification à l'anthropomorphisation

Le 28 janvier 2015 la proposition d’amendement initiée par l’association 30 millions d’amis et ses nombreux signataires a été validée, permettant ainsi aux animaux d’être reconnus par le code civil comme êtres sentients: ils ne sont désormais plus considérés comme des « biens meubles » mais comme des « êtres doués de sensibilité ». Mais y a-t-il anguille sous roche ? Le point un an après.
Changement juridique, changement de pratiques ?
Cette récente réforme prolonge d’autres initiatives timides et ponctuelles depuis 1950 dont par exemple le délit de cruauté sur l’animal domestique ou encore la loi Grammont (droit pénal) qui punit d’amende voire de prison ceux qui infligent de mauvais traitements aux animaux en public… Des réformes qu’à demi.
 
Cependant, malgré sa dimension symbolique essentielle, certains défenseurs des animaux blâment son inefficience pratique et la complexification théorique engendrée. D’un point de vue théorique, les animaux sauvages, d’élevage et de laboratoires sont en effet exclus de ce changement de statut puisque l’amendement s’applique uniquement aux animaux domestiques donc il y a démultiplication arbitraire des étiquettes désignant l’animal. En pratique, les animaux exclus ne peuvent espérer d’améliorations tangibles alors que c’est eux qui prioritairement ont besoin d’être reconsidérés. A l’instar de l’initiative ambitieuse d’une Déclaration des droits de l’animal à la Maison de l’UNESCO fin XXe dénuée de répercussions empiriques, le changement se cantonne dans la sphère philosophique.Si l’amendement semble aller de soi, cette exclusion interne discriminante et l’assimilation paradoxale aux êtres humains de certains est de la mauvaise foi puisqu’elle sert habilement les intérêts économiques tout en donnant un semblant de satisfaction aux défenseurs du droit des animaux.
Or, il est clair que si engager de véritables réformes est crucial, encore faudrait-il que cela n’aboutisse pas sur des réformes incohérentes et inapplicables. Pour cela, l’initiative française doit être tremplin de réflexion et d’action. La preuve en est l’écho récent sur la scène internationale que ce soit au Canada, en Nouvelle-Zélande ou encore au Luxembourg qui envisagent tous trois de repenser l’animal politiquement. Affaires à suivre.
Quand l’essayer c’est… l’acheter
On entend encore bien trop souvent « j’ai acheté un chien » au lieu de « j’ai adopté un chien »qui a été « soldé ». La monétisation de l’animal est sans aucun doute la cause principale de ce choix lexical puisqu’elle assimile l’animal à un objet: la distinction entre être et objet n’est pas encore intériorisée puisque subsiste ce statut ambigu qu’incarne l’animal.
De plus, le critère prioritaire lors de l’adoption est la race, ou du moins l’apparence, qui ne devrait être que secondaire par rapport à l’assurance de leur ascendance et de leur santé ce qui les réduit alors à un simple produit marketing. Les modifications génétiques du rat domestique est un exemple flagrant puisqu’elles réduisent leur capital santé au nom de la création de typologies originales.
Dans l’incapacité de comprendre leur langage et par méconnaissance de leur caractère, on se
raccroche au prix et à la race valorisée qui facilite les adoptions. Si l’Homme acquerrait la capacité à communiquer à propos avec les animaux, pourraient-il être encore monétisés ? Le jour où nous comprendrons les nuances de leur langage les poules auront des dents. D’ici là, pourra-t-on véritablement sensibiliser unanimement en continuant de faire la sourde oreille ?
Profession : chose animée
Un travail communicationnel qui prend différentes formes est déjà en partie efficient. L’évènement qu’incarne la Journée internationale internationale des animaux est une occasion privilégiée pour communiquer et sensibiliser quant aux droits des animaux. Déjà, le pouvoir des images est mis à contribution : la fermeture de l’abattoir d’Alès fin 2015 doit beaucoup à la sensibilisation visuelle et à la diffusion d’une pétition relayée via les réseaux.
L’enseignement est aussi devenu un média intéressant : le droit animal est enseigné en France pour la première fois en septembre 2015. En effet, le Centre européen d’enseignement et de recherche en éthique de Strasbourg propose un master « Ethique et sociétés » spécialisation « L’animal : science, droit et éthiques ». Peut –être que grâce à ce type de sensibilisation prendra-t-on conscience que la culture perd son âme dans l’irrespect des animaux comme le fait la Corrida, rituel culturel illégitime bien que légal.
 Enfin, en s’appuyant sur le levier affectif formidable qu’est le cinéma on peut faire émerger des nouvelles pratiques quasi immédiates grâce à une intériorisation en amont d’une vision renouvelée de l’animal. Le dessin animé Ratatouille au héros éponyme a permis, bien que fictif, d’ennoblir l’image du rat comme l’illustre la vente exponentiellede ce rongeur après son succès médiatique. Mais est-ce une véritable considération ou un simple effet mode ?
De la différenciation à l’assimilation
Reconnaître leur sentience estompe la distinction être humains/être animal tendant vers une assimilation aveugle avec l’Homme qui finalement, ne respecte ni ne considère l’animal dans sa spécificité d’être. Cette perversion est fondamentalement paradoxale : faut-il vraiment qu’ils soient assimilés aux humains pour être enfin respectés ? Le philosophe de l’utilitarisme Bentham avait déjà réagit: « La question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? Ni : peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? ». S’ils ne sont pas fondamentalement différents des Hommes, ils s’en distinguent, mais cette distinction, à défaut de renforcer la multiplicité et diversité des êtres, les a exclus et associés politiquement à des objets.
Cette double vision agonistique de l’animal est palpable à travers les sites de rencontre pour animaux, les dessins animés et publicités qui les humanisent: cet anthropomorphisme révèle à quel point la confusion est forte soulignant l’antonymie caricaturale entre ce qui est semblable à l’humain et ce qui lui est clairement différent. En effet, certains sites assimilent les animaux à de simples prétextes de séduction comme animoflirt.com. Il faudrait apprivoiser la spécificité du statut animal qui ne se situe pas, finalement, entre ce qui est humain et objet, mais est à considérer comme un être au monde à part entière. De la réification à l’anthropomorphisation, où se situe alors la juste nuance ?
Allison Leroux 
LinkedIn 
Sources :
Audrey Jougla, Profession : animal de laboratoire, 2013
Le Monde, Les animaux sont officiellement doués de sensibilité
Journée internationale pour le droit des animaux
L’université se penche sur le droit animal, Libération 
Site de rencontre pour animaux 
Les animaux deviennent des atouts pour séduire, 20 Minutes 
Panorama des lois, Site du Sénat
La sentience animale pdf
Luxembourg : nouveau projet de loi pour protéger les animaux, AuFeminin.com
Le parlement confirme que les animaux ne sont plus des meubles, Ouest-France 
Les animaux reconnus définitivement (rien n’est moins sûr) comme des êtres sensibles dans le code civil, 30 millions d’amis 
Les animaux ont enfin des droits, Le Quotidien 
Bien être animal : contexte juridique et sociétal 
Canada : animal de compagnie en garde partagée, La Presse
Nouvelle-Zélande : reconnaissance officielle de l’animal comme être sentient, VegActu.com 
Maltraitance animale, des sanctions plus fortes, Le Quotidien
Projet de loi : prison ferme pour la maltraitance animale
Crédits photos:
actuanimaux.com
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dippé
charb

