com montebourg
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Montebourg 2.0

 
Mardi 2 juillet de 18h à 19h, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement Productif, a tenu une conférence vidéo sur le thème « la localisation et la relocalisation d’activités industrielles en France » via Google Hangouts et retransmise sur Youtube. Avec cette communication politique d’un nouveau genre, initiée le 6 juin dernier par Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des Femmes et Porte-Parole du Gouvernement, Arnaud Montebourg entend donner aux citoyens les moyens d’ « interroger le pouvoir, ses choix, ses décisions ». Cette vidéo-conférence, organisée par le ministère mais réalisée dans les locaux de Cap Digital (grand pôle de compétitivité, pas un hasard donc) se veut donc comme le prolongement logique des compte-rendus de terrain que le ministre réalise régulièrement sur le terrain, comme cette semaine à Montpellier.
Un dispositif verrouillé
Ce que l’on retient de ce petit chat improvisé, c’est tout de même la prise de risque zéro du ministre. Les huit internautes qui ont pu interroger Arnaud Montebourg par webcams interposées avaient été soigneusement sélectionnés à l’avance par le cabinet du ministre. En outre, il s’agissait pour la plupart de jeunes entrepreneurs de starts-ups qui au bout du compte ont les moyens et la volonté de privilégier la fabrication française. D’ailleurs, les questions au ministre ne sont ni très pertinentes ni très cinglantes : le ministre peut donc développer à l’envie les différents pans de sa politique, vantant au passage les bienfaits de son logiciel Colbert 2.0, qui est censé aider les chefs d’entreprises français à relocaliser leur production. Aucun des intervenants ne lui pose des questions dérangeantes ou réellement profondes. Une communication qui n’a donc rien de symétrique, et qui s’apparente davantage à un exercice de légitimation de la politique de redressement productif du ministre Montebourg, qui brasse en effet beaucoup de dossiers (parfois avec du résultat) mais se voit réduit, contre son gré, à faire le moulin. Il en va de même pour les questions posées par tweets, via le hastag #MRPnum, que l’équipe sélectionne et écrit sur le paperboard en face du ministre.
Auj à 18h, débat numérique avec @montebourg, en direct sur http://t.co/jcRs4ePUsk Posez déjà vos questions #MRPnum pic.twitter.com/odjjR8qIdO
— Ministère RP (@redressement) July 2, 2013
Le tweet de présentation de la vidéo-conférence, via le compte du Ministère

@montebourg @redressement #MRPnum trouvez-vous normal de protéger nos artistes (protectionnisme) et pas notre industrie ? — Taf Séb (@Subtaf) June 30, 2013

Un exemple de question : pas de quoi effrayer Montebourg, qui connaît bien ses dossiers.
On peut remarquer que les chiffres et certains éléments de réponse à des questions sont également préparés à l’avance et écrit sur le paperboard ; ainsi Montebourg n’a qu’à tourner légèrement la tête pour lire ce qui y est inscrit. Un premier exercice bien cadré donc, mais légitimité dans sa forme par la contrainte technique. Dans l’avenir, le cabinet assure que le ministre souhaite réitérer l’action mais dialoguer cette fois-ci avec des internautes non sélectionnés. Toutefois cela apparaît techniquement plus complexe, car il faudrait alors valider la connexion de chaque internaute tout en conservant une certaine fluidité malgré le direct.
Plus proche des citoyens
Après la forme, penchons-nous un peu sur le fond. D’après Montebourg, sa démarche s’inscrit dans ce qu’il appelle un « colbertisme participatif ». « Colbertisme » en référence à Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV : celui-ci a en effet participé à la construction de l’État français tel que nous le connaissons aujourd’hui mais a aussi impulsé son industrialisation. « Participatif » évidemment pour désigner la volonté d’établir un lien de proximité entre dirigeants et citoyens. Montebourg introduit son « chat vidéo » en exprimant son « besoin de discuter avec la société toute entière ». Il a le souci d’expliquer sa politique de manière directe, sans passer par les médias tels que le journal de 20h ou la presse écrite qui jouissent encore d’importantes audiences mais qui laissent de côté de nombreux citoyens. Par ailleurs, la nouvelle génération de citoyens connectée au web 2.0 s’informe, communique et échange directement sur Internet via les réseaux sociaux. « Il m’a paru nécessaire d’aller sur le lieu où se rassemble le plus grand nombre de citoyens » explique-t-il. Un discours rassurant, une initiative participative qui marque l’intérêt de Montebourg pour la politique de proximité, lui qui fait chaque année sa traditionnelle ascension du Mont Beuvray dans son fief de Bourgogne. Cette année, Le Petit Journal s’était rendu sur les lieux pour railler le « ministre des Champs » et sa politique enracinée, qui joue du patois local et ironise gentiment sur l’attitude « parisienne » des journalistes présents. Sans remettre en cause la bonne foi d’Arnaud Montebourg ni même sa vocation à pérenniser la démocratie participative, on enfoncera des portes ouvertes en avançant que cet événement s’inscrit surtout dans une stratégie de construction d’une identité politique forte. Je vois davantage ici le futur candidat Montebourg en 2017, qui élabore soigneusement et patiemment une image d’homme politique enraciné et à l’écoute de tous les Français, dans la diversité de leurs conditions. Sans critiquer le volontarisme et les compétences du ministre Montebourg, force est de constater son habilité à échafauder soigneusement son écrin de « représentation » (que d’autres appelleraient un peu banalement « storytelling ») tout en jouant l’équilibriste avec le gouvernement (on connaît ses mauvais rapports avec le Premier Ministre) et sa politique (qu’il a critiquée plus ou moins ouvertement et qu’il digère sûrement difficilement).
Et Dailymotion ?
Finalement, ce qui a peut-être le plus retenu l’attention, c’est le choix de Youtube pour héberger la vidéo conférence. C’est qu’en avril dernier, le ministre du Redressement Productif avait déclenché la controverse en posant son veto au rachat de la plateforme française par le géant américain Yahoo. Selon le service presse, ce choix se justifie par des raisons purement techniques : « Depuis janvier, le ministre effectue des compte-rendus de mandat ministériel lors de déplacements en province. Il a voulu élargir l’audience au-delà des 300-400 personnes habituellement présentes à ces réunions, d’où l’idée du chat vidéo. (…) Il n’y avait pas de solution numérique en France équivalente à Google Hangouts, c’est pour ça que nous avons retenu Youtube. » Avant de quitter les lieux, Arnaud Montebourg n’hésite pas à lancer à l’équipe de Google : « Hé les gars ! Quand est-ce que vous payez vos impôts ? » Dommage que ce ne soit que pour la beauté du geste.
 
Laura Garnier

bilan communucatione du gouvernement
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L’an I du gouvernement : quel bilan communicationnel ?