Société

Périscope: la mort en direct

Mardi 10 mai, un fait divers fait la une de tous les journaux. Une jeune femme de 19 ans a diffusé en direct le film de son suicide via l’application Periscope. Choquant, ce phénomène en progression de diffusion d’actes extrêmes sur les réseaux sociaux interroge.
L’application Periscope disponible sur iPhone permet de mettre en ligne des vidéos en même temps qu’elles sont tournées. Elle permet également aux spectateurs de commenter et d’interagir en direct avec la personne qui filme. La vidéo ne reste ensuite en ligne que pendant 24h. A plusieurs reprises, cette application , ne possédant pas de système de filtrage, a été utilisée pour filmer des situations violentes. Le 23 avril par exemple, à Bordeaux, deux jeunes se filment en train de passer à tabac un passant, sortant de soirée. Le point commun entre ces deux faits divers : la mise en scène d’un acte d’une extrême violence.
 
 

 
Les nouvelles règles de sociabilité sur les réseaux sociaux : attirer l’attention
Plusieurs psychanalystes tentent de donner un sens à cet acte en invoquant le besoin d’impressionner, de marquer les esprits pour laisser une trace. Ce qui choque marque profondément et durablement ceux qui en sont témoins. Signaler sur les réseaux sociaux son suicide correspondrait ainsi à laisser un testament, une manière de perdurer dans la mémoire collective au-delà de la mort. Cette démarche permettrait d’échapper à l’anonymat, et de se démarquer enfin de la masse des internautes. Les réseaux sociaux offrent en effet cette capacité à pouvoir s’adresser à une communauté, plus vaste que l’entourage proche et par ce biais, d’échapper à l’indifférence.
Au-delà de cette analyse d’ordre psychologique, il convient d’observer que la pratique de la mise en ligne d’actes intimes est de plus en plus courante. Elle obéit à une injonction sociale à être présent sur les réseaux sociaux comme une forme naturelle de sociabilité, plus encore pour les générations Y et Z soit les moins de 18 ans et les 18-25 ans. Etre sur les réseaux sociaux fait partie intégrante de nos modes de sociabilité modernes. On observe à cet égard deux types de comportement : chez le public qui encourage ce genre de pratiques, un certain voyeurisme, et, chez celui qui publie, une forme d’exhibitionnisme. Ces deux comportements s’inscrivant dans la droite ligne de la télé-réalité, à savoir le fait de rendre publiques des scènes de la vie la plus quotidienne. A cela s’ajoute une attirance irrépressible pour le morbide, lorsqu’il s’agit de vidéos violentes.
L’extimité sur les réseaux sociaux
Mais le concept qui explique le mieux ce type de geste – de la mise en scène du suicide à la publication de photos intimes – est celui de l’extimité, développé par Serge Tisseron. Il correspond à la mise en scène de la vie privée dans la perspective d’être approuvé par les autres. C’est le fait d’exposer quelque chose pour savoir si cela a de la valeur. Cette valeur est exprimée par le nombre de partages, de commentaires, de likes sur un contenu publié. Cette mise en scène est à différencier de l’exhibitionnisme, considéré comme une pathologie, car elle est constitutive du développement de notre identité, d’une image positive de soi. Il est indissociable donc du concept d’intimité mais aussi d’estime de soi. L’extimité est une démarche de proposition, d’exposition de l’intimité à l’autre.
La vidéo du suicide de cette jeune femme a été précédée dans la journée par d’autres vidéos où elle est face caméra. Elle discute de sujets divers et variés en évoquant un événement choquant à venir. Elle va jusqu’à en expliquer la raison en invoquant des violences subies de la part de son ex petit ami. Cette exposition des motifs de passage à l’acte obéit ici au principe d’extimité : elle montre aux spectateurs ce qu’elle conservait jusque-là dans son intimité. Une fois mis en relation avec autrui, elle ne doit pas perdre la face face au spectateur, pour ne pas perdre son estime. Finalement comme l’analysent certains psychiatres, la publication de son passage à l’acte est une forme de mise en obligation d’agir, un moyen de ne plus pouvoir reculer.
Cette nouvelle forme de sociabilité, qui donne de plus en plus d’importance à l’extimité, n’est donc pas en soi un facteur d’encouragement à la violence. Les réseaux sociaux contribuent cependant à leur mise en scène et à la diffusion de tels actes, dans une démarche de quasi défit vis-à-vis de soi. Annoncer un geste, c’est avoir le devoir de l’acter, sous peine de perdre la face. Cette « face » est d’ailleurs de plus en plus exposée – et donc soumise à un jugement extérieur – grâce à l’essor des applications telles que Snapchat et Instagram. Ces applications connaissent un succès qui se confirme de plus en plus auprès des jeunes. Facilement accessibles et utilisables en toutes circonstances grâce aux smartphones, elles permettent de diffuser des photos du quotidien. Instagram est utilisé par de nombreuses personnalités de la télé réalité, comme Nabilla (2 millions d’abonnés) ou Kim Kardashian (48 millions d’abonnés). En effet, Instagram comme Snapchat apparaissent comme des nouveaux moyens de faire parler de soi, de se faire remarquer et de publier des informations avec une résonance démultipliée par la force des images. Il semblerait donc que l’extimité passe de plus en plus par l’image grâce – ou à cause – des opportunités d’expressions offertes par les nouveaux réseaux sociaux.
Julie Andreotti 
Sources: 
Libération, Océane, la mort en «live», Par Christophe Alix , Catherine Mallaval , Erwan Cario et Guillaume Gendron — 12 mai 2016
Sud Ouest, L’« extimité » de Serge Tisseron, Sabine Menet, 25/05/2012
technodiscours.hypotheses.org, [Dictionnaire] Extimité, Par Marie-Anne PAVEAU, Publié le 25/01/2015
Extimité – Wikipédia

Crédits photos: 
© Anthony Quintano – Flickr CC
Capture d’écran Periscope

Société

Mais t'es où ? Pas là ! – L'absence en communication

L’éclipse, selon le prisme que l’on prend, peut tout à la fois désigner une disparition ou une occultation. On parle d’éclipse médiatique lorsqu’un évènement est tellement relayé qu’il vient recouvrir toutes les actualités restantes. Mais il est également intéressant de voir, en jouant sur les mots, qu’il existe d’autres formes d’éclipses médiatiques : celles savamment orchestrées où l’on disparaît, et où l’on joue de l’absence pour créer du désir.
Alors quel sens à l’absence ?
Un ogre nommé média

Les médias se caractérisent par l’abondance, ils se nourrissent en permanence et, comme les tonneaux des Danaïdes qui se vident à mesure qu’on les remplit, les médias ne sont jamais pleins. Ce flux continu se caractérise par la hantise du vide et de l’absence. Si le contenu vient à manquer, le média se meurt. Leur existence dépend de ce qui est présent, de ce qui est là, voire de ce qui a été là. C’est bien la définition de la trace photographique, présence disparue, dont parle Roland Barthes et son « ça-a-été » dans La Chambre claire.
Les médias, jamais rassasiés, dépendent donc d’une présence pour exister ; la présence les anime, les nourrit, les conduit. Et l’effet de médiation crée lui-même une présence (une compagnie, une communauté, une assiduité, un message etc.). A ce titre, dans « Si j’étais médiologue… », Daniel Bougnoux rappelle que le propre du média est de se faire oublier en simulant une présence immédiate : « Les médias ont le même fonctionnement autoraturant que les signes : le téléphone ou la télévision, quand ils débitent bien, m’apportent l’illusion de la présence vive; de même, au comble de l’émotion participative, j’oublie le volume imprimé du roman ou la salle de cinéma. » Ainsi le média s’auto-annule en se faisant oublier, il s’auto-rature.
Mais là où les médias y voient l’échec et la mort, certains perçoivent les qualités de l’absence, à l’image des couples pour qui « le manque entretient la passion ». Prendre le contrepied de cette omniprésence médiatique peut faire de l’absence un outil communicationnel fort. Le but de cette absence orchestrée est alors de générer du manque : un manque que les médias ne supportent pas et qu’ils vont se dépêcher de combler.

« On m’voit, on m’voit plus »
L’absence est proche du sacré et du mystique. Le spectre, le fantôme n’est pas autre chose qu’une présence absente (ou une absence présente). Et la star des absents omniprésents, c’est Dieu, bien sûr. Dans la pièce de Beckett En attendant Godot, eh bien, on attend Godot mais il ne vient jamais. Qu’incarne God(ot) si ce n’est Dieu lui-même ? Ce grand absent est néanmoins présent avant même d’avoir vu, ou même lu, la pièce et c’est un personnage dont l’absence a fait couler beaucoup d’encre. La représentation pose ainsi la question d’une absence que l’on pallie en rendant présent, choix pour lequel Beckett n’opte délibérément pas. Grande absente du 21ème siècle, Lady Diana est pourtant présente chez les grand-mères anglaises et dans les médias. Puisque représenter est rendre présent, la dualité entre sa mort et sa présence médiatique procède d’une sacralisation de sa personne.
En communication politique, on retrouve cette idée de l’absence sacrée lorsqu’une personnalité politique programme son absence de la scène médiatique. Il disparaît volontairement quelque temps, les médias se questionnent. Lorsqu’il revient, en présentiel, ce nouvel homme providentiel est plus présidentiel que jamais. Cette « traversée du désert » (expression biblique par ailleurs) qu’a expérimentée De Gaulle dans les années 1950 fait de l’absence un outil politique important, se soldant par une présence médiatique renforcée (surtout quand on en profite pour écrire ses Mémoires).

C’est sur ce modèle disparition/apparition, peut-être, que Radiohead a récemment et volontairement disparu de la toile le temps d’une journée. Page blanche sur Facebook, Twitter et Instagram, le groupe fait une sortie remarquée. Radiohead a disparu pour mieux réapparaître le lendemain, sous les projecteurs, avec la diffusion d’un clip exclusif. Orchestrer son absence crée le désir, et le groupe a pu de ce fait profiter du focus médiatique. Dans l’absence se dissimulent alors des enjeux de pouvoir et de maîtrise de la relation. Quelques semaines plus tard, c’est d’ailleurs l’absence de la présentatrice Maïtena Biraben au Grand Journal qui fait parler d’elle : conflit avec l’équipe ? mise à pied ? démission ? Des suppositions toutes démenties par la principale concernée, mais qui en disent long sur les connotations polémiques de l’absence.
Daft Punk ? – Présents !
Les « Daft Punk » sont un cas d’école. Toute leur communication repose sur l’opposition absence/présence. Ils jouent de leur absence. Sans parler du peu d’images que nous avons d’eux, ils ne donnent jamais d’interview, leurs concerts sont très rares et leurs actualités ne sont liées qu’à leurs albums. En 2013, un simple visuel lâché sur les réseaux sociaux a suffi à alerter la planète entière de leur retour. Même lorsqu’ils sont là, leur présence n’est pas entière à cause des masques (à quoi ressemblent-ils aujourd’hui ? Est-ce bien eux derrière leurs casques ?, autant des questions qu’on pourrait poser). Pourtant, malgré cette absence manifeste, les Daft Punk ont une aura médiatique importante et ils demeurent perpétuellement présents via leur musique.