Ca s’est passé jeudi dernier : l’agence Vae Solis, cabinet de conseil en stratégie de communication et gestion de crise, a publié la quatrième édition de son étude sur la communication des hommes politiques, intitulée « 1 an d’action, 1 an de communication : qui sont les meilleurs communicants ? ». Un rapport remarqué, qui met à l’honneur trois personnalités du gouvernement ainsi que les têtes montantes de l’UMP : Manuels Valls, ministre de l’Intérieur, caracole en tête du classement tandis que le suivent de près Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense, et Christiane Taubira, ministre de la Justice et Garde des Sceaux. La quatrième et cinquième place sont respectivement occupées par Bruno Le Maire et Nathalie Kosciusko-Morizet, symboles de la « nouvelle génération des quadras de l’UMP ». Selon les mots mêmes du président de Vae Solis Corporate, Arnaud Dupui-Castérès, le rapport souligne que « contrairement aux années passées où la forme et les « coups » médiatiques semblaient l’emporter dans l’appréciation générale, l’avantage ait été ici donné au sérieux et à une communication centrée sur le fond, l’argumentation, la maîtrise des dossiers, la défense des idées…» L’étude se base sur les avis de quarante journalistes de la presse, de la radio et de l’audiovisuel français, et se décline en cinq étapes précises : le top 5 et le flop 5 de la communication des personnalités politiques, les pronostics quant à la prochaine nomination à Matignon et la candidature UMP pour 2017, la personnalité montante, le bilan de l’an I de François Hollande et enfin le best-of des avis sur les personnalités étudiées. Dans cette optique, quelles conclusions tirer d’une telle étude ?
Tout d’abord, le top 5 fait apparaître un besoin de sérieux et d’une communication de fond, qui s’accompagne d’action et de volontarisme politique.
C’est ainsi qu’on retrouve en tête du classement un Manuel Valls qui est vu comme le favori, avec Michel Sapin et l’outsider Martine Aubry, pour la succession de Jean-Marc Ayrault à Matignon. A noter aussi que celui-ci échappe de justesse au flop 5, avec une note de seulement 4,62 sur 10. Manuels Valls, grand gagnant de ce classement, peut se targuer d’une communication en osmose avec son action place Beauvau : il incarne l’autorité républicaine à laquelle aspirent les Français, réussissant la symbiose parfaite entre les idéologies de droite et de gauche. En ce sens, il répond très bien aux aspirations d’un électorat indécis, qu’il soit déçu par la politique sociale-démocrate d’un Président plus frileux (sans surprise cependant) que prévu sur les questions économiques et sociales, ou qu’il craigne la trop grande tolérance de la gauche gouvernementale sur des questions de sécurité, qui restent une préoccupation essentielle des français. Selon l’étude, le storytelling de Manuels Valls est à la fois ferme, clivant mais efficace. Il maîtrise la forme et donc la communication de crise, faisant entendre une parole forte et claire, et donc rassurante. Mais il marque aussi des points sur le fond, en apparaissant comme un homme de convictions, avec une ligne politique solide. Cependant, l’enquête a été réalisée avant les événements du Trocadéro qui ont suivi la victoire du PSG : or ces incidents ont entamé la cote de popularité de Manuels Valls, fustigé par la droite pour son inertie et son incompétence face aux casseurs.
La grande surprise de ce classement reste néanmoins la seconde place accordée à Jean-Yves Le Drian, discret ministre de la Défense, qui a tiré son épingle du jeu de la guerre au Mali. « C’est la vraie surprise. Il n’a pas une exposition médiatique et je ne suis pas sûr qu’il ait une notoriété. Mais les experts interrogés ont identifié chez lui une maîtrise de sa communication politique et des sujets de fond », analyse Arnaud Dupui-Castérès. La rupture avec l’ère Sarkozy est ici pleinement consommée : après un interventionnisme forcené et une présence hypermédiatique favorisant souvent le discours et les mots forts, la nouvelle majorité gouvernementale a joué le jeu d’un volontarisme somme toute assez consensuel, dans la lignée d’une présidence voulue « normale ». Un positionnement communicationnel qui n’est pas surprenant de la part d’un gouvernement bien souvent perçu, dans ses décisions et prises de positions, comme plus technocratique que politicien.
La troisième place attribuée à Christiane Taubira ne surprendra, cette fois-ci, personne. La ministre de la Justice a pleinement profité du boulevard médiatique qui s’est offert à elle avec le projet de loi du mariage pour tous, grand fer de lance du gouvernement en cette première année de mandat. Ses discours fleuris et enflammés à l’Assemblée Nationale et au Sénat ont fait d’elle l’idole des pros mariage pour tous, et elle a pu démontrer autant sa compétence et sa connaissance de ses dossiers que sa volonté de se positionner comme un élément fort du gouvernement.
L’enquête fait la part belle à Nathalie Kosciusko-Morizet. En plus d’être désignée comme la personnalité montante de manière assez unanime (ce qui, à l’aube des municipales de 2014, n’est pas vraiment une nouvelle surprenante), les journalistes interrogés la voient bien se présenter à l’investiture présidentielle pour l’UMP en 2017. De manière assez conventionnelle et presque caricaturale, les journalistes perçoivent en elle l’incarnation d’un renouveau de la droite. A la fois ferme et naturelle, elle a l’avantage d’un style original et d’une solidité intellectuelle. « Dans un monde politique d’hommes », (on avait vu les mêmes arguments à l’époque de Ségolène Royal), elle sait user de détermination, de courage, de modernité. En cela, elle saurait presque « séduire » une partie de l’électorat de gauche, notamment la classe énigmatique des « bobos parisiens ». Son acolyte Bruno Le Maire est lui aussi décrit comme un quadra rafraîchissant, qui prend des risques au sein de sa famille politique par ses positionnements et qui à la politique idéologique substitue la politique pragmatique. La place des choix personnels face aux positionnements partisans est un véritable plus qui les positionnent en tête de classement, quand Jean-François Copé ou Christian Jacob trottent en fin de cortège.
Enfin, l’enquête se propose de faire un bilan de la première année du quinquennat Hollande. Qu’en retient-on ? Dans ses rapports avec la presse, François Hollande bénéficie de la mauvaise image de son prédécesseur. Quand Sarkozy privilégiait la séduction ou la confrontation avec les médias, Hollande oppose une proximité placide, une distance contrôlée et bienveillante. Pour autant, les journalistes n’hésitent pas à pointer le manque de cohérence de son discours et l’absence notable d’un cap clair à sa politique, qui noient bien souvent son discours. La « présidence du consensus » reste un fait : le leadership présidentiel, la parole assumée, claire et haute, ce n’est pas pour maintenant. Il privilégie le temps long à la réaction politique immédiate, ce qui peut être parfois mal perçu par l’opinion publique, qui est en quête de réponse et de volontarisme politique notable surtout en période de crise sociale, économique, politique et institutionnelle. La « présidence normale » était une stratégie communicationnelle gagnante en temps de campagne car elle avait un contrepoint : la présidence hyperactive d’un Sarkozy dont le bilan plus que moyen permettait de proposer de vraies alternatives constructives et construites. Mais aujourd’hui, la France de la Vème République, sans réelle surprise, attend un Président dont la communication soit forte et symbolique, elle attend un homme exceptionnel dans sa normalité, car telle est la fonction qui lui est assignée. Comme le souligne l’étude, la normalité devient alors « l’alibi de l’impuissance » et ce n’est plus sa personnalité mais sa stratégie et son action politique qui sont sévèrement critiquées.
Argumentée et bien construite, cette enquête cède néanmoins aux sirènes de la communication alors qu’elle essaie paradoxalement d’en montrer les ficelles. Parce que le panel des journalistes est réduit (une quarantaine), que la diversité de la presse n’est pas représentée et surtout parce que l’enquête cible seulement les journalistes, l’étude vire plus au décryptage qu’à l’enquête scientifique précise. La présence d’un verbatim rassemblant les meilleures « catch phrases » à propos de certaines personnalités (« Quand il parle, on décroche…et plus il parle, plus on décroche ! » – à propos de Jean-Marc Ayrault) montre que ce travail, qui se propose d’analyser des discours et des stratégies communicationnelles, se base en fait sur des propos déjà chargés de valeur ajoutée, des propos stylisés et marqués par l’analyse journalistique.
En période de crise sévère, qui ne peut plus être simplement réduite au volet économique, il aurait été plus intéressant, si ce n’est plus décent, d’analyser l’impact de la communication des personnalités politiques auprès de l’opinion publique. Car si ce n’est envers les citoyens électeurs, à qui se destine la communication des personnalités de l’espace publique, dont les journalistes ne sont que le relais ?
Laura Garnier
Sources :
Le rapport de Vae Solis
Libération
Le JDD 