Leur absence symbolise ainsi l’effacement derrière l’œuvre. Leur musique existe et demeure lorsqu’eux ne sont que rarement présents. La rareté entretenue par le groupe galvanise et crée un tel manque qu’à leur retour, l’engouement public et médiatique est exemplaire.
C’est en jouant sur cette rareté de l’œuvre d’art que le réalisateur Robert Rodriguez présente – ou plutôt ne présente pas – son nouveau film « 100 years » au Festival de Cannes. Le concept de ce film repose entièrement sur l’inaccessibilité et l’absence. En effet, il ne sera présenté, et disponible, qu’en 2116. Autrement dit, aucun de nous ne le verra. Pourtant, les acteurs, John Malkovitch par exemple, en font la promotion, et un premier teaser, assez opaque, a été diffusé. Le coup de maître est de mêler à nouveau présence et absence : il y a promotion et exposition (il voyage de pays en pays dans un coffre) d’un film absent, dans le sens où personne ne le voit. Personne ne sait d’ailleurs si ce film a réellement été produit et réalisé. Ce film se réduit dès lors à son objet, sorte d’arche perdue (le teaser rappelle cet univers de l’aventure) et devient un pur objet d’exposition et de désir.

Ainsi l’absence n’est pas toujours synonyme d’échec ou d’oubli dans les médias. Au contraire, lorsqu’elle est maîtrisée, elle se révèle souvent être un outil communicationnel hors-pair. A l’heure où apparaissent le « 0 % », le glutenfree et les expos d’art sans œuvre exposée (héritières du « 4’33’’ » de John Cage), on peut questionner l’absence comme nouvelle tendance pour se garantir une empreinte médiatique et sociale.
Emma Brierre
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Sources: 
« Du désoeuvrement : Blanchot ou l’absence… », Florence Chazal, Tangence, n° 54, 1997, p. 18-28.
Libération, Pourquoi vous ne trouvez pas beaucoup de vidéos de Prince, 21/04/2016, Gurvan Kristanadjaja
L’Express, Daft Punk: le buzz programmé par l’absence, Loïc Le Clerc, 16/01/2014
Kulture Geek, Radiohead retour sur internet avec un clip totalement barré, 3/05/2016
Y.JEANNERET & E.SOUCHIER, L’image absente de Diana, Communication et Langage, Année 1997, Volume 114, Numéro 1, pp. 4-9
Crédits: 
L’espace littéraire, Blanchot 
Columbia
Dreamworks – 9gag
Tumblr degau2le
Youtube

Agora, Com & Société

Harcèlement sexuel: ne nous taisons plus

Elles sont de tous bords politiques et incarnent toutes les générations, dix-sept femmes, ministres ou anciennes ministres, ont décidé, dimanche 15 mai, de dénoncer ensemble le harcèlement sexuel au sein de l’hémicycle dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Journal du Dimanche. Cette réponse à l’affaire Denis Baupin n’est certainement pas du goût de tous, chez les hommes… comme chez les femmes.
L’élément déclencheur : l’affaire Baupin

C’est au lendemain de l’affaire Baupin que dix-sept voix se sont élevées ensemble. Denis Baupin, vice- président de l’Assemblée nationale et député écologiste est la cible de plusieurs de ses consœurs, qui l’accusent de gestes déplacés, voire de harcèlement sexuel. Les témoignages ont été recueillis par Mediapart et France Inter. Pour certaines, les faits remontent à plusieurs années, pourquoi alors une soudaine sortie du silence ?
Baupin lui-même aurait entraîné sa chute en publiant, à l’occasion de la journée internationale des droits des Femmes, une photo sur Twitter le mettant en scène avec plusieurs autres députés, arborant du rouge à lèvres pour « dénoncer les violences faites aux femmes » écrit-il en légende.
Le député fait là une criante erreur de communication, puisque les principales victimes de ses agissements ont vécu la photo comme une authentique preuve d’hypocrisie. « Cela a provoqué chez moi une vraie nausée » raconte Elen Debost, adjointe au maire du Mans, « On ne pouvait pas continuer à se taire ». Quelques mois plus tard, plusieurs femmes font éclater la vérité au grand jour et mettent des mots sur des actes parfois violents que le vice-président de l’Assemblée nationale leur aurait fait subir.
Le piège se referme sur Baupin, contraint, sur ordre de Claude Bartolone lui-même, de quitter sa fonction au sein de l’Hémicycle. Il conservera néanmoins sa place de député de Paris et, s’il le peut, sa dignité. En effet, l’intéressé, par le biais de son avocat, nie les faits et envisage même de porter plainte pour diffamation contre ses anciennes collègues du parti écologiste.
Sa compagne, l’actuelle ministre du logement Emmanuelle Cosse, avait préféré jouer « à la reine » du silence en coupant court à un débat sur le harcèlement sexuel qui avait été entamé à l’Assemblée.
Grave erreur car, malheureusement, ce refus de communiquer contribue à donner à son mari un air coupable.
Le changement, c’est maintenant
C’est une autre tournure que l’affaire Baupin prit dimanche dernier, elle s’étendit à toute la classe politique dès lors que dix-sept ex-ministres s’emparèrent du sujet. Le harcèlement sexuel fait figure de monnaie courante dans l’Hémicycle, expliquent-elles. Gestes déplacés, railleries, comportements inappropriés, actes sexistes, les femmes politiques se battent au quotidien pour une place que certains pensent non méritée. « La classe politique doit donner l’exemple » explique Nathalie Kosciusko Morizet à Laurent Delahousse sur le plateau du journal télévisé de France 2. Le but de cet appel est d’encourager les femmes issues de tous les milieux professionnels à se faire entendre et à dénoncer ceux qui se donnent le droit de les harceler. Le choix du support, Le Journal du Dimanche, n’est pas anodin, puisqu’il est le premier à être distribué aux PDG, lesquels ayant le devoir de se tenir informés et le pouvoir de lutter contre ces abus au sein de leur propre entreprise. Aujourd’hui, une femme sur cinq déclare avoir déjà été harcelée sexuellement sur son lieu de travail.
Les 17 signatures ne portent pas les couleurs d’une famille politique mais les représentent toutes, sans distinction. De gauche comme de droite, toutes ces femmes se sont unies, une manière de montrer que chacune peut mener la lutte contre le harcèlement sexuel au travail, peu importe son corps de métier ou la place qu’elle occupe dans l’institution qui l’embauche. Il faut pourtant croire que certaines ne rejoindront pas le mouvement. Pour preuve, Christine Boutin n’était pas de la partie et, pire encore, a affirmé via un tweet avoir « honte de ces femmes qui laissent entendre que les hommes sont des obsédés ». Ambiance.
Certaines autres femmes politiques reprochent aux dix-sept ex-ministres d’élever leurs voix trop tard, après des années de silence, alors même qu’elles avaient « les moyens de s’exprimer et de se défendre ». Bref, l’appel n’a clairement pas été entendu de tous, lui qui pourtant semblait incarner l’unité au-delà mêmes des familles politiques.
 

Tout reste encore à faire
Pourquoi alors la tribune peine à faire l’unanimité ? On peut évoquer deux raisons possibles à cela. Tout d’abord, l’absence d’hommes. En effet, aucun homme politique n’a signé la tribune. Et pourtant, eux aussi peuvent être témoins de harcèlement sexuel vis-à-vis de leurs collègues féminines, et prendre le parti de le dénoncer. François Hollande n’a-t-il rien à répondre à ces femmes qui décident de lever l’omerta ? Silence radio. La prise de parole, la dénonciation du geste, le brisement du tabou du harcèlement sont autant du ressort des femmes que de celui des hommes.
Surtout si l’on prend en compte le fait qu’eux aussi peuvent se retrouver à la place de la victime. Ils sont 7% à affirmer avoir déjà été victimes de harcèlement. Malheureusement, la prise de parole masculine sur le sujet reste très délicate, en témoignent les noms des associations d’aide aux victimes de harcèlement, comme Femmes solidaires ou encore Fédération nationale solidarité femmes… N’en déplaise à Patrick Juvet, on aurait envie de crier : où sont les hommes ?
Enfin, il est difficile de faire sortir les victimes de leur silence puisque pour la plupart d’entre elles, la dénonciation s’accompagne d’un licenciement en bonne et due forme. Pour en finir avec cette double peine, il faut agir au niveau de la loi. Or, si bien évidemment des propositions sont faites dans la tribune, telles que l’allongement des délais de prescription en matière d’agression sexuelle, la possibilité pour les associations compétentes de porter plainte en lieu et place des victimes, la création d’un référent ‘agression ou harcèlement sexuel’ dans les commissariats et gendarmeries, une meilleure indemnisation des victimes de harcèlement sexuel, à la fois par les auteurs condamnés et par leurs anciens employeurs quand elles ont été contraintes de quitter l’entreprise entre autres, il n’en reste pas moins que le chemin de l’acceptation et de la mise en application sur le terrain dans les années à venir risque d’être long et tumultueux.
On peut néanmoins considérer, avec cette tribune publiée le 15 mai dernier, que la prise de conscience a eu lieu et que les prises de position s’affirment au sein de la classe politique. Cette classe qui est précisément en charge des lois et qui a donc le pouvoir de faire bouger les choses.
Manon Depuiset
LinkedIn 
@manon_dep
Sources:
Libération, Harcèlement sexuel: «Nous ne nous tairons plus», disent 17 anciennes ministres, 15/05/2016
Le Point, Harcèlement sexuel : Christine Boutin a « honte » pour ses consœurs, 16/05/2016
Libération, Harcèlement sexuel : les hommes ne doivent pas se taire non plus, 15/05/2016, Johan Hufnagel
Crédits photo:
Le JDD
Twitter @Denis_Baupin
Twitter @christineboutin
 

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Roosh V: le coach en séduction "qui vous veut du bien"

Coqueluche du mouvement néomasculiniste (mouvement qui prône le retour à la domination masuline), Daryush Valizadeh (plus connu sous le pseudonyme de Roosh V) est un bloggeur et youtubeur américain de 36 ans, coach en séduction autoproclamé, ouvertement raciste et misogyne.
Doté d’une véritable communauté d’internautes, tous plus charmants les uns que les autres, constituée et fédérée autour de l’idéal du retour de la domination masculine ( très loin des préceptes de l’amour courtois), Roosh distille ses conseils en amour, sexualité et politique grâce à une stratégie de communication bien rodée. Livres, conférences, site internet, réseaux sociaux : retour sur le bloggeur le plus détesté des Etats Unis (voire du monde) ?
Roosh, le grand frère
Son site sobrement intitulé Le retour des rois ne laisse pas de place au doute. Roosh V et quelques « invités » publient des articles portant sur des sujets aussi variés que les phénomènes de société, la politique, la paternité et bien sûr la place de la femme (quasi inexistante). Les titres de ses articles sont courts, nets, précis, destinés à interpeller le lecteur et les internautes, à les faire réagir (Why Anglo-American Women Are Terrible Financial Investments – Pourquoi les femmes Anglo-Américaines constituent-elles un mauvais investissement financier ? ; Are There Legitimate Reasons To Be Fat?- Y a-t-il des excuses à l’obésité ?) en sont des exemples frappant.
Tous ces articles, florilèges de la théorie masculiniste, s’adressent aux hommes tout d’abord sur un ton didactique : Roosh part d’une question générale, d’un constat, d’exemples tirés de sa propre vie présentés comme des arguments d’autorité, pour les interroger et les étudier afin d’en tirer une vérité générale énoncée de façon virulente. Il se met dans la position de l’éclaireur, du prophète venu pour guider les hommes, et les rassurer sur leur situation en expliquant que le retour à la domination masculine est possible, mais que les hommes manquent juste de clés pour rétablir la situation.
Selon lui, les hommes blancs seraient les nouveaux souffre-douleurs de la société. Roosh n’hésite ainsi pas à critiquer les pouvoirs politiques, la société, ainsi que les médias dans une logique conspirationniste. On ne nous dit pas tout, et tout est fait pour écraser l’homme blanc.
Ce mentoring s’illustre d’abord dans la séduction et l’amour : il défend dans un de ses articles que « L’homme est le chef de la famille », et s’attèle, tout au long du texte, à déculpabiliser les hommes de leur volonté de retrouver une situation de leadership. Une idée qu’il explique dès le début en écrivant : « il faut rappeler que l’homme est naturellement le chef de la famille. Ce n’est pas un fait culturel ». Pour guider son apprenti, et en bon coach qui se respecte, Roosh tire ses idées de l’histoire, prouvant ainsi le bien fondé de ses propos (la Grèce Antique et l’Empire romain dans son texte).
Youtubeur, Roosh communique aussi avec des vidéos pédagogiques notamment en matière de femmes, la plupart sont courtes et sont l’occasion d’accompagner les spectateurs de la même façon que le ferait une youtubeuse beauté. Dans l’une d’elles, il explique ainsi que s’intéresser aux filles est une perte de temps : « When you overvalue a girl by thinking you need to spit your high-octane game, your brain concludes that it’s dealing with something ‘important.’ It will then increase your anxiety and fear about making a mistake…” (« Lorsque vous surestimez une fille en pensant que vous avez besoin de sortir le grand jeu, votre cerveau conclut qu’il a affaire à quelque chose d’ « important ». Il augmentera alors votre anxiété et la peur de faire une erreur … ») Or, c’est bien connu, à quoi bon s’embêter à séduire une fille ? Au fond elle n’a pas son mot à dire, elle n’existe que pour assouvir les désirs masculins.