Société

Et si Yahoo! avait racheté Dailymotion…

 

Aujourd’hui, le 6 mai 2013, la France est en deuil. Un an jour pour jour après l’élection de François Hollande, la page Wikipédia de Dailymotion a disparu. Et lui avec.
L’aigle, ou plutôt la Pygargue à tête blanche, a dévoré le coq gaulois. Voilà que la charmante petite église d’un village français que représentait (presque) le logo de Dailymotion se transforme, bien malgré nous, en gratte-ciel de Wall Street ! Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la fin de la culture française chuchote-t-on.
Adieu les Matinales de RTL rediffusées avec la tendre voix de Stephane Bern , notre monarque radiophonique préféré ?
Adieu les interventions d’Alain Duhamel dans sa rubrique « Fait Politique » ?
Adieu l’humour français « démocratisé » dans les retransmissions des sketches de nos meilleurs (ou pas) humoristes ?
Adieu les témoignages pertinents de jeunes adolescents (ou pas) à propos de leur libido, comme dans cette vidéo publiée cette semaine « C’est marrant la vie presque puceau » ?

Mais heureusement, nous ne sommes plus « la risée mondiale de l’Internet », comme avait pu le déclarer Pierre Kosciusko-Morizet, le frère de Nathalie et le cofondateur de Price Minister, au moment où les négociations entre le gouvernement et Yahoo se révélaient un peu tendues. Grâce au rachat par le géant américain de la plateforme française de vidéos en ligne, il est désormais possible d’envisager la « croissance mondiale » de la start-up française (enfin, nord-américaine, ce qui pour beaucoup semble être la même chose). « La notion de “France” n’est plus économiquement pertinente. Les capitaux sont mondiaux aujourd’hui », revendiquait l’auto-entrepreneur avec un optimisme patriotique incroyable. Mais n’ayez crainte, Pierre Kosciusko-Morizet sera bientôt le prochain ministre du redressement productif, et remplacera Monsieur Montebourg, idéaliste socio-démocrate qui a foi en un dynamisme économique national anachronique.
A Bercy, comme dans la Rue de Vallois, on ne parle plus de « défense de l’exception culturelle ». La rhétorique de la croissance a fini par triompher. Désormais, Deezer reste le seul site tricolore qui s’est fait une place en dehors du web hexagonal. Arnaud Montebourg, après avoir figuré en première de couverture du Parisien pour défendre le « Made in France », ne pouvait que s’opposer au rachat de Dailymotion, vecteur majeur de l’influence culturelle et numérique française dans le monde. Mais il n’a visiblement pas été insensible à l’ambition de la charmante patronne américaine de Yahoo! Marissa Mayer qu’il a préférée à la préservation de « l’intérêt de la France ». Le rachat de Dailymotion par Yahoo! signe la défaite du « Made in France », avant qu’il n’ait pu atteindre sa maturité.
Yahoo! a rapidement changé le nom de l’entreprise française pour « Mouvement Quotidien », traduction littérale de Dailymotion pour séduire un public étranger sensible aux sonorités francophones. Chacun saura apprécier la portée humoristique de ce choix.
Rien de mieux pour illustrer ce rapport de force « politico-économico-numérique » que les fables du conteur français Jean de la Fontaine. Dans Le Renard et la Chèvre, le lecteur assiste à la défaite de cette dernière face à l’espièglerie du renard, qui répond à la chèvre bien embêtée :
« Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts :
Car pour moi, j’ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin. »
 
Margaux le Joubioux
Sources :
-France Culture : Dailymotion devrait rester Français…. Pour le moment
-Rue 89 : Pierre Kosciusko- Morizet : « Dailymotion va mourir »
-Le Figaro : Yahoo! repart à l’offensive et lorgne Dailymotion
-Les Fables Jean de La Fontaine

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Com' pour tous, tous pour un

 

C’est le sujet qui fait le quotidien des Français depuis quelques mois : l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, dont le texte a été voté à l’Assemblée Nationale et au Sénat. Les pro et les anti (sous les appellations très similaires de « Mariage pour tous » et « Manif pour tous », au point que parfois, on pourrait les confondre) sont plus que jamais mobilisés pour défendre leurs positions. Dimanche 21 avril encore, les manifestants opposés au projet de loi étaient entre 45 000 (selon les estimations des autorités) et 270 000 (d’après les manifestants) à battre le pavé dans les rues de la capitale. D’autres mobilisations sont prévues, notamment le 5 mai.
C’est néanmoins avec beaucoup d’étonnement qu’on a pu voir une France en colère, venue en famille, défiler dans la rue contre le projet du gouvernement, criant « Hollande, démission !» allant même jusqu’à forcer les grilles de l’Assemblée Nationale. Le mouvement, dont la communication est infiniment bien rodée et qui bénéficie de l’image et de la médiagénie de Frigide Barjot, personnage devenu emblématique, a cependant dépassé le simple cadre de contestation du projet de loi : récupération politique, débordements, escarmouches à l’Assemblée Nationale, radicalisation…Chacun reprend le mouvement pour son compte et mitonne sa propre recette communicationnelle, au risque donc de brouiller les pistes et d’alimenter un sujet qui passionne le pays, mais qui divise les Français. En effet, ceux-ci sont d’autant plus sensibles à la réponse apportée aux problèmes économiques et sociaux latents que c’est en partie la conséquence de ce raz-de-bol généralisé qui a hissé la gauche au pouvoir. Retour sur quatre actes de cette tragédie 2.0.
1ère épisode : Frigide Bardot, trublion engagé ou redoutable communicante ?
 Dans un très bon article du Plus du Nouvel Observateur, Philippe Moreau Chevrolet décrit Frigide Barjot avant tout comme « une amuseuse publique qui cultive son réseau ». Mais elle est aussi une communicante politique aguerrie, militante du RPR déjà engagée à l’époque où elle chantait dans le groupe humoristique « Jalons », avec son compagnon Basile de Koch, frère de Karl Zéro. Philippe Moreau Chevrolet souligne d’ailleurs qu’elle a gagné la bataille médiatique là où de nombreux conservateurs de droite ont fini au rang de personnages ringards et décrépis : « Frigide Barjot a mieux compris que Christine Boutin, Philippe De Villiers ou autres figures ringardisées de la politique française, comment fonctionnait le système médiatique. Elle se rapproche davantage, par sa gouaille et sa capacité à se forger un personnage, de figures comme Nadine Morano ou Marine Le Pen. » L’auteur souligne en ce sens la propension de Frigide Barjot à avoir recours à ce qu’on appelle l’infotainment, en mâtinant ses saillies politiques d’humour, à l’image de ce fameux slogan de la Manif’ Pour Tous : « Y’a pas d’ovules dans les testicules ».
2ème épisode : Le Printemps Français, entre mobilisation et radicalisation
Après les nombreux rassemblements qui ont eu lieu depuis le 17 novembre, des scissions ont pu apparaître dans le rang des opposants, et ceci s’est très bien vu le 24 mars. En effet, un groupe de manifestants a décidé de passer au-delà des consignes préfectorales en voulant investir les Champs Elysées. En marge des militants trop « bisounours » derrière Frigide Barjot, ceux que l’on considère comme une agrégation de mouvements disparates sous le label « Printemps Français » se sont lassés des simples marches officielles et ont cherché à multiplier les opérations de type « happening », plus marquantes, mais aussi plus violentes. Élus socialistes chahutés, local d’association LGBT vandalisé, activisme forcené sur les réseaux sociaux : ce sont eux. C’est bien parce que leur matraquage communicationnel est efficace que le mouvement a pris autant d’ampleur : en reprenant des codes soixante-huitards (une initiative déjà repérée dans les campagnes d’affichesde la Manif Pour Tous) voire même de gauche (le poing levé et le slogan « on ne lâche rien », à un mot près celui utilisé par le Front de Gauche). Selon Jean-Yves Camus, politologue, la récupération des symboles de la gauche s’inscrit pleinement dans une stratégie communicationnelle :
« Le mouvement tente de dépasser le clivage droite/gauche pour éviter de se restreindre au peuple de droite. Il utilise donc des symboles audibles, réutilisables, pour faire de son combat une question de société et positiver le mouvement en faisant appel aux valeurs humanistes. (…) En France, quand on veut gagner un capital de sympathie auprès du public, on utilise des symboles de gauche. (…) Le Printemps français veut acquérir une image de modération et de non-conformisme, et le premier code de la gauche, c’est la manifestation.  »
Ce que confirme Thomas Guénolé, politologue lui aussi et maître de conférences à Sciences Po : « Ce qu’il y a de bizarre avec ce mouvement, c’est qu’il y a une vraie démarche de communication visuelle qui ne se soucie pas de la cohérence. On est dans l’émotionnel. Le message en lui-même n’est pas rationnel, mais la cohérence émotionnelle est là. »
En recyclant de tels codes ancrés dans l’imaginaire français comme celui de la contestation (légitime), le Printemps Français cherche donc à éviter la stigmatisation. Petit bémol : les composantes, disparates comme nous l’avons dit précédemment, de ce mouvement ne sont pas aussi modérées que le laisse entendre Béatrice Bourges, l’égérie du mouvement. Parmi elles, on retrouve des associations catholiques extrêmes, comme le Renouveau Français ou Civitas, mais aussi des groupuscules d’extrême-droite à l’instar du GUD, des Jeunesses Nationalistes ou du Bloc Identitaire qui donnent donc du fil à retordre aux dirigeants du mouvement en terme d’image auprès de l’opinion publique.
3ème épisode : « Ils ont gazé nos enfants » ou le bienfait des chaînes d’info en continu
Le 24 mars, les manifestants contre le mariage gay n’ont pas le droit de pénétrer sur l’avenue des Champs-Elysées mais ces images, mises en ligne sur Internet, montrent de manière accablante le comportement provocateur, agressif voire irresponsable – je pense au monsieur qui, prenant son enfant sur ses épaules, hurle « On va mettre les enfants devant ! » – de certains individus énervés.