Un poète maudit ?
Roosh V se considère pick-up artist. Il considère en effet que ses techniques pour “draguer” les filles peuvent être élevées au rang d’art, la drague est pour lui un jeu.
Ce mouvement né il y a une quarantaine d’années a fait parler de lui « grâce » à Julien Blanc. Dans une vidéo de 2014 il expliquait comment attraper des jeunes japonaises dans la rue en collant leur visage à son entrejambes pour mimer une fellation (le coach s’était vu interdire l’entrée dans plusieurs pays comme le Canada et le Brésil, et avait été expulsé d’Australie où il résidait à l’époque). Face au tollé, il s’était justifié en expliquant qu’il s’agissait uniquement d’une blague de mauvais goût.
Dernièrement, Roosh a été propulsé sur le devant de la scène via un de ses articles relayés sur son compte Twitter (très actif) et les réseaux sociaux. En 2014, il propose une idée quelque peu surprenante pour éradiquer le viol : “Si le viol devient légal, une fille n’entrera plus jamais dans une chambre avec un homme qu’elle ne connaît pas à moins d’être absolument sûre qu’elle est prête à coucher avec lui”
Après le tollé d’une telle déclaration, Roosh a bien essayé de se défendre prétendant que l’ironie était un de ses procédés favoris pour défendre ses idées, et qu’il ne fallait pas prendre cela au premier degré.
Il n’empêche, qu’est ce qui nous prouve qu’il ne pense pas ce qu’il dit ?
Après tout, son site défend l’idée d’une femme intéressante « uniquement pour sa beauté et sa fertilité », incapable de réfléchir. L’un de ses articles propose aux hommes des solutions pour littéralement « ramasser des jolies filles ». La femme n’est qu’un objet de d’ornement comme un autre.
De là à faire du viol un bienfait de société, il n’y a qu’un pas.
Ces coachs en séduction ne sont pas forcément influents (Roosh ne compte « que » 21 880 abonnés), mais ils restent dangereux : quoi de mieux que d’exploiter les peurs et les faiblesses de certains hommes pour donner de la force à ses idées ? Roosh s’adresse essentiellement à un public d’hommes blancs, qui se sentent comme dépossédés de leur virilité, craignant les femmes. Les commentaires que l’on peut lire à la suite de ses articles ne laissent pas de place au doute quant aux caractéristiques majeures des fans de Roosh. Sur l’article parlant des femmes américaines que nous avons évoqué plus haut, un certain Jason exprime son mépris total « I would, without a doubt, be more comfortable with having a 7 year old boy handle my money than I would 95%+ of adult women. They want money but they can’t handle it.” (“J’aurais, sans aucun doute, plus confiance à laisser un garçon de 7 ans gérer mon argent qu’à plus de 95% des femmes adultes. Elles veulent l’argent, mais ne savent pas le gérer »).Il parait si simple alors de faire des femmes des objets intrinsèquement inférieurs aux hommes et interchangeables, tantôt soumises au bon vouloir des hommes, tantôt sorcières villes et perverses transformant les garçons innocents en des fourbes séducteurs.
Face à cette peur du féminisme et de sa conception par beaucoup comme une théorie extrémiste qui vise à assoir une domination de la femme sur l’homme, il parait important de rappeler que le féminisme est « un mouvement militant pour l’amélioration et l’extension du rôle et des droits des femmes dans la société » (Larousse).
Face à ces mauvaises interprétations, plusieurs personnalités ont décidé de définir et de réhabiliter le féminisme par l’humour. On pense notamment à Orelsan et Gringe qui livrent leur propre version du féminisme dans la mini-série Bloqués.
Arianna Delehaye
Sources :
Terrafemina, Un « coach en séduction » raciste et misogyne incite à agresser sexuellement les femmes japonaises, Novembre 2014
Les inrocks, Roosh V, le “pick-up artist” qui voulait légaliser le viol, annule ses conférences, 05/02/2016
Et juste pour le plaisir :
Crédit photo : 
YOUTUBE/ROOSH V
 

Société

Nabilla fait son mea culpa

« Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime. »
Henri Michaux, Clown.
Voilà des mots qui doivent résonner à l’oreille de Nabilla comme une chanson bien connue, elle qui est passée de star de la télé-réalité à détenue. Après une longue retraite médiatique suite à ses déboires avec la justice, Nabilla est de retour. Mais elle a changé et entend bien le faire remarquer. Autobiographie, interview vérité sur TF1, changement de style… Toutes les occasions sont bonnes pour montrer à la France entière ô combien elle est désolée de tout ce qui a pu arriver… A quelques semaines à peine de son procès, est-ce bien étonnant ?
Le livre, outil du come-back réflexif
Si Nabilla revient sur le devant de la scène, ce n’est pas pour participer à une énième émission de télé réalité mais pour faire la promotion de son nouveau livre. En effet, à seulement 24 ans, la jeune femme sort une autobiographie. Habituellement, on écrit ce genre d’ouvrage bien plus tard, quand on a eu le temps de « vivre sa vie », à l’image de Rousseau qui commence à écrire ses Confessions à 53 ans. Mais comme le clame le titre de ce livre, pour Nabilla tout a été… Trop Vite.

 
Ecrire une autobiographie ou des confessions est une technique bien connue des personnalités dont la popularité est en déclin pour essayer de changer l’image que le grand public a d’eux, et ainsi d’orchestrer leur come-back. Une telle sortie est une très bonne occasion de renaître médiatiquement et d’attirer à nouveau l’attention. Nicolas Sarkozy par exemple, avec son livre La France pour la vie, fait son mea culpa et son autocritique tout en affirmant qu’il a changé. À quelques mois des élections présidentielles, cette publication de l’ancien président n’est pas surprenante. De même, si l’on repense à ce cher Rousseau et à ses Confessions, on se rend compte qu’il écrit cet ouvrage à une période de sa vie où ses écrits étaient de plus en plus contestés par ses pairs. Il a même dû s’exiler en Suisse car il était menacé d’arrestation. Il semble que la starlette de télé réalité ait d’ailleurs suivi le même chemin quelques siècles plus tard… Philosophe et star de la télé-réalité, même combat ! Et en un sens, Nabilla Benattia cherche à s’inscrire dans le prolongement d’un mythe ancien mais toujours d’actualité : celui de l’artiste maudit, si l’on peut qualifier d’artistique le parcours de l’ex bimbo de la télé-réalité.
Trop Vite permet à Nabilla de montrer au public qu’elle est capable de faire un retour réflexif sur son expérience, d’analyser la situation et de prendre conscience de ses erreurs. Choisir le livre comme instrument de communication n’est pas anodin puisqu’il est le média d’une certaine maturité, un média respecté, à la différence des télé-réalités auxquelles est habituée Nabilla. Avec ce livre, on peut dire que l’ex bimbo cherche à se racheter une conduite médiatique.

 
La confession face caméra
Comme chacun le sait, la sortie d’un tel livre s’accompagne de promotion et Nabilla, qui fuyait les caméras depuis plusieurs mois, fait aussi son retour à la télévision. Son passage dans l’émission Sept à Huit, première apparition à la télévision depuis très longtemps, n’est pas passé inaperçu. L’interview de Thierry Demaizière prend des allures d’interrogatoire et de confession, où le journaliste joue à la fois le rôle d’inspecteur et de confident. Cette interview a rassemblé jusqu’à 4,6 millions de téléspectateurs. Le 16 novembre 2014, le Sept à Huit avec l’interview de Thomas Vergara, le compagnon de la belle, avait rassemblé 5,6 millions de téléspectateurs de moyenne.

Premier élément de la rédemption de la starlette, avant même la prise de parole : son apparence. Pantalon blanc immaculé, chemise bleue simplissime, baskets, maquillage sobre, cheveux mi-longs… Nabilla est métamorphosée. Dans cette sobriété presque surjouée, la jeune femme cherche à faire amende honorable, à prouver qu’elle a changé et surtout mûri. Choisir de faire sa première apparition dans le portrait de Sept à Huit plutôt que dans des émissions comme Touche Pas à Mon Poste ou le Mad Mag, dans lesquelles elle avait plus l’habitude d’aller avant, reflète cette envie d’afficher une posture de star plus réfléchie, plus adulte.

Puis vient le temps de la confession. Nabilla avoue ne pas vraiment mériter sa célébrité et même si elle l’a toujours cherchée, petit à petit elle a fini par se sentir piégée, par ne plus l’assumer. Elle raconte: « J’étais pas une artiste, je ne savais pas chanter, je ne savais pas écrire. Donc j’ai fait avec ma personnalité qui est atypique et je me suis dit, tu n’as que ça, donc fais avec. » Mais ce jeu s’est vite retourné contre elle : les gens ne riaient pas avec elle mais contre elle. Devenue la risée du net, la cible de nombreuses insultes et de jugements incessants, Nabilla a découvert l’envers d’un décor qu’elle aimait tant. Cette confession semble donc se confondre avec une dénonciation de l’appareil médiatique, de sa puissance et de la force destructrice qu’il porte en lui. Nabilla rejette en partie la faute sur ce système où elle était « perdue » comme elle le répète à plusieurs reprises pendant l’interview. Elle se présente ici en victime du cirque médiatique dont elle fut le clown pour un temps et semble chercher à se décharger, en partie, de ses responsabilités alors que son jugement a lieu quelques semaines à peine après l’émission.
Enfin, au-delà de son apparence et de ses paroles, l’attitude de la jeune femme lors de l’interview nous montre que, même après sa retraite médiatique, elle sait encore jouer avec les caméras. Dans ses regards, on peut voir la performance médiatique du mea culpa à l’œuvre. Regard fuyant, larmes aux yeux et battements de cils innocents : Nabilla oscille entre émotion et séduction. Et si elle défend fermement son évolution, la jeune femme reste fidèle à elle-même et n’hésite pas à lâcher que la justice « c’est chiant ! »
La surexposition médiatique, la gloire, les paparazzis, à 24 ans, Nabilla a déjà tout connu. Aujourd’hui, elle signe un retour plus discret. Une stratégie millimétrée, et surtout très bien exécutée par l’ancienne bimbo habituée des caméras qui attend toujours son jugement définitif. Si elle nous revient assagie en apparence, elle brave tout de même les interdictions de voir Thomas Vergara ou de quitter le sol français (même si d’après elle la Suisse fait partie de la France alors il n’y a pas vraiment transgression). Et bien qu’elle affirme ne pas vouloir être un modèle pour qui que ce soit, une fois la notoriété acquise, on ne peut s’en débarrasser si facilement. La parole de célébrités comme Nabilla, qui a une influence surtout sur le jeune public, n’est pas anodine et si les mots sont prononcés en l’air, l’impact, lui, est toujours bien réel.
Clémence de Lampugnani
@Clemydelamp
LinkedIn
Sources :
Vince Murce, Le 28 avril 2016 Nabilla « un peu dégoûtée » quand elle revoit les images de ses car wash, telestar.fr
Olivier Aïm, Confidences, larmes, mea culpa… Nabilla ou le repentir comme performance médiatique, 15-04-2016
Nabilla : «Aujourd’hui, j’arrive à vivre avec 4000 € par mois» Par  Allyson Jouin-Claude, 10/04/2016
Le Figaro, « Sept à huit : jusqu’à 4,6 millions de téléspectateurs devant les confidences de Nabilla » par Damien Mercereau, 11.04.16
Crédits photos: 
TF1
Robert Laffont 
Instagram @nabillanew
 

Société

W3W: l'appli qui veut changer le monde en trois mots

« – Tu nous rejoins à dinde.ghetto.fourche ? – Je peux trop ap, suis à fermeture.papillote.grotte… – Dac on se dit rdv à 19h côté cave.orgasme.tétard alors ! »
Vous ne comprenez rien ? Rassurez-vous, c’est bien normal. Si ce langage très mystérieux semble tout droit tombé de l’absurde chapeau d’Eugène Ionesco, il pourrait bien pourtant imprégner notre quotidien dans quelques années. C’est le pari dingue des deux fondateurs britanniques de l’application What3Words, qui consiste à associer n’importe quel lieu à une combinaison de 3 mots. Déjà disponible en version web et en application pour iOS et Android, ce système de localisation innovant promet contribuer, sobrement, à « changer le monde ». FastNCurious quadrille la zone.