Bruno Roger-Petit souligne dans son article le fossé qui existe entre la réalité des images et des comportements, et le discours que les organisateurs, les manifestants et les politiques de droite ont tenu contre l’État et le gouvernement par la suite. En regardant la vidéo, on s’aperçoit très bien que les manifestants sont en situation de provocation délibérée des forces de police, se rendant dans des zones qui leur sont interdites ; la police réagit certes, mais en ciblant les individus excités et en les gazant à l’aérosol. Les chaînes d’info en continu, répétant inlassablement les mêmes images d’un manifestant excédé hurlant « Mais pourquoi vous nous gazez ? », ont ainsi fait la lie de la récupération politique. Dans cette bataille du 24 mars, c’est évidemment Frigide Barjot et ses acolytes qui gagnent sur le terrain de la communication, car en adoptant une position froide et technique, le gouvernement a parfaitement alimenté le discours du mouvement, qui joue sur l’émotion. Cela laissait donc un boulevard si ce n’est une autoroute aux personnalités de l’UMP, qui n’ont évidemment pas raté le coche, de Jean-François Copé, en passant par Laurent Wauquiez, aux députés Philippe Meunier et Philippe Cochet :

4ème épisode : Cendrillon a perdu sa ballerine
La nuit du 18 au 19 mars 2013 restera certainement dans les mémoires : cette nuit d’échauffourées à l’Assemblée (où une malheureuse huissière a fini par écoper d’un malencontreux coup), où des députés épuisés et survoltés s’écharpaient une dernière fois sur le texte ouvrant le mariage aux couples de même sexe est aussi la nuit où la politique communicationnelle (par opposition à la politique politicienne) s’est dévoilée sans ambages. On connaissait le flacon d’anthrax de Colin Powell brandi à l’époque en pleine séance de l’ONU, ou de la bible de Christine Boutin pendant le PACS. La ballerine (qui appartenait en fait à une jeune militante de l’UDI), brandie comme un trophée de guerre, est pour Philippe Meunier (qui semble découvrir que les CRS sont en fait garants de l’ordre public et peuvent, éventuellement, ne pas être très gentils avec les manifestants) le symbole d’un État qui lance des CRS casqués sur des jeunes filles pacifiques et sans défense.

La ballerine qui a mis le feu à l’Assemblée… par lemondefr
On peut donc se demander quel sera l’avenir de ce mouvement, alors qu’aujourd’hui la loi a bel et bien été votée. Frigide Barjot annonçait déjà il y a quelques jours qu’elle comptait maintenir une dynamique jusqu’aux municipales (dans plus d’un an tout de même) et faire ainsi de son mouvement un phénomène politique à part entière. Une petite épine dans le pied de la droite française, qui au FN comme à l’UMP, ont tant bien que mal essayé de se positionner et de surfer sur la vague communicationnelle de toute cette affaire. Le sujet du mariage pour tous a en effet ouvert une brèche dans la société française, qui l’a rendue beaucoup plus perméable au discours politique. C’est au détriment cependant d’autres préoccupations de l’opinion publique, qui se cristallisent aujourd’hui en dangereuses frustrations.
Laura Garnier
Sources :
La manif pour tous, une opération de com réussie
http://babelon.babel31.com/la-manif-pour-tous-une-operation-de-communication-reussie/
Manif pour tous : gaz lacrymo, images choc et une victoire pour Frigide Barjot sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805559-manif-pour-tous-gaz-lacrymo-images-choc-et-une-victoire-pour-frigide-barjot.html
Violence à la manif pour tous : des réactions démesurées à l’UMP, la preuve en image sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805336-violence-a-la-manif-pour-tous-des-reactions-demesurees-a-l-ump-la-preuve-en-images.html
Frigide Barjot à l’Elysée : une redoutable femme politique à la com’ bien huilée sur Le Plus du Nouvel Observateur
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/768440-frigide-barjot-a-l-elysee-une-redoutable-femme-politique-a-la-com-bien-huilee.html
Qui se cache derrière le printemps français ? Sur Libération
http://www.liberation.fr/societe/2013/04/13/qui-se-cache-derriere-le-label-printemps-francais_895764
Le printemps français et le symbolisme de gauche sur Slate
http://www.slate.fr/story/71511/printemps-francais-symbole
Mariage pour tous : une ballerine met le feu à l’Assemblée sur Le Monde
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/04/19/nouvelle-manifestation-anti-mariage-pour-tous_3162599_3224.html

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Jacques a dit : « le silence est d’or »