What3Words : le concept en 3 mots
Personne ne s’attendait à ce que quelqu’un parvienne à remettre Mot de passe (France 2) et à son inépuisable animateur Patrick Sabatier au goût du jour. « What3Words » l’a fait. Mieux encore, il propose de révolutionner notre emprise sur le monde en divisant la planète en 57 trillions de carrés de 3m de côté (soit 57 mille milliards, c’est-à-dire 57 000 000 000 000 carrés).
À l’origine du projet, un constat simple : 75% des endroits sur la planète ne possèdent pas d’adresse spécifique ou disposent de « systèmes médiocres, compliqués ou incohérents » comme le précisent les initiateurs du projet. Des étendues naturelles (déserts, forêts etc.) aux provinces reculées en passant par les jardins publics ou les parkings, le quadrillage de la surface terrestre (et maritime !) permet de donner une adresse unique et précise à tous les lieux, habités ou non et de simplifier nombre d’activités : voyages, cartographie, commerce électronique, recherche immobilière ou même les festivals et autres événements.
Pour associer un lieu à une combinaison de 3 mots, l’algorithme utilisé par l’application pioche dans une base de 25 000 à 40 000 mots suivant les langues. Au préalable, les mots sont donc choisis, et ce grâce à un double système de sélection, à la fois humain et automatisé, qui répertorie les mots les plus appropriés. Aussi les concepteurs ont-ils privilégié des mots du registre courant en une à trois syllabes, afin de favoriser la mémorisation des lieux, aux dépens de l’adresse postale ou des coordonnées GPS dans le pire des cas.

Comme le précisent les sciences cognitives, la force de mémorisation par imagerie est optimale. Elle consiste à imaginer une histoire, un paysage à partir des données à mémoriser, et à se raconter l’histoire ou se balader dans ce paysage pour se les remémorer. Ainsi, What3Words s’adapte à nos capacités cognitives et fait travailler notre imaginaire.
Dans le monde de What3Words, chaque lieu possède 8 adresses, toutes différentes et uniques, dans les 8 langues du logiciel à ce jour. Impossible de s’y perdre, d’autant plus que les combinaisons semblables sont assez éloignées pour que chacun sache faire la différence entre kids.chill.out (Mischigan, USA) et kid.chill.out (Barcelona, ESP).
« Addressing the world »
Récompensé aux Tech Award 2015 pour son principe novateur et vecteur de changement, l’application n’est pas sans ambitions. « Adressing the world » (on notera la finesse du jeu de mot), telle est la prétention de What3Words, qui affirme son impact sur les plans économique, scientifique et social : voyage, livraison, navigation et aide humanitaire.
Une prétention qui pourrait être justifiée. En effet, si l’application est utile pour se repérer au quotidien sans connexion Internet nécessaire – trouver la bonne entrée ou votre place de parking – elle l’est également en situation de crise humanitaire (tremblements de terre, tsunamis…). Localiser un endroit, c’est avoir la capacité de se repérer certes, mais aussi d’être repéré plus précisément et donc d’être secouru plus efficacement.
Par ailleurs, l’adresse a un impact en terme de socialisation, puisqu’elle permet d’éviter la marginalisation de certains individus, habitants des provinces reculées ou des bidonvilles par exemple. Elle facilite l’échange de biens comme de paroles.
What3Words parie aussi sur l’avenir et perce dans la recherche spatiale avec le projet de quadriller Mars. Une application qui ne se suffit pas à garder les pieds sur Terre et qui ambitionne de faciliter les découvertes géospatiales.
Lancée grâce à un crouwdfunding impressionnant (5 millions de dollars), l’application n’est pas sans but lucratif. What3Words trouve son financement en proposant OneWords, qui permet de personnaliser une zone géographique. Cependant, un mystère demeure : est-il possible d’acheter certaines combinaisons ? Comme le souligne Slate.fr, difficile dans ce cas d’estimer la valeur de certaines adresses dans lesquels les mots reprennent tout leur sens, comme ‘’best.place.ever’’. Un enjeu monétaire, qui se révèle donc aussi être un enjeu communicationnel. De quoi réfléchir aux conséquences sur le langage d’un adressage en 3 mots décorrélés.
Vers une nouvelle utilisation du langage ?
What3Words c’est aussi une technologie au sens de l’humour cinglant. Ainsi, avec ce nouveau système, le siège du FN, rue des Suisses à Paris est localisé à  »rimer.noir.éliminer », comme le précise Slate.fr et l’Elysée se voit rattaché à  »péage.zouk.éliminer ». De quoi développer tout un imaginaire autour des lieux et des institutions !
Mais par-delà ce constat sympathique, W3W pose des questions communicationnelles sérieuses. En associant aléatoirement des mots à un lieu, W3W détache le mot de sa signification. Par exemple, le mot « table » ne réfère plus à l’objet « table » mais à un objet d’une toute autre nature, ce qui peut sembler dévalorisant pour la langue, lui faisant perdre de sa profondeur.
La deuxième implication de ce système est qu’il rompt l’unité de lieu. Un lieu qui était auparavant unique (ex : La cathédrale Notre Dame de Paris) est désormais segmenté, fragmenté en divers endroits qui existent en soi, indépendamment de l’entité à laquelle ils appartiennent (environ 500 pour Notre-Dame de Paris).
Cependant, il s’agit de nuancer une approche pessimiste et rigoriste sur le langage. En effet, l’application substitue à des coordonnées GPS des mots. Cette bascule appartient donc à un mouvement d’élargissement du champ d’application du langage et de constituer un nouvel imaginaire autour des mots.
Bien entendu, la portée de ce système est dépendante de sa popularité et de sa prise en compte à l’échelle internationale, à commencer par les géants du milieu comme Google Maps, Mappy ou Waze.
What3Words est peut-être le seul projet progressiste qui repose sur le fait de mettre le gens dans des cases. L’exception qui confirme la règle ?
Fiona Todeschini
@FionaTodeschini
Sources :
Slate.fr, Dans quatre ans, voici à quoi votre journée très connectée ressemblera, 31/03/2016
What3Words
The Next Web, What3Words: share very precise locations via Google Maps with just 3 words, Paul Sawers
Mail Online, Better than GPS? The brilliant online gadget that identities every 10 sq ft patch of land on the planet – and gives each one its own unique three-word name (so what’s YOUR back garden called?), 22/ 02/2016
Crédits photos et vidéo :
What3Words