 
Combler le vide
Le 2 mai 2012, les quinze « moi président » prononcés en trois minutes et vingt-et-une secondes ont rendu célèbre son orateur. Le 28 mars 2013, le candidat, devenu président,  reprenant la même recette qui avait fait ses preuves, parsème son discours de dix « je suis le président. »
Jeudi dernier, en effet, François Hollande a décidé de faire une intervention télévisée afin de rassurer les Français… et se rassurer lui-même après la baisse inquiétante de sa cote de popularité. Il est venu chercher les Français afin leur expliquer son action et ainsi regagner leur confiance. Un beau projet de communication qui ne se résume pas à cette seule intervention sur France 2. En effet, il semblerait bien que le président de la République veuille occuper la scène médiatique pour quelques semaines encore. Selon son entourage, « le président sera amené à s’exprimer dans les prochaines semaines, avant sa conférence de presse du 15 mai. »
(Cette soudaine volonté d’occuper l’espace médiatique ne serait-elle pas, en outre, un moyen de centraliser les regards, les pensées des Français ? Les détourner d’autres luttes qui ébranlent la société ?)
Un dialogue inexistant
Toutefois, même si Monsieur Hollande souhaite parler jusqu’à être entendu, je doute que des paroles suffisent à regagner la confiance, l’estime du peuple qui l’a élu. Notons que, parce que David Pujadas interroge François Hollande, il y a, de prime abord, un dialogue. Mais il s’agit en réalité d’un dialogue mis en scène, factice donc. Hollande ne quitte guère Pujadas des yeux… lui qui est pourtant venu parler aux Français. Le visage de biais, jamais il ne se retrouve de face. Fuite ? À moins que David Pujadas ne soit censé incarner l’ensemble du peuple français, tout dans le dispositif médiatique indique comme un refus d’entrer en relation avec les téléspectateurs.
En outre, les « je suis le président » semblent montrer que François Hollande a conscience de la charge qui lui incombe. Pourtant, la prédominance des pronoms personnels de la première personne souligne aussi une focalisation du président sur lui-même. Rassurer les Français devient synonyme de défendre sa fonction.
L’invitation au dialogue devient monologue.
Un rendez-vous mondain
Le président avait pourtant choisi un beau créneau horaire : il est venu au journal télévisé de France 2 et a réussi à rassembler huit millions de téléspectateurs (moins nombreux qu’en septembre dernier tout de même). Une belle réussite semble-t-il. On peut d’ailleurs se demander s’ils sont tous restés jusqu’au bout : 1h15 d’intervention, c’est long, surtout pour un public habitué au zapping.
Au-delà de la quantité, intéressons-nous à la qualité de l’auditoire : selon un sondage BVA, 66% des téléspectateurs n’ont pas été convaincus. Chiffre à prendre avec distance bien sûr… surtout lorsque l’on sait que les Français sont râleurs ! L’auditoire, qui connaît désormais François Hollande depuis un an, était plus critique, plus méfiant. Il connait déjà les belles paroles, la mise en scène simple voulue par un président, qui se définit comme un « homme normal » avant tout. Il lui faut quelque chose de plus percutant… Hollande, à vous de jouer !
En France, cette intervention ne fut finalement positive qu’aux yeux des socialistes. Dans ce contexte difficile, rester solidaire est une nécessité. Que ce soit de la part de François Copé (UMP) ou de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), les critiques sont nombreuses et se retrouvent même à l’étranger (notamment en Allemagne).
Clothilde Varenne
 
Source :

Société

La motion de censure : un duel institutionnel

 
« Délibérer est le fait de plusieurs. Agir est le fait d’un seul. » écrit le Général de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. En déposant une motion de censure à l’Assemblée Nationale le 15 Mars dernier, JF Copé, Président de l’UMP, ne contredit pas l’ancien chef de l’État, le seul dont le gouvernement avait dû démissionner après une motion de censure votée contre lui en 1962. A l’époque, une majorité de députés s’opposaient au référendum pour valider l’élection du président de la République au suffrage universel direct.
Cette initiative, parfaitement symbolique, permet à Jean-François Copé d’affirmer son autorité à la tête d’une opposition dont la cohésion et la force ne sont pas encore tout à fait évidentes. Mercredi dernier, le Président de l’UMP s’est exprimé dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, s’offrant ainsi une tribune pour sa « reconquête » tout à la fois personnelle et électorale. Bien entendu, la motion a été rejetée, seuls 228 députés ayant voté pour (tous de la droite, de l’extrême droite et du centre), alors que la majorité requise était de 287 voix. Aussi, il semble évident de traduire cette critique du gouvernement officialisée au moyen de cette motion de censure comme la volonté de l’opposition de mettre en scène une parole subversive contre l’exécutif, soutenue par une rhétorique apocalyptique. En témoignent les termes employés par JF Copé lors de son discours lorsqu’il évoque la situation actuelle de la France : « la défaite de notre pays », « message d’alerte », « spectacle insupportable », « sentiment de gravité », « déclin économique et social de la France ». Il n’avait pas été plus nuancé lors de son intervention télévisée au JT de TF1 le dimanche 17 mars pour évoquer la motion de censure, dénonçant un « gouvernement aux abois », responsable de « la ruine du pays ». Il propose d’ailleurs de résoudre cette catastrophe politique et économique par un « big-bang économique », pour rester dans la métaphore apocalyptique.
Une motion de censure, sous la Ve République, c’est un peu comme un drame au théâtre : les rôles et les péripéties sont déterminés, la fin de l’histoire est connue de tous. Cette mise en scène de l’action de l’opposition, plus symbolique que réelle, invoquant une dramaturgie héroïque, est un message de communication politique plus qu’un geste patriotique. Et cela, même si M. Copé en appelle au devoir de désapprobation civique et morale pour dénoncer le gouvernement, en souhaitant « faire de ce débat un moment démocratique, un moment de vérité, l’une de ces circonstances rares ou il est donné à l’exécutif si puissant dans nos institutions à nos jours d’écouter l’opposition ». La gauche détient en effet la majorité à l’Assemblée Nationale, et jamais les Verts ni les partis de gauche auraient accepté de former une coalition avec la droite pour déroger le gouvernement actuel. Une seule issue était donc possible : celle d’une parole politique suspendue et sans effet, suite à un affrontement entre Copé et Ayrault. La majorité a donné raison au gouvernement, même si celui-ci avait été fragilisé la veille par la démission de Jérôme Cahuzac.
Mais ce drame classique se transforme au fil des ans en boulevard redondant : la motion de censure, tente-cinq fois déposée sous la Ve République, devient une tradition politique dont la légitimité s’effrite à mesure qu’elle perd le sens de sa finalité réelle : la dissolution du gouvernement. Or, en cas de présidentialisme absolu, c’est-à-dire en cas de concordance des majorités présidentielle et législatives, cette menace ne peut être que symbolique et se réduit à un coup de communication incroyable pour l’opposition (au même titre que les amendements qu’elle dépose). Impossible de blâmer cet opportunisme politique : il est la conséquence de nos institutions et des rapports de force politiques qui s’en dégagent. Les retombées médiatiques de cette motion de censure ne sont pas négligeables pour l’UMP : interview du Président de l’UMP au JT de Claire Chazal et à la matinale de France Inter avec Patrick Cohen, une retransmission intégrale du débat parlementaire sur LCI, des articles quotidiens dans la presse écrite depuis le 15 mars. D’autant que cette motion de censure arrive au moment de la défaite de la candidate PS aux élections législatives partielles et d’un mini remaniement ministériel improvisé.
 
Une dyarchie grammaticale et politique
Cette motion de censure a également été l’occasion de rappeler la confusion qui règne autour de l’exercice du pouvoir de l’exécutif, confusion parfaitement retranscrite dans le langage politique et médiatique. En effet, on a pu remarquer la critique très virulente de JF Copé contre François Hollande, le Président de la République, lors du JT de TF1 : « François Hollande a pris deux décisions qui sont à mes yeux irresponsables et que je veux dénoncer à l’AN. » Or, la motion de censure concerne l’action du gouvernement et pas celle du Président, comme le précise l’article 49 de la Constitution  : « L’assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure. » Ainsi, c’est le premier ministre, chef de la majorité parlementaire, qui est venu défendre l’action et la politique de son gouvernement. « Je sais où je vais, je sais comment y parvenir, et je sais ce que doit être la France à la fin de ce quinquennat, et c’est à cela que depuis le premier jour je me suis attaqué » a affirmé fermement Jean Marc Ayrault mercredi dans l’hémicycle, avec une détermination qui a été le seul coup de théâtre de ce rituel politique. Ayrault a défendu avec éloquence son gouvernement dans un discours dominé par le « je » qui remplaçait le « nous » (nécessaire dans son rôle de chef de file de la majorité parlementaire). Les références au Président de la République se sont raréfiées. M. Ayrault semble enfin assumer sa fonction ainsi que ses choix politiques. Et pourtant, le premier ministre s’est fait indirectement l’avocat du Chef de l’Etat mercredi, en n’ayant pas d’autre possibilité que de défendre la politique et les actions de François Hollande dans cette plaidoirie vigoureuse, sous couvert de l’emploi du « je » plutôt que du « il ». Cette motion de censure aura au moins eu le mérite d’interroger la responsabilité de la politique de la nation. « Le président fixe le cap, le Premier Ministre dirige le gouvernement », avait révélé Ayrault sur le JT de David Pujadas en mai dernier.
Au travers d’une confusion grammaticale non-intentionnelle, la motion de censure aura révélé la confusion institutionnelle de l’exercice d’un pouvoir exécutif bicéphale.
 
Margaux Le Joubioux
Sources :
LCI replay : le débat parlementaire du Mercredi 22 mars
« Ayrault s’efforce de reprendre sa majorité en main » Le Monde
« Copé mise sur sa motion de censure pour relancer l’UMP » Les Echos
« À l’UMP, la motion de censure « ne fait pas l’unanimité » » Le Figaro
« Motion de censure : l’opposition quasi-unie face à Ayrault » Le Jdd

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Agora, Com & Société

Quand Hessel n'est plus là, les souris dansent

 
Disparu fin février, à 95 ans, Stéphane Hessel aura eu une existence peu commune : né à Berlin de parents allemands (ceux-là mêmes qui ont inspiré le film « Jules et Jim », de François Truffaut), il acquiert la nationalité française en 1937 et s’engage dans la résistance. Il est capturé, torturé et déporté pour finalement, à la Libération, participer à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme au sein d’une institution récemment créée, les Nations Unies. Une vie de lutte incessante, contre les Occupants, puis contre les injustices, qu’elles soient économiques, sociales ou géopolitiques.
On pouvait lui attribuer de nombreuses étiquettes : résistant, diplomate, ambassadeur, écrivain. Le terme qui le résumerait mieux serait peut-être celui de militant. Dans son manifeste publié en 2010, intitulé « Indignez-vous! », véritable succès planétaire, il écrivait : « La pire des attitudes est l’indifférence ». Les récents mouvements populaires – Occupy Wall Street aux Etats-Unis, le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo, le parti Syriza en Grèce, mais aussi dans une certaine mesure le renouveau de la gauche française et européenne – ont finalement démontré que les hypothèses de Stéphane Hessel étaient justes.
Pourtant sa mort, le 27 février dernier, a provoqué un grand chassé-croisé dans les médias. L’espace public s’est enflammé, pour un homme dont on avait jusqu’à présent si peu parlé (et ce jusqu’à la publication de son manifeste), et que l’on avait relégué à des postes honorifiques. De tous les bords, ont emané un concert de louanges et d’hommages, dont la presse, française comme étrangère, se sont rapidement fait l’écho.  À droite comme à gauche, on a célébré la « grande figure », le « penseur du progrès » ou encore l’ « immense patriote ». Il faudra attendre quelques jours pour que des voix s’élèvent, et dénoncent l’hypocrisie ambiante, notamment celle de Hervé Bentégeat, qui publie à cet effet son opinion sur le site de Slate.
En effet, de son vivant, Stéphane Hessel ne fit jamais l’unanimité. Ses positions en faveur de la paix en Palestine et  son hostilité face aux méthodes et à l’idéologie de l’état d’Israël lui ont attiré les foudres du CRIF. Dans un communiqué récent, l’organisation confessionnelle parle de lui comme d’ « un maître à ne pas penser », et évoque clairement leur intention de faire un « travail de déconstruction » de sa pensée. À droite, on le critiquait volontiers en parlant de lui comme d’un idéaliste naïf, porteur d’un message de bonne conscience et de solidarité universelle.
Il faut dire qu’il ne mâchait pas ses mots, et affirmait clairement sa volonté de voir le conflit israélo-palestinien résolu, comme dans cette interview accordée à Serge Moati en 2008 :

Pour autant, sa mort fit l’objet de nombreuses récupérations médiatiques : le 13 mars, Lemonde.fr annonce le lancement d’une application payante qui lui rend hommage, dans le cadre d’une collection qui retrace la vie et les œuvres des grandes personnalités de l’histoire contemporaine. De même, il fut question de savoir s’il serait intronisé au Panthéon. Pour défendre cette idée, une proposition, signée par des personnalités diverses (de tous bords et de tous métiers) paraît dans Libération, mais Richard Prasquier, le président du CRIF, ne veut pas en démordre.
La République lui rendra tout de même cet hommage qu’il semblait mériter, au cours d’une cérémonie qui a eu lieu à l’Hôtel des Invalides. Le Président de la République, inspiré, prononça un discours qui ne fit pas l’unanimité : certain y virent une distance et une restriction inopportunes au moment de dire adieu à un grand homme. Edwy Plenel, co-fondateur du site d’information Mediapart, n’y va pas de main morte dans un article publié sur le site de l’Association Solidarité France Palestine. Il épingle notamment une phrase du Président qui démontre selon lui la méconnaissance voire l’inculture de François Hollande :
 
«  Il pouvait aussi, porté par une cause légitime comme celle du peuple pales­tinien, sus­citer, par ses propos, l’incompréhension de ses propres amis. J’en fus. La sin­cérité n’est pas tou­jours la vérité. Il le savait. Mais nul ne pouvait lui dis­puter le courage. »
 
Plenel récuse l’idée d’une erreur de la part d’Hessel, rappelant que sa vie, tout comme celle de ses mythiques géniteurs, s’inscrivait sous le sceau de la foi en la liberté, le droit et la justice. Ce sera Edgar Morin, dans un émouvant hommage à son ami, qui aura cette répartie cinglante : « Les mal­heureux qui ne comprennent pas que sa position de vérité pour la Palestine est due à son humanisme, à sa compassion, à sa bonté, ceux-​​là errent complètement. »
Cependant, mon but n’est pas tant de déterminer qui a raison et qui a tort dans l’histoire. Il est intéressant de noter, néanmoins, que la disparition soudaine de Stéphane Hessel a délié les langues et ravivé les passions au sein de l’espace public, de la même façon que lors de polémique qui a suivi la publication d’ « Indignez-vous ! » Il est triste de constater que sa mort aura plus fait parler de lui en quelques jours que ses actions et son histoire pendant les dizaines d’années qui ont précédé sa révélation au grand public.
 
 Laura Garnier
Sources :
Le Monde lance une application payante en hommage à Stéphane Hessel
Le retour sur les obsèques de Stéphane Hessel par Edwy Plenel
Wikipédia
Stéphane Hessel, le bal des hypocrites
Hessel, un « maître à ne pas penser » pour le CRIF

Agora, Com & Société

Hugo Chavez : le deuil inavouable

 
Le Venezuela fut en deuil une semaine durant. Une semaine pour se remémorer d’un homme devenu symbole, puis parti politique. Une semaine pour faire le deuil d’un homme et d’un idéal. Pour la grande majorité des vénézuéliens, ce décès se doit d’être commémoré afin ne pas oublier ce qu’était le courage politique, ce qu’était leur vision de la politique.
 
Mouton noir et loup blanc
Cependant, focalisons-nous ici sur le traitement de l’annonce du décès par les différents média. Le deuil se doit d’être respecté par le journaliste, le défunt semble devoir être considéré, coûte que coûte. L’annonce du média ne prendra pas de position politique mais tentera plutôt de mettre en lumière la complexité du traitement de l’action politique et de la difficulté de dresser le bilan d’un homme de façon aussi rapide.
Quelle belle hypocrisie que celle-ci ! Les lecteurs et les spectateurs n’ont-ils pas de mémoire ? Un homme, décrit comme un loup agressif, moralisateur, violent et sanguinaire durant tout son règne est devenu, le jour de sa mort, le symbole de l’Argentine moderne, l’homme qui a su donner au pauvre et qui a su rediriger les bénéfices du pétrole. Le mort est sacré, la figure du défunt est lavée de tout soupçon, son souvenir reconsidéré. Peut-on enterrer un homme avec de la haine ? Slate.fr a rapidement enlevé de sa première page l’article faisant le bilan économique de ce président pour le remplacer par un article nous présentant Chavez comme un homme cultivé et admirateur de la littérature française.
Chavez n’était pas un saint. Malgré les milliers de pleurs qui raisonnent dans la belle et dangereuse ville de Caracas, pas une seule voix ne se fait entendre pour reconsidérer le bilan de son action politique. Les pleurs annihilent la critique par leurs caractères passionnels.  L’image communique l’émotion, la douleur se répand. On ne peut pas admettre la critique de l’homme alors que le cadavre est encore chaud.
« L’encre coule le sang se répand. La feuille buvard absorbe l’émotion » comme disait IAM.
 
Le deuil totalitaire
Voilà donc un obstacle à la mémoire, à l’histoire et au décryptage de l’œuvre d’un homme. La surexposition médiatique de l’émotion et de l’unité nationale derrière le décès d’Hugo Chavez a empêché de construire un autre regard et de mettre en lumière les phases les plus sombres de son pouvoir. La communication gouvernementale passe ici par le deuil. Le gouvernement utilise l’évènement comme un moyen de perpétuer l’œuvre de l’homme. Heidegger dans Etre et temps, montre que le deuil doit avant tout être considéré comme un renvoi permanent au passé. Le fait que le corps de Chavez ait été embaumé souligne clairement cette volonté de perpétuer son œuvre passée et de le faire entrer dans le panthéon historique qui devient l’identité du pays. Le musée est ici la représentation du figé, et cette volonté de thésauriser l’homme politique dans les vitrines du musée nous amène à comprendre le souhait de créer une sorte de deuil perpétuel presque mystique.
En effet, le Venezuela est en train de construire un deuil qui va annihiler toute possibilité de contestation de l’œuvre de Chavez. La puissance passionnelle du deuil va être poursuivie afin de transformer le travail de cet homme en point de fondation de la vie politique du Venezuela. Ici, la communication gouvernementale tente de perpétuer le souvenir pour transmettre l’image la plus positive possible du pays. Un tel déni du passé et une telle sacralisation de l’homme prouvent que le Venezuela est encore un pays qui a besoin de s’affirmer et d’illustrer la légitimité de la révolution socialiste. Cette position politique et cette indépendance dans l’échiquier mondial est ici mise en valeur par le deuil,  par les cérémonies et ce dolorisme inavouable.
D’un point de vue communicationnel, le deuil est donc un outil puissant, qui affirme les bases du régime en rendant hommage à celui qui a réussi à faire évoluer le pays. Le deuil est aussi un retour perpétuel vers le passé, un regard en arrière peut-être nostalgique, mais avant tout conservateur. De plus, ce deuil s’est magnifiquement bien propagé aux médias occidentaux qui mettent en lumière le caractère de l’homme, son courage et parfois son intelligence bien plus que son populisme, son culte de la personne et son égo surdimensionné. Une telle manipulation utilise comme outil ce respect universel de la mort, de la mémoire. Et cet aspect est bien puissant.
 
Emmanuel de Watrigant
Rendez-vous la semaine prochaine avec Laura Garnier pour Irrévérences qui traitera du deuil de Stéphane Hessel.

Environnement, Société

Web et écologie : une communication (au mieux) absente

 
Bons citoyens éco-responsables que vous êtes, vous avez probablement tous été déjà sensibles à cette petite ritournelle qui occupe la fin de vos factures et autres relevés de comptes, vous invitant, en misant sur votre bonne conscience et sentiment de culpabilité, à demander vos factures en lignes plutôt que par papier pour réduire la consommation de CO2. Que ce transfert soit moins coûteux pour les entreprises, c’est prouvé. Moins polluant… ce n’est pas si évident.
 
Immatérialité, immatérialité chérie           
Si on doit dégager quelques spécificités propres à Internet, la plus évidente serait sans doute la masse de fantasmes, métaphores, mythes qui l’enveloppent et nourrissent nos imaginaires. Et l’un des plus forts est cette notion d’immatérialité. Notion qui, avouons le, par sa seule évocation, mobilise en nous une sorte de crainte, au sens religieux du terme, mêlée d’une douce rêverie de science fiction. Or, on le sait, toucher notre inconscient et nos émotions est la recette d’une communication réussie. Le concept d’« immatérialité », un peu comme celui de « transparence », vaut de l’or.
Mais qu’en est-il réellement ? Bien sur que non, Internet n’est pas dématérialisé. On y accède par un support, quel qu’il soit. S’il faut se connecter, l’utilisateur a également besoin d’un objet assurant la transmission du réseau, qui lui même est amené par d’autres infrastructures… Quant au transfert et au stockage d’information, il est assuré par la présence des serveurs, et je vous invite à jeter un œil sur ceux de Google, assez impressionnants.

Tout cela relève de l’évidence. Mais c’est pourtant dessus que se joue toute la communication des diverses entreprises, qui ont , elles, plutôt intégré les valeurs économiques qu’écologiques de cette « révolution numérique ».
 
Quels enjeux pour le développement durable ?
Brosser un portrait complet de la multitude d’enjeux que sous tend ce changement serait hélas trop long, complexe et confus pour tenir dans un seul article. Mais l’on peut tout de même mettre en exergue quelques points clefs qui seront sans nul doute au cœur des réflexions très bientôt.
On peut d’abord songer au e-commerce, souvent encensé pour ses vertus écologiques : il serait moins polluant de commander un livre plutôt que d’aller l’acheter en magasin. En fait, il est quasiment impossible de faire un tel calcul, car il faut prendre en compte une multitude de facteurs : à quelle distance est le magasin ? Comment s’y rend-on ? Si l’on achète un livre sur Internet, d’où vient-il ? Ou se fait-on livrer ? Un article de Slate détaille ces questions, et, contre les idées reçues, conclut que, pour le moment, on ne sait pas grand chose.
Se pose ensuite la question, très vaste, des objets technologiques, avec au cœur le problème de l’obsolescence programmée (techniques permettant de réduire la longévité des appareils afin que les utilisateurs s’en rachètent), ainsi que l’habitude de renouveler ses téléphones par exemple, beaucoup trop souvent (tous les 2 ans en France) alors que les métaux les composants, en plus d’être de plus en plus rares, sont extrêmement nocifs (cf l’article du Courier International :  « Un poison radioactif dans nos smartphones ») Place de la toile a récemment consacré une émission à la question de l’écologie, « Les faces cachés de l’immatérialité », référence au livre Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication du groupe EcoInfo, où elle aborde cette question, mais aussi la plus importante certainement : celle des TIC. Il est vrai que l’usage intensif des mails est de plus en plus critiqué. Mais rarement d’un point de vue écologique. Or, un mail de plus d’1Mo a un impact de 19 grammes de CO2, et 247 milliards de mails sont envoyés par jour. Quant aux recherches, « deux requêtes sur Google généreraient 14g d’émission de carbone, soit quasiment l’empreinte d’une bouilloire électrique (15g) » selon Le Monde.
Bien sur, il ne faut pas être trop alarmiste, et voir que le web permet aussi de réduire certains coûts environnementaux, ne serait-ce qu’en propulsant des pratiques telles que le covoiturage ou les téléconférences par exemple. Mais rien ne peut expliquer cette absence quasi totale de vraie communication, assez étrange d’un point de vue économique, quand l’écologie est partout ailleurs (même dans le secteur textile, comme l’avait montré Clémentine Malgras jeudi dernier) utilisée comme un argument de vente, mais aussi d’un point de vue éthique quand on pense qu’en France, les marques ont pour obligation de nous dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour et que le tabac et l’alcool sont dangereux. Et cette absence se fait sentir : selon Ipsos (2011), 45% des Français sont écolo-sceptiques, soit… 15% de plus qu’en 2008.
 
Virginie Béjot
 
Pour aller plus loin :
Le documentaire et dossier du Vinvinteur : Web et développement durable
Le compte rendu de L’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie)
Photo : espaces de stockage d’Amazon, crédits : Slate.fr

Société

E-diplomatie : la diplomatie (française) à l’heure du numérique

 
Le rapport Tavernier sur Le réseau diplomatique et le rôle des ambassadeurs, présenté à l’Assemblée Nationale en février 2002, explicitait déjà les liens étroits entre diplomatie et médias :
« Dans l’exercice de sa mission d’information, l’ambassadeur se trouve désormais concurrencé par les médias. »
 
Nous assistons en effet à un enchevêtrement des sphères médiatique et politique – a fortiori diplomatique -, accentué par l’avènement des réseaux sociaux. Le Quai d’Orsay a notamment ouvert, en mai 2012, son compte Twitter, en arabe, sous le nom de @francediplo_AR, afin de communiquer sur l’action du ministère dans le monde arabe. L’information diplomatique semble de plus en plus perdre de son panache, de son caractère « officiel » crypté par les diplomates chevronnés, au profit d’une analyse strictement journalistique. Les journalistes ont d’ailleurs un accès privilégié à l’information qui leur permet d’exercer  une influence sur les décisions politiques.
Dès lors, la communication diplomatique, cet art séculaire de la conduite des relations internationales, subit de profondes mutations, à l’heure où se dessine un « monde multipolaire » sous l’impulsion des NTIC : la diplomatie semble prise dans  « une révolution de la vitesse », selon une expression chère à P. Virilio.
Aussi convient-il de penser la diplomatie, à travers le prisme des médias, comme un art de régulation  des échanges interétatiques à l’intérieur du « monde communicationnel ». La communication diplomatique est aujourd’hui multilatérale et se décline en version 2.0. Internet offre de grandes potentialités quant aux nouvelles façons de travailler, avec l’ensemble de la communauté internationale : dans un élan de solidarité collectif, de plus en plus  d’entreprises, d’ONG, et d’individus intègrent peu à peu Facebook, Twitter, Linkedin et les autres réseaux sociaux dans leurs échanges.
La question se pose alors de savoir comment la diplomatie s’adapte à l’ère des télécommunications et des médias.
Si Napoléon Bonaparte définissait, au XIXème siècle, la diplomatie comme « la police en grand costume », on peut l’actualiser en précisant que la diplomatie se veut désormais « puissance normative » dans les Relations Internationales, se heurtant néanmoins aux intérêts et désaccords propres à chaque Etat.  Il s’agit en fait de  combiner la participation à une société internationale et la pratique des relations d’Etat à Etat, à l’heure d’Internet. En d’autres termes,  il convient de s’interroger sur le nouveau paradigme diplomatique que les réseaux sociaux façonnent.
Si la manière dont le printemps arabe s’est appuyé sur Internet se veut une manifestation particulièrement marquante de cette nouvelle donne dans la communication diplomatique, c’est loin d’en être l’unique. Il pose  cependant plusieurs difficultés propres à la diplomatie, telle qu’elle se revendique 2.0 : le traitement standardisé et bureaucratique de l’information se voit remis en cause par une multiplication des sources et des analyses, dont l’expertise est parfois à revoir.  De même, on constate que le système est dichotomique entre d’un côté « les nobles artisans » de la diplomatie, les têtes pensantes, et de l’autre, les « petites mains », qu’Internet tend à rassembler/confronter.
Le printemps arabe témoigne d’une nouvelle configuration des Relations Internationales, ouvrant la voie à un nouveau paradigme, alors que la diplomatie tente de s’adapter aux nouveaux enjeux médiatiques et communicationnels.
A la diplomatie traditionnelle, à laquelle la France se cantonne toujours, succède désormais  la e-diplomatie appelée aussi diplomatie digitale, diplomatie en ligne, ou encore cyber-diplomatie.
On pourrait reprendre la célèbre formule de C. Von Clausewitz, selon lequel «  la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », en la remaniant légèrement : l’e-diplomatie  serait désormais  la continuation de la politique par d’autres moyens.
Penser la e-diplomatie nécessite toutefois de s’intéresser au cas des Etats-Unis, où la diplomatie digitale commence à s’institutionnaliser, et à réellement se structurer.  Depuis le succès des campagnes électorales 2.0, les réseaux sociaux sont devenus un vecteur clé de la politique d’influence américaine à travers le monde. Avec B. Obama, le « smart power » est apparu, dès 2009, comme le nouveau mode d’expression et d’expansion diplomatique, à travers le monde,  et Twitter comme Facebook  se sont révélés être des canaux de communication décisifs. Cette stratégie s’inscrit d’ailleurs en contrepoint avec l’administration « va-t-en-guerre » sous Bush, étant donné qu’elle vise au contraire à développer les ententes entre les institutions, à plusieurs échelles. En outre, la communication 2.0 implique les populations à un niveau local et « ad hominem »  de façon plus systématique que les traditionnels communiqués officiels destinés aux fonctionnaires des gouvernements.
En France, le manque de  confiance et donc de solidarité collective entre institutions,   ONG, hackers et activistes du Web cantonne le pays à une diplomatie encore traditionnelle, basée exclusivement sur la croyance indéfectible en l’expertise des diplomates : ce qui peut engendrer des erreurs de jugement, comme lorsque Michèle Alliot-Marie a proposé d’envoyer des CRS français pour maintenir l’ordre en Tunisie.
Malgré son ancrage dans une « tradition », la diplomatie française cherche toutefois à se mettre à l’heure du numérique : l’AFP a notamment lancé un Hub e-diplomatie à savoir une application web interactive sur Twitter, permettant l’accès aux Tweets des institutions et des personnalités les plus influentes du monde, tout ça en temps réel et à l’échelle mondiale.  C’est la première fois que les acteurs sont référencés dans un même outil public.  La sélection des comptes  est opérée par les experts de l’AFP.
Envisager l’e-diplomatie amène à comprendre le glissement des relations diplomatiques entre Etats vers une géopolitique des réseaux sociaux, et comment ces derniers façonnent les relations internationales.
Si l’explosion des NTIC permet une certaine démocratisation des processus de diffusion et de participation à l’information, elle engendre aussi des insuffisances. Les diplomates semblent aujourd’hui confrontés à un dilemme : soit tenter d’apporter une information brute, selon la logique du traitement médiatique,  soit une information soumise à leur expertise,  avec le risque de se faire doubler par les décideurs. C’est là tout l’enjeu de l’e-diplomatie.
 
Danaé DM
Sources :
–       Les enjeux actuels de l’évolution des métiers de la diplomatie – Les Cahiers IRICE, n°3, 2009, « Diplomaties en renouvellement »
–       Diplomatie digitale : pionniers en la matière, les Etats-Unis sont aujourd’hui suivis par la France – La Netscouade
 –       A definition of digital diplomacy